Huit jours après avoir promis de nommer un nouveau Premier ministre « dans les 48 heures », c’est finalement Bayrou, pressenti mardi, refusé jeudi et rappelé vendredi matin, que Macron s’est résolu à choisir, toutes les autres hypothèses -Cazeneuve, Lecornu, Vautrin, Lescure- ayant pris l’eau. Le président du Modem s’est montré « euphorique » à cette nomination, une promotion inespérée pour ce vieux briscard de la politique qui avait réussi à faire descendre dans la rue 600 000 manifestants à Paris en 1994, quand il était ministre de l’Education, contre son projet de réforme autorisant les collectivités territoriales à augmenter leurs subventions à l’enseignement privé. Trois fois candidat malheureux à la présidentielle dans les années 2000, il avait apporté son appui et ses voix à Macron lors de la campagne de 2017, six mois après l’avoir qualifié de « candidat des forces de l’argent », et avait reçu en récompense le poste de ministre de la Justice, dont il avait dû démissionner un mois plus tard, mis en cause dans l’affaire d’emplois fictifs au Parlement européen dont il a été relaxé en février dernier. Tout un programme !

Nul doute que Bayrou n’a cependant pas eu grand mal à forcer la main à Macron, aussi isolé que lui, sans autre possibilité que la farce de cette nomination, sous peine aussi de risquer la défection des 36 députés du Modem qui réduirait encore le groupe macroniste à l’Assemblée. De toute façon, Macron n’avait pas d’autre choix tout en priant le ciel que l’hypothétique gouvernement Bayrou ne sera pas plus éphémère que celui de Barnier. Il est le fruit quelque peu inédit d’un pacte de non-agression, de non-censure des partis réunis à l’Élysée mardi dernier -tous sauf LFI et le RN- pour étudier la possibilité de parvenir à un « gouvernement d’intérêt général. »

Macron voudrait croire que les ambitions rivales vont se neutraliser et lui laisser le temps d’exploser le NFP en s’appuyant sur la servilité du PS qui avait eu l’idée de ce type de gouvernement auquel les écologistes, le Parti communiste s’étaient montrés tout disposés tout en quémandant un Premier ministre issu de la gauche et que ne soit plus utilisé l’article 49.3. Après la nomination de Bayrou et le choix de celui-ci de maintenir Retailleau à l’Intérieur, tous font triste mine.

LFI a annoncé qu’elle déposerait une motion de censure dès le lendemain de la déclaration de politique générale de Bayrou, le RN, soucieux de se montrer « responsable », non, mais il a précisé que les lignes rouges qu’avait franchies Barnier étaient toujours là…

Le pouvoir agite les difficultés économiques, l’ampleur des déficits et de la dette, la récente dégradation de la note de la France par Moody’s, pour appeler les différentes forces politiques à la raison et à l’unité nationale minimale qu’est cet accord de non-censure.

Au-delà de la mise en scène alarmiste, la crise politique a des causes sociales bien plus profondes, la politique de régression sociale menée par la droite et la gauche discréditées. Les méfaits pour la population de la politique de l’État se font sentir partout. Le drame qui se déroule à Mayotte après le passage du cyclone Chido en est une cruelle démonstration. Les populations condamnées à la misère depuis des décennies, abandonnées par l’État, ont subi de plein fouet les conséquences terribles de la tempête. Tous les bidonvilles ont été détruits ainsi que les rares infrastructures de l’archipel mais Retailleau comme Bayrou se sont alarmés en premier lieu des risques liés à la sécurité autour des « prisons et des centres de rétention » et prévu d’importants renforts militaires et de police.

Derrière le jeu politicien… les affaires sérieuses pour les classes possédantes

Les patrons ont beau se dire inquiets de l’instabilité politique -et ils le sont sans doute réellement-, une raison plus profonde de leur « malaise » est l’exacerbation de la concurrence mondiale, celle en particulier provoquée par l’attraction exercée sur tous les capitaux par l’économie américaine, perfusée par le plan massif de subventions décidé il y a quelques mois par Biden, l’Inflation Reduction Act et les promesses d’autres avantages fiscaux et de réduction des dépenses publiques promises par Trump. D’où la vague des plans de licenciements -la CGT en a compté près de 300- pour améliorer de façon préventive la compétitivité des usines françaises et l’exigence de la réduction des dépenses publiques utiles à la population, considérées comme de faux frais inutiles par les capitalistes d’autant qu’ils souhaitent mener à bien la privatisation de tous les services publics. Tel est le seul programme du CAC40 dont Macron sert les intérêts et du gouvernement à venir comme de tout gouvernement quel qu’il soit, s’inscrivant dans le cadre du système.

Comme Reagan et Thatcher à la fin des années 70, Trump et Milei deviennent des modèles pour une partie de la presse, des économistes et des dirigeants des multinationales. Trump a été élu « personnalité de l’année » par le magazine américain Time, et la tronçonneuse que Milei brandissait pendant sa campagne pour affirmer sa volonté de tailler dans les budgets publics et sociaux devient un symbole international.

Le cynisme des classes possédantes est sans limite. Peu leur importent les millions d’immigrés que Trump veut expulser des USA ou la baisse dramatique du niveau de vie des classes populaires en Argentine où le nombre de pauvres est passé d’un peu plus de 40 % à près de 53 % en un an depuis que Milei est au pouvoir.

