Le premier week-end de février a vu se dérouler le premier congrès du NPA-R ainsi que celui de Révolution permanente, le congrès de Lutte ouvrière s’étant tenu début décembre. Il nous semble nécessaire de revenir sur ces congrès parallèles où chacun discute de lui-même avec lui-même mais qui ne suscitent guère de discussions croisées, une situation qui est préjudiciable à l’ensemble du mouvement révolutionnaire alors que la guerre que la classe capitaliste déclare aux travailleurs et aux peuples fait de la construction d’un parti démocratique et révolutionnaire des travailleurs, du rassemblement de nos forces, une priorité.
Les proclamations révolutionnaires, les discours sur l’urgence se font écho, sans conséquences pratiques au sein d’organisations centrées sur elles-mêmes, cultivant leur spécificité sous la houlette de directions pour lesquelles l’adhésion au principe dit léniniste du centralisme démocratique s’exprime par des majorités à 100 %. Seule la direction du NPA-R, constituée après la scission-exclusion du NPA autour de l’accord politique entre AetR et L’Etincelle, a dû composer avec des minorités et se contenter de 87,8 % des voix… Ce premier congrès a été cependant dominé par le souci de ces camarades de consolider leur mainmise sur le NPA-R et marqué par une agressivité constante contre les minorités. La première phrase du rapport introductif au congrès attaquait notre courant traçant le cadre d’un débat étouffé au nom des tâches de construction et de la fierté d’avoir « résisté », d’une conception « inédite » de la « fusion par la construction » entre deux fractions qui ne sont, par ailleurs, toujours pas dissoutes après deux ans de « processus de fusion » ! Point d’orgue de cette démarche, le choix de pousser dehors les camarades de Socialisme ou Barbarie qui se sont empressés, comme s’ils n’attendaient que ça, de déclarer publiquement leur volonté de se constituer en « une nouvelle organisation pour la refondation de la gauche révolutionnaire ».
AetR et L’Etincelle éclairent ce qu’ils appellent leur « boussole » du pôle des révolutionnaires. Ce congrès n’avait pour eux d’autre fonction que de cimenter leur dite fusion, intimant à chacun de « choisir entre le front de fractions et la fusion ». Une telle politique ne manque pas d’ironie puisque c’est au nom de la lutte contre « le front des fractions » que le NPA de Besancenot avait engagé la scission-exclusion de 2022 !
Le congrès des camarades de RP, tout en se proposant de faire une adresse aux organisations révolutionnaires, n’envisage pas l’unité autrement que sur le plan électoral, à l’image de la politique de leur courant en Argentine. « Face à une situation qui se durcit, qui a des conséquences sociales graves pour les travailleurs, avec la remontée brutale du chômage ces derniers mois et les plans de licenciements massifs, le Congrès a discuté de l’importance d’une adresse aux organisations se réclamant de la révolution, notamment Lutte ouvrière et le NPA-R, pour poser la question de davantage d’échanges politiques, de campagnes communes mais aussi de fronts électoraux, qui permettent aux communistes révolutionnaires de faire entendre leurs voix, notamment lors des prochaines échéances électorales ».[1]
Quant à nos camarades de Lutte ouvrière à l’issue de leur 54ème congrès, « qui s’est réuni à huis clos en région parisienne, les 7 et 8 décembre », ils publient dans leur revue Lutte de classe les deux textes d’orientation, soumis à la discussion et au vote, « Crise et guerres au temps du capitalisme sénile » et « Situation intérieure », précisant : « À l’exception d’une abstention sur la partie du texte international consacrée au Moyen-Orient, ces textes ont été adoptés à l’unanimité des délégués. Ces votes témoignent de la cohésion politique de Lutte ouvrière »[2].
Ces majorités unanimes ou quasi-unanimes ne sont pas l’expression de la santé du mouvement révolutionnaire mais, bien au contraire, l’expression d’un état de fait figé, les produits de l’adaptation aux divisions du mouvement à travers lesquelles chaque fraction sélectionne celles et ceux qui pensent de la même façon ou se plient à la conception dominante.
Ce long processus d’adaptation aux divisions engendre un mode de pensée façonné par « le narcissisme des petites différences », pour reprendre une formule de Freud, et dominé par les besoins de sa propre construction confondus avec les intérêts généraux du prolétariat.
Le propos de Démocratie révolutionnaire n’est pas de distribuer les bons ou les mauvais points -sur la plupart des analyses ou des positionnements formels, nous sommes plus proches des analyses des camarades de LO dont notre courant est issu-, mais d’engager la discussion sous l’angle de la démarche politique nécessaire pour rompre avec cet état de fait, la stratégie visant à la construction d’un parti révolutionnaire des travailleur·ses qui implique d’intégrer les données de la nouvelle période. C’est cette orientation que nous avons défendue durant ce congrès, nos camarades et amis pourront retrouver nos textes et interventions dans cette même lettre.
« Une classe ouvrière absente sur le terrain social et politique » ou le sectarisme à l’égard du prolétariat
Cette affirmation péremptoire est un intertitre du texte sur la situation intérieure du congrès de Lutte ouvrière[3]. Elle nous semble symptomatique d’un état d’esprit des camarades de LO que l’on retrouve, en plus nuancé, au sein de l’ensemble du mouvement révolutionnaire. « La grande bourgeoisie, écrit LO, sait qu’elle est assise sur un volcan et que ses attaques peuvent finir par provoquer une explosion sociale incontrôlable. Le principal problème est que la classe ouvrière n’est pas du tout préparée à cette situation. La plupart des travailleurs sont passifs, résignés voire fatalistes. Quelques luttes sont menées dos au mur et ne dépassent pas l’échelle locale. Les dernières mobilisations, celle contre la retraite à 64 ans et celle des gilets jaunes, sont citées en exemple comme preuves de l’impossibilité de gagner. Mais, comme cela s’est produit dans le passé, la combativité resurgira ». Étrange compréhension moraliste de la part de militants révolutionnaires qui se revendiquent de la classe ouvrière, sectaires vis-à-vis des travailleurs au sens où ils ne se considèrent pas comme les militant·es d’une classe complexe, avec ses forces et ses faiblesses, ses différents visages et aspirations mais comme une avant-garde éclairée qui est appelée à diriger la classe ouvrière le jour où « la combativité resurgira »...
Étrange appréciation aussi du rapport de force entre les classes que de toute évidence la bourgeoisie ne partage pas, elle qui déploie une énergie considérable pour étouffer la colère et se prépare à des combats dont elle sait qu’ils auront lieu.
Et ce sectarisme juge plus qu’il n’explique pour renvoyer les travailleurs à leur responsabilité, « la classe ouvrière n’est pas du tout préparée à cette situation. La plupart des travailleurs sont passifs, résignés voire fatalistes. » Ils jugent et commentent sans s’interroger un instant sur leur politique, celle du mouvement révolutionnaire, sans se penser comme membres et militants de cette classe, sans comprendre que cette classe « passive » inspire une saine trouille à la classe dominante, que ses forces sont intactes, que depuis 2016 et la lutte contre la loi travail puis la révolte des gilets jaunes la combativité n’a pas manqué. Et que par contre, le mouvement révolutionnaire n’a pas été capable d’initiative ni d’audace, trop préoccupé de gérer ses divisions ou de répéter doctement les enseignements d’un passé mythifié.
Le rapport de force doit s’apprécier en fonction des perspectives, des évolutions en cours des rapports entre les classes sur le terrain économique et politique, des évolutions de la conscience des travailleurs, d’un point de vue politique et non moral. Le retour à la combativité ne tombera pas du ciel mais bien des effets combinés de l’évolution des conditions objectives et subjectives. La préparation de l’affrontement à venir dépend pour une part du mouvement révolutionnaire lui-même.
Le monde du travail est désabusé parce qu’il se libère de l’influence de la gauche syndicale et politique, des illusions électorales et institutionnelles mais il n’a pas encore pu prendre confiance en lui parce que dans ce pays n’existe pas ne serait-ce que l’embryon d’un parti des travailleur·ses qui puisse l’aider à comprendre sa propre évolution, celle du capitalisme, de la gauche et lui offrir un cadre ouvert et démocratique pour défendre ses intérêts.
Jamais les sentiments et les idées anticapitalistes n’ont été aussi forts sans qu’ils puissent trouver les moyens de s’exprimer dans une perspective révolutionnaire, confrontés à l’effondrement d’une gauche syndicale et politique intégrée au système, à un mouvement révolutionnaire prisonnier de son passé alors que le capital pris de panique devant sa propre déroute engage une guerre sociale et politique inédite.
Impérialisme ou nouvelle période, la discussion rejetée par le sectarisme enfermé dans le passé
Sortir de cette impasse suppose de fonder une stratégie sur la compréhension des contradictions à l’œuvre au sein du capitalisme financiarisé mondialisé et pour cela de rompre avec la méthode de raisonnement qui pense l’avenir en référence au passé, conservatrice, commune aux différents courants issus de la décomposition du mouvement trotskyste. Cette méthode résulte d’un mécanisme intellectuel assez simple, le mythe des origines produit de notre histoire : la lutte contre la dégénérescence de la révolution russe, la lutte contre le stalinisme au nom de la continuité du mouvement révolutionnaire symbolisé par « Marx, Lénine, Rosa Luxembourg, Trotsky » sans qu’une nouvelle page ait pu être écrite du fait du recul historique du mouvement ouvrier.
LO parle de capitalisme « sénile » intégrant l’idée que nous sommes bien confrontés à une nouvelle période, à sa façon RP aussi, le NPA-R fait preuve de plus de conservatisme d’analyse mais tout le monde est, de fait, convaincu que nous vivons une nouvelle époque. Mais aucun des courants n’ose rompre avec lui-même et son combat identifié à l’anti-impérialisme, à sa compréhension dogmatique de Lénine pour abandonner une analyse dépassée et prendre en compte les données de la nouvelle période en s’appropriant la méthode dialectique que ce même Lénine employa en 1916 pour décrire l’impérialisme, le stade le plus récent alors du développement du capitalisme.
Cette méthode est la seule qui permet de comprendre le passé et d’anticiper l’avenir du point de vue des intérêts du prolétariat et de l’humanité, de ne pas être dominé par l’instant ou les échecs du passé. C’est la méthode du marxisme, matérialiste et historique, méthode qui s’est transformée en dogme.
C’est la seule méthode pour surmonter les divisions et le sectarisme, inscrire nos discussions dans un cadre théorique large répondant à la compréhension de la nouvelle période.
La courbe du développement du capitalisme a conduit à un capitalisme financiarisé et mondialisé qui a pour corollaire une nouvelle période du mouvement ouvrier ainsi que nous en avons ébauché l’analyse et la description dans deux brochures : Déroute du capitalisme, guerres et menace de l’extrême droite, impuissance du NPF et des appareils syndicaux ou les bases d’un parti des travailleurs[4] et Le capitalisme du stade suprême au stade sénile, ultime, le capitalisme financiarisé mondialisé, une nouvelle ère de crise, de guerres et de révolutions[5].
Nous avons commencé ce travail de façon nécessairement insuffisante, prisonniers de nos propres limites, travail qui ne peut être entrepris que comme un travail collectif associant la richesse intellectuelle du mouvement révolutionnaire.
C’est une étape indispensable sur la route de la construction d’un parti révolutionnaire des travailleur·ses, construire le cadre dynamique, démocratique dont pourra naître un parti de classe dépassant l’état actuel du mouvement révolutionnaire.
L’importance de ce travail échappe à des directions rompues à l’exercice de ne penser qu’en fonction de leurs propres besoins de groupe, ne voyant le facteur subjectif du processus révolutionnaire que dans le parti, eux-mêmes, et non dans les capacités d’initiative du prolétariat.
La marche accélérée du capitalisme vers la faillite nous l’impose.
Les conditions subjectives pour la construction d’un parti révolutionnaire ne sont pas mûres au sein du mouvement lui-même
Au final, la formule de nos camarades d’AetR et de L’Etincelle décrit assez bien le fond de la démarche de toutes les directions autoproclamées, « Prendre appui sur ce que nous sommes pour construire le parti que nous voulons ». Cela résume assez bien la préoccupation qui dirige la pensée des directions sectaires, se construire. Pour nos camarades de RP « le Congrès de RP s’est achevé dimanche en adoptant une feuille de route ambitieuse », une feuille de route ambitieuse pour leur organisation de la même façon que la déclaration du congrès du NPA-R n’est tournée que sur elle-même.
Mais la question des priorités du mouvement révolutionnaire du point de vue des intérêts du mouvement ouvrier n’est pas posée ni discutée si ce n’est confondue avec les intérêts de chaque groupe.
Lutte ouvrière écrit : « Le plus grave est que la classe ouvrière n’a pas de direction politique en mesure de l’aider à se préparer. Dans le Programme de transition, écrit en 1938, Trotsky dénonce « la crise historique de la direction du prolétariat ». Il accuse les PC et la Troisième Internationale de l’époque de trahir les intérêts de la classe ouvrière : « Le principal obstacle dans la voie de la transformation de la situation pré-révolutionnaire en situation révolutionnaire, c’est le caractère opportuniste de la direction du prolétariat, sa couardise petite-bourgeoise devant la grande bourgeoisie, les liens traîtres qu’elle maintient avec celle-ci, même dans son agonie. » Plus loin, il poursuit : « L’orientation des masses est déterminée, d’une part, par les conditions objectives du capitalisme pourrissant ; d’autre part par la politique de trahison des vieilles organisations ouvrières. De ces deux facteurs, le facteur décisif est, bien entendu, le premier : les lois de l’histoire sont plus puissantes que les appareils bureaucratiques. Quelle que soit la diversité des méthodes des social-traîtres – de la législation “sociale” de Léon Blum aux falsifications judiciaires de Staline – ils ne réussiront jamais à briser la volonté révolutionnaire du prolétariat. »
Nous ne pouvons que partager, les lois objectives de l’histoire sont déterminantes. Mais comment se pose aujourd’hui la question ? Crise de la direction du prolétariat ? Oui, mais Trotsky parlait, en 1938, du stalinisme, aujourd’hui, cette crise est bien différente, c’est la crise du mouvement révolutionnaire, la décomposition du mouvement trotskyste, la crise du projet révolutionnaire, du marxisme.
Quand les camarades de RP évoquent « Une tâche qui ne peut se penser que dans une perspective internationaliste, dans le cadre du travail de la FT-QI pour la reconstruction de la IVème Internationale », ils participent du problème. Ils se définissent eux-mêmes comme une secte qui a abandonné le terrain du matérialisme. Comment aujourd’hui prétendre reconstruire une organisation, la IVème Internationale, dont les conditions objectives et subjectives qui lui ont donné naissance, ont disparu ? Il y a là une conception messianique qui vise à se revendiquer d’un prestige, d’une autorité qui certes nous dépasse encore aujourd’hui mais qu’il est totalement absurde de vouloir reconstruire. Une proclamation qui n’a par ailleurs d’autre sens que de combattre celles et ceux qui se considèrent encore comme la IVème internationale !
Vers un pôle démocratique des révolutionnaires
Au lieu d’avancer en permanence les divergences supposées ou réelles qui divisent ou justifient les divisions du mouvement révolutionnaire, nous avons besoin d’inverser la méthode. Il s’agit de rompre avec le narcissisme des petites différences pour nous ouvrir à la classe ouvrière et à la jeunesse, pour penser le programme révolutionnaire qui nous unit en réponse au capitalisme sénile en mettant nos divergences à leur juste place, au regard de la lutte pratique, réelle et concrète du monde du travail, de la jeunesse, des femmes, de leurs besoins, et les raisonnements façonnés par la logique d’auto construction.
C’est en nous appuyant sur la réalité sociale et politique que vivent les travailleurs, les femmes, la jeunesse que nous avons besoin de participer à la renaissance d’une conscience de classe pour construire le parti dont les travailleurs ont besoin. « La conscience que la société est divisée en exploiteurs et en exploités, ainsi que l’écrit LO dans son texte sur la situation intérieure. La conscience que les véritables frontières séparent non pas les Français et les étrangers, les Blancs et les Noirs, les hommes et les femmes, mais ceux qui possèdent les moyens de production et ceux qui en sont démunis. La conscience que derrière des politiciens méprisants et prêts à tous les sales coups, c’est la classe capitaliste qui concentre le véritable pouvoir entre ses mains et que c’est elle qu’il faut abattre. Il faut développer la conscience que la classe ouvrière n’est pas seulement une classe opprimée et victime de l’exploitation mais la seule force potentiellement révolutionnaire. […] Cette perspective nécessite que les révolutionnaires construisent un parti implanté dans le monde du travail qui, armé de l’immense capital politique légué par Marx, Lénine, Luxemburg, Trotsky, tienne le cap dans les périodes de montées révolutionnaires comme dans les pires années de réaction. »
Cet « immense capital politique », le marxisme, l’ambition collective de se l’approprier dans la pratique, appartient au mouvement révolutionnaire dans son ensemble. Ce capital est un instrument d’action et de pensée pour notre époque, non une source d’autorité à coups de citations sans vie ou en entretenant l’illusion de pouvoir reconstruire la IVème Internationale ou de la maintenir en vie. Il est un instrument pour comprendre notre propre crise et engager le travail de rassembler nos forces tant dans l’activité quotidienne que dans le travail collectif d’élaboration pour définir les bases politiques d’un pôle ou d’un front des révolutionnaires.
Yvan Lemaitre
[1] https://www.revolutionpermanente.fr/Congres-de-RP-un-plan-ambitieux-face-a-la-crise-l-extreme-droite-pour-une-gauche-revolutionnaire
[2] https://www.lutte-ouvriere.org/mensuel/numero/244-deceubre-2024-janvier-2025.html
[3] https://www.lutte-ouvriere.org/mensuel/article/situation-interieure-180426.html
[4] https://npa-dr.org/images/autrespub/Brochure-DR-16-09-24.pdf
[5] https://npa-dr.org/images/autrespub/Brochure_imperialisme_DR_01-25.pdf