La période historique de la faillite en cours du capitalisme financiarisé mondialisé ainsi que la crise politique chronique dans laquelle sont engagées les puissances capitalistes occidentales, ici l’imposture Macron-Barnier-Le Pen, posent à nouveau et en termes nouveaux la question du parti du monde du travail comme la question centrale.

Le plus souvent le mouvement révolutionnaire discute de la construction du parti de façon ahistorique, construire le parti est un impératif catégorique hors du temps, voire une œuvre messianique organisée autour de la proclamation du parti communiste révolutionnaire.

Or la possibilité que puisse se constituer un parti du monde du travail est une question concrète et historique qui ne dépend pas du seul volontarisme de quelques groupes révolutionnaires.

La génération 68 dont les conceptions et pratiques continuent de dominer le mouvement révolutionnaire est née à travers un processus historique aujourd’hui dépassé qui a cédé la place à une nouvelle époque. Elle s’est formée à travers une période particulière combinant la domination du stalinisme sur le mouvement ouvrier, les luttes de libération nationale et les guerres coloniales alors que le développement capitaliste d’après-guerre, les trente glorieuses, s’essoufflait après avoir bousculé les vieux cadres de domination de la bourgeoisie. Elle était anticolonialiste, antifasciste et anti-stalinienne sans avoir la possibilité ni la force de tracer d’autres perspectives, y compris sa fraction trotskyste qui a accommodé le trotskysme et la théorie de la révolution permanente à ses propres aspirations.

Nous sommes dans une nouvelle période qui ouvre une nouvelle phase de développement du mouvement ouvrier confronté à la crise globale du capitalisme mondialisé, terrain d’une prise de conscience de masse que le système ne marche plus, qu’il faut radicalement changer les choses, la façon dont les hommes produisent et échangent pour satisfaire leurs besoins collectifs et individuels.

La lutte à l’échelle internationale et au cœur des vieilles puissances impérialistes entre un mode de production fondé sur la propriété privée, le profit et la concurrence capitalistes, dépassé depuis des décennies déjà, et une nouvelle façon de produire et d’échanger fondée sur la coopération et la planification en fonction des besoins humains et des nécessités écologiques définit le contenu même de la période.

C’est dans ce combat que se forme une nouvelle génération, force motrice du parti de la révolution à venir, une révolution démocratique et socialiste. Pour être partie prenante de son combat, il nous faut tourner la page et anticiper les transformations à venir.

La situation politique et sociale hexagonale, composante de la situation internationale

La situation sociale et politique en France est une des expressions de cet affrontement au sein des vieilles puissances impérialistes. De la même façon que dans l’ensemble du monde capitaliste occidental, l’influence des idées réactionnaires s’exprime, ici, dans le score historique du RN, plus de 10 millions de voix aux élections législatives après son succès aux européennes, 142 députés, et bouscule les rapports de forces politiques parlementaires et dans la société.

Le déroulement de la crise politique provoquée par le score du RN aux élections européennes montre que ce n’est pas le NFP, et encore moins le front dit républicain qui a fait barrage à l’accès au gouvernement du RN mais la mobilisation populaire et surtout le fait que la prétendue dédiabolisation, inachevée, n’a pas alors suffi à imposer celui-ci à la bourgeoisie comme instrument politique de sa domination capable de restaurer la stabilité. La bourgeoisie a composé entre le NFP et le RN par l’intermédiaire de Macron le petit qui a pu un instant rêver que les JO le placent enfin en haut du podium, arbitre entre les deux forces opposées, alors que l’édifice est déjà effondré et emporte avec lui l’imposteur qui n’a eu d’autre expédient que le gouvernement Barnier après avoir écarté le NFP pour ouvrir la porte au RN.

Le processus de la crise politique est sous-tendu par le processus de régression économique et sociale, il est directement la conséquence de l’accentuation constante des inégalités dont on a aussi pu juger des effets en Grande Bretagne à travers les émeutes racistes provoquées par l’extrême-droite ou, en Allemagne, avec le succès de l’AFD. Les deux processus directement interdépendants ne peuvent que s’aggraver si le prolétariat ne s’en mêle pas et indiquent la tendance dominante de la vie politique bourgeoise qui se construit dans le soutien à la guerre d’Israël et à celle d’Ukraine au nom de la défense de « nos valeurs », celles de l’occident capitaliste.

