L’installation du gouvernement prendra plus de temps que prévu a déclaré Barnier en plein mercato pour trouver les ministres de son gouvernement « équilibré, représentatif, pluriel ». Une mascarade institutionnelle au cours de laquelle Macron, en pleine déroute, cherche toujours à paraître au-dessus de la mêlée en laissant Barnier seul à la manœuvre. D’autant que la fable de ce gouvernement « le plus large possible » paraît plus qu’improbable, tellement il se résume à un attelage Macron-Barnier-Le Pen pour le moins discordant.
A gauche, seule Ségolène Royal a répondu aux avances de Barnier… Visiblement, personne ne veut se griller dans un tel gouvernement dont la durée de vie ne dépendra que du bon vouloir du RN.
Au niveau des députés Renaissance-EPR, l’accueil est pour le moins mitigé. Attal, devenu patron du groupe à l’Assemblée nationale, fait mine de défendre une politique indépendante de Barnier en déclarant qu’il n’y a « ni volonté de blocage, ni soutien inconditionnel », pendant que Darmanin semble bien décidé à entrer dans le nouveau gouvernement. Le camp présidentiel, ruiné par la politique de Macron, éclate sous la pression des calculs de pouvoir et des arrivismes en tout genre.
Seuls Les Républicains, avec leurs 47 députés et un premier ministre issu de leurs rangs, sont habités par l’esprit, pour eux un véritable miracle ! Wauquiez a répondu présent, en demandant, quelle surprise, l’application d’une « politique de droite » avec « plus de sécurité » et « moins d’immigration ». Comme le déclarait Marleix, LR compte bien faire « une formidable OPA sur l’électorat macroniste ». Voilà à quoi se résume la « coexistence exigeante » entre Macron et Barnier.
On est bien loin de la fin de la crise politique et du retour à la stabilité vu l’exacerbation des appétits et calculs politiciens. D’autant que le RN est en situation de force vis-à-vis du gouvernement en annonçant que Barnier « est un 1er ministre sous surveillance ». Il espère ramasser la mise en attendant le moment le plus favorable pour faire tomber le gouvernement, en exerçant sa pression politique xénophobe et raciste, mais rien ne dit que lui-même ne sera pas emporté par le jeu de massacre en cours...
Un attelage réactionnaire pour imposer une cure d’austérité
Quels que soient les futurs nominés et les futurs… éconduits, la feuille de route de ce gouvernement encore virtuel est dictée par les intérêts des classes dominantes qui exigent une offensive frontale contre l’ensemble des travailleurs. Une politique qui va avoir des effets immédiats sur le budget 2025, visiblement repoussé lui aussi.
Si Le Maire ne sera pas ministre des finances, sa politique va se poursuivre, à commencer par les coupes claires dans les budgets sociaux et les services publics pour financer la dette. Lundi, devant la commission des finances, il a étalé tout son mépris pour masquer son bilan. Alors que le déficit public est parti pour atteindre les 5,6 % du PIB d’ici la fin de l’année, il accuse les collectivités locales d’avoir dérapé de 16 milliards et, surtout, il s’en prend à toute la population en déclarant que redresser les comptes dans un pays « habitué depuis des siècles à dépenser plus qu’il ne gagne » impose des choix politiques forts !
Un cynisme total pour tenter de masquer à quel point les dérapages du déficit sont le résultat des diminutions massives de recettes, dues aux innombrables cadeaux au patronat, exonérations de cotisations et baisses d’impôts. Entre 2018 et 2023, les dépenses de l’Etat ont augmenté de 100 milliards, un peu moins que la progression du PIB. Par contre, les recettes n’ont augmenté que de 10 milliards, 10 fois moins ! Voilà le bilan de cette politique d’argent public versé aux entreprises, près de 200 milliards par an, qui aboutissent en bout de course dans les circuits de la spéculation financière.
Pour nous faire payer la dette et ses intérêts, les idées fusent de toute part. La Cour des comptes propose de porter le délai de carence sur les arrêts maladie de 3 à 7 jours, voire même de ne plus indemniser les arrêts de moins de 8 jours. Un rapport demandé par Attal préconise 3 jours de délai de carence dans la fonction publique... Sans parler de la remise en cause du régime des « affections de longue durée » ou de la réforme de l’assurance-chômage pour faire payer les plus pauvres !
