Au final « America first » version Trump l’a largement emporté le 5 novembre, dans une élection qui, comme aucune autre, a pris la dimension d’un fait politique international, accueillie aux USA par la hausse des marchés financiers. Le Sénat passe entre les mains des Républicains qui auront probablement aussi la majorité dans la Chambre des représentants alors que la Cour Suprême est dominée par des juges conservateurs. Le parti Républicain devenu la machine de Trump et de son conseiller Musk concentre tous les pouvoirs.

Et Kamala Harris, Biden s’empressent pour le féliciter et assurer un transfert « pacifique » des pouvoirs à celui qui tentait, il y a 4 ans, un coup d’État pour contester l’élection de son rival et annonce aujourd’hui vouloir faire la chasse à « l’ennemi intérieur ».

Cette élection franchit une étape dans la banalisation du racisme et de la xénophobie comme politique d’État, de la guerre contre les migrants, du mépris des femmes, du masculinisme et de la violence contre « l’ennemi intérieur », c’est-à-dire les prolétaires quelle que soit leur origine, de la guerre comme instrument de politique étrangère et arme économique.

La victoire de Trump est certes avant tout l’effondrement de Kamala Harris. Devancée de cinq millions de voix avec 47 % contre 51 % des voix, elle a récolté bien moins de voix que Biden en 2020 alors que Trump retrouve en mieux son niveau de 2020. Une large fraction du monde du travail, des femmes, de la jeunesse s’est détournée des Démocrates dans l’abstention.

Trump est le produit de la politique de Biden mais il est aussi et surtout le produit de la crise de la première puissance mondiale minée par les contradictions exacerbées d’un capitalisme à bout de souffle.

Kamala Harris n’était ni un moindre mal ni une réponse au candidat du Parti Républicain devenu un parti d’extrême droite. Continuatrice de la politique de soutien aux banques et à Wall Street engagée par Obama puis Biden depuis la crise de 2007-2008 et la longue dépression qui a suivi, assumant pleinement la responsabilité de la guerre génocidaire d’Israël et de la guerre par procuration contre la Russie, de la baisse du niveau de vie des classes populaires et de l’accentuation des inégalités, elle ne pouvait reconquérir le soutien populaire.

Kamala Harris porte-parole de la bourgeoisie qui prétend encore défendre une vision démocratique et progressiste tout en servant cyniquement les intérêts de Wall Street, affichant l’arrogance satisfaite et contente d’elle-même des élites, était incapable de répondre à la démagogie de Trump flattant les déceptions, les frustrations et le ressentiment de la petite bourgeoisie et d’une fraction du monde du travail désorientées et soumises au système.

Trump a su puiser dans ses propres préjugés de classe, racistes et xénophobes, sexistes, anticommunistes, hostiles à toute idée progressiste pour réveiller, attiser, instrumentaliser brutalement les pires préjugés hérités de l’histoire sanglante du capitalisme américain depuis l’extermination des peuples autochtones et l’esclavage jusqu’aux guerres modernes et la guerre déclarée aux migrants.

Il a amplifié de façon décomplexée ce que le parti Démocrate avait semé pour justifier la guerre d’Israël, celle d’Ukraine, son soutien aux banques ou ses subventions au capital comme sa politique contre les migrants et les travailleurs. 

Il ne représente en rien une rupture politique bien au contraire. Il saura s’adapter à la haute administration, aux dirigeants du Pentagone pour poursuivre la politique que Biden avant lui mettait en œuvre, America First. Il le fera avec encore plus de cynisme et de démagogie, représentant sans fard de la politique des classes dominantes, de leur guerre contre les travailleurs et les peuples. Il incarne à la face du monde la décomposition sociale, morale, politique du capitalisme américain.

Trump n’est cependant ni fasciste ni Hitler. Il est n’est pas comme Hitler le représentant d’une nation impérialiste humiliée par ses rivales lors du traité de Versailles après la guerre de 14, qui veut sa revanche et n’a pas le choix que de s’ouvrir la route vers de nouveaux marchés, pour un repartage du monde, des colonies par la force des armes et le déchaînement de violence barbare désespérée.

Trump représente la première puissance mondiale jouissant d’une supériorité économique et monétaire, technologique, militaire et géostratégique absolue sur le monde mais qui a besoin pour perpétuer sa domination non seulement de contenir ses rivaux, les puissances capitalistes émergentes, mais d’élargir sa domination et d’accentuer l’exploitation des travailleurs et des peuples, de la nature. Wall Street n’a pas d’autre voie pour satisfaire les besoins illimités de nouveaux profits de par la logique implacable de l’accumulation capitaliste. Et Trump est le produit, l’expression, l’instrument d’un capitalisme financiarisé mondialisé à bout de souffle qui conduit les USA comme la planète dans une impasse dramatique.

Contrairement à ce qu’écrivent les camarades de Lutte Ouvrière, l’élection de Trump ne s’inscrit pas du point de vue des travailleurs dans « cette éternelle alternance entre deux représentants de leurs exploiteurs »[1]. Elle marque un tournant.

Au-delà du personnage, l’élection de Trump participe d’un basculement du monde dans la régression économique, sociale, démocratique, dans le militarisme et la guerre, la déroute d’un capitalisme sénile, une nouvelle période de crises, de guerres et aussi de révolutions. 

Elle porte la menace d’une dictature populiste face à laquelle seul le prolétariat est à même de porter un nouveau rêve progressiste américain, celui d’une société libre et démocratique contribuant à l’émancipation des peuples en marche vers le socialisme, le communisme. La présence de quelques candidats révolutionnaires du Working Class Party sont comme l’écrivent les camarades de Lutte ouvrière « la démonstration qu’il est possible, dans la citadelle de l’impérialisme, de défendre une politique pour la classe ouvrière, contre les capitalistes et contre la sale politique de l’État américain. »[2]

Envolée boursière et subventions au capital, inégalités exacerbées, la croissance des profits contre la société

Trump est le produit de l’escalade de la crise du capitalisme américain qui ne réussit à maintenir ses profits qu’au détriment de toute la société. A l’heure du capitalisme financiarisé, le développement du capital est réactionnaire, prédateur, destructeur, il tire la société en arrière, détourne les progrès technologiques au service d’une accumulation financière parasitaire qui opère un gigantesque transfert de richesses au détriment des travailleurs et des plus pauvres.

La classe dirigeante a cherché à conjurer la crise économique par une série de renflouements massifs des banques, notamment en 2008 et en 2020, la première année de la pandémie. Cela n’a fait que reproduire la crise à un niveau plus élevé, tout en contribuant à une énorme augmentation des inégalités sociales.

La concentration des richesses a atteint des niveaux absurdes, une petite minorité contrôle plus de richesses que la moitié la plus défavorisée de la population. La fortune des milliardaires américains dépasse aujourd’hui 5 500 milliards de dollars, soit une augmentation de près de 90 % depuis le début de la pandémie.

L’inflation a fait chuter les salaires réels, rendant les biens essentiels – nourriture, logement, assurance-maladie – inabordables pour des millions de personnes. La dette totale des consommateurs atteint près de 18 000 milliards de dollars, un record.

La classe ouvrière fait face à une crise sociale massive, marquée par des licenciements, des fermetures d’écoles et un système de santé au bord de l’effondrement alors que depuis des années l’État opère une transfusion d’argent dans les coffres des banques et des multinationales. Durant les 15 dernières années, la dette nationale a explosé pour atteindre près de 36 000 milliards de dollars.

Les Démocrates, d’une certaine façon comme ici la gauche et la droite traditionnelles, se sont déconsidérés en mettant en œuvre une politique au service d’une minorité de parasites tout en prétendant servir l’intérêt général. A défaut d’une autre perspective, l’extrême droite en a récolté les fruits pourris. 

Trump, un candidat soutenu par une grande partie de la caste des milliardaires de la tech, a pu flatter le désespoir et les rancœurs d’une fraction des classes populaires tout en annonçant une politique de baisse des impôts pour les plus riches et le relèvement des droits de douane, un protectionnisme qui provoquera une nouvelle hausse des prix tout en laissant les mains libres au capital. Trump, ce sera une aggravation du recul des conditions de vie et de travail.

Sa volonté réaffirmée de « déporter entre 15 et 20 millions » d’immigré·es ne tient pas que de la propagande démagogique. Il passera aux actes à la fois pour entretenir un climat raciste et xénophobe, façonner l’opinion, obliger le monde du travail à se soumettre, faire diversion et parce que la bourgeoisie américaine de plus en plus réactionnaire a peur des migrants qui sont un facteur d’instabilité, de rupture du consensus national. La guerre contre les migrants est partie intégrante de la politique Make America Great Again, de la mobilisation de l’opinion pour la guerre économique et militaire. Elle est le motif et l’occasion de la guerre aux « ennemis de l’intérieur », des attaques contre les militant·es et du retour à utilisation de « la garde nationale ou l’armée » pour faire la police. La dictature populiste en marche.

Make America great Again ou la menace de la mondialisation de la guerre

Les fantasmes de domination illimitée et incontestée des États-Unis sur un « nouvel ordre mondial » après l’effondrement de l’URSS continuent de hanter la bourgeoisie américaine, la nostalgie d’un passé révolu, vendue aux classes populaires comme l’illusion d’un retour à des jours meilleurs, Make America great again ! Et surtout pour Wall Street, une politique pour gagner des marchés, contenir ses rivaux, protéger son propre marché intérieur, le protectionnisme et la guerre qui ont été au centre des années Biden. La loi IRA (Inflation reduction act) de subvention au capital a été accompagnée de la guerre par procuration contre la Russie en Ukraine, de l’implication dans la guerre génocidaire d’Israël. Et maintenant une escalade de la guerre contre l’Iran est en cours, le Pentagone a annoncé vendredi dernier que la Maison-Blanche avait ordonné l’envoi de forces militaires américaines supplémentaires au Moyen-Orient, y compris des bombardiers B-52, des avions de chasse et des destroyers de la marine.

Trump poursuivra cette politique, c’est à dire l’escalade tant protectionniste que militaire.

