La célébration du soixantième anniversaire de la reconnaissance par De Gaulle, en 1964, de la République populaire de Chine, la Chine de Mao, et de l’ouverture de relations diplomatiques franco-chinoises, a été l’occasion, les 6 et 7 mai, d’une rencontre entre Xi Jinping et Macron. Macron a tenté de poser au représentant de l’Europe en appelant la présidente de la Commission européenne à la rescousse lors de leur première rencontre pour discuter guerre commerciale et guerre d’Ukraine. Ursula Von der Leyen a planté le décor : « Comme nous l’avons déjà montré, nous défendrons nos entreprises, nous défendrons nos économies. Nous n’hésiterons jamais à le faire lorsque cela sera nécessaire », pour demander à la Chine de réduire « ses surcapacités industrielles » : « Alors que la demande intérieure chinoise n’augmente pas, le monde ne peut pas absorber la production excédentaire de la Chine ». Macron a lui joué sa partition du « en même temps » pour tenter de prendre de la hauteur et défendre une concurrence « loyale » prenant en compte la réalité de « l’ordre du monde » au nom d’une politique de « réciprocité » et de « réindustrialisation » sans écarter une « protection ». Tout et son contraire en espérant que l’emphase et la mise en scène puissent donner un peu de crédibilité à sa politique fantaisiste sinon vis-à-vis de Xi Jinping, du moins vis-à-vis des électeurs alors que la candidate de Renaissance pour les européennes voit avec angoisse la perspective du crash...

Après le Tourmalet, Xi Jinping a poursuivi sa tournée à Belgrade, en Serbie, dont le président Aleksandar Vucic est « un ami indéfectible ». Il y a inauguré le plus grand centre culturel chinois en Europe en un lieu pour le moins symbolique, là où des avions américains opérant dans le cadre de l’Otan avait bombardé, le 7 mai 1999, l’ambassade de Chine lors de la guerre du Kosovo, tuant trois journalistes chinois. La Serbie est devenue un allié clé dans le projet des « nouvelles routes de la soie ». Puis, Xi Jinping a passé trois jours en Hongrie, partenaire privilégié de Pékin dans l’UE où BYD, le champion chinois de la voiture électrique, doit ouvrir sa première usine européenne.

En associant la France, la Serbie et la Hongrie dans sa première tournée européenne depuis 2019, Xi Jinping dessine sa stratégie dans laquelle la France occupe une place ambivalente du fait des prétentions de Macron à l’autonomie dans l’UE ainsi que vis-à-vis des États-Unis et de l’Otan.

Xi Jinping voudrait se dégager des pressions commerciales et géopolitiques des États-Unis pour préserver des alliés en Europe, de nouveaux marchés potentiels en retour de la promesse d’ouvrir les marchés chinois aux entreprises occidentales et pour cela préserver un équilibre improbable sur la guerre d’Ukraine.

Avec sa propre méthode Xi Jinping exerce sa pression économique en réponse à la guerre commerciale engagée par les USA. Des manœuvres diplomatiques aux effets immédiats limités, un appel de Xi Jinping et Macron à « une trêve olympique » dans les guerres à l’occasion des Jeux de Paris cet été et la promesse que les cognacs ne seraient, à ce stade, pas surtaxés par Pékin...

La concurrence pas plus libre que non faussée !

Macron a appelé à des « règles équitables pour tous » dans les échanges commerciaux entre l’Europe et la Chine. « L’avenir de notre continent dépendra très clairement aussi de notre capacité à continuer à développer de manière équilibrée les relations avec la Chine » dit-il dans un entretien à The Economist, « la Chine est devenue surcapacitaire » et elle « n’est plus forcément, en tout cas massivement, un grand marché d’export depuis l’Europe ». L’Europe doit suivre le mouvement en subventionnant à son tour ses « secteurs critiques », promotionnant sa politique dite de réindustrialisation dont personne ne voit concrètement les effets. Pour l’UE comme pour la France il s’agit de réduire le déficit commercial en hausse ces dernières années.

Pour lutter contre ces dites surcapacités industrielles du premier exportateur de la planète, l’UE multiplie les enquêtes sur les pratiques commerciales chinoises pour traquer les subventions à l’exportation des véhicules électriques, chemins de fer, panneaux solaires et batteries, dispositifs médicaux en vue d’éventuelles rétorsions.

Il s’agit de mesures protectionnistes dont les USA ont pris l’initiative auxquels Xi Jinping répond que « le prétendu problème des surcapacités chinoises n’existe pas » et que « l’industrie chinoise des nouvelles énergies » permettait au contraire « d’accroître l’offre mondiale et d’atténuer la pression de l’inflation mondiale » vantant les bas coûts de production de la Chine.

