Un débat s’est engagé entre Lutte ouvrière et Révolution Permanente sur « la politique des révolutionnaires face à la guerre coloniale en Palestine » qui a déjà fait l’objet de plusieurs articles. La discussion sur le contenu que les révolutionnaires internationalistes donnent à leur solidarité inconditionnelle avec le peuple palestinien est importante, tant de par la place que prend la guerre génocidaire d’Israël, le rôle prépondérant qu’y jouent les USA dans le cadre plus global des relations internationales, la nature bourgeoise rétrograde et obscurantiste du Hamas, que de par la campagne réactionnaire accusant d’antisémitisme celles et ceux qui soutiennent le peuple palestinien. Nous ne pouvons que nous féliciter qu’elle soit engagée entre les deux organisations.

Notre propos n’est pas d’interférer dans les relations entre LO et RP mais, de façon plus générale, de formuler la façon dont il nous semble que les révolutionnaires internationalistes devraient intervenir, en toute indépendance des pressions nationalistes, en réponse à l’offensive idéologique et politique du pouvoir et des forces réactionnaires, dont celles de l’extrême-droite. Le soutien au sionisme et à la guerre d’Israël est utilisé comme un critère « républicain » visant à faire plier l’opinion publique et en particulier le monde du travail devant l’offensive militaire et idéologique que mènent les vieilles puissances impérialistes au nom de la défense de « nos valeurs », de « l’occident », c’est-à-dire leur hégémonie mondiale derrière les USA. Contrecarrer cette propagande militariste de défense du monde occidental est au cœur de notre combat contre notre propre bourgeoisie impliquée à la mesure de ses moyens tant dans la guerre d’Israël que dans la guerre par procuration contre la Russie.

Faire front contre la propagande sioniste et impérialiste tout en confrontant les points de vue sur le contenu de notre solidarité internationaliste

Au regard de la pression nationaliste et sioniste, du déni des crimes d’Israël et de Netanyahou qui vient d’être condamné par la Cour Pénale Internationale et de ses alliés, de leur mépris du peuple palestinien, la première chose qui s’impose aux révolutionnaires internationalistes est de faire front. Malheureusement la polémique engagée par RP avec LO ne va pas dans ce sens.

La discussion a commencé par la critique par RP[1] de la position de LO qui, dans les premières manifestations qui ont suivi le 7 octobre arborait sur sa banderole « Contre l’impérialisme et ses manœuvres, Contre Netanyahou et le Hamas, Prolétaires de France, de Palestine, d’Israël… unissons-nous ! », qui pouvait laisser penser que LO renvoyait dos à dos Israël et le Hamas. RP accusait LO de ne pas soutenir la résistance du peuple palestinien et d’ignorer la question nationale pour les populations ghettoïsées de Gaza et sous occupation de Cisjordanie.

RP consacre le début de son dernier article du 3 novembre 2024 à « La méthode des camarades de Lutte Ouvrière et la nôtre ». Cet article est intitulé : « Choisis ton camp camarade ! ». Une telle interpellation sous forme d’injonction laisse entrevoir l’objectif de son auteur, démontrer que LO ne serait pas dans le camp du peuple palestinien. Nous ne sommes plus dans la discussion mais dans le procès, l’accusation. LO aurait franchi un rubicon…

Nous n’avons nullement l’intention de décerner des bons ou mauvais points aux méthodes de l’une et de l’autre, LO n’ayant pas l’habitude de ménager les accusations, quand elle discute. Elle utilise les mêmes procédés pour jeter l’anathème sur RP et sa politique « entre mensonges et opportunisme »[2]. Une volonté réciproque de juger et condamner…

A nos yeux, la discussion n’a de sens et surtout d’intérêt que si les différents protagonistes veulent… discuter, dans l’objectif de définir les convergences ! Cela suppose qu’ils se considèrent du même camp, comme des tendances du même parti révolutionnaire partageant une volonté commune de construire une compréhension des rapports de classes réels et de leurs évolutions, pour formuler ensemble une politique du mouvement révolutionnaire qui réponde aux besoins de la situation.

Nous pensons que les révolutionnaires ont un besoin impérieux de rétablir des rapports démocratiques entre eux pour sortir des procès qui permettent à chacun de justifier son existence séparée et de disqualifier l’autre en entretenant le sectarisme en son propre sein.

Dans les discussions que nous avons engagées avec nos camarades de RP et souhaitons poursuivre, nous nous trouvons confrontés aux mêmes difficultés, pour imposer un cadre de discussion qui échappe à cette logique sectaire qui conduit à faire bloc contre d’autres ou à stériliser les échanges.

Il ne s’agit ni d’œcuménisme ni de démocratie formelle mais bien de lutter contre le sectarisme qui rend le mouvement révolutionnaire impuissant, divisé en sectes rivales, directions autoproclamées.

