Le Parlement est depuis le 21 novembre le théâtre des travaux de la commission des finances sur le projet de budget 2025 de Macron-Barnier. Ce projet vise à réduire de 60 milliards d’euros le déficit budgétaire grâce à 20 milliards de « hausse des recettes » (16,6 venant des entreprises et 5,7 des particuliers) et à 40 milliards de « moindres dépenses » -pour ne pas dire nouvelles attaques contre les services publics, la santé, l’éducation…-, (- 21,5 milliards sur le budget de l’Etat, - 14,8 milliards sur la protection sociale, - 5 milliards sur les collectivités locales). Il s’agirait de stopper la dérive du déficit qui « si rien n’était fait », atteindrait 6,9 % en 2025. « L’effort » de 60 milliards le ramènerait à 5 % pour viser, « l’effort » se poursuivant, 3 % en 2029…

Sans remettre en cause cet objectif, la commission des finances présidée par Eric Coquerel, député LFI, s’attache, à grand renfort d’amendements, à montrer qu’un autre budget serait possible, basé sur une augmentation des recettes fiscales en direction des plus riches et des entreprises et allégeant d’autant les coupes budgétaires. Au cours d’une des deux semaines consacrées à la partie recette et protection sociale, 50 milliards d’euros d’impôts supplémentaires auraient été ainsi votés dans la commission. Coquerel se félicite : « le budget qui sera proposé au vote début novembre sera «NFP compatible» »…

Personne ne peut être dupe. Les votes sur les amendements sont pour une bonne part le produit des errements de la droite et des macronistes bien plus attachés à l’effet qu’ils peuvent avoir sur leur électorat que sur le budget lui-même, chacun sachant bien que le dernier mot reviendra à l’exécutif. Le ministre du budget Laurent Saint-Martin a rappelé la « règle fixée par le gouvernement » : 60 milliards de baisse du déficit, dont deux tiers par la baisse de la dépense publique. « Si le Parlement ne veut pas rester sur cette règle du jeu que nous avons fixée, alors le gouvernement prendra ses responsabilités ». Traduire : imposera son budget par 49.3, voire par ordonnances, au risque d’être renversé par une motion de censure. Cette option est en réalité entre les mains de Le Pen et Ciotti, une extrême droite prise entre sa quête de respectabilité auprès du grand patronat dont certains membres, Bolloré & co, ont déjà fait leur choix et le besoin de donner l’impression à son électorat populaire qu’elle prend en compte ses intérêts. Le RN est le nouveau maître des horloges, détrônant Macron, premier responsable de cette situation…

Certains commentateurs bienveillants à l’égard du NFP mais pas dupes sur l’issue de la séquence voudraient voir des vertus pédagogiques dans la comédie parlementaire mise en scène par Coquerel : montrer ce qu’il serait possible de faire si on était aux affaires. Mais le NFP au gouvernement se heurterait au même « mur de la dette », dictat de l’oligarchie financière sur l’Etat, aux mêmes conséquences d’un système économique englué dans une crise globale. L’accentuation des inégalités ainsi que les subventions de l’État au capital sont organiquement liées au fonctionnement du système. Mettre fin à la régression sociale ne peut se résumer à un impossible rééquilibrage du partage des richesses au profit des classes populaires. C’est tout le système qui est en cause, un système qui s’enfonce dans sa propre faillite.

Crise politique, récession et dette record…

Les fortunes folles accumulées par quelques-uns ne peuvent cacher les signes du ralentissement économique, ici comme dans l’UE et dans le monde. L’économie mondiale est engluée dans une longue période de dépression qui a commencé avec la crise de 2007-2008 et qui est marquée, du point de vue économique, par l’incapacité de redresser les taux de profit industriels et la productivité du travail. La pandémie de la covid, la crise inflationniste, la guerre en Ukraine puis au Moyen-Orient en ont été des conséquences et des facteurs aggravants.

Sur le plan national, cela se traduit par des perspectives de croissance en berne, 1,1 % pour 2025 selon le gouvernement. La presse note une « forte poussée des défaillances d’entreprises » : + 18 % dans les premiers mois de 2024 par rapport à la même période en 2023, menaçant plus de 100 000 emplois. En première ligne, le commerce, la construction, la logistique. Les causes en sont le ralentissement de la croissance, la baisse de la consommation, la panne des investissements, la hausse des coûts de production, le durcissement des conditions de financement… L’aéronautique est aussi touchée. Selon Le Monde, la filière serait « au bord de la rupture ». Certains sous-traitants d’Airbus dont les carnets de commande sont pleins à craquer sont dans l’incapacité, faute de capitaux, de réaliser les investissements nécessaires. Le secteur de l’automobile est lui aussi en crise, confronté aux difficultés du passage à l’électrique et à la concurrence chinoise.