L’accentuation des inégalités, la concentration sans limite de richesses au détriment de toute la société au sein des vieilles puissances impérialistes est une conséquence inéluctable de l’évolution du capitalisme financiarisé mondialisé dont la crise d’accumulation du capital ne trouve de réponse que dans une exacerbation de l’exploitation de l’homme et de la nature, une exacerbation de la concurrence mondialisée, de la guerre économique combinée à la mondialisation de la guerre comme mode de gestion des rapports de force dans laquelle s’inscrivent tant la guerre d’Israël que celle d’Ukraine.

Le mécanisme des surprofits impérialistes, bases matérielles de la faillite de la social-démocratie décrite par Lénine en 1914, qui ont permis aux vieilles puissances occidentales de contenir la montée révolutionnaire de 1917 puis des lendemains de la seconde guerre mondiale, a épuisé ses possibilités après l’intégration des anciens pays coloniaux au marché mondial en concurrence avec les vieux pays impérialistes et la mondialisation du marché du travail, la mise en concurrence des prolétaires de tous les pays.

Il explique l’effondrement des vieux partis issus des luttes du mouvement ouvrier, le PS et le PC. Le réformisme social-démocrate et stalinien vivant de ces surprofits n’a plus eu d’autre choix que de participer à la gestion de l’offensive libérale et impérialiste de la fin du siècle dernier pour se discréditer, complètement impuissant à apporter la moindre réponse à la régression sociale, leur démagogie nationaliste cédant la place à la politique xénophobe de l’extrême droite.

Le réformisme n’a plus de bases matérielles. Il est condamné à négocier les reculs et concessions pour, sur le fond, abdiquer de toute velléité réformiste et s’intégrer au consensus national.

Ces bouleversements sociaux et politiques rendent absurde toute politique dite de front unique avec ces organisations, la répétition de formules toutes faites, alors que la tâche du jour est d’armer politiquement la rupture du monde du travail avec la gauche institutionnelle et gouvernementale pour contribuer à créer les conditions politiques de l’émergence d’un parti révolutionnaire des travailleurs.

LFI, principale force de gauche depuis 2017, loin d’agir dans ce sens, est un sous-produit sans avenir de la décomposition de la gauche gouvernementale et de l’échec d’une fraction du mouvement révolutionnaire. Elle reste dépendante du PS et de la gauche parlementaire sans laquelle Mélenchon ne peut imaginer réaliser son rêve de devenir président.

D’où aussi la vanité de la capitulation d’Olivier Besancenot qui, en ralliant le NFP, renie sa propre histoire quand il dit pour justifier son ralliement : « On est dans une phase longue de reconstitution d’un nouveau mouvement d’émancipation, avec comme objectif, je crois, de constituer un pôle organisationnel nouveau qui soit anticapitaliste, internationaliste, qui ne cherche pas à se séparer du reste du mouvement d’émancipation mais à être le plus utile, et à dépasser les organisations existantes, y compris la nôtre. »

L’alternative à l’extrême droite ne peut naître que de la volonté de s’attaquer à la racine du mal, d’un profond mouvement de contestation de l’ordre existant postulant au pouvoir pour mettre en place un gouvernement démocratique des travailleurs pour en finir avec la politique des classes dominantes, les exproprier pour construire un mode de production socialiste.

Oui, le dépassement des organisations existantes est bien à l’ordre du jour mais sur la base d’une stratégie et d’un programme pour la transformation révolutionnaire de la société.

La courbe de développement du capitalisme et celle du mouvement ouvrier

Cette alternative, ce dépassement sont au cœur des contradictions qui travaillent et minent le système, ils s’inscrivent dans l’histoire des luttes d’émancipation et leurs bases matérielles se sont renforcées, ses prémices objectives et subjectives ont mûri avec le développement d’un nouveau prolétariat produit de la mondialisation capitaliste.

La construction d’un parti n’est pas une simple question de volonté, de proclamation communiste révolutionnaire mais bien plutôt de compréhension des évolutions sociales et politiques en cours qui conditionnent les évolutions de la lutte de classe et des consciences qui participent du processus révolutionnaire qu’il faut rendre conscient pour préparer la lutte pour le pouvoir.

