Dans un long article, France 3 Aquitaine rappelait le 19 février les « premiers témoignages que nous avions publiés sur l’affaire Bétharram, le 17 novembre 2023. Et les nombreux autres qui ont suivi tout au long de l’année 2024. Car avant d’être un scandale politique autour de François Bayrou, l’affaire Bétharram, ce sont des décennies de violences, de souffrance et d’omerta, que de nombreuses victimes ont racontées depuis un an et demi »[1].

L’indécence et le cynisme le disputent au sordide quand le Premier ministre, élu local depuis 1982, ex président du conseil général, qui avait dans ses prérogatives la protection de l’enfance, explique avoir « fait tout ce qu’il y avait à faire » concernant cette institution catholique, école -sinon de la République du moins financée par elle- dans laquelle la bourgeoisie locale envoyait ses enfants se « former » à la dure. La famille Bayrou y scolarisait deux de ses enfants et Madame y « enseignait » le catéchisme.

Les innombrables témoignages aujourd’hui rendus publics décrivent la « violence institutionnalisée » physique et psychologique, les humiliations, les punitions collectives, une « ambiance de milieu carcéral », « le rythme militaire, le non-respect, une douche par semaine, à l’eau froide », les « raclées dans le bureau du surveillant principal »… Un système organisé « de caïds qui nous bourraient de coups de poing à plusieurs, dans un coin de la récréation ». « Tous les pères directeurs ont été des agresseurs sexuels des enfants, avec toujours le même mode opératoire » témoigne le porte-parole des victimes et victime lui-même.

En 1996, une plainte était déposée par le père d’un jeune trouvé en hypothermie, le tympan perforé (comme au moins quatre autres enfants) après ce que Bayrou appelle « une claque ». Face au risque de scandale, un Inspecteur d’Académie est alors dépêché qui conclut à un « malheureux concours de circonstances », assure que « Notre-Dame de Bétharram n’est pas un établissement où les élèves sont brutalisés » et demande de « trouver une solution » afin que l’enseignante qui avait dénoncé les violences au sein de l’Institution dans La République des Pyrénées, Libération et sur Antenne 2 « n’enseigne plus dans l’établissement »... Cette professeure retrouvée par Médiapart assure que Mme Bayrou, témoin de violences, avait refusé d’intervenir, confortant les propos d’anciens élèves.

Deux ans après la première plainte, le religieux à la tête de l’école était mis en examen et incarcéré pour avoir abusé d’un élève de 10 ans. Libéré sous contrôle judiciaire, il avait trouvé refuge au Vatican. Il s’est suicidé en 2000 la veille d’une convocation après de nouvelles révélations. Mme Bayrou était présente à son enterrement.

Ce n’est qu’après plusieurs décennies d’omerta, de mensonges, de pressions pour faire taire et durant lesquelles les violences et leurs ravages se sont perpétués, que des victimes réussiront à trouver la force de dire l’innommable, envers et contre tous. Ils sont aujourd’hui 140 à avoir porté plainte mais « un nombre colossal de victimes reste encore tapi dans l’ombre » a rappelé leur porte-parole. 

Humiliations, terreur, pédophilie, la violence de la famille patriarcale et de la religion

Cette violence glaçante, ce système élaboré, hiérarchisé d’humiliations, de terreur et d’appropriation du corps d’enfants ne sont pas le seul fruit de la perversion d’individus assoiffés de pouvoir, aux pulsions obscènes et cerveaux détraqués. Ils sont un fait social. Ces monstres sont enfantés par cette société d’exploitation qui ne peut se survivre qu’en soumettant ou écrasant les cerveaux, les sensibilités, les aspirations et en instrumentalisant les frustrations jusqu’à leurs pires conséquences.

« Pensez-vous que j’aurais mis mes enfants dans cette école si j’avais su ? » a répété Bayrou sur le ton désinvolte de l’évidence. Comme si de tout temps la petite et grande bourgeoisie et leur personnel politique n’avaient pas envoyé leurs enfants dans des institutions destinées au formatage indispensable à leur reproduction et au maintien de leur pouvoir. A l’image du riche et prestigieux lycée Stanislas, que fréquentaient les enfants de l’éphémère ministre de l’Education Oudéa Castéra, où une enquête a révélé discours homophobes, sexisme, humiliations... Institutions religieuses, écoles militaires et autres lieux d’apprentissage des rapports de domination et de soumission pour « devenir des hommes » secrètent le mépris social, celui des « faibles », de celles et ceux qui ne se conforment pas à leur ordre moral, aux normes auxquelles la société entend les contraindre. Le patriarcat, la soumission des femmes et des enfants, la religion et sa morale terrifiante visant à contrôler les corps et les intelligences sont des outils de la domination capitaliste.

C’est peu dire que l’Eglise catholique est liée aux classes dominantes et à leur Etat. En premier lieu à travers ses établissements scolaires « sous contrat » financés à 75 % par les deniers publics : 9 milliards d’euros par l’Etat en 2024 et autour de 2 milliards par les collectivités territoriales, chiffre jamais réellement établi car aux financements légaux s’ajoutent des bonus laissés à la discrétion des régions, de droite comme de gauche (Stanislas a ainsi obtenu plus d’1,5 million d’euros supra légaux de la région Ile de France). Des sommes extravagantes alors même que plus de 40 % des élèves des établissements privés sont issus de milieux très favorisés tandis que l’école publique est à l’abandon... et que la Cour des comptes pointe « des contrôles financiers et pédagogiques presque inexistants » dans le privé, à l’image de Bétharram, jamais contrôlé depuis trente ans.

Et les mêmes tartuffes qui financent et protègent l’enseignement privé catholique n’hésitent pas à brandir l’étendard de la laïcité pour combattre et stigmatiser les migrants et les musulmans… et se déclarent, tel Bayou, pour l’indépendance du politique et du religieux !

Une condamnation de la société de classe

Le combat des victimes de Bétharram, la libération de la parole plus de 30 ans après, voire 50 ans, ont obligé la presse à porter leur voix, révélant au grand jour les connivences et complicités institutionnelles, les mensonges. Le Parlement a été contraint d’ouvrir une commission d’enquête. L’Education a diligenté une inspection. L’Eglise a mobilisé sa « commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise ». La justice a mis en examen un ancien surveillant sans chercher, à ce jour, à contourner la scandaleuse « prescription des faits » derrière laquelle s’abritent brutes, violeurs et complices.

Mais ce combat témoigne en même temps de la puissance des pressions sociales qui ont maintenu une chape de plomb durant des décennies, permettant que la terreur et les exactions perdurent, assurant l’impunité des tortionnaires.

Les mensonges et l’aplomb de Bayrou aujourd’hui encore, la complaisance dont il bénéficie, attestent à la fois du sentiment de toute puissance et de l’étroitesse des liens entre l’Eglise et les différentes strates du pouvoir.

Les violences sexuelles, les viols, la pédophilie, l’inceste, les violences homophobes et transphobes, les féminicides sont les conséquences directes des rapports de pouvoir et de propriété sur lesquels repose le capitalisme. Le combat contre elles, contre le machisme et le patriarcat, la morale rétrograde des classes dominantes est partie intégrante de celui pour établir des relations libres et démocratiques, émancipées de tout rapport de domination et d’exploitation.

Isabelle Ufferte

[1] https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/pyrenees-atlantiques/pau/nuits-dehors-par-zero-degre-viols-un-climat-de-terreur-au-c-ur-de-l-affaire-betharram-des-enfants-en-souffrance-3109189.html

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn