A l’heure où nous écrivons, nous ne connaissons pas les résultats du deuxième tour des élections régionales. Ces derniers ne corrigeront pas, ou si peu, la photo que donne le premier de l’évolution des rapports politiques dans le pays. L’abstention a atteint un niveau record de près de 67 %, souvent plus de 80 % dans les quartiers populaires. Le deuxième tour confirme la tendance. Elle exprime un discrédit, un rejet du monde politicien, une indifférence à l’égard d’institutions qui ne fonctionnent qu’à sens unique en faveur des classes possédantes, des riches, une profonde lassitude aussi des discours démagogiques sécuritaires comme du mépris ostensible pour les classes populaires. Et les commentateurs, experts et autres décortiquent les ressentiments de cet animal pour eux étrange qu’est le citoyen, lui font la morale, le tancent et surtout s’inquiètent à l’idée que la machine à duper le bon peuple ne marcherait plus, serait délégitimée par son indifférence. Pire encore, à l’idée qu’il puisse échapper à leur domination idéologique car ils ont bien conscience que l’abstention débouche sur la crise politique, l’instabilité, la contestation qui ouvre la porte à la révolte, c’est-à-dire, au regard des bouleversements et régressions sociales annoncés, à des processus révolutionnaires. D’autant que le parti au pouvoir atteint à peine les scores du PS !
En Marche s’effondre, une gifle pour Macron et ses ministres
Macron n'avait pourtant pas ménagé ses efforts au risque de prendre une gifle mais cela ne l’a pas empêché d’en prendre une deuxième, électorale celle-là, d’autant plus cinglante que quinze ministres étaient candidats. Avec 11 % des voix, LREM devient le cinquième parti du pays, le gouvernement est en lévitation, Castex se tait.
Tout semblait avoir bien commencé avec l'accord de premier tour signé avec Renaud Muselier négocié en haut lieu et annoncé par le Premier ministre lui-même. Une habileté pour le moins maladroite qui annonçait la déroute. Castex croyait annexer LR, il n’a fait que préparer l’effondrement de son parti. Dans les Hauts-de-France, la liste LREM avec Dupond-Moretti et Darmanin, ne passe même pas la barre des 10 %. Même résultat en Auvergne Rhône-Alpes et en Occitanie, tandis que LREM dépasse péniblement le deuxième tour en Île-de-France, en Normandie...
Tout le monde déteste Macron et sa bande, sa politique antisociale qui allie la répression, le mépris et singe l’extrême droite, au point qu’il ne peut même plus faire croire qu’il est un barrage contre Marine Le Pen, elle-même prise au piège de son propre jeu. Les deux comparses du cirque politicien se discréditent réciproquement...
Le RN et Le Pen piégés entre dédiabolisation et radicalisation
Malgré l’aide active que lui apportent les grands médias où il monopolise le temps d’antenne dialoguant aimablement avec les politiciens qui reprennent tels quels ses préjugés, le RN recule fortement. Il ne se place en tête que d’une seule Région (PACA), contre six régions en 2015, et passe de 28 % à 19 % à l’échelle nationale.
En PACA, Mariani arrive, certes, devant Muselier mais d’une très courte tête (36,3 % contre 31,9 %), alors qu’il était pour Le Pen le symbole même de la réussite de sa politique pour débaucher une partie de la droite. Échec d’autant plus flagrant que le score de ce transfuge de LR, ancien ministre de Sarkozy, est loin derrière les 40,5 % de Marion Maréchal en 2015. Une déroute nationale que Le Pen analyse finement « Nos électeurs ne se sont pas déplacés » ! Certes mais il est bien peu probable que l’appel « au sursaut » suffise. Outre que Le Pen reste toujours inacceptable pour une large fraction de la droite même si cette dernière se lepénise, comme le décrit Zemmour dont les ambitions ne peuvent se contenir : « Elle a décidé, au nom d’une stratégie de dédiabolisation, de se recentrer, alors qu’il y a, au contraire, une radicalisation, un durcissement de tous les électeurs. […] les gens se disent : elle abandonne tout, elle trahit tout, elle se chiraquise et donc, là, elle le paie cash. » Ce « durcissement » est bien plus relatif que ne le souhaite Zemmour, en réalité Le Pen n’arrive pas à sortir de sa propre peau pour réussir à rassembler la droite extrême et l’extrême droite. Cela ne signifie en rien que la menace représentée par l’offensive réactionnaire est de la moindre façon atténuée. Elle montre les limites du RN, mais il ne manque pas de postulants convaincus de pouvoir, eux, les dépasser pour fusionner la droite extrême et l’extrême droite sur la base de l’échec de Macron dont Xavier Bertrand ou Wauquiez ou ceux dont l’appétit vient en marchant, Zemmour...