Dans les limites de toute analogie, l’époque où Marx et Engels ont donné naissance au marxisme éclaire l’époque que nous connaissons de renaissance du marxisme, à condition de ne pas prendre les choses au premier degré, à la lettre pour prendre la mesure des progrès considérables réalisés par le monde du travail et dans les connaissances humaines et leur diffusion. « Le développement du sectarisme socialiste et celui du vrai mouvement ouvrier, écrivait Marx, sont toujours en rapport inverse l’un de l’autre. Tant que les sectes sont justifiées (historiquement), la classe ouvrière n’est pas encore prête à un mouvement historique indépendant. Dès qu’elles ont atteint leur majorité, toutes les sectes sont par essence réactionnaires. »[1]

Nous nous trouvons certes dans une situation radicalement différente et les sectes communistes qu’évoquent Marx étaient bien différentes des groupes sectaires nés de la balkanisation du mouvement trotskyste, mais le raisonnement de Marx peut nous aider à prendre conscience de nos propres tâches. Le long recul du mouvement ouvrier nous a contraints à trouver des formes d’organisation et de luttes qui rappellent la forme de sectes au sens où les différentes fractions du mouvement révolutionnaire se définissent par rapport à des différences d’appréciation de leur propre continuité historique, idéologique, du trotskysme, du « communisme révolutionnaire » en opposition et concurrence réciproques, privées de la possibilité de se définir démocratiquement au sein même d’un mouvement ouvrier réel par rapport auquel les révolutionnaires restent marginaux, soit sectaires soit suivistes. A défaut de pouvoir mener une politique révolutionnaire au sein d’un mouvement ouvrier passif, la révolution a pris le contenu d’une proclamation, le parti de groupes sectaires confondant leur propre vie avec celle du mouvement ouvrier, s’illusionnant sur leur capacité à donner naissance à un parti de masse par leur propre développement ou en association avec d’autres groupes sectaires.

Il n’y a pas de théorie marxiste du parti au sens où il y aurait un modèle transmis par l’histoire mais il y a une riche expérience accumulée, source d’inspiration et de culture de classe pour l’action vivante qui ne peut s’ériger en modèle sous peine de périr.

Le marxisme ne connaît aucun dogme, aucune vérité toute faite, sa méthode est historique et dialectique, elle s’applique à nous-mêmes, à la compréhension de notre propre histoire, condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, pour écrire la suite.

L’histoire des partis ouvriers s’est construite, en opposition aux sectes, comme autant de phénomènes historiques subjectifs et objectifs qui plongent leurs racines dans l’évolution sociale et ses contradictions, terrain de l’activité du prolétariat.

Le mouvement socialiste, communiste, est né au cœur même de la révolution bourgeoise dès 1792, symbolisé par Babeuf, puis s’est développé à travers le développement du capitalisme dit de libre concurrence et les révolutions de 1830, 1848, première affirmation de la classe ouvrière en rupture avec la bourgeoisie, puis, 1871, la Commune de Paris où pour la première fois la classe ouvrière conquit le pouvoir. Après 1871, alors que se mettait en place la démocratie parlementaire bourgeoise et que se développaient le colonialisme puis l’impérialisme, la classe ouvrière se donna ses premiers partis regroupés dans la Deuxième internationale jusqu’à sa faillite face à la première guerre impérialiste en 1914 qui déboucha sur la vague révolutionnaire de 1917 à 1924 et la formation de la Troisième internationale avant que la contre-révolution stalinienne et la faillite de la social-démocratie ouvrît la voie au fascisme. Commençait alors une longue période de recul marquée par la deuxième guerre mondiale puis la guerre froide malgré le puissant mouvement progressiste des luttes de libération nationale. Le prolétariat désarmé par la contre-révolution stalinienne et l’intégration de ses organisations à l’ordre établi laissait l’initiative à la bourgeoisie.

L’effondrement de l’URSS puis l’intégration des anciens pays coloniaux ouvrait la voie à une nouvelle phase de développement capitaliste, le capitalisme financiarisé mondialisé, et du développement du prolétariat mondial.

L’on peut dire que le mouvement ouvrier, jusqu’à l’effondrement de l’URSS, a connu une première longue phase de son histoire qui a profondément bouleversé le monde à travers un processus révolutionnaire démontrant sa capacité à conquérir le pouvoir pour changer la société sans avoir encore la force de mener le travail à terme, laissant le pouvoir au capital.

A travers les étapes de cette première phase, la lutte de classe révolutionnaire a été confrontée à son dévoiement réformiste qui exprime un processus d’intégration sociale en particulier grâce aux surprofits impérialistes dont les organisations ouvrières ont été à la fois effets et causes.

D’une certaine façon, le déclin de ces organisations est une expression de la fin de ce processus qui a vu la bourgeoisie et les États des pays impérialistes capables d’intégrer une fraction du prolétariat à la nation bourgeoise de sorte d’empêcher tout processus révolutionnaire.

L’originalité du parti bolchévik est le produit de conditions historiques combinant le développement ouvrier européen socialiste avec des conditions sociales et politiques qui rendaient impossible un développement pacifique du mouvement ouvrier du fait du régime autocratique de la Russie tsariste. La Troisième internationale n’a pas eu ni le temps ni, en fait, les moyens de transmettre sous une forme vivante et démocratique cet apport de portée historique de la révolution russe avant d’être transformée en appendice international de la bureaucratie stalinienne. La tâche en revint à Trotsky et ses camarades dans des conditions historiques dramatiques. Après la deuxième guerre mondiale alors que la domination stalinienne sur le mouvement ouvrier se renforçait, la IVème Internationale transmit le drapeau démontrant la fécondité des idées du trotskysme sans cependant ouvrir la route ne serait-ce qu’à l’ébauche de la construction de partis des travailleurs.

Aujourd’hui, le renouveau du mouvement ouvrier révolutionnaire est en gestation au cœur de la crise chronique, la marche à la faillite du capitalisme financiarisé mondialisé qui rend impossible l’intégration sociale et politique du prolétariat. La lutte de classe porte en elle l’émergence de nouveaux partis de la classe ouvrière du simple fait que les conditions de la phase de décadence du capitalisme en route vers son effondrement ne laissent pas d’autres possibilités.

La période ouverte par la crise de 2007-2008 et les révoltes arabes de 2011 est celle d’un affrontement mondialisé entre l’oligarchie financière qui veut dominer le monde et le prolétariat mondialisé dans sa riche diversité pour imposer une nouvelle façon de produire et d’échanger en liquidant la propriété capitaliste pour mettre en place un mode de production et d’échange fondé sur la planification démocratique, socialiste.

Il nous faut parler aujourd’hui de renaissance au sens où les vieux partis nés des différentes phases passées du mouvement ouvrier se sont effondrés et intégrés à l’ordre bourgeois sans retour possible. Cette renaissance vise à répondre aux besoins nés de la nouvelle période c’est-à-dire par l’élaboration d’une stratégie pour, à partir du mouvement existant, rompre avec le sectarisme pour mettre à l’ordre du jour la perspective d’un parti révolutionnaire des travailleurs.

Pour la première fois de l’histoire, les conditions objectives et subjectives rendent possible la réalisation pratique des anticipations de Marx, une transformation révolutionnaire mondiale

La première phase du développement du mouvement ouvrier a débouché sur un recul du marxisme caricaturé par les dictatures staliniennes et des dirigeants des dictatures nationalistes des anciens pays coloniaux qui avaient usurpé le drapeau du communisme pour mieux duper les masses. C’est un élément majeur de la situation qui définit nos tâches aujourd’hui d’autant qu’il rentre en pleine contradiction, paradoxe, avec une autre caractéristique essentielle de la période, jamais dans l’histoire les conditions objectives et subjectives d’une transformation révolutionnaire mondiale n’ont été aussi développées.

Redonner leur crédit et leur dimension démocratique et émancipatrice aux idées du socialisme et du communisme combine l’explication de leurs échecs relatifs dans le passé pour leur redonner leur potentiel réel, pouvoir expliquer l’époque moderne et les nouvelles possibilités révolutionnaires qu’elle ouvre.

Dit autrement, il s’agit de prendre en compte l’évolution du capitalisme depuis la formation de l’impérialisme et de son analyse au début du XX° siècle par le courant marxiste, en particulier par Lénine, pour décrire en quoi le capitalisme aujourd’hui, les évolutions dont il est l’aboutissement, confirment les analyses marxistes malgré les échecs du mouvement ouvrier, donc, préparent les conditions d’une nouvelle montée révolutionnaire et en conséquence en quoi ces évolutions ont mûri les prémices objectives et subjectives du socialisme et les implications stratégiques, programmatiques qui en découlent.

La nouvelle époque au regard de la courbe du développement du capitalisme se définit par l’incapacité de l’oligarchie financière de répondre à la crise d’accumulation, cette maladie chronique du capitalisme qui atteint un stade qui semble sans issue.

L’actualité fait de l’apport de Rosa Luxembourg dans son livre L’accumulation du capital [2], écrit en 1913, un élément déterminant pour comprendre les limites historiques atteintes par le capitalisme en mettant en évidence les limites, voire l’impossibilité de l’accumulation dans un monde entièrement dominé par la production capitaliste. Rosa Luxembourg mettait le doigt sur la nécessité pour le capitalisme d’intégrer des territoires non capitalistes pour étendre le marché et la production, lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit.

Cette question qui, alors, apparaissait annexe au regard des enjeux de la discussion portée par Lénine, en pleine guerre mondiale, nous permet de mieux comprendre comment l’évolution du capitalisme se heurte aujourd’hui au fait que la mondialisation l’a étendu et imposé à l’ensemble de la planète aggravant la maladie de la crise d’accumulation du capital qui atteint ses limites ultimes.

Le capitalisme financiarisé mondialisé a renforcé et globalisé les traits du parasitisme de l’impérialisme décrit par Lénine, la mise en concurrence des travailleurs à l’échelle internationale a ruiné les surprofits impérialistes à l’origine du réformisme. La nature autoritaire, autocratique du capitalisme qui s’exprime dans la montée de l’extrême droite, voire dans une menace d’un nouveau fascisme, donne toute sa puissance au marxisme, à la théorie de la lutte de classe et de la révolution permanente. 

La démarche transitoire formulée dans le programme de transition trop souvent et trop longtemps réduite à des revendications transitoires prend aujourd’hui toute sa portée révolutionnaire en construisant le lien entre toutes les questions sociales, démocratiques, écologiques et la lutte pour la conquête du pouvoir, la lutte pour le socialisme. Notre propagande et notre agitation doivent lui redonner toute sa place.

« Nos tâches politiques », « Que faire ? » et « Questions d’organisation... » concernant le mouvement révolutionnaire aujourd’hui

La renaissance du mouvement ouvrier révolutionnaire pose aussi en termes nouveaux les questions d’organisation le plus souvent abordées de façon dogmatique, réduites aux principes du centralisme démocratique, pierre philosophale du parti dit « de type bolchevique », néanmoins à géométrie variable… Les différents courants révolutionnaires, chacun à sa façon, se considèrent comme dépositaires de l’expérience du Que Faire ? de Lénine dont Trotsky aurait été le continuateur. Centralisme qui s’est vidé en réalité de tout dynamisme démocratique et en interne et en externe dans les relations au sein des différentes fractions, entre les différents courants et le reste du mouvent ouvrier.

Elle réduit l’expérience du mouvement révolutionnaire à des conclusions figées formulées en réponse au stalinisme mais ainsi vidée de l’essentiel, la richesse des débats, en particulier du débat qui s’est développé au sein de la Deuxième internationale en 1904 autour de ces questions opposant Lénine, Rosa Luxembourg et Trotsky. Leurs divergences auraient été tranchées par l’histoire alors que pas plus Lénine que Rosa Luxembourg ou Trotsky ne pensaient un instant formuler un modèle toujours valable plus d’un siècle après, une sorte de science-fiction pour un futur militant en imaginant l’échec de la révolution ! Une sorte de dystopie révolutionnaire !

Dans un article paru en 1904 dans l’Iskra, organe de la social-démocratie russe, et dans Die Neue Zeit revue théorique de la social-démocratie allemande sous le titre « Questions d’organisation de la social-démocratie russe »[3]3, Rosa Luxembourg critique les conceptions d’organisation du parti développées par Lénine dans Un pas en avant, deux pas en arrière [4] dans la continuité de Que faire ?.[5] 

« L’esprit de caserne de l’ultra-centralisme préconisé par Lénine et ses amis n’est pas le produit d’errements fortuits : il se rattache à la lutte contre l’opportunisme poussée par Lénine jusque sur le terrain des plus minutieux détails de l’organisation. 