Si l’Union européenne et la France cherchent à se protéger des exportations chinoises, elles n’ont pas les moyens de s’aventurer sur le même chemin protectionniste mis en route par Trump puis par Biden avec la politique de subvention massive à l’industrie du plan « Inflation reduction act » (IRA). Au contraire même, la France tient un double discours en sollicitant des investissements et usines chinoises ainsi que le dit Le Maire : « Nous souhaitons des investissements chinois sur le territoire français pour créer de l’emploi, et plus globalement de toutes les entreprises chinoises ayant accès à des technologies de pointe ». Dans le même temps, Macron est l’un des plus fervents défenseurs de l’enquête protectionniste lancée par la Commission européenne sur les subventions publiques chinoises à ses constructeurs automobiles...

En réalité, depuis les années 1990 qui l’ont vue intégrer pleinement le marché capitaliste, la Chine a toujours été « surcapacitaire ». Devenant l’atelier du monde, sa production était tournée vers l’exportation grâce à des subventions massives en relation même avec la politique menée par les USA, leurs besoins. Et elle contribuait par la mise en concurrence des travailleurs sur un marché mondialisé à faire pression sur les salaires directs et indirects contribuant ainsi à lutter contre la baisse de rentabilité du capital.

Ce qui a changé, c’est que la politique économique de la Chine est bien moins intégrée dans la logique économique du capitalisme occidental, bien moins sous sa domination et qu’elle s’est puissamment développée alors que les pays riches connaissent un ralentissement de la croissance, un rétrécissement du marché. Les surcapacités, la politique d’exportation de la Chine, non seulement n’étaient plus aussi bénéfiques pour les vieilles puissances impérialistes mais elles devenaient une source de concurrence, de difficultés supplémentaires, d’où les mesures protectionnistes des USA suivies par l’UE, la guerre commerciale et économique.

Libre marché, guerre économique et guerre tout court

La conséquence de ces évolutions et tensions sur le marché mondial, de cette guerre commerciale est la montée du militarisme, la guerre étant une arme dans la concurrence économique qui oppose les nations sur le marché mondial capitaliste. La guerre d’Ukraine ainsi que la guerre d’Israël s’inscrivent dans cette exacerbation des tensions internationales dont la mer de Chine est aussi le lieu autour de Taïwan. D’où le souci de s’assurer que la Chine, principale alliée de Poutine, ne bascule pas dans un soutien à son effort de guerre face à Kiev. En la matière, Xi Jinping a une stratégie cohérente. Dans une tribune publiée dans les colonnes du Figaro il déclarait : « Nous comprenons le bouleversement qu’engendre la crise ukrainienne pour les Européens. La Chine n’est pas à l’origine de cette crise, et elle n’y est pas non plus partie ou participante. [...] Nous espérons que la paix et la stabilité reviendront rapidement en Europe, et entendons œuvrer avec la France et toute la communauté internationale à trouver de bonnes pistes pour résoudre la crise ».

« Nous nous opposons à l’utilisation de la crise ukrainienne pour jeter la responsabilité sur d’autres, salir un pays tiers et déclencher une nouvelle guerre froide ». Pour lui, une « conférence internationale » devrait réunir Russes et Ukrainiens pour tenter de trouver une sortie négociée à la guerre. Une politique qui tranche avec celle défendue par Macron déclarant il y a peu : « J’ai un objectif stratégique clair : la Russie ne peut pas gagner en Ukraine. Si la Russie gagne en Ukraine, nous n’aurons plus de sécurité en Europe. Qui peut prétendre que la Russie va s’arrêter là ? Quelle sécurité pour les autres pays avoisinants, la Moldavie, la Roumanie, la Pologne, la Lituanie et tant d’autres ? Et derrière, quelle crédibilité pour les Européens qui auraient dépensé des milliards, qui auraient dit que c’est la survie du continent qui se jouait là et qui ne se seraient pas donnés les moyens de stopper la Russie ? Donc oui, nous ne devons rien exclure ».

De tels propos bellicistes laissent Xi Jinping de marbre lui qui n’a jamais condamné l’invasion russe en Ukraine et se revendique de « l’amitié sans limites » nouée avec la Russie. Poutine est attendu ce mois-ci à Pékin alors que le volume des échanges entre les deux pays a augmenté de près de 30 % en 2022. La Russie est devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine.

Rivalités, concurrence, guerres capitalistes, une impasse historique. L’avenir pour l’humanité, la mondialisation socialiste

« La tension majeure qui redessine notre époque en cette décennie 2020 entre les États-Unis et la Chine, écrit Romaric Godin dans Une rivalité au cœur du capitalisme contemporain, postface du livre Chine-USA, le capitalisme contre la mondialisation de Benjamin Bürbaumer [1], n’est pas le fruit de l’irascibilité de Donald Trump ou de la folie dictatoriale de Xi Jinping ; elle est l’aboutissement d’un long processus économique qui a permis à la Chine de sortir du sous-développement dans l’intérêt du capital états-unien.

