Le mercato ministériel est donc, momentanément, clos avec un retard sur le début de la saison mais le club de la réaction a quelques difficultés à se répartir les postes et les sinécures et manque aussi d’enthousiasme, plus personne ne croit à l’avenir du manager. Même si ce gouvernement, coalition de perdants recrutés dans les fonds de tiroir de la droite la plus rance à l’image de Retailleau, n’est plus démissionnaire, son avenir est des plus hypothétiques. L’attelage est tellement incertain que Barnier a eu besoin d’inventer un ministère délégué à la coordination gouvernementale !
Aussi réactionnaire et anti-ouvrière, antisociale, xénophobe que sera sa politique, son sort dépend du bon vouloir et des choix du RN qui cherchera à le plier à sa politique pour le démettre, le moment venu, en fonction de ses calculs électoraux.
Sa chance est que ses rivaux si ce n’est adversaires parlementaires n’ont pas envie de déclencher réellement la bataille. Ils sont eux aussi trop soucieux de maintenir une certaine stabilité en attendant les prochaines législatives, les municipales et la présidentielle tout en jouant leur rôle d’opposants.
En réalité, du point de vue du monde du travail, ces jeux et marchandages parlementaires ne changent pas grand-chose. La vie sociale leur est en réalité étrangère, déconnectée de la décomposition d’un monde politicien où les ambitions personnelles, les appétits de pouvoir et de privilèges l’emportent sur tout et qui n’éprouve même plus le besoin de se prévaloir de l’intérêt général. La marchandisation parlementaire participe de la marchandisation du monde, pour eux tout est marchandises et profits, même... eux et leur fonction… Ils sont déconsidérés et c’est toute la machine parlementaire, leur démocratie, cette machine à duper le peuple qui s’enraye.
Gouvernement ou pas, gouvernement démissionnaire ou sans majorité, l’État, sa haute administration, sa police et son armée continuent d’assurer l’ordre capitaliste à tous les niveaux, en particulier répressif. En Nouvelle Calédonie, dans la nuit de mercredi à jeudi, deux Kanaks indépendantistes ont été assassinés par la gendarmerie. En Martinique, la légitime colère des plus déshérités face à la vie chère -les produits de première nécessité y sont 40 % plus chers qu’en Métropole-, se heurte à la même répression coloniale. Le couvre-feu y a été décrété, une compagnie de CRS appelée en renfort, les manifestations interdites.
Les politiciens se battent pour les postes et le pouvoir, l’État assure l’ordre.
Le problème pour la bourgeoisie, c’est que cette faillite parlementaire lève le voile dit démocratique sur son pouvoir de classe mis à nu, le pouvoir du CAC40.
L’agitation de la gauche parlementaire est tout aussi dérisoire. Mélenchon a bien lancé une procédure de destitution de Macron qui ne réglerait rien même si elle avait la moindre chance d’aboutir. D’ores et déjà le PS a annoncé qu’il ne la voterait pas !
Les différentes composantes du NFP mettent, il faut dire, un zèle très particulier à afficher leurs divisions tout en jurant leurs grands dieux qu’ils veulent à tout prix préserver l’unité. Tout est jeu de rôle et… de dupes en fonction des intérêts électoraux et parlementaires de chaque appareil face à ses rivaux.
« Le premier des voleurs, c’est quand même Emmanuel Macron, champion olympique du piratage des urnes de la République », a dénoncé le secrétaire national du PCF, Roussel, lors de son meeting à la Fête de l’Humanité pour s’exclamer « mettons fin à la dictature de la finance ! Et pour cela, mettons au pouvoir l’union de la gauche et les Jours heureux » pour défendre « un véritable programme de reconstruction nationale ». Et, dans le même temps, il invite et fait applaudir Villepin, politicien gaulliste de droite, et il est le seul dirigeant du NFP à avoir répondu à l’invitation de Macron, mardi dernier, dans le cadre des « consultations » organisées par Matignon !
LFI n’avait d’ailleurs pas été invitée, LFI qui n’était pas, semble-t-il, l’invitée d’honneur de la fête de l’Huma où la polémique Ruffin-Mélenchon a été complaisamment médiatisée, le même Roussel en profitant pour apporter sa petite pierre à la campagne anti-Mélenchon…
Au sein du NFP, les jours heureux, c’est pas pour demain. Les illusions nées lors des dernières législatives cèdent la place à la colère, l’envie de comprendre voire d’une réelle alternative dont chacune et chacun soient les acteurs.