La gauche à la recherche du temps passé ou la décomposition accélérée…
Quant à la gauche, plus elle prétend rassembler ses forces à la recherche d’une union perdue, plus elle affiche son incapacité à porter un programme capable de rassembler et affiche ses rivalités d’appareil et d’ambitions étrangères aux préoccupations des classes populaires. Si EELV obtient de relativement bons scores, elle est incapable de s’imposer pour unir ses rivaux. L’exemple des Pays de la Loire illustre cette cacophonie d’intérêts d’appareil. Matthieu Orphelin - à la tête d’une liste écologiste et citoyenne soutenue par Europe Écologie - Les Verts et la France insoumise -, un ancien « vert » passé à LREM puis redevenu « vert » , s’associe au deuxième tour avec l’ancien ministre socialiste Guillaume Garot. Toute la gauche unie derrière un transfuge de LERM... Partout s’est déroulé le même genre de tractations pour accéder aux sinécures. L’accord le plus démonstratif est celui de la gauche dite libérale avec la gauche dite radicale autour de Julien Bayou, secrétaire national d’EELV, Audrey Pulvar (soutenue par le PS) et Clémentine Autain (LFI). Un accord qui scandalise cependant les vieux caciques de retour du PS, les Valls et les Huchon qui votent Pécresse pour faire barrage à la gauche !
Et en PACA, la liste d’union autour de Jean-Laurent Félizia, la tête de liste EELV de l’union de la gauche (PS/PCF/EELV), s’est retirée pour appeler à voter Renaud Muselier suivi immédiatement par le PCF « pour barrer la route au Rassemblement national ».
Sans aucune perspective autre que de tenter de sauver les places et de pouvoir continuer à jouer le jeu au sein des institutions, d’y être reconnue y compris par la droite extrême, la gauche s’effondre, incapable de répondre à l’offensive réactionnaire. Ce n’est pas la société qui se droitise mais bien la classe dirigeante et ses serviteurs. Qui peut encore croire qu’un « front républicain » avec des frères jumeaux du RN peut faire barrage à l’offensive réactionnaire !
Un mouvement révolutionnaire bien vivant représenté par les candidat.e.s de Lutte ouvrière
La crise politique latente, la décomposition de la gauche sont autant d’effets retour de l’évolution des consciences dans le monde du travail, les classes populaires, les femmes, la jeunesse, de la colère et de la révolte qui monte. Cette évolution ne s’est pas manifestée que par l’abstention mais aussi consciemment, certes de façon minoritaire, par le vote Lutte ouvrière. Présentes dans l’ensemble des régions, les listes de Lutte Ouvrière ont engrangé en moyenne 2,3 % des suffrages exprimés au niveau national, soit près de 320 000 voix au total en faveur de la seule organisation portant la voix des travailleurs.
« Le premier tour étant passé, écrit LO dans un communiqué, le seul où le « camp des travailleurs » a pu s’exprimer, le deuxième tour n’a ni enjeu, ni intérêt pour les travailleurs et les classes populaires. Lutte ouvrière ne cautionnera pas la supercherie consistant à présenter aux travailleurs des hommes politiques qui sont souvent aussi réactionnaires, aussi anti-ouvriers que ceux d’extrême droite, comme un rempart contre la menace du RN au pouvoir.
Il n’est pas question pour Lutte ouvrière de soutenir quelque variante que ce soit du Front républicain. Cette république est celle de la bourgeoisie. Elle ne réserve, à ceux qui n’ont que leur travail pour vivre, qu’un avenir d’exploitation et de mépris de la part des riches parasites. Les travailleurs auront à combattre la classe capitaliste pour l’empêcher de conduire la société vers la catastrophe. » Nous partageons cette politique.
A l’heure où la bourgeoisie se prépare à une nouvelle offensive contre le monde du travail, où une vague de licenciements commence à faire des ravages, où la folie financière menace l’économie et l’humanité, la nature, où la campagne présidentielle, maintenant ouverte, va être l’occasion d’une offensive idéologique et politique pour étouffer, canaliser, dévoyer la révolte, seule une politique d’indépendance de classe portant la perspective du contrôle des travailleurs sur économie et la société répond aux besoins des classes exploitées.
Yvan Lemaitre