Dans ce processus, la Chine a commencé par jouer pleinement le jeu. Elle a été le moteur de ce nœud « mondialisation-financiarisation » qui a permis de sauver le capitalisme occidental et son centre états-unien après la crise profonde des années 1970. Mais, ce que montre l’auteur, c’est qu’elle n’a jamais cessé de jouer un rôle propre. Alors, quand, après 2008, la gestion états-unienne du capitalisme est à nouveau entrée en crise et que cette crise a atteint la Chine même, cette dernière a logiquement cherché à imposer ses propres règles.

Ce sont donc bien les logiques et les contradictions du capitalisme qui ont façonné le nouvel ordre mondial qui se met en place. ». Il développe : « Cette reconfiguration annonce donc la deuxième crise hégémonique du capitalisme. Mais, là encore, la situation est très différente de celle qui a vu l’effacement de la domination britannique au profit de celle des États-Unis. La transition s’était alors imposée comme une évidence tant le Royaume-Uni était affaibli. Le changement d’hégémonie avait accompagné, plus que déclenché, les évolutions internes du capitalisme.

Dans le cas de la rivalité sino-états-unienne actuelle, la transition ne saurait être volontaire. […] La Chine ne peut donc envisager de prendre le leadership au sein du capitalisme mondial qu’en « écartant » l’hégémonie états-unienne encore solidement établie et qui n’est, de son côté, pas disposée à se laisser faire. Encore relativement faible par rapport à son rival et intégré à celui-ci de manière subordonnée, le capitalisme chinois a cependant pour lui une dynamique d’expansion économique telle que le monde n’en a jamais connue. Celle-ci est d’autant plus puissante qu’elle s’adosse à une base géographique et démographique immense, s’inscrivant dans un mouvement qui semble guider le déplacement du capitalisme mondial vers des centres hégémoniques toujours plus vastes. »

Rien ne dit cependant que la Chine de Xi Jinping ait l’ambition « de prendre le leadership au sein du capitalisme mondial ». Vouloir jouer son rôle de deuxième puissance capitaliste mondiale, refuser la domination des USA et de leurs alliés, leur pression économique, monétaire, militaire ne veut pas nécessairement dire se préparer à conquérir le leadership mondial à l’image des vieilles puissances impérialistes européennes, Angleterre, France, Allemagne qui se sont entre-déchirées pendant des décennies pour conquérir les colonies et imposer leur hégémonie au monde, luttes barbares et sanglantes qui se sont soldées après deux guerres impérialistes mondiales pour le partage du monde par la domination des USA.

Il est à la mode de dénoncer l’impérialisme chinois y compris dans des milieux jusque-là fort peu anti-impérialistes ou parmi ceux qui avaient vu dans la Chine maoïste le socialisme. L’on peut certes qualifier la politique expansionniste de la Chine d’impérialiste dans un sens très général mais cela ne peut pas signifier tirer un trait d’égalité entre les vieilles puissances coloniales et impérialistes du bloc occidental, de l’Otan et la puissance capitaliste émergente, ancienne colonie pillée et humiliée pendant des siècles par ces mêmes vieilles puissances qui drainaient les richesses produites par la majeure partie de l’humanité.

Et surtout, l’époque du développement impérialiste du capitalisme décrite et analysée par Lénine est terminée. L’histoire ne se répétera pas.

Après les révolutions de libération nationale et l’effondrement de l’URSS, le capitalisme dans sa lutte contre la baisse du taux de profits a bouleversé la planète pour donner naissance à un capitalisme financiarisé mondialisé. Le capitalisme a conquis la planète entière, tout transformé en marchandises, construit une économie monde interdépendante soumise au chaos du marché et de la concurrence capitaliste.

Il n’y aura pas de superimpérialisme capable d’organiser, de réguler un capitalisme planétaire, cela est impossible et rentre dans une opposition insoluble avec les États et la propriété privée capitaliste qu’ils défendent.

La concurrence exacerbée qui oppose la Chine, les Brics, les puissances capitalistes émergentes avec les vieilles puissances impérialistes conduit au chaos généralisé, la mondialisation de la guerre en réponse à la faillite capitaliste sur fond de crise climatique et nucléaire, en aucun cas à un super impérialisme réorganisant la planète.

Les USA n’en sont plus capables, aucune puissance capitaliste ne représente le moindre avenir pour l’humanité, pas plus la Chine que les USA ou l’Europe incapable d’exister.

La lutte de la bourgeoise américaine ou celle de la bourgeoise chinoise contre la faiblesse de la rentabilité du capital conduit à une lutte de classes acharnée qui porte en elle l’issue à l’impasse historique du capitalisme, la construction d’un nouvel ordre social fondée sur la coopération des peuples et la planification socialiste pour le communisme.

Yvan Lemaitre

[1] Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation, La Découverte, 2024, Benjamin Bürbaumer

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