Au final, la mascarade du coup de force du 6 janvier se termine en faveur de Trump que le Sénat a absout de l’avoir bafoué et ridiculisé. Son procès pour « incitation à l'insurrection » a accouché d’un acquittement bien qu’une majorité de 57 voix contre 43 se soit prononcée pour une condamnation. 7 Républicains se sont retournés contre leur boss mais il en aurait fallu 17 pour obtenir la majorité des deux tiers nécessaire pour qu’il puisse être condamné. Les institutions sont faites pour éviter tout excès démocratique !

Biden qui avait pris soin de garder ses distances, soucieux de préserver le dialogue avec les Républicains, s’est félicité avec beaucoup de retenue, « Même si le vote final n'a pas abouti à une condamnation, le fond de l'accusation n'est pas contesté ». Elle était difficilement contestable et n’a pas été réellement contestée. Les appels de Trump étaient sans ambiguïté depuis ses mises en garde répétées pendant des mois sur la volonté des Démocrates de lui voler sa victoire puis ses encouragements à ses troupes à « se battre comme des diables » et enfin son discours, alors que les deux chambres du Congrès se réunissaient afin de certifier l’élection de Biden, qui invitait ses supporters à manifester au Capitole : « Vous ne reprendrez jamais notre pays en étant faibles. Vous devez montrer de la force et vous devez être forts ! ».

Les avocats de Trump n’ont même pas pris la peine de répondre aux arguments et preuves de l’accusation. Tout aussi pressés d’en finir que les Démocrates, ils se sont contentés d’utiliser un tiers du temps qui leur était imparti pour invoquer… la liberté d’expression et la « haine » des démocrates envers Trump les accusant d’avoir pour objectif… « de bannir 75 millions d'électeurs et de criminaliser les opinions politiques », de vouloir « éliminer un adversaire politique ».

Après être resté silencieux, Trump a salué la fin d’une « chasse aux sorcières » assurant être « impatient de continuer notre incroyable aventure pour la grandeur de l’Amérique ». « Notre mouvement magnifique, historique et patriotique, Make America Great Again, ne fait que commencer ! ».

Il semble bien que Trump ait réussi à prendre acte pour la suite.

L’héritage de la violence politique des classes dominantes américaines

Le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, a qualifié ce vote de « jour d'infamie dans l'histoire du Sénat ». Certes, mais l’infamie trouve ses racines dans un long passé que Trump n’a pas inventé et dont lui ainsi que sa politique sont le produit. Le 6 janvier n’est pas seulement l’« héritage final et terrible » de Trump mais s’inscrit dans la continuité d’un héritage historique, celui de la violence des classes dominantes, du capitalisme dont la prétendue démocratie ne s’est construite que sur le sang et les larmes, les meurtres et les assassinats, les félonies et les trahisons, la répression et les massacres perpétrés par une classe dirigeante et ses serviteurs qui prétendent donner leur démocratie en exemple à la face du monde. Et c’est une forme de franchise que de s’exclamer comme un des avocats de Trump « Arrêtez l'hypocrisie » !

Le 6 janvier n’a pas été une simple mascarade mais l’irruption pathétique d’un passé devant lequel les forces de l'ordre se sont effacées pour ouvrir les portes aux émeutiers pour lesquels le drapeau des confédérés datant de la guerre de Sécession était un signe de ralliement. Cette passivité complice n’est pas le fait d’un complot mais d’une communauté d’esprit, d’une complicité politique, complicité dont chacun comprend bien qu’elle n’aurait jamais été possible face à une manifestation d’Afro-américains même pacifique.

« What happened today in Washington D.C. is not America », avait pontifié Macron. Certes, ce qui s'est passé le 6 janvier ne résume pas l'Amérique, loin s’en faut, mais c’est la manifestation d’une force réactionnaire, raciste, suprémaciste qui se nourrit d’une longue histoire depuis la fondation du pays. La violence et les coups de force y ont été en permanence un moyen de gouverner. Trump ne fait pas plus tache dans la glorieuse histoire de la soi-disant plus grande démocratie au monde que ses émeutiers. Tous s'inscrivent dans la continuité d'une violence de classe qui trouve une légitimité cynique dans les préjugés suprémacistes et racistes. Trump s’en est revendiqué le 6 janvier : « Vous êtes le vrai peuple. Vous êtes ceux qui ont bâti notre grande nation ».

