Les réquisitoires et les plaidoiries du procès de Dominique Pélicot et des 50 violeurs de Mazan ont commencé ce lundi 25 novembre, coïncidence, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Au-delà de la responsabilité individuelle des accusés, des peines requises, ce sont des réquisitoires contre cette société fondée sur le patriarcat qui ont été de fait prononcés, une condamnation sans appel des rapports de domination qui régissent cette société de classe dont les femmes sont les premières victimes. Le ministère public, qui a requis la peine maximale de vingt ans pour Dominique Pélicot, a souligné que ce procès « vient bousculer notre société dans notre rapport à l’autre », l’enjeu n’étant pas « une condamnation ou un acquittement », mais « de changer fondamentalement les rapports entre hommes et femmes ».
C’est le courage et la force de Gisèle Pélicot qui a refusé le huis clos et s’est rendue tous les jours au tribunal la tête haute, affrontant ses bourreaux, pour toutes les femmes, pour que la peur change de camp et « pour faire changer la société », qui ont imposé au procès sa dimension sociale et son retentissement mondial. Nous avons voulu, a dit son avocat « … inviter la société tout entière à se saisir de ce dossier, faire de nos débats le terreau d’une prise de conscience, d’un changement des mentalités, d’un avenir meilleur qui romprait enfin avec une violence que l’on voudrait d’un autre âge ».
Le procès de la culture du viol
Le 23 novembre, à l’appel du collectif #NousToutes et de nombreuses organisations et assemblées féministes, des centaines de milliers de femmes de toutes générations sont descendu·es dans les rues de nombreuses villes pour crier leur exaspération, que la domination masculine n’est plus supportable, qu’il faut en finir avec la violence sexiste du quotidien. Il s’exprime aujourd’hui très largement et en particulier chez les jeunes générations, une profonde aspiration à l’égalité, à d’autres relations entre les femmes et les hommes, un rejet des rapports de genre en profonde contradiction avec les préjugés et la morale sexiste qui pourrissent toute la société. La contestation du patriarcat s’impose comme un fait de société.
Le procès Pélicot a mis en lumière à quel point notre société est gangrenée par la culture du viol que génère cette société d’exploitation et les rapports de propriété, où toutes les deux minutes et demie en France se produit un viol ou une tentative de viol. C’est cette culture du viol, qui a permis aux violeurs de Mazan de se justifier, de banaliser leurs crimes, de les nier en prétendant qu’ils n’étaient pas des violeurs puisqu’ils n’avaient pas eu « l’intention de violer », au mépris de Gisèle Pélicot et de son consentement, pour laquelle la plupart n’ont pas eu un mot durant tout le procès. « Leur responsabilité est pleine et entière […] a dit l’avocate générale. Tous ont choisi de rester, de faire abstraction de la victime et de poursuivre leur but de satisfaction personnelle. ».
Les propos de certains avocats de la défense participent directement de cette culture du viol, de la banalisation de la domination masculine dans son expression la plus frustre et la plus arriérée. Leurs clients ne mériteraient pas d’aussi lourdes peines, étant des gens bien intégrés, sans casier judiciaire, des hommes « ordinaires ». De « bons pères », de « bons maris », de « bons collègues » qui méprisent à tel point les femmes que devant Gisèle sédatée, pour ceux qui ont feint de s’en soucier, ont pris pour argent comptant le « consentement » … accordé par le mari.
Ceux qui accusent le parquet et les avocats de Gisèle Pélicot d’avoir voulu faire de ce procès un procès politique n’ont pas manqué de mener leur propre combat… politique, réactionnaire, sexiste et misogyne. L’un des avocats a dénoncé un procès où les accusés seraient jugés par l’opinion publique, -du populisme ! -. « C’est facile dans une démocratie de dire : les hommes sont tous des violeurs ! Allez faire un tour en Iran pour voir les conditions des femmes ! », s’est-il indigné, « …je veux bien qu’on aille hurler devant le tribunal : “Ce sont des violeurs !” L’autre jour, en voyant des fumigènes, je me suis cru au Vélodrome ! » faisant allusion aux fumigènes violets de la manifestation des femmes le 25 novembre devant le tribunal, manifestation qu’il a accusée… d’antisémitisme !
Des avocats ont aussi tenté de minimiser si ce n’est d’excuser la gravité des actes en expliquant que les violeurs eux-mêmes avaient été victimes d’agressions et de violences sexuelles dans leur enfance. Les rapports de propriété sur les êtres humains qui autorisent le mépris et la violence à l’égard des femmes pèsent aussi sur les enfants. S’il est vrai que ces violeurs sont aussi eux-mêmes des produits des préjugés barbares et de la violence de cette société qui engendre à la fois les victimes et leurs bourreaux, cela n’excuse en rien les bourreaux mais condamne doublement la société.
Les violences sexistes indissociables des rapports de domination et des violences sociales
Le gouvernement est contraint face à l’opinion de promettre des mesures pour protéger les femmes des violences, malheureusement pas nouvelles et revendiquées depuis des années par les organisations féministes.