La démagogie xénophobe et raciste pour attaquer l’ensemble des travailleurs
Mener une telle offensive dans la situation de crise politique des institutions n’est pas sans danger pour les capitalistes et le pouvoir. Tous craignent les réactions des travailleur.es, leur colère, face à laquelle ils déploient leur démagogie raciste et xénophobe pour nous dresser les uns contre les autres, étouffer et dévoyer la colère.
Barnier, défenseur d’un moratoire sur l’immigration au temps de la primaire de LR en 2021, a ainsi commencé à préparer le terrain d’un ministère de l’immigration, en démarchant certains préfets pour constituer un cabinet et des conseillers. Dans le florilège des mesures démagogiques, la suppression de l’AME (Aide Médicale d’Etat destinée aux personnes en situation « irrégulière » sous condition de ressources) refait à nouveau surface, donnant crédit au RN qui la présente comme « une pompe aspirante de l’immigration » !
L’attelage Macron-Barnier-Le Pen se met en place et prépare le terrain à la possible accession au pouvoir du RN et de toute façon, à un gouvernement de plus en plus anti-ouvrier et antidémocratique, policier et répressif quelles que soient les combinaisons politiciennes à venir au sein du bloc réactionnaire.
Rien à attendre de la mascarade parlementaire ni du « dialogue social »
Face à cette nouvelle situation, l’intersyndicale se réunissait cette semaine. Une réunion d’où il n’est rien sorti, même pas un communiqué pour dénoncer la politique d’austérité à laquelle se prépare le gouvernement.
Après en avoir appelé au « front républicain » face au RN, l’Intersyndicale ne veut surtout rien précipiter, tout sauf appeler à la lutte. « On n’a pas vu Michel Barnier, ça pourrait être mal interprété », a déclaré un participant, « On lui laisse sa chance », a commenté Hommeril de la CFE-CGC !
Quant à Marylise Léon de la CFDT, qui réclamait il y a peu le retrait de la loi sur les retraites, elle réclame maintenant une « suspension » de la réforme, pour répondre à la vague promesse de Barnier « d’ouvrir le débat » sur les retraites !
Seules la CGT, la FSU et Solidaires appellent à la journée du 1er octobre, tout en restant dans le cadre de l’intersyndicale et surtout sans formuler de politique d’affrontement face au gouvernement et au patronat. Après avoir soutenu les manifs du 7 septembre pour demander à Macron un gouvernement de cohabitation avec Lucie Castets, ces organisations syndicales comptent toujours sur le « dialogue social » pour obtenir des avancées pour les travailleurs, même s’il faut aller le réclamer dans la rue. Cette politique est vouée à l’échec, impuissante à s’opposer à la fuite en avant anti-sociale et réactionnaire des classes dominantes.
Seule l’intervention du monde du travail sur le terrain de la lutte de classe peut enrayer les logiques politiques à l’œuvre. La politisation et la mobilisation qui ont eu lieu lors de la dissolution n’ont pas disparu, même si beaucoup sont désabusés et surtout sans perspectives pour se battre.
La colère des travailleur·es est bien présente, face aux salaires gelés, aux licenciements qui augmentent, à la précarité qui s’aggrave. Encore faut-il qu’elle s’exprime en toute indépendance des institutions et qu’elle aspire à en finir avec ce système, à faire de la politique pour contester le pouvoir en place.
Le mouvement des Gilets Jaunes avait marqué par son côté radical, hors des appareils et des institutions, même s’il comportait des confusions politiques par son hétérogénéité. Ce mouvement a politisé bien des travailleur·es, des militant·es du mouvement, en particulier en 2019 et 2023 lors des luttes sur les retraites.
C’est une telle colère des travailleur·es que tous craignent, une colère incontrôlée consciente de ses intérêts et de ceux de toute la société, une colère de Gilets rouges, hors des institutions et du « dialogue social », exigeant « toute la boulangerie et pas des miettes » ! Discutons-en collectivement, regroupons-nous à la base pour une politique d’indépendance de classe.
Laurent Delage