En réponse à l’irresponsabilité des politiciens, les syndicats se veulent garants de la stabilité par le dialogue social
La fête de l’Huma a aussi été l’occasion de la mise en scène par la direction de la CGT et le Medef du dialogue social par l’organisation d’un débat fort courtois entre Sophie Binet et le patron du Medef Martin. « C’est essentiel dans la situation dans laquelle se trouve le pays, qu’en assumant leurs désaccords, les partenaires sociaux et tous les acteurs de la vie publique […] ne se livrent pas à ce jeu que je trouve extrêmement dangereux de l’anathème, de l’insulte et de la fracturation », a expliqué Martin à l’issue du débat alors que Binet soulignait l’importance du « débat contradictoire et de l’échange d’arguments », pour « montrer qu’on ne laisse pas le monopole de la question économique au patronat ».
La direction de la CGT voit dans la mascarade parlementaire l’occasion de s’imposer comme facteur de stabilité, c’est-à-dire montrer sa capacité à canaliser le mécontentement des salariés à travers le dialogue social.
La CFDT argumente de la même façon pour justifier, elle, qu’elle ne manifestera pas le 1er octobre, en expliquant que face à la « crise démocratique » et au risque de « blocage politique », « les partenaires sociaux auront la responsabilité de bâtir des compromis alliant progrès social, transformation écologique et solidité économique ». CGT et CFDT, chacune à sa manière, affichent leur disponibilité face au gouvernement Barnier qui ne manquera pas de rechercher un contrepoids face au RN par le « dialogue social » avec les syndicats.
L’austérité pour que les profits et le capital prospèrent
Le problème, c’est que contrairement à ce que l’Humanité voudrait laisser croire, le grand patronat n’est pas dans le dialogue mais bien à l’offensive et se prépare à une vague de licenciements et de nouvelles attaques contre les conditions de travail et les salaires. La comédie du dialogue social, pardon de « la démocratie sociale » selon Binet, a pour fonction de paralyser le monde du travail dans la lutte des classes afin de concentrer toujours plus de richesses entre les mains d’une minorité parasite et nourrir les dividendes. En France, en 2017, les 500 plus grandes fortunes possédaient l’équivalent de 20 % du PIB, c’est-à-dire 20 % des richesses produites en un an. Aujourd’hui, c’est 45 % ! Si la part des revenus du travail baisse dans le monde, on ne peut pas en dire autant de celle du capital. L’Europe est particulièrement bien placée du point de vue de la répartition mondiale des dividendes. Elle enregistre une progression de 7,7 %, grâce à des montants records en France, en Italie, en Suisse et en Espagne. La France affiche à elle seule 58,6 milliards de dollars sur les 204,6 milliards absorbés par les actionnaires.
A l’opposé, le nombre de travailleurs pauvres qui exercent un emploi mais disposent d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté est en augmentation, 1,1 million de personnes.
Des chiffres qui devraient éclairer les débats sur le déficit budgétaire et le prochain projet de loi de finances en France, alors que tout indique que le gouvernement de Barnier prépare une cure d’austérité pour ramener le déficit des finances publiques en dessous de 3 % du PIB. La réponse est simple, arrêter les subventions au grand patronat, abolir la dette, créer un service public bancaire sous le contrôle des travailleurs et de la population.
Face à ce gouvernement réactionnaire en sursis ne nous laissons pas paralyser par leur propre panique
Barnier comme ses ministres sont des intérimaires dont le contrat peut arriver à tout moment à terme selon les choix de leurs collègues parlementaires soucieux d’occuper la place. Leur seule force est que patronat, politiciens, bourgeois petits et grands, syndicalistes craignent tous que la colère populaire ne s’engouffre dans la brèche pour bousculer le système voire renverser la table.
Les travailleurs, les femmes, les jeunes n’ont, eux, aucune raison de craindre l’aggravation de la déroute parlementaire et de se laisser paralyser par les discours paniquards des possédants et des riches sur le déficit budgétaire et la dette. Ils veulent imposer l’austérité, bloquer les salaires, licencier pour continuer d’accumuler des fortunes par notre exploitation, fortune qu’ils jouent au casino boursier pendant que l’Etat dépense des milliards pour les subventionner et pour la guerre au profit de Dassault, Thalès and co. Nous avons toutes les raisons de dire non, de refuser cette politique réactionnaire dont nous faisons sans cesse les frais.
Leur crise politique, leur crise de la dette sont des expressions de la faillite de leur système corrompu au service d’une minorité parasite qui vit de l’exploitation du plus grand nombre, des travailleurs et des peuples, un système injuste et inhumain, anarchique qui entraîne le monde dans la guerre, la crise économique et écologique alors que l’humanité est aujourd’hui, pour la première fois de l’histoire, en capacité de réaliser le vieux rêve de construire un nouvel ordre social et économique fondé sur la coopération mondialisée de travailleurs et des peuples.
Yvan Lemaitre