C’est bien évidemment faux, celles et ceux qui ont construit les USA, ce sont les esclaves, les travailleurs. Le pouvoir des classes dominantes pour contrôler, diriger, s’approprier les richesses est fondé sur cette longue histoire de violence.

Les Démocrates et l’aile légitimiste du Parti républicain, comme ceux qui ont maintenu leur soutien à Trump, ont focalisé sur la responsabilité individuelle de ce dernier. C’était le sens même du procès, construire un mensonge officiel pour masquer les racines de l’émeute, racines sociales et politiques, raciales, dont Trump a su se servir pour tenter aveuglément de se maintenir au pouvoir mais qu’il n’a pas créées.

Ces dernières semaines ont vu s’exprimer un affrontement qui est au cœur de toute la vie sociale, des luttes de classes dans leurs manifestations quotidiennes, l’affrontement entre le monde du travail dans sa diversité, les forces démocratiques et progressistes, celles qui ont construit la nation américaine et portent son avenir socialiste et les forces réactionnaires, qu’elles se parent ou non de mythes progressistes et démocratiques.

Le parti Républicain et le bipartisme ébranlés

« Ce naufrage est une mauvaise nouvelle pour les États-Unis, qui ne marchent droit que lorsqu’ils peuvent s’appuyer sur leurs deux jambes politiques : le Grand Old Party [le parti Républicain] est devenu l’homme malade de la démocratie américaine » écrivait Le Monde dans un éditorial reprenant les inquiétudes des « amis » des USA devant la crise de la démocratie. D’une certaine façon, ils n’ont pas tort au sens où à travers la bataille électorale et l’émeute ou l’impeachment se profilent des tensions bien plus profondes et sérieuses que ne pourrait le laisser croire leur expression dans le cadre institutionnel. Ces tensions, ce que les médias appellent la fracture américaine, plongent leurs racines dans les conflits de classes et ont de quoi inquiéter les classes dominantes et leurs soutiens.

Elles engendrent une crise du système de domination politique bien huilé du bipartisme, du mode de domination de la bourgeoisie américaine qui a su lui garantir, jusqu’alors, la stabilité du pouvoir, contenir la violence de la classe dominante dans un cadre juridique, un décorum démocratique qui lui donne une légitimité.

Ce mode de domination a de plus en plus de mal à canaliser, contrôler l’exacerbation des rapports de classe, à légitimer cette violence d’une classe de plus en plus minoritaire, incapable d’incarner l’intérêt collectif, qui va à l’opposé des progrès sociaux. Trump est un facteur déstabilisant et pourrait, par la suite, contribuer à accentuer les tensions dont le 6 janvier a constitué l’expression la plus concentrée.

Son onde de choc n’a pas épuisé ses effets. L’heure des règlements de compte a sonné. Trump a ouvert les hostilités pour faire barrage à ceux qui se mettent sur sa route choisissant pour cible Mitch McConnell, chef de file des Républicains au Sénat, « un politicien renfrogné, maussade, qui ne sourit jamais et si les sénateurs républicains restent avec lui, ils ne gagneront plus ». Mitch McConnell a voté pour l'acquittement tout en déclarant Trump « responsable » de l'assaut. Pour lui, les émeutiers ont agi ainsi « car l'homme le plus puissant de la planète les avait nourris de mensonges. [...] Seul le président Trump aurait pu arrêter la foule. [...] A la place, il a regardé la télévision, heureux... heureux pendant le chaos ».

En réponse à ces remises en cause, Trump veut assurer sa main sur le parti républicain en se présentant en meilleur atout pour que son parti regagne le contrôle du Congrès en 2022 aux élections de mi-mandat alors que l’échéance de l’élection présidentielle de 2024 aiguise déjà les ambitions rivales. Le week-end end prochain il s’exprimera sur « l'avenir du parti républicain et du mouvement conservateur » pour tenter de donner un contenu politique à sa lutte pour le pouvoir.

Il ne s’agit pas, du moins pour le moment, de mettre en cause l’unité du parti républicain ni encore moins le bipartisme fondement de la machine démocratique. Le Parti républicain est certes bousculé, divisé mais il garde de solides positions et les 74 millions de voix de Trump (environ 47 % de l’ensemble des suffrages exprimés) ne se sont pas évaporés. Il est cependant soumis à de fortes tensions tant intérieures qu’extérieures qui pourraient bien, à plus ou moins court terme, compromettre des équilibres fragilisés.

En ligne de mire, l’inévitable affrontement de classe

Le brutal coup de barre des années Trump continuera de donner le cap de Biden dont la politique trahira nécessairement les grandes déclarations sur l’unité de la nation, la démocratie, l’égalité et la lutte contre le racisme pour prendre le visage brutal d’une politique de classe égoïste, avide et nationaliste. Bien sûr, il n’est pas indifférent que Trump et ses discours haineux aient été virés mais les sourires, les phrases creuses, le talent de Kamala Harris pas plus que celui d’Obama ne suffiront à donner le change ni à canaliser les colères et la révolte. Biden nourrira de nouvelles frustrations dont Trump, la droite extrême et l’extrême droite feront leur fonds de commerce.

America is back prend le relais d’America first ! La nuance ne suffit pas à définir une autre orientation que celle donnée par Trump à la politique américaine, même si Biden en change la mise en scène pour relancer sa diplomatie ou tenter de préserver la paix sociale. Pour la bonne raison que celle-ci, au-delà de la brutalité cynique du personnage, s’inscrit dans des évolutions profondes tant du capitalisme que des rapports internationaux. L’attitude adoptée par Biden à l’égard de la Chine en témoigne. Dans une interview accordée à CBS, il se revendique d’une « compétition extrême » attaquant Xi Jinping, comme un homme « très dur ». « Il n’a pas, et je ne dis pas cela comme une critique, c’est juste la réalité, il n’a pas une once de démocratie en lui ». Et Biden d’annoncer son projet de construire un « sommet pour la démocratie ». Il tente de renouer avec l’époque où les USA maintenaient l’ordre mondial au nom de la démocratie mais le masque a pour le moins vieilli. Il ne trompe personne. Les USA ne peuvent maintenir leur suprématie que par une politique arrogante à l’égard du monde capitaliste et de leurs rivaux, quelle que soit la façon dont Biden la mettra en musique.

Il en sera de même au niveau de la politique intérieure où Biden n’aura d’autre choix que de continuer à alimenter l’euphorie boursière et financière. Le nouveau plan de relance à 1900 milliards de dollars qu’il négocie avec les Républicains dans la continuité du plan précédent de 900 milliards, lui aussi négocié entre les deux partis du capital, en est l’illustration. La revalorisation attendue mais encore repoussée du salaire minimum à 15 dollars de l’heure qui fait partie de ce plan, un minimum revendiqué depuis des années, n’y changera rien.

Trump, s’il n’est pas emporté par les procès qui l’attendent, et les Républicains ont quelques raisons de penser peser de façon déterminante dans les mois qui viennent. Biden a besoin d’eux et Trump saura utiliser à son profit cette dépendance politique alors qu’il a su se mettre hors du jeu des tractations entre les deux partis pour affaiblir Biden, voire l’isoler politiquement.

Le monde du travail, les Afro-américains, les minorités, les femmes et les jeunes qui ont viré Trump ont besoin de dégager les enseignements de ces derniers mois, un avertissement et un éclairage vif sur les tâches de l’heure. Alors que la politique des classes dominantes face à la pandémie crée les conditions d’un nouvel épisode aigu de la déroute du capitalisme et que les forces réactionnaires sont revigorées et mobilisées par les frasques de Trump, elles ne pourront compter que sur leur organisation, leur propre mobilisation pour se protéger, défendre leur droit, c’est-à-dire se préparer pour en finir avec l’ordre du capitalisme, la tyrannie de la finance.

Les Démocrates prétendaient empêcher que le coup de force du 6 janvier ne puisse se renouveler en condamnant Trump. Illusions ou duperie, de nouvelles manifestations de la crise politique de la domination de la bourgeoise sont à venir. Les forces de droite et d’extrême-droite, les suprémacistes sont tout disposés à y apporter leur propre réponse, avec ou sans Trump, contre les classes populaires.

L’affrontement entre le passé des classes dominantes, leur politique et l’avenir socialiste est inscrit dans les évolutions en cours. Aux USA comme ici, s’y préparer c’est regrouper les forces progressistes, démocratiques, révolutionnaires pour mener le combat pour liquider le capitalisme et construire un nouvel ordre social.

Yvan Lemaitre

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