Barnier, en visite à la Maison des femmes de l’AP-HP le 25 novembre, a annoncé des kits de détection de soumission chimique à titre expérimental dans plusieurs départements et selon un calendrier encore à définir. Il a aussi annoncé l’élargissement du dispositif qui permet aux femmes de déposer plainte dans un hôpital doté d’un service d’urgences ou gynécologique, promis depuis 2019, d’augmenter le budget de l’aide universelle d’urgence pour les femmes victimes de violences conjugales lorsqu’elles quittent le domicile familial de 13 à 20 millions d’euros, une Maison des femmes dans chaque département.
« Il faudrait 3 milliards tout de suite ! » revendiquent les organisations féministes face à des mesures qu’elles jugent loin d’être à la hauteur et alors que la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) alerte sur de possibles fermetures d’associations qui accompagnent les femmes victimes de violences, en raison de la baisse ou de la disparition des aides de l’Etat. Un collectif féministe qui va de la Fondation des femmes à la CGT en passant par le Collectif féministe contre le viol et des associations de protection de l’enfance vient de définir 140 mesures, lois et règlements pour lutter contre toutes les formes de violences sexuelles incluant l’inceste, la pédo-criminalité, le harcèlement sexuel et le proxénétisme, qui nécessiterait selon lui de multiplier par 30 le budget consacré actuel.
La lutte des femmes pour imposer l’arsenal des lois nécessaires à leur protection et à leurs droits, pour l’obligation à l’éducation des jeunes générations est un point d’appui important dans la lutte pour l’égalité, contre la morale et les préjugés sexistes rétrogrades, pour transformer les consciences à plus grande échelle, qui nécessite d’aller jusqu’au bout de la remise en question des racines de l’oppression des femmes, le capitalisme et la propriété. Alors que le mouvement Metoo a libéré la parole des femmes, que les affaires Depardieu et de l’abbé Pierre comme le procès Pélicot ont mis en lumière et rendu insupportable et inacceptable la culture du viol, les féminicides ne sont qu’en très légère régression sur les deux dernières années, l’ensemble des violences sexistes et sexuelles ne régresse pas. Le ministère de l’intérieur recense 244 300 victimes de violences conjugales en 2022, en hausse de 15 % sur un an, un chiffre qui n’est pas dû qu’au fait que plus de femmes osent aujourd’hui porter plainte. L’Institut des politiques publiques estime que 86 % des affaires de violences sexuelles, entre 2012 et 2021 sont restées sans suite, comme 94 % des viols en 2020. Depuis dix ans, l’infériorité des salaires des femmes se maintient aux alentours de 30 %.
La violence sociale que génèrent l’aggravation de l’exploitation et la régression sociale généralisée s’exerce plus durement contre les plus faibles, les plus opprimé·es, dont les femmes. Sortir du patriarcat et de la culture du viol nécessite d’en finir avec cette violence sociale, avec les rapports de domination et d’exploitation, c’est-à-dire avec le capitalisme, et que les femmes et les hommes, en se réappropriant le pouvoir de décider eux-mêmes démocratiquement d’une autre organisation de la production et de toute la société, construisent entre eux d’autres rapports respectueux et égalitaires.
Des sorcières aux guerrières
L’éditorial du Monde du 28 novembre notait qu’en 1978, lors du procès des violeurs de deux campeuses attaquées dans la nuit dans une calanque près de Marseille, c’étaient les victimes qui avaient été traitées comme des accusées et avec leur avocate Gisèle Halimi huées à la sortie des audiences. « Quarante-six ans plus tard, Gisèle Pelicot est entrée chaque jour au palais de justice d’Avignon sous les applaudissements et en est ressortie avec une haie d’honneur. » Oui, et le courage et la force de Gisèle Pélicot y auront fortement contribué, le mouvement des femmes a fait changer la peur de camp. Le portrait de Gisèle était à la Une du Vogue allemand cette semaine, et de nombreux internautes l’ont saluée comme « une vraie guerrière » ! La guerre menée contre les femmes se retourne. Les sorcières cèdent la place aux guerrières.
Ce sont aussi les luttes des femmes qui, il y a tout juste cinquante ans, le 29 novembre 1974, imposaient à une Assemblée nationale misogyne et rétrograde la reconnaissance du droit à l’avortement, aujourd’hui toujours interdit ou remis en cause dans de nombreux pays.
Le mouvement des femmes pose la nécessité de mettre à bas la culture du viol que génèrent les rapports de domination, le masculinisme, la morale et les préjugés de la société d’exploitation capitaliste, de ses religions et de ses institutions. C’est un combat pour l’égalité qui s’inscrit dans celui de tous les exploité.es et les opprimé.es pour changer la société. Une révolution dont la lutte des femmes contre le patriarcat est la force motrice pour l’émancipation de toutes et tous.
Christine Héraud