La baisse de revenus fiscaux qui résulte de la dégradation économique creuse le déficit de l’Etat. A cela s’ajoute le fait que la charge de la dette (les intérêts payés chaque année) ne cesse de croitre. De 52,2 milliards d’euros en 2024, elle devrait passer à 54,9 en 2025, résultat de l’augmentation du capital emprunté et de celle des taux d’intérêt. L’endettement de l’Etat s’élevait à 3 228,4 milliards d’euros fin septembre 2024, en augmentation de 68,9 milliards sur 6 mois ; 300 milliards d’emprunts supplémentaires sont prévus dans le projet de budget 2025. Ce 25 octobre, l’agence Moody’s lançait un « avertissement » notant « le risque croissant que le gouvernement français soit peu susceptible de mettre en œuvre des mesures qui empêcheraient des déficits budgétaires plus importants que prévu ». Un signal en direction des acheteurs de cette dette, incitation à la hausse de ces taux, et un argument pour le gouvernement dans son offensive.

Sur cette dette, dans la presse et le monde des politiciens de tout bord, c’est haro sur Macron et son « quoi qu’il en coûte ». Le Point titre « Dette Macron : les 1000 milliards seront atteints avant la fin de l’année », une « triste performance » … Certes, mais ce terme de « quoi qu’il en coûte », décliné au moment de la pandémie, n’était en réalité qu’une étiquette de circonstance collée sur la politique de subventions massives des Etats et des banques centrales au monde de la finance qui ne s’est jamais interrompue depuis le début des années 2010. Cette politique se poursuit aujourd’hui sous un nouveau titre, « réarmement », subventions massives à l’industrie de l’armement, à l’oligarchie financière qui s’en partage les profits.

La mise sous perfusion massive du capital financier est, pour les Etats et les institutions financières, un moyen de maintenir en marche une machine à profits minée par l’atonie de la croissance, la baisse chronique de la productivité du travail et des taux de profit tirés de l’exploitation. Cet argent gratuit qu’ils mettent à disposition du capital financier, les Etats l’empruntent… à ce même capital financier à qui ils versent de surcroît des intérêts. Intérêts de plus en plus lourds, ponctionnés sur le budget de l’Etat, autrement dit la poche des contribuables. Les coupes budgétaires de Barnier-Macron s’inscrivent dans cette logique, une fuite en avant qui, en s’attaquant aux revenus directs et indirects (services publics, protection sociale, …) de la grande masse de la population, entretient la tendance récessive.

La spéculation effrénée associée à une économie en panne a elle aussi ses conséquences. Selon Le Figaro, « plusieurs poids lourds du CAC40 [Sanofi, Société générale, Stellantis, Alstom…] ont été frappés d’une brutale chute en bourse » au cours de l’année écoulée. « Ce qui est nouveau, c’est l’amplitude et la violence de certaines corrections, qui dépassent l’entendement. Et on constate une accélération de ces mouvements. » explique un responsable d’entreprise cité par le journal. « De tels plongeons, où des milliards de capitalisation boursière partent en fumée en quelques heures » sont les signes avant-coureurs du krach qui menace une économie en panne de croissance, soumise à une crise d’accumulation mondialisée.

… dans un contexte international de faillite du capitalisme financiarisé mondialisé

Réunis la semaine dernière, les responsables du FMI et de la Banque mondiale pointaient, à l’échelle mondiale, « une combinaison impitoyable de faible croissance et d’endettement élevé : un avenir difficile ». Le FMI notait : « L’augmentation des niveaux d’emprunt signifie qu’une part croissante des recettes publiques est utilisée pour couvrir les paiements d’intérêts dans des conditions de croissance plus faible. La dette publique mondiale devrait atteindre 100 000 milliards de dollars d’ici la fin de l’année, dont plus d’un tiers, quelque 36 000 milliards de dollars de cette dette aux États-Unis, où un dollar de dépenses sur sept sert uniquement à payer les intérêts » … 

Avec ses 36 000 milliards de dollars, l’endettement des USA s’élève à 122 % du PIB. Sa croissance, 2,8 % en 2024, n’a rien de mirobolant d’autant qu’elle a été portée par les plans massifs de Biden et sa politique protectionniste. La capitalisation boursière des « 7 magnifiques »[1] avait explosé avec la sortie fin 2022 de ChatGPT, première version d’une « intelligence artificielle générative » qui a rapidement fait le buzz. Mais le soufflé retombe aujourd’hui, le mirage de l’IA s’estompe, les gains de productivité quelle procure s’avérant négligeables au regard des coûts. Dans le secteur, les capitalisations stagnent, parfois sujettes à de brusques effondrements et les licenciements se poursuivent. L’ampleur de la crise politique que connaissent les USA se mesure à la violence de l’affrontement entre Kamala Harris et Trump. Elle a ses racines dans l’explosion des inégalités sociales, terrain propice aux charlatanisme populiste. Tout cela dans le contexte de concurrence internationale sur fond de récession économique qui a poussé les USA, de la présidence d’Obama à celle de Biden en passant par Trump, à mettre en œuvre et accentuer leur politique protectionniste, mais aussi leur offensive militaire, pour tenter de maintenir leur hégémonie contestée par les puissances émergentes.

