Mercredi 23 octobre, Gisèle Pélicot revenait à la barre du tribunal d’Avignon où son ex-époux est jugé pour l’avoir, pendant plus de dix ans, violée par soumission chimique et fait violer par des dizaines d’hommes, dont cinquante d’entre eux comparaissent avec lui sur le banc des accusés. Comme chaque jour d’audience, elle est entrée au tribunal tête haute pour toutes les femmes, pour que la honte change de camp parce que « la honte, ce n’est pas à nous de l’avoir, c’est à eux. », accompagnée par des vagues d’applaudissements, de « merci Gisèle ! » clamés par des femmes qui saluent son courage qui les rend plus fortes. Elle se déclare elle-même « une femme totalement détruite qui tient parce que j’ai tous ces hommes et ces femmes derrière moi. », portée par la fière volonté de faire en sorte que « toutes les femmes victimes de viol puissent se dire : Mme Pelicot l’a fait, on pourra le faire ».
Aux abords du tribunal où fleurissent les affiches « Gisèle, les femmes te remercient », quelques-unes sur lesquelles ont été rajoutés « Tout notre respect » et « L’Espagne, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Brésil, l’Angleterre... sont avec vous », témoignent des échos de ce procès qui a fait le tour des médias du monde entier. Non pas seulement pour l’horreur des crimes commis, mais surtout grâce au courage de Gisèle Pélicot qui, avec ce procès qu’elle a voulu public fait éclater au grand jour et dans les consciences la réalité des violences faites aux femmes, la culture du viol comme produit de cette société qui repose sur l’exploitation, les rapports de propriété et de pouvoir, la domination masculine, le patriarcat.
Un viol est un viol
C’est cette culture du viol, fruit pourri du patriarcat, qui permet aux violeurs de Mazan de chercher à nier l’évidence des faits, de minimiser leurs crimes voire de les justifier, réduisant la femme à une chose, « c’était sa femme… il faisait d’elle ce qu’il voulait », et de tenter de retourner la responsabilité sur la victime, ce qu’ont essayé de faire des avocats de la défense, affirmant qu’il y a « viol et viol », insinuant le libertinage voire la complicité de Gisèle Pélicot dans la sordide entreprise. Certains agresseurs ont prétendu qu’ils auraient été trompés, pensant Gisèle consentante, au mépris de l’évidence révélée par les vidéos du mari. L’avocat de la défense Guillaume de Palma a expliqué que « sans intention de le commettre il n’y a pas viol », suggérant que les violeurs ne se rendaient pas compte de ce qu’ils faisaient.
Pour tous ces hommes, on peut violer en toute bonne foi. Mensonge, irresponsabilité et cynisme de lâches, qui peuvent s’appuyer sur la tolérance sociale et l’impunité dont bénéficient la plupart des agresseurs, et voudraient que la justice efface l’acte criminel, juge sur l’intention.
Considérer que si la victime ne dit rien, ne bouge pas, on peut la juger consentante s’inscrit dans la culture du viol, le profond mépris de Gisèle et des femmes, que les préjugés rétrogrades véhiculés par le patriarcat prennent pour des objets sexuels, soumises au désir des hommes. Selon une enquête IPSOS, 17 % de la population considère que beaucoup de femmes qui disent non à une proposition de relation sexuelle veulent en fait dire oui et 18 % que, lors d’une relation sexuelle, les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées.
Le procès de la culture du viol et du patriarcat
Contre la « culture du viol » et la « culture de l’impunité » que pose le procès Pélicot, le choc et l’émoi qu’il suscite, le ministre de la justice, Didier Migaud, a été contraint de proposer l’ajout du consentement à la définition du viol dans le droit pénal… dans le silence quasi-total d’une large fraction de la classe politique, en particulier de droite et l’extrême-droite n’ayant d’intérêt que pour les viols qu’elle peut instrumentaliser comme celui de Philippine, au profit de ses préjugés racistes et xénophobes.