Différentes positions existent au sein du mouvement révolutionnaire et ce n’est pas d’aujourd’hui. La complexité de la situation actuelle dans le cadre d’une profonde transformation du capitalisme mondial, des défaites de la résistance palestinienne engendrées par les politiques nationalistes et la complicité des dictatures arabes avec les puissances impérialistes, l’offensive militaire de ces dernières, modifient profondément les données de la lutte du peuple palestinien et des travailleur·ses qui veulent se battre contre la guerre.

Nous n’avons pas les moyens d’influencer la politique que pourrait avoir le peuple palestinien, mais nous pouvons définir le contenu de notre solidarité ici et maintenant.

L’ennemi est dans notre propre pays face à une guerre qui prend de plus en plus une dimension mondiale, Israël, le sionisme, étant le bras armé de l’offensive des USA et du camp occidental pour leur hégémonie au Moyen-Orient et dans le monde.

Le sectarisme n’a pas sa place pour définir les axes d’une politique internationaliste au sein du monde du travail, de la jeunesse, des palestinien·nes ou travailleur·ses jeunes issus du monde arabe que nous côtoyons.

Souhaiter la défaite de l’État sioniste ne veut pas dire soutenir le Hamas

La discussion se focalise autour de la question du Hamas et du contenu politique que nous donnons à notre solidarité inconditionnelle à la lutte du peuple palestinien. Dans la bataille militaire engagée, les révolutionnaires doivent, selon RP choisir « un camp militaire ». Selon eux, il serait faux « de contourner la question du choix d’un camp militaire dans la guerre en cours » au prétexte que notre camp « serait d’abord « un camp politique ». Or, un conflit armé est toujours la poursuite d’une politique par d’autres moyens. Prendre parti pour un camp politique sans se positionner en faveur d’un camp militaire revient à se cacher derrière son petit doigt. »

Une première précision, notre camp n’est pas simplement « politique », il est social, il est un camp de classe, celui des exploité·es et des opprimé·es. C’est de ce point de vue que nous souhaitons la défaite d’Israël et de ses soutiens occidentaux. Ce sont eux qui portent l’entière responsabilité de la guerre, 75 ans de colonisation, de spoliation des terres palestiniennes, d’expulsions et de massacres, et nous affirmons clairement notre solidarité inconditionnelle avec le peuple palestinien de Gaza, de Cisjordanie et de sa diaspora comme avec les peuples de l’ensemble du Moyen-Orient.

Mais choisir un camp militaire ne signifie en rien le soutien au Hamas. « … un conflit armé est toujours la poursuite d’une politique par d’autres moyens » est tout à fait juste, c’est bien la discussion. Mais l’objectif politique conditionne lui-même les formes de la lutte armée qui ne peuvent se confondre, pour l’émancipation du peuple palestinien, avec le nationalisme et la direction militaire du Hamas, organisation bourgeoise et réactionnaire, comme avec ses méthodes et sa stratégie qui instrumentalisent le drame du peuple palestinien en fonction de ses propres intérêts sociaux et politiques.

Le choix d’un camp militaire n’est pas pour nous une formule ultimatiste qui trancherait politiquement et moralement tout débat… choisis ton camp ! Ce genre de raisonnements a dans l’histoire des luttes de libération nationale servi à imposer des pouvoirs dictatoriaux ou de justification à la politique de la bureaucratie stalinienne. Ils ne sont pas les nôtres.

Ils ont de fait la même fonction au sein du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien, quand il n’est pas pro-ONU, bien peu tolérant à l’égard de celles et ceux qui n’apportent pas leur soutien au Hamas, ennemi des travailleur·ses et des peuples. Notre drapeau est rouge, c’est celui des travailleur·ses internationalistes.

Dans l’affrontement militaire en cours nous n’avons pas les moyens d’une quelconque politique sur place en direction des populations et de celles et ceux qui sont engagés dans le combat, mais il est clair que notre solidarité va à tous ceux qui, en Palestine ainsi qu’au sein de l’État sioniste ont défendu une politique internationaliste pour œuvrer à l’unité des travailleurs et des exploités contre les politiques nationalistes dont l’échec a engendré le Hamas qui ne représente pas le peuple palestinien, ses intérêts, y compris militaires.

Le peuple palestinien ne pourra conquérir ses droits et son émancipation qu’en trouvant ses propres moyens politiques et militaires, démocratiques, indépendants des directions nationalistes, pour lutter contre toutes les frontières et contre l’exploitation capitaliste en s’unissant avec les autres peuples arabes de la région et les travailleurs d’Israël dans la perspective d’Etats-Unis socialistes du Moyen-Orient.