Une terrible aggravation de la récession sociale est en marche dans le monde entier. Elle est provoquée par une offensive inédite des multinationales et des États des vieilles puissances impérialistes contre les travailleurs et les populations qui trouve son prolongement dans l’escalade guerrière au Moyen-Orient et contre la Russie et une montée accélérée du militarisme.

Juste avant de nommer Bayrou, Macron s’était rendu en Pologne, pour discuter officiellement d’une paix entre l’Ukraine et la Russie, sans doute une « paix par la force », comme se plaît à le dire Trump. La Pologne est le fer de lance de l’Otan en Europe, elle détient le record des budgets militaires européens, 4 % de son PIB. 

La présidente de l’Union européenne, Von der Leyen, a présidé ces jours derniers, à la création d’un nouveau poste de commissaire européen, la Défense, occupé par l’ancien Premier ministre Lituanien Andrius Kubilius, et a affirmé sa volonté de doter le budget militaire européen de 500 milliards d’euros sur 10 ans. Parallèlement, le nouveau secrétaire général de l’Otan, le Hollandais Mark Rutte, veut pousser les pays membres de l’Alliance atlantique à porter leur budget militaire à 3 % du PIB au nom de la menace fantasmée d’une Russie qui s’attaquerait, après l’Ukraine, à d’autres pays d’Europe.

C’est exactement la politique de Trump, qui a rappelé à nouveau récemment qu’il avait réussi à faire que les budgets militaires de 23 des pays membres de l’Otan atteignent les 2 % du PIB préconisés il y a quelques années.

Prendre en main notre sort, nos luttes pour en finir avec leur système

C’est dans cette situation internationale que s’inscrit la crise politique en France. Le nouveau gouvernement Bayrou -si encore il arrive à former un gouvernement- sera à n’en pas douter un gouvernement éphémère, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Il est probable que la très relative neutralité du RN ne durera pas, d’autant que les derniers sondages, après la chute de Barnier à laquelle il a participé, sont en hausse pour Le Pen s’il y avait une présidentielle maintenant, jusqu’à 38 % au premier tour. En l’absence d’une véritable alternative indépendante de la mascarade parlementaire à un gouvernement du CAC40, c’est l’extrême droite qui profite du désarroi d’une partie des classes populaires, dupe de la prétendue opposition de celle-ci à Macron et de sa démagogie xénophobe et raciste qui veut lui faire croire que sa situation s’améliorerait si le pouvoir s’attaquait à plus pauvre, plus vulnérable qu’elle, les travailleurs immigrés.

Macron n’a cessé de le répéter, il veut aller jusqu’au bout de son mandat, il n’est pas dit qu’il ne songe pas déjà à utiliser, pour sortir de la situation inextricable qu’il a lui-même créée, l’article 16 de la Constitution qui donne au Président de la République des pouvoirs discrétionnaires, une dictature du président en somme pour servir les intérêts du Capital, un pouvoir de droite extrême, militariste, tout aussi réactionnaire et xénophobe, à la Retailleau, que l’extrême droite.

Face à la gravité de la situation, des attaques sociales, des licenciements, les appareils syndicaux comme la gauche institutionnelle, LFI comprise, montrent leur totale impuissance en restant dans le cadre du dialogue social et des institutions bourgeoises, de l’État national, de l’État des classes possédantes et du système capitaliste.

Les dernières journées d’actions, du 11 décembre à la SNCF contre la privatisation du Fret ferroviaire et du 12 décembre appelé par la CGT et Solidaires contre les licenciements ont été un échec. La politique des appareils syndicaux est incapable aujourd’hui d’entraîner et de donner confiance dans la lutte. A la SNCF, la CFDT et l’UNSA avaient levé leur appel et même signé deux accords proposés par la direction. La dirigeante de la CGT, Sophie Binet, a inscrit la journée du 12 dans l’objectif d’un moratoire contre les plans de licenciements avec comme seule perspective de trouver un repreneur...

Pourtant la colère est là, de nombreuses grèves ont lieu, partout, les ressentiments, l’irritation et l’exaspération devant la comédie des rivalités de pouvoir alors que la grande majorité des classes populaires, des travailleurs voient leurs conditions de vie se dégrader. Le cynisme des politiciens affichant leur autosatisfaction, leur suffisance, est un mépris de classe insupportable. Comme est insupportable la veulerie des directions syndicales qui se prêtent à ces jeux politiciens pour sauvegarder le dialogue social et leur place.

Les travailleurs ont besoin de se convaincre qu’ils ont raison de rompre moralement et politiquement avec ces milieux corrompus qui prétendent les représenter alors qu’ils n’ont d’autre préoccupation que leurs intérêts d’appareils ou personnels.

Rompre avec eux, c’est rompre avec la passivité, la résignation, c’est laisser aller sa colère pour prendre la parole, dire sa révolte, discuter avec les collègues, sur nos lieux de travail, d’habitation, de comment nous pouvons faire face, les convaincre de la nécessité de faire de la politique. Oui, les travailleurs ont besoin de faire de la politique, leur politique, de discuter entre eux de comment défendre leurs intérêts. De s’organiser pour décider de leurs actions sans rien attendre des appareils et des bureaucraties.

Nous avons besoin de nous associer, nous regrouper pour faire entendre notre voix et, par nos luttes, nos mobilisations, notre organisation démocratique, nous donner les moyens de virer Bayrou, Macron, Retailleau et Le Pen, et tout le système d’exploitation et d’oppression qu’ils servent.

Galia Trépère

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn