Dix ans sont passés depuis l’éclatement, aux États-Unis, de la crise des « subprimes » et la série d’effondrements boursiers, bancaires, économiques qui avaient suivi. Les États des grandes puissances étaient alors intervenus pour sauver le système financier à coup de milliers de milliards empruntés à ces mêmes banques dont les spéculations et l’avidité étaient à l’origine de la crise. L’endettement public qui en résultait débouchait, en 2010, sur la crise de la dette publique européenne, avec comme conséquence l’accentuation des politiques d’austérité qui se poursuivent toujours aujourd’hui. Les banques centrales, particulièrement la Banque centrale européenne et la FED américaine, avaient pris ensuite le relai des États. Avec la politique de « quantitative easing », « QE », elles ont injecté dans les banques privées des milliers de milliards sous couvert de leur racheter des titres de dette d’Etat ayant perdu une bonne part de leur valeur.
Malgré les sommes considérables englouties, ces politiques se poursuivent aujourd’hui.
Du 24 au 26 août se tenait à Jackson Hole, aux États-Unis, la réunion annuelle des directeurs de banques centrales. Le monde de la finance était suspendu aux déclarations qu’y feraient Mario Draghi et Janet Yellen, respectivement patrons de la BCE et de la FED, dans l’attente d’informations concernant la poursuite ou non, et à quelles conditions, des politiques de taux directeurs très faibles et de « QE ». Mais Yellen et Draghi étaient restés muets sur ces sujets, se contentant de prendre position contre les politiques protectionnistes et pour le maintien des politiques dites de régulation financière dont ils sont les acteurs principaux quoique bien peu efficaces.
La réponse de Draghi est tombée ce jeudi : dans la zone euro, les taux directeurs seront maintenus à leur niveau actuel, et la BCE continuera jusqu’à nouvel ordre d’offrir 60 milliards d’euros par mois aux banques en échange de leurs titres pourris… A défaut d'avoir des réponses à leur crise, les capitalistes foncent aveuglément à coups de milliards de subventions qui entretiennent leurs profits vers une prochaine crise financière.
Capitalisme en panne
La décision de la BCE est révélatrice des incertitudes qui règnent dans les sommets de la bourgeoisie internationale, de l’instabilité du système capitalisme mondialisé, de son incapacité en fait à sortir de la crise globale dans laquelle il est entré il y a dix ans. Elle montre également à quel point la crainte d’un nouvel effondrement financier, l’explosion des bulles spéculatives qui n’ont cessé de se reconstituer au cours des années de crise, tétanise les « grands argentiers ».
Cette incertitude se traduit sur les marchés financiers : en début de semaine, les bourses européennes étaient à la baisse, le prix de l’or à la hausse ; les cours du pétrole continuent de stagner, ceux des matières premières baissent… Dans la guerre monétaire que se livrent les grandes puissances, l’euro est reparti à la hausse par rapport au dollar. Ce regain de « santé » désavantage en fait les entreprises européennes sur les marchés internationaux et remet en cause les prévisions du FMI qui revoyait à la hausse, fin juillet, les perspectives de croissance pour la France, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne.
Raté pour Draghi qui n’avait pas manqué, à Jackson Hole, de s’attribuer, ça n’engage à rien, le mérite de cette perspective optimiste… Lucide, il avait cependant ajouté que, dans la zone euro, les « capacités excédentaires de main-d’œuvre freinaient la croissance des salaires et donc de l’inflation »… Une façon cynique de reconnaître que les milliards versés aux banques, s’ils ont pour l’instant évité un nouvel effondrement financier, et surtout permis aux grands groupes financiers d’afficher des résultats et des dividendes mirobolants tout en accumulant de nouveaux risques spéculatifs, n’ont rien réglé sur le fond, l’économie est en quasi stagnation, le chômage et la précarité sont en hausse, les salaires stagnent ou reculent.
En même temps, Draghi définit ainsi, d’une certaine façon, la contradiction centrale dans laquelle est enfermé le capitalisme mondial en faillite : la course au profit et la concurrence entraînent des « capacités excédentaires de main d’œuvre », autrement dit un chômage de masse qui fait baisser les salaires, le prix du pétrole et des matières premières et en fin de compte, conduit à la stagnation.
Chômage de masse auquel il faut ajouter la précarisation du travail, les reculs imposés aux salaires directs et indirects, la mise en concurrence internationale des travailleurs qui ont accompagné l’expansion mondiale du capitalisme au cours des quatre dernières décennies et se sont poursuivis de plus belle depuis dix ans sous prétexte de « sortir de la crise ». L’ensemble, en fait, des attaques dont sont l’objet la classe ouvrière et les peuples de la part des multinationales et des États.
Le bilan de ces politiques systématiques et continues de régression sociale visant à restaurer les profits en prenant sur les salaires est là : la productivité du travail, rapport du nombre de marchandises produites au nombre d’heures travaillées, n’augmente pratiquement plus aujourd’hui dans les grandes puissances industrielles, alors que les innovations technologiques devraient au contraire la démultiplier. La croissance économique ralentit y compris dans les pays émergents dans lesquels certains économistes voyaient il n’y a pas si longtemps, les « moteurs qui tireraient l’économie mondiale ».
Celle-ci se heurte de fait à la stagnation globale du marché solvable. Les bourgeoisies se livrent une concurrence acharnée, spéculent à tout va. Et redoublent leurs offensives contre les travailleurs. La seule croissance qui les intéresse vraiment, c’est celle de leurs profits, et dans une économie qui stagne, la seule façon d’assurer les profits, c’est d’exploiter toujours plus les travailleurs… En France, la tâche de mener l’offensive revient à Macron.
Macron, fils de dix ans de crise
Macron est arrivé au pouvoir porté par l’épuisement politique de la droite et de la gauche. Il assure la succession aujourd’hui pour mener et aggraver la même politique.
Toutes les mesures qu’il tente d’imposer dans l’urgence visent à permettre à la bourgeoisie française de maintenir ses profits malgré la stagnation économique, tout en essayant de restaurer, autant que faire se peut, la compétitivité des entreprises vis-à-vis de leur concurrence.
Une série de ces réformes porte sur la fiscalité, accentuant le transfert d’argent des plus pauvres vers les plus riches. Un autre volet vise à augmenter la productivité du travail en permettant au patronat d’ajuster le plus rapidement possible et à moindre frais les « ressources humaines » aux besoins de la production. Les gouvernements précédents s’étaient employés à répondre à ces aspirations du patronat. Macron, avec ses ordonnances, prétend faire franchir un grand pas au « dossier ». De quoi remonter le « moral des patrons », cet indice sur lequel s’appuient les instituts de conjoncture pour établir leurs perspectives.
Mais le « moral des patrons » ne suffira pas à inverser la tendance économique de fond. Ce que prépare la politique de Macron, c’est une régression sociale sans précédent qui ne peut se traduire que par de nouvelles régressions économiques. Ici comme ailleurs en Europe et dans le monde, la politique de la bourgeoisie prépare un nouvel épisode aigu de sa crise.
Daniel Minvielle