Sa prétention à mettre fin à la guerre en Ukraine en vingt-quatre heures est pure vantardise mais il est certain qu’il voudrait bien se défaire non pas de la guerre mais du coût de la guerre pour s’en décharger sur les puissances européennes dont l’Allemagne, de la même façon qu’il faisait pression lors de son premier mandat pour que ces dernières augmentent leur budget militaire et leur implication dans l’Otan.

Les dépenses militaires qui, au troisième trimestre 2024, ont représenté 21 % de la croissance totale continueront de croître. 1700 milliards de dollars sont investis dans la modernisation de leur arsenal nucléaire. La préparation à une mondialisation de la guerre, d’un conflit armé avec la Chine surdétermine la politique à venir de l’État américain. Derrière le bouffon Trump, il y a des forces sociales et politiques qui le portent, bien conscientes et lucides sur les intérêts du capitalisme américain.

La Démocratie parlementaire bourgeoise vers la dictature populiste

Nous sommes entrés dans une période qui met fin à l’alternance du bipartisme aux USA de la même façon qu’ici à l’alternance droite-gauche et ouvre la voie à l’extrême droite qui laisse prévoir la naissance de dictatures populistes. L’élection de Trump qui a reçu le soutien des milliardaires représentés par Musk rentre dans cette logique, elle est un pas vers une telle dictature.

Son projet est de coloniser l’administration, l’Etat afin que celui-ci réinstaure l’ordre moral, tradition et autorité, masculinisme et patriarcat, stricte hiérarchie sociale, redéfinition de la nationalité dans une acception de plus en plus étroite voire ethnique, et répression contre une « gauche marxiste », communiste, maléfique et égalitariste.

Les Démocrates ne s’opposeront pas à cette évolution déjà engagée, ils ont besoin des Républicains pour continuer d’exister même si cela peut s’avérer le plus court chemin vers leur affaiblissement voire leur explosion. Les allusions répétées de Harris au « chaos » et à la « division » dans ses discours ne concernaient pas principalement les conflits dans l’appareil d’État. Les Démocrates craignent que l’affaiblissement, l’effondrement des institutions politiques traditionnelles de la domination de classe aux États-Unis n’ouvre la voie à l’intervention de la classe ouvrière. Leur véritable adversaire n’est pas à droite mais à gauche.

La mise en place aujourd’hui d’un autoritarisme brutal, demain d’un dictateur n’est pas un choix politique erroné des partis capitalistes, et encore moins la volonté d’individus malfaisants et pervers. Elle est la conséquence de l’incapacité de la démocratie bourgeoise à canaliser, contenir le mécontentent, la colère pour faire appel à d’autres formes de domination elles-mêmes engendrées par la crise sociale et politique, par le discrédit voire l’effondrement des partis traditionnels sous la pression des contradictions du capitalisme.

La déroute du capitalisme ne lui permet plus de dominer derrière le masque d’une démocratie contre les classes populaires mais exige une domination sans masque, mise à nu, ouvertement violente exercée contre l’ennemi intérieur et extérieur.

Les questions sociales et démocratiques sont intimement liées et ne peuvent trouver de réponses progressistes que dans la mobilisation de masse des exploité·es.

La véritable fracture aux USA comme ici, c’est la division de classe, et c’est le prolétariat qui représente l’avenir

L’élection de 2024 est un avertissement et une menace au sens où elle pose clairement l’alternative de classe, la mobilisation des forces réactionnaires ou celle du monde du travail, des Afro-américains, des latinos, des femmes, des jeunes, des migrants. Soit la régression, la barbarie capitaliste soit la reconstruction de la société sur la base du socialisme.

Trump will fix it !  Trump va tout réparer, quelle blague sinistre, seul le monde du travail est capable de réparer la société dégradée, ruinée, délitée par la loi du profit et de la concurrence.

Et c’est bien ce conflit qui fracture la société aux USA comme ici, l’affrontement entre une minorité réactionnaire qui corrompt la société et met en place sa dictature politique, policière et le mouvement de la classe ouvrière, des exploité.es, des dominé·es. Il y a une opposition croissante dans la classe ouvrière à l’austérité, à l’exploitation, à la pauvreté et aux inégalités sociales, au racisme qui ne s’exprime que partiellement dans la série de grèves qui ont eu lieu mais il existe une puissante base objective et subjective pour le développement d’un mouvement social et démocratique contre les plans des oligarques capitalistes.

Ce mouvement a besoin d’un plan, d’un programme qui fasse converger la lutte contre le poison du chauvinisme national, du racisme et de l’hystérie anti-immigrés en luttant pour l’unité de la classe ouvrière, pour la défense de ses conditions de vie et de travail, de ses droits démocratiques, une unité sociale et politique internationaliste, l’alliance avec ses frères et sœurs de classe du monde entier.

L’alternative à la montée d’une dictature populiste est la conquête du pouvoir et l’établissement d’une société libre, démocratique, socialiste.

Yvan Lemaitre

[1] https://www.lutte-ouvriere.org/portail/journal/etats-unisnbsp-apres-victoire-trump-republicains-179418.html

[2] https://www.lutte-ouvriere.org/portail/journal/resultats-working-class-party-179437.html

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