Contre le sionisme instrument des USA et des puissances occidentales, le piège du nationalisme

Défendre cette perspective qui définit une politique internationaliste ne se résume pas à avoir une bonne position juste, elle est un combat politique au sein du mouvement de solidarité, au sein de la jeunesse qui se révolte et se lève en solidarité. La question ne se résume pas à qualifier le Hamas, à avoir une bonne caractérisation, mais elle constitue une politique tant au sein du mouvement de solidarité que dans la classe ouvrière et ses organisations que dans la lutte politique, ici, contre notre propre bourgeoisie. 

Le recul du mouvement ouvrier, la crise du projet révolutionnaire est pour une large part la conséquence de l’adaptation au mouvement nationaliste dont les partis staliniens se sont fait le relais. La situation dramatique du peuple palestinien, l’impasse dans laquelle il se trouve aujourd’hui est pour beaucoup le produit de l’impasse du nationalisme.

En défendant un Etat palestinien réunissant populations pauvres, travailleurs et classes possédantes palestiniennes, la direction bourgeoise nationaliste du Fatah d’Arafat et de l’OLP, depuis sa création au début des années 60, a conduit la résistance du peuple palestinien à l’impasse et à la défaite.

Sous le joug de l’Etat sioniste qui n’a jamais cessé d’intensifier la colonisation à Gaza et en Cisjordanie, l’Etat palestinien créé sur le papier par les accords d’Oslo de 1993 n’a jamais vu le jour, Israël, le maître du jeu, ne concédant à l’OLP que la direction administrative des territoires occupés, l’Autorité palestinienne, pourrie par ses compromissions avec l’occupant, par la corruption, sous-traitant à l’oppresseur sioniste le maintien de l’ordre contre son propre peuple.

Le Hamas est le produit de cette faillite, du profond discrédit de l’OLP auprès des populations palestiniennes. Il s’est imposé à la tête de la résistance palestinienne avant de se soumettre lui-même aux compromissions avec Israël qui a fait le choix, au début des années 2000, pour affaiblir l’OLP et l’Autorité palestinienne, de lui permettre de contrôler la bande de Gaza. Bien qu’acculé, Gaza asphyxiée, le Hamas, en attaquant Israël le 7 octobre, ne pouvant en ignorer les conséquences, porte une responsabilité dans le massacre de son peuple dans le génocide en cours. Les révolutionnaires internationalistes ne tirent pas un trait d’égalité entre le terrorisme d’Etat d’Israël et le Hamas. Le peuple palestinien est en guerre contre l’État sioniste. Mais la politique militaire du Hamas, son attaque du 7 octobre répondait à ses propres besoins voire à ceux de ses soutiens au mépris de ceux du peuple palestinien qui en paie le prix sanglant. Nous dénonçons aussi la dictature obscurantiste qu’il exerce sur la population de Gaza qu’il exploite et dont il se sert comme masse de manœuvre pour ses objectifs de pouvoir et de reconnaissance vis-à-vis d’Israël et de ses soutiens occidentaux.

La fin du drame du peuple palestinien, la reconnaissance de ses droits, sa victoire contre l’État sioniste passent par une politique révolutionnaire internationaliste au Moyen Orient et ici

Notre camp est celui des travailleur·ses internationalistes pour un monde sans frontières débarrassé de l’exploitation, qui nécessite de formuler une perspective claire pour les travailleur·ses de Palestine, d’Israël et de tout le Moyen-Orient et, en premier lieu pour nous qui militons au cœur d’une des vieilles puissances impérialistes, pour le monde du travail ici, pour combattre notre propre gouvernement et notre propre bourgeoisie, engagés avec les USA dans le soutien à Israël et dans l’offensive militaire globale du camp occidental pour son droit à exploiter les travailleurs, les peuples et à piller leurs ressources. L’ennemi est dans notre propre pays ! Notre drapeau est rouge, c’est celui de l’union internationale des travailleur·ses et des peuples, pour des Etats-Unis socialistes du Moyen-Orient et du monde.

Nous pensons que toutes celles et ceux qui se retrouvent dans cette politique, les camarades de Révolution permanente, de Lutte ouvrière ou du NPA-R ont pour tâche de construire un front internationaliste indépendamment des divergences qui peuvent demeurer entre eux sur la façon dont doit s’exprimer notre commune condamnation de la politique du Hamas. Nos positions ne dépendent pas de telle ou telle organisation de solidarité mais de la politique internationaliste qui nous rassemble pour nous donner les moyens de la faire vivre.

Christine Héraud

[1] « Lutte ouvrière, le NPA-C et la lutte pour l’auto-détermination de la Palestine » Paul Morao, 30 octobre 2023

[2] « Palestine : la politique de Révolution permanente, entre mensonges et opportunisme » LDC n°242, 16 septembre 2024

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