María Corina Machado, représentante de la bourgeoisie huppée d’extrême droite, alliée de Trump et de Milei, et son candidat à la Présidence Edmundo González Urrutia, ont reçu ce prix décerné par l’Union européenne en octobre dernier, et ont été promus modèles de la liberté !

Les USA, eux, sont cependant plus réservés, Maduro et son régime dictatorial étant devenus à nouveau de grands pourvoyeurs de pétrole pour les compagnies américaines suite à la guerre en Ukraine. A la différence de 2019, quand un candidat de droite extrême, Guaidó, avait été adoubé par le « monde libre » contre Maduro (et reconnu Président par intérim alors qu’il s’était autoproclamé), aujourd’hui, les Etats-Unis ne soutiennent pas aussi clairement le candidat opposé à Maduro.

Car la situation a changé. La chute du baril de brut dans les années 2000 en avait fini avec la manne pétrolière qui avait permis au régime de Chávez de disposer d’une partie pour faire des concessions à son peuple.

Quand Maduro s’est autoproclamé vainqueur des élections présidentielles le 28 juillet dernier sans publier le résultat des urnes, des révoltes ont aussitôt éclaté dans les quartiers populaires, hors du contrôle de tous les démagogues de droite et d’extrême droite.

Elles ont été violemment réprimées avec jusqu’à 2400 personnes arrêtées dont de très nombreux jeunes encore aujourd’hui emprisonnés sans procès.

Maduro a ainsi montré qu’il gère le pays d’une main de fer pour le compte des différentes couches bourgeoises au service du capitalisme international. Et c’est ce qui fait la prudence des USA à son égard, eux-mêmes déstabilisés par la crise globale du capitalisme financiarisé mondialisé dont ils sont un des premiers facteurs.

De fait, le Venezuela vit la pire crise politique et économique de son histoire. L’extrême droite de María Corina Machado attend la reconnaissance de son candidat par Trump s’il est élu. Maduro, lui, ne veut pas lâcher le pouvoir, dans un pays devenu une bombe à retardement, ravagé par la misère, en proie à la violence des gangs et dont 7 des 32 millions d’habitants ont dû migrer…

La violence de la crise donne la mesure de l’impasse du populisme nationaliste, mais aussi de la reconfiguration du monde sous la houlette du capitalisme financiarisé et mondialisé qui ne cesse d’engendrer une révolte profonde.

Le régime chaviste, né de la colère canalisée pour le compte du national populisme…

Durant des décennies depuis la découverte de gisements de pétrole parmi les plus importants au monde, la bourgeoisie vénézuélienne avait vu ses intérêts défendus par l’alternance de deux partis au pouvoir, l’AD (social-démocrate) et COPEI (de droite), tout en ruinant l’économie nationale. Les mesures drastiques du FMI avaient alors, en 1989, engendré une révolte insurrectionnelle, le « caracazo », réprimé dans le sang par le gouvernement AD de l’époque.

Hugo Chávez, jeune officier nationaliste et anticommuniste d’origine populaire et métisse comme une partie de l’armée, a rassemblé alors derrière son Mouvement pour la Vème République de plus en plus de mécontents contre l’alternance des deux partis institutionnels. Son coup d’Etat avorté en 1992 l’a rendu très populaire dans la population mais aussi crédible auprès d’une partie de la bourgeoisie aspirant à une nouvelle stabilité. Chávez s’est alors présenté comme la solution en prônant un « capitalisme humain ». Malgré l’hostilité d’une autre partie de la bourgeoisie réactionnaire et raciste, il fut élu Président en 1998.

Pour faire face à la pression des USA, Chávez s’est appuyé sur une situation économique internationale favorable à l’exportation de sa manne pétrolière et sur les forces populaires encadrées par la Constitution de sa 5ème République et d’organes populaires contrôlés par l’Etat : communes, commandos populaires, parti PSUV créé en 2007 et présidé par Chávez jusqu’à son décès (appelé « disparition physique »)… avec pour seule succession Maduro.

Les USA s’appuieront sur la vieille bourgeoisie la plus réactionnaire contre la démagogie socialisante de Chávez. Parmi les principaux soutiens de cette bourgeoisie, l’appareil totalement corrompu du syndicat du pétrole CTV. Ceux qui, comme le militant trotskiste Orlando Chirino, ont tenté de créer une opposition syndicale indépendante du pouvoir dans le syndicat UNT qui avait remplacé le CTV, ont été combattus par les chavistes.

Ce sont les classes populaires qui ont poussé Chávez à redistribuer une partie de la manne pétrolière pour le compte de la population. Ce fut le cas lors du coup d’Etat de 2002. Lorsque le président du syndicat patronal vénézuélien a pris la place de Chávez conduit en prison, ce sont elles qui l’ont libéré, et les travailleurs du pétrole qui ont fait échouer le lock-out patronal en faisant fonctionner la société du pétrole PDVSA nationalisée avec des formes de contrôle ouvrier.

Chávez approfondira alors ce qu’il appelait le « processus bolivarien » (du nom du héros de l’indépendance Bolívar) en créant par en haut des missions et autres aides en faveur de la population la plus pauvre. Et en 2005, il se déclarera pour le « socialisme du XXIème siècle » et même pour une 5ème Internationale, tout en tenant des discours patriotiques et nationalistes et en se rapprochant, pour tenir tête aux USA et pour le compte de ses exportations de pétrole, de Cuba, la Lybie, la Syrie, la Russie et l’Iran.

… au service d’une nouvelle bourgeoisie née à l’ombre du régime bolivarien

Mais la situation change avec la crise de 2008 entraînant une crise bancaire en 2010. A la mort de Chávez en 2013, Maduro poursuit sa politique dans un contexte profondément dégradé, le prix du baril s’étant effondré dans une économie totalement dépendante du pétrole.

Maduro s’appuie sur la « bolibourgeoisie », nouvelles couches bourgeoises enrichies à l’ombre du pouvoir et de l’armée, pour une plus grande déréglementation du travail et la pénétration des multinationales dans l’économie. Il édicte une série de lois pour les sociétés d’économie mixte, début de privatisation du pétrole, en faveur de l’ouverture aux capitaux étrangers, pour une imposition qui leur soit plus favorable et sans transparence sur l’utilisation des fonds publics par les sociétés du pétrole. Il crée une Zone Economique Spéciale dans une zone protégée de l’Orénoque riche en pétrole, leur ouvrant des territoires habités par des indigènes et aux espèces protégées. Et il reprend le dialogue rompu avec les Etats-Unis.

En s’appuyant sur l’armée et une police corrompue, il purge le parti, les organismes populaires et même le syndicat CSBT (remplaçant l’UNT trop réfractaire), interdit progressivement le droit de grève, les embauches collectives, les syndicats et les partis opposés à sa politique. En janvier dernier, un instituteur syndicaliste est condamné à 30 ans de prison pour avoir appelé à la grève ! Les militants d’extrême gauche doivent entrer dans la clandestinité ou partir. Les vénézuélien·ne·s migrent par millions ; celleux qui restent ont au moins un membre de leur famille en exil aux USA, en Colombie, au Chili…

La Chine, soutien prudent et intéressé du régime, ne peut rivaliser avec les USA quand ils décident de faire à nouveau main basse sur le pétrole vénézuélien en novembre 2022.

Ni dictature populiste, ni de la droite pro-impérialiste, pour un programme démocratique et révolutionnaire des travailleurs et des classes populaires

Avec entre 2013 et 2023 une inflation cumulée de 555 000 %, le pays est harcelé par le FMI. Seuls les détenteurs de dollars peuvent s’en sortir. Les services publics sont ruinés. Il n’est plus possible de se soigner dans un hôpital public si on n’y amène pas ses médicaments et son matériel de soin. Des enfants n’ont plus que deux jours d’école par semaine par manque de moyens, alors que les riches au pouvoir paradent et accumulent les scandales financiers.

La colère est tellement grande et désespérée que l’extrême droite de Machado s’en est emparée. Son candidat l’a sans doute largement emporté sur Maduro (les résultats électoraux n’ont toujours pas été publiés mais le Tribunal Suprême gouvernemental a confirmé l’élection de ce dernier le 22 août dernier).

Plus personne ne croit que Maduro est « de gauche » même si le campisme de certains militants a eu la vie dure. Il devient évident, comme le disent des militants de la IVème Internationale après avoir longtemps soutenu le contraire, que « Maduro et María Corina Machado sont les deux faces d’une même monnaie » au service du capital national et international.

La vraie démocratie est impossible sous le capitalisme bolivarien aux abois, produit d’un capitalisme pourrissant sur toute la planète.

Il n’y a d’issue que dans la défense d’un programme d’indépendance de classe allant vers le contrôle de l’économie et la prise du pouvoir par les travailleur·e·s, en s’appuyant sur les acquis du mouvement ouvrier et populaire, avec une jeunesse qui fait ses armes dans les geôles de Maduro.

C’est cette nouvelle génération, celle des exploité·e·s qui se révoltent partout comme au Bangladesh, au Nigéria, au Kenya…, qui en s’emparant de la perspective d’émancipation internationaliste, socialiste, pourra réaliser les transformations révolutionnaires à la hauteur des possibilités ouvertes par le capitalisme du XXIème siècle totalement failli.

Mónica Casanova

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