Il s’agit, dit Lénine, « de forger une arme plus ou moins tranchante contre l’opportunisme. Et l’arme doit être d’autant plus efficace que les racines de l’opportunisme sont plus profondes ».

De même, Lénine voit dans les pouvoirs absolus qu’il décerne au comité central et dans le mur qu’il élève autour du parti une digue contre l’opportunisme dont les manifestations spécifiques proviennent, à son avis, du penchant inné de l’intellectuel vers l’autonomisme et la désorganisation, de son aversion à l’égard de la stricte discipline et de tout « bureaucratisme » pourtant nécessaire dans la vie du parti.

Le mouvement socialiste est, dans l’histoire des sociétés fondées sur l’antagonisme des classes, le premier qui compte, dans toutes ses phases et dans toute sa marche, sur l’organisation et sur l’action directe et autonome de la masse.

Sous ce rapport la démocratie socialiste crée un type d’organisation totalement différent de celui des mouvements socialistes antérieurs, par exemple, les mouvements du type jacobin-blanquiste.

Elle surgit historiquement de la lutte de classes élémentaire. Et elle se meut dans cette contradiction dialectique que ce n’est qu’au cours de la lutte que l’armée du prolétariat se recrute et qu’elle prend conscience des buts de cette lutte. L’organisation, les progrès de la conscience et le combat ne sont pas des phases particulières, séparées dans le temps et mécaniquement, comme dans le mouvement blanquiste, mais au contraire des aspects divers d’un seul et même processus. […] En vérité la social-démocratie n’est pas liée à l’organisation de la classe ouvrière, elle est le mouvement propre de la classe ouvrière. Il faut donc que le centralisme de la social-démocratie soit d’une nature essentiellement différente du centralisme blanquiste. Il ne saurait être autre chose que la concentration impérieuse de la volonté de l’avant-garde consciente et militante de la classe ouvrière vis-à-vis de ses groupes et individus. […] Mais rien n’est plus contraire à l’esprit du marxisme, à sa méthode de pensée historico-dialectique, que de séparer les phénomènes du sol historique d’où ils surgissent et d’en faire des schémas abstraits d’une portée absolue et générale. »

Cette longue citation nous semble utile parce qu’elle illustre la nature des discussions entre dirigeants révolutionnaires au sein de la social-démocratie et définit le fond de leur conception en montrant l’erreur de celles et ceux qui font de la démarche de Lénine une recette organisationnelle hors d’un mouvement vivant. Elle nous permet, plus d’un siècle plus tard après la longue période de recul, de mieux saisir les préoccupations communes de Rosa Luxembourg et de Lénine et… nos propres erreurs.

Trotsky reprend dans son livre écrit en 1904, Nos tâches politiques [6], sans aucun doute son ouvrage le moins connu et le moins lu des militants trotskystes, les mêmes conceptions que celles défendues par Rosa. En particulier, il critique le militant « pédagogue ».

« Il n’a pas le sentiment, et encore moins la conscience, que sa tâche consiste à armer idéologiquement les ouvriers de son cercle, à leur transmettre le bagage de faits et d’idées qui leur permettent de s’orienter immédiatement dans tous les événements survenant dans la ville, le pays, le monde entier ; qu’il doit leur apprendre non seulement à s’orienter tout seuls, mais aussi à être capables d’utiliser tous les événements comme matériel vivant pour l’agitation. Le propagandiste, pourtant, n’a qu’une chose à l’esprit : on lui a demandé de faire un « cours » aux ouvriers. Et si la crise industrielle, le Congrès socialiste international, ou la Guerre contre le Japon le surprennent pendant sa leçon sur l’émancipation des paysans, il écartera la question de la guerre et continuera, comme avant, à expliquer l’histoire de la réforme agraire. Comme si les ouvriers étaient des élèves qui doivent se préparer à un examen en suivant un « cours » et non pas des personnes politiquement actives ! »

Trotsky reviendra sur ses critiques de jeunesse de Lénine tout en soulignant que Lénine fut, de fait, confronté au problème qu’il exposait dans sa lutte contre « les comitards » quelques années plus tard.

