Nous vivons dans un monde instable et chaotique. Insécurité sociale, ubérisation du travail, chômage et précarité, terrorisme et guerres dites contre le terrorisme, drames des migrants, effets dramatiques du réchauffement climatique secrètent l'inquiétude et l'angoisse, la révolte et la colère. Les esprits sont dominés par une société violente sur laquelle les moyens d'action semblent hors de portée. Chacun voit sa vie lui échapper, déboussolé, désorienté.
Nous vivons un grand bouleversement planétaire dont les mécanismes ainsi que les effets semblent échapper à tout contrôle comme dominés par des forces aveugles, étranges, mystérieuses. La mythologie du marché, de la concurrence, de la compétitivité, du risque, des spéculations financières et boursières nourrissent les élucubrations complotistes, les mystiques religieuses, nationalistes avec leurs corollaires le racisme et la xénophobie.
Il n'y a pourtant rien de mystérieux dans l'évolution de la société. Elle est provoquée par la politique des classes capitalistes et des États qui les servent pour préserver leur domination, accroître leur pouvoir, maintenir leurs profits.
A travers le chaos du monde s'exprime une des contradictions fondamentales du capitalisme qui s'approfondit avec la mondialisation libérale et impérialiste, la contradiction entre la socialisation, l'internationalisation croissante de la production et des échanges et l'appropriation privée des richesses en un nombre de mains de plus en plus réduit.
Jamais la concentration des richesses n'a été aussi grande comme, à l'opposé, jamais les inégalités n’ont été aussi grandes.
Cette situation intenable est d'autant plus choquante et révoltante que l'Humanité a fait des progrès considérables dans le domaine des sciences, des connaissances et des techniques. Mais ces progrès sont soumis aux seuls besoins du capital, les populations n'en bénéficient que marginalement alors qu'elles subissent de plein fouet l'offensive des classes capitalistes pour s'assurer le contrôle de toute la société et concentrer entre leurs mains toutes les richesses produites.
Nous commémorons le centenaire de la révolution d’octobre, de 1917. Elle donne lieu à une campagne de dénigrement contre le prétendu coup d’État bolchévique, Lénine, Staline même combat...
Et le plus souvent, la révolution est comprise et analysée comme un phénomène essentiellement russe sans la resituer dans l’histoire, sans en apprécier la puissance et le rayonnement international. Le séisme d’Octobre a continué de faire trembler le capitalisme jusqu’à la fin du vingtième siècle malgré les trahisons et les reniements de la contre-révolution stalinienne après ceux de la social-démocratie.
A travers le stalinisme, malgré lui, la puissance sismique de la vague révolutionnaire dont la révolution russe a été l’apogée a continué d'ébranler le monde, en particulier à travers la vague des révolutions anticoloniales.
Prolonger la courbe du développement du mouvement ouvrier
Au début du XXème siècle, le capitalisme parvenu à son stade impérialiste avait plongé l’humanité dans la barbarie de la Première guerre mondiale, prolongement sanglant des rivalités des grandes puissances pour le partage du monde et de ses richesses, puis dans le chômage et la misère, résultat de sa faillite économique en 1929.
Dans cette même période, la classe ouvrière s’affirmait à l’échelle mondiale comme la classe porteuse de l’avenir de l’humanité face à la décadence bourgeoise.
En 1917, la classe ouvrière russe, bien que minoritaire, s’emparait avec le Parti bolchevique, à la tête des masses paysannes, de la direction d’un pays vaste comme un continent. Dans les premiers mois de la révolution encore vivante et féconde, la force démocratique et révolutionnaire de l’État soviétique permettait aux masses d’exercer directement leur propre pouvoir, leur dictature contre les exploiteurs. Puis elle démontra dans les faits la supériorité du collectivisme et de la planification sur l’anarchie capitaliste.
En 1848, la classe ouvrière s'était affirmée comme la classe porteuse de l'avenir de la société ; en 1871, elle partait à l'assaut du ciel et posait les premiers fondements de son pouvoir, l'Etat-commune ; en 1917, elle prenait et exerçait le pouvoir.
Dans le monde entier, se déchaîna alors une vague de réaction dont l’ampleur était à la mesure de la menace que la vague révolutionnaire avait fait peser au lendemain de la Première guerre mondiale sur la domination de la bourgeoisie, ruinée par ses propres contradictions.
La vague réactionnaire enrôla à son service, bon gré mal gré, toutes les forces qui ne se rangeaient pas consciemment dans le camp des travailleurs et de la révolution et plongea le monde, après avoir accouché du fascisme et du stalinisme, dans une nouvelle apocalypse de violences, la Deuxième guerre mondiale.
Loin de conquérir repos et stabilité, la bourgeoisie mondiale dut faire face à une nouvelle vague de soulèvements révolutionnaires, celle des peuples coloniaux. Elle ne put ni l’endiguer ni la vaincre, malgré les milliards de dollars et les tonnes de matériels en tout genre engloutis dans des guerres infâmes.
L’héroïsme des masses et leur solidarité par-delà les frontières, de même qu’ils avaient sauvé la révolution russe au lendemain de la Première guerre mondiale, vinrent à bout, malgré les trahisons et les crimes de la social-démocratie et du stalinisme, malgré l’impasse de la politique des directions nationalistes bourgeoises ou petite-bourgeoises, de l’acharnement des classes impérialistes à nier aux peuples le simple droit à une existence nationale indépendante.