Mais « le consentement n’est pas la bonne question, affirme à juste titre Anne-Cécile Mailfert, fondatrice de la Fondation des Femmes, il met une fois de plus l’accent sur la victime, et non sur le violeur ». Avec nombre d’associations féministes, elle revendique des moyens pour la protection des femmes, la prévention, la formation sur les violences sexistes et sexuelles, l’éducation qui, pour indispensables qu’ils soient ne suffiront pas à faire reculer les agressions contre les femmes, si ces dernières ne prennent pas elles-mêmes en main la lutte pour en finir avec les causes de ces violences, l’exploitation, la propriété, le patriarcat.
Parce que si une barbarie telle que les viols de Mazan est possible, elle n’est pas seulement due aux prétendues pulsions incontrôlables qui seraient dans la nature des hommes, à des détraqués criminels qu’il faudrait punir. Cette barbarie est le produit de la société capitaliste, des rapports d’exploitation et de domination qui engendrent les pires préjugés sexistes, le mépris des femmes, la culture du viol qui assure aux agresseurs et prédateurs sexuels la tolérance et l’impunité.
Combien de femmes se sont tues, de peur de ne pas être crues, agressées par l’abbé Pierre, Depardieu et beaucoup d’autres, protégés par leur statut social, leur position de pouvoir, leur notoriété. En procès pour des plaintes pour viols et agressions sexuelles, Depardieu « rend fière la France » selon Macron qui a dénoncé une « chasse à l’homme ». Ses crimes, comme pour beaucoup des gens de son monde sont minimisés, mis en doute. « Qu’il dise des saloperies, qu’il soit grivois, rabelaisien, oui, mais pendant des années, tout le monde a trouvé ça génial. Ça n’en fait pas un violeur. », déclarait une de ses amies réalisatrice, au mépris des femmes violées, agressées, souvent petites mains du spectacle ou jeunes actrices soumises au chantage à la poursuite de leur carrière.
Le mouvement mondial des femmes porte un autre avenir pour toutes et tous
Parmi les médias étrangers qui ont fait écho à l’affaire Pélicot, le Guardian titrait « Comment le courage d’une femme a poussé la France à un tournant » ou le Courrier international « L’icône qui pourrait faire tomber la culture du viol ». Après Metoo qui a libéré la parole des femmes, le procès Pélicot frappe les esprits et fait progresser à plus grande échelle la conscience que les crimes contre les femmes ne sont pas des faits divers, des actes isolés commis par des hommes détraqués mais par des Messieurs tout le monde, « bons maris », « bons pères de famille », et qu’ils sont inscrits, comme toutes les violences sexistes et sexuelles, dans le fonctionnement même du système d’exploitation et de domination capitalistes dont les plus exploité·es, avant tout les femmes, sont les premières victimes.
Il faudra bien plus qu’un procès et des lois pour mettre à bas la culture du viol inhérente aux rapports de domination, au masculinisme, au virilisme qui sont inscrits au plus profond de la morale et des préjugés de la société capitaliste. Il faudra changer la société.
Il ne peut y avoir d’émancipation des femmes du patriarcat, de la domination masculine, des violences et des agressions qu’elles subissent partout dans le monde, des préjugés sexistes rétrogrades portés par les classes dominantes et les religions à leur service, sans lutter contre la propriété et l’exploitation, contre le capitalisme.
Un mouvement mondial des femmes est engagé pour la liberté, la libre disposition de son corps, pour le droit à l’avortement, contre le patriarcat, les Etats et les religions, et le vaste soutien des femmes à Gisèle Pélicot en est pleinement partie prenante, nouvelle étape d’une prise de conscience qui s’élargit, se renforce. Les femmes en lutte pour leurs droits, leur vie, leur liberté, contre l’oppression capitaliste et patriarcale constituent une puissante force révolutionnaire, leur mouvement est porteur de l’émancipation de toute la société.
Christine Héraud