Lénine quant à lui se défendait des critiques qui lui étaient faites en rappelant le contenu pratique de la discussion :

« La camarade Luxemburg présume, de cette façon, que je défends un certain système d’organisation contre un certain autre. Mais la réalité est différente. Tout au long du livre, de la première à la dernière page, je défends les principes élémentaires de tout système d’organisation du Parti quel qu’il soit. Mon livre analyse non la différence entre tel ou tel système d’organisation, mais la façon dont il faut soutenir, critiquer et corriger tout système, sans contrevenir aux principes du Parti. »[7]

Lénine ne prétendait pas écrire une bible organisationnelle mais bien discuter des modalités d’organisation en fonction des besoins du mouvement réel qui se développait dans la Russie tsariste combinant les questions sociales et démocratiques.

Loin de prétendre ériger l’expérience en recette nous avons besoin d’assimiler son contenu, ce qu’elle donne à voir d’un mouvement vivant animé d’une conception marxiste. La relation entre développement du mouvement réel du prolétariat et son organisation n’est pas une question formelle, question qu’il nous faut remettre sur l’établi en fonction de la période, du mouvement des masses et de l’état du mouvement révolutionnaire.

Par où commencer pour impulser une dynamique unitaire, démocratique et révolutionnaire

C’est dans ce sens que nous militons pour une refondation démocratique du mouvement révolutionnaire, refondation qui exige, pour reprendre la formule de Gramsci, « la conscience critique de soi » qui commence par la prise en compte du gâchis que représente notre propre histoire d’exclusions, de scissions, de sectarisme qui alimente mécaniquement l’opportunisme et réciproquement. Anticiper les développements à venir malgré le désarroi qui domine dans le monde du travail implique, en premier lieu, de dépasser cette crise du mouvement révolutionnaire en s’appuyant sur les capacités d’initiative de la jeunesse, la nouvelle génération qui cherche une réponse globale tant à la question sociale, démocratique, écologique qu’à la guerre.

Les différentes fractions révolutionnaires ne sont pas avares en conseils pour les travailleurs, peut-être faudrait-il commencer par élaborer des réponses à notre propre crise.

Le point de départ est de rompre avec cette logique de secte pour revenir à des conceptions que défendaient Lutte ouvrière et la LCR après 68 se considérant comme deux tendances d’un même parti même si par la suite l’une et l’autre se sont avérées incapables de conduire leur politique jusqu’à leur propre dépassement, prisonnières des limites du mouvement révolutionnaire et de la tension sectarisme-opportunisme dont elles ont au final été victimes. Faut-il rappeler qu’après l’élection présidentielle de 1995, LO avait refusé la proposition de la LCR de s’associer à la démarche de l’appel d’Arlette Laguiller à la construction d’un parti des travailleurs et qu’en 1999, la liste commune LO-LCR aux élections européennes qui avait obtenu 5,18 % des voix et 5 sièges au Parlement européen n’avait en rien représenté un pas vers l’unité des deux organisations, alors que, trois ans plus tard, Arlette Laguiller et Olivier Besancenot recueillaient respectivement 5,72 % et 4,25 % des suffrages, soit plus de 2,8 millions de voix dont LO et la LCR ne firent rien. Notre exclusion de LO en avril 1997 consacrait une évolution de l’organisation rompant avec sa politique unitaire. La LCR avec laquelle nous avions fusionné en juin 2000 tenta d’apporter une réponse à cet échec par la fondation du NPA, dénoncée comme opportuniste par LO qui lui tourna le dos plutôt que d’y prendre ses responsabilités comme elle y était invitée, contribuant ainsi à son échec.

L’axiome de départ de toute politique de refondation du mouvement révolutionnaire est de considérer que les révolutionnaires n’ont pas d’intérêts différents que ceux de l’ensemble du mouvement et que les différentes tendances qui le composent sont des courants d’un même parti qui n’ont d’autre vue que de représenter l’intérêt général du mouvement comme ceux des travailleurs dans une politique unitaire et démocratique.