Ces décennies ont écrit la faillite de la classe bourgeoise dans le sang et la souffrance des opprimés qui ont démontré leur légitimité à prétendre liquider la vieille classe réactionnaire et parasitaire et leur capacité à accomplir leur tâche historique.
Les soulèvements révolutionnaires qui ont fait le vingtième siècle n’ont pu cependant venir à bout de la domination impérialiste. Pourtant, non seulement ils ont écrit des pages riches d’enseignements pour les combats à venir, mais ils ont transformé la face de la planète. Malgré l’anarchie, le gaspillage et la barbarie capitalistes, ces soulèvements révolutionnaires ont permis à l’humanité de faire un nouveau bond en avant, tant sur le plan des techniques que des possibilités d’unifier les peuples.
Tous les progrès sont le fruit du travail humain et de sa révolte contre les entraves que lui imposent la propriété privée bourgeoise et les États nationaux qui la protègent. Mais tant que le capital garde le pouvoir de diriger le travail et de s’en approprier les fruits, c’est entre ses mains que se concentrent tous ces progrès, soumettant sans cesse de plus larges masses à son exploitation, étendant sur toute la planète sa domination.
C’est ainsi que le capital financier a réussi à briser les digues que les travailleurs soviétiques puis les peuples opprimés avaient dressées pour mettre un frein à son pouvoir, dans le même temps qu’il s’attaquait aux protections sociales que les salariés des pays riches avaient pu imposer.
Avec la chute du mur de Berlin puis l'effondrement de l'URSS s'est achevée la période ouverte par Octobre 1917.
De l'euphorie financière aux perspectives révolutionnaires...
Les classes dominantes ont cru triompher dans l’euphorie de la « nouvelle économie », de la boulimie financière et boursière.
Dans cette nouvelle phase de développement, les puissances impérialistes imposent, sous la houlette des États-Unis, un capitalisme de libre concurrence à l’échelle de toute la planète. Elles aggravent les contradictions capitalistes et créent les conditions d’une nouvelle crise mondiale : socialisation croissante de la production, mondialisation se heurtant à la propriété privée capitaliste et aux États nationaux, aggravation des inégalités, concentration croissante des richesses entre quelques mains… C’est toute la bourgeoisie qui est menacée d’une faillite financière, d’un krach mondial, qui pourrait engloutir dans la ruine, en quelques mois, les richesses créées par des décennies de travail.
Les premiers symptômes de cette terrible maladie se sont violemment manifestés lors de la grande crise de 2007-2008. Les remèdes capitalistes n'ont fait qu'aggraver le mal.
La guerre, le drame des migrants, la crise écologique produits de cette faillite soulignent l’urgence de mettre les classes capitalistes hors d’état de nuire.
Nous sommes devant une nouvelle période à travers laquelle les idées révolutionnaires reprendront vie à une échelle beaucoup plus large, beaucoup plus profonde, où la maturation des forces de la classe ouvrière comme les possibilités techniques et culturelles de la société, donneront à la future révolution une dimension et des possibilités dépassant tout ce que jusqu’alors il a été possible d’imaginer.
Dans son combat pour la transformation de la société en une société socialiste, communiste, la classe ouvrière inscrit au premier rang de ses objectifs la liberté et la démocratie.
Parce que dans cette lutte pour la démocratie et la liberté, comme dans celle pour en finir avec l’anarchie de la production capitaliste, aucune force, aucun parti n’est capable de se substituer à eux, les travailleurs ont comme première tâche de s’organiser tant sur le plan social, syndical que politique, de se constituer en parti en vue de la conquête du pouvoir.
L’impasse du réformisme, comme l’effondrement de son avatar monstrueux, le stalinisme, a ouvert une nouvelle période de cette œuvre émancipatrice.
L’ensemble des évolutions économiques, sociales et politiques concourent à créer les conditions de l’émergence d’une nouvelle force porteuse d’un projet de transformation révolutionnaire de la société.
Cette force se façonne dans les luttes dont naît une nouvelle conscience de classe à travers la prise de conscience concrète des antagonismes sociaux, de leur nature.
Notre programme n’est pas une doctrine toute faite, un dogme à l’image duquel nous voudrions façonner le monde, il est vivant, fruit de la critique de la société de classe en vue de formuler les moyens de l’émancipation humaine.
Notre projet se confond avec les progrès du monde du travail dans la conquête de ses droits sociaux et politiques, dans son émancipation morale, politique et sociale des rapports d’exploitation pour bâtir une société fondée sur la solidarité, la justice et la coopération. Il nie le droit de la propriété privée à s’approprier les fruits du travail collectif.
C’est à travers un large débat que pourront se regrouper les forces du mouvement social pour s’organiser en parti politique sur la base d’une « compréhension commune de la période et des tâches », que tout ce qui vit encore du socialisme et du communisme pourra retrouver sa force de contestation sociale.
C’est dans cette optique que Débat révolutionnaire se propose dans ses prochains numéros de soumettre au débat notre propre compréhension des transformations en cours pour en dégager les éléments d’un programme démocratique et révolutionnaire pour un parti des travailleurs.
Yvan Lemaitre