Puissances émergentes qui ne sont elles-mêmes pas épargnées. A l’instar de la Chine, dont l’économie est marquée, selon la presse économique, par des « déséquilibres structurels profonds ». Les collectivités locales ont été durement touchées par la crise immobilière qui sévit depuis 2021, diminuant d’autant les revenus fonciers qui leur reviennent et dont elles ont besoin pour réaliser les investissements dont elles sont responsables. Faute de ces revenus, elles se sont lourdement endettées, au point que, selon certains économistes, le poids de cette dette pourrait menacer la stabilité financière et sociale du pays. La dette publique chinoise s’élève officiellement à 69 % du PIB, 117 % selon le FMI. Certains secteurs, dont l’automobile, sont en surproduction, confrontés aux barrières protectionnistes des USA et de l’Union européenne. L’objectif de croissance fixé par l’Etat à 5 % pour 2024 serait en réalité de 4,8 % et ne devrait pas dépasser 4,3 % l’an prochain malgré la mise en œuvre d’un plan de relance. 

Les deux premières puissances mondiales, en concurrence avec l’ensemble des puissances économiques, font les frais de la grande dépression commencée avec la crise de 2007-2009, expression de l’épuisement des perspectives de développement du capitalisme financiarisé mondialisé. L’escalade militariste, les guerres en cours en Ukraine, au Moyen-Orient, dans d’autres pays comme en Afrique, sont le produit de cette concurrence dans un cadre global imposé par les puissances de l’Otan regroupées derrière les USA et les soutenant dans leur combat pour maintenir leur hégémonie menacée.

Ces guerres, l’emballement de la course aux armements qui les accompagne, sont à leur tour des facteurs d’aggravation de la récession économique et des déficits budgétaires. Le serpent se mord la queue, image d’un système en faillite, incapable de trouver dans sa propre logique interne et ses institutions les moyens de surmonter la crise d’accumulation qui l’étouffe.

Face à cette situation, les Etats et les grands actionnaires qui sont leurs donneurs d’ordres ne connaissent d’autre solution que l’accentuation du taux d’exploitation des classes laborieuses, à l’instar ici du projet de budget du gouvernement Barnier.

S’opposer aux nouvelles attaques en série, c’est contester la dette pour prendre le contrôle de l’économie contre le capital

Il n’y a pas 36 000 façons de ne pas payer encore plus pour financer les profits, il n’y en a qu’une, nous organiser, nous mobiliser pour combattre les nouvelles attaques que Barnier se prépare à imposer par le 49.3 au risque d’être renversé par une motion de censure.

L’expérience des mobilisations passées a clairement démontré qu’il n’est pas possible de compter pour cela sur les organisations syndicales. Ce que confirme la position prise ce mercredi 30 par l’intersyndicale CGT, CFDT, CFTC, FO, FSU, Solidaires et UNSA qui s’est fendue d’un appel aux députés et au gouvernement pour que le projet de loi de financement de la sécu soit « profondément remanié ».

Ces mobilisations ne peuvent venir que de nous-mêmes, de notre organisation à la base. Et elles ne peuvent rester sur un terrain purement syndical. La lutte contre l’austérité ne peut-être qu’une lutte politique qui conteste nécessairement l’ensemble du système, mettant en avant la seule réponse possible à la question de la dette : son annulation immédiate.

Une telle mesure remet en cause un des mécanismes centraux des rapports d’exploitation capitalistes. Annuler la dette, c’est contester le droit de propriété dont se revendiquent les patrons de tout rang, à commencer par les grands actionnaires des multinationales, les oligarques financiers qui dictent leur loi à l’ensemble de l’humanité et la conduisent à la ruine. En finir avec cette menace, c’est les exproprier, constituer un monopole financier public placé sous le contrôle d’un gouvernement démocratique des travailleurs qui donnerait à ce dernier les moyens de piloter la production et les échanges en fonction de la satisfaction des besoins de tous. C’est construire une société débarrassée de la concurrence et de la recherche du profit immédiat, dans laquelle la production soit organisée sur la base d’une planification démocratique qui intègrera impérativement le respect des équilibres naturels et de la durabilité des ressources. 

Daniel Minvielle

[1] Les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) + Nvidia et Tesla

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