Pour reprendre les mots éclairants de Trotsky en octobre 1934[8] cités par Lutte ouvrière dans un texte intitulé Bordiguisme et trotskysme[9], il s’agit de « se libérer radicalement des résidus sectaires qui nous restent comme héritage de la période purement propagandiste » pour anticiper les luttes de classes à venir.

Le combat pour l’unité de la classe ouvrière contre les forces réactionnaires passe par le combat pour l’unité des forces du marxisme, pour unifier les militants des différentes fractions révolutionnaires, lier les différents groupes locaux entre eux en particulier au niveau de l’intervention locale, réunir dans le même cadre organisationnel toutes celles et ceux qui veulent mener la bataille pour les droits sociaux et démocratiques, lutter contre la guerre et pour le socialisme et le communisme et se considèrent donc comme les membres d’un même parti. Le développement du mouvement révolutionnaire au sein du monde du travail ne se résume pas à « aller à la porte des entreprises », il est d’abord et avant tout une bataille politique d’agitation et de propagande pour gagner une fraction de la classe ouvrière à sa propre politique.

Il ne s’agit pas de prétendre construire un pôle des révolutionnaires qui serait une simple alliance entre groupes sectaires, un groupe sectaire plus gros. Une politique pour la construction d’un parti des travailleurs est indissociable de la lutte au sein de chaque courant et fraction pour un fonctionnement interne démocratique en réponse au conservatisme inhérent à tout appareil qui secrète sa propre routine, fonctionnement qui est la condition de la capacité à créer avec les autres courants ainsi qu’au sein de la classe ouvrière des relations démocratiques.

Le centralisme démocratique n’a jamais signifié pour Lénine et Trotsky un quelconque monolithisme qui est, en fait, un effet secondaire de l’environnement stalinien. Il inclut un droit de tendance et de fraction vivant, suscite la discussion et la confrontation des idées, ne craint pas l’affirmation de personnalités ni de politiques différentes dans le cadre de l’orientation générale et du programme du parti.

La principale leçon de l’histoire du mouvement révolutionnaire pour nous aujourd’hui est que tout commence par l’analyse concrète du développement du capitalisme, du mouvement de masse pour formuler une politique, une stratégie répondant aux besoins de la période. Il n’est pas possible de répéter les formules toutes faites du passé, de se contenter de dénonciations plus ou moins radicales associées à des proclamations « communistes révolutionnaires » hors du temps. Nous avons besoin de prendre à bras le corps la discussion sur la période et nos tâches et, pour cela, de rompre avec le conservatisme inhérent à la perpétuation de chaque fraction.

Ne pas le faire serait tourner le dos à nos responsabilités collectives et décevoir, abandonner à la politique de LFI celles et ceux qui souhaitent participer à la naissance d’un mouvement de masse de contestation du capitalisme, qui ont le sentiment et la conscience de participer à un mouvement collectif d’émancipation qui répond tout autant aux besoins de l’humanité, à une nécessité historique inscrite dans l’évolution des sociétés humaines qu’à ses propres besoins humains de liberté, de solidarité, de capacité à prendre sa part dans un combat collectif.

La critique gauchiste d’un réformisme sans avenir ne convainc que des esprits sectaires si elle ne repose pas sur une activité collective unitaire, démocratique, révolutionnaire encourageant toutes les initiatives.

La tâche de construire un parti démocratique, révolutionnaire des travailleuses et des travailleurs ne peut être l’œuvre de telle ou telle tendance ou fraction mais l’œuvre collective de l’ensemble des militant.es décidé.es à agir pour que le monde du travail se donne les moyens, l’instrument de son émancipation.

Démocratie révolutionnaire

[1] Marx, Lettre à Bolte, 1871 https://www.marxists.org/francais/marx/works/1871/11/kmfe18711123.htm

[2] https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1913/index.htm

[3] https://www.marxists.org/francais/luxembur/c_et_d/c_et_d_1.htm

[4] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1904/05/vil19040500.htm

[5] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1902/02/19020200e.htm

[6] https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1904/nostachespolitiques/sommaire.htm

[7] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1904/09/vil19040915.htm

[8] https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1934/10/taches.pdf

[9] https://www.lutte-ouvriere.org/mensuel/article/2017-09-17-bordiguisme-et-trotskysme_96557.html

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