« Nos ennemis ce sont les privilégiés de l’ordre social actuel, tous ceux qui ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de nos misères ». « Toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes constituent une des bases du pouvoir des classes gouvernantes » écrivait en 1871 l’Union des femmes, organisation révolutionnaire partie prenante de la Commune de Paris et du combat contre les Versaillais. Parmi ses animatrices, Élisabeth Dmitrieff, membre de l’Association Internationale des travailleurs, l’ouvrière Nathalie Le Mel ou encore l’institutrice Louise Michel à qui Macron a eu l’outrecuidance de « rendre hommage » dans son discours du 8 mars, lui médiocre petit valet des banques et des multinationales qui « s’engraissent des misères » des travailleur·ses du monde entier.
Il pérorait ce jour-là place Vendôme pour « sceller » la « liberté garantie » de l’IVG dans la Constitution. Et n’a reculé devant rien pour tenter de s’approprier -dans le vain espoir de l’enterrer au milieu des breloques de leur république- un combat qui fait trembler les puissants depuis Olympe de Gouges, Louise Michel, Flora Tristan, Rosa Luxembourg et toutes les générations de femmes qu’elles ont inspirées.
Au centre de cet aréopage de rustres et de faux-culs, Dupont Moretti, qui avait insulté en 2019 les victimes de l’ex-ministre George Tron (condamné pour viol) « y a aussi des ‘’folasses’’ dans le mouvement #MeToo qui racontent des conneries et engagent l'honneur d'un mec qui ne peut pas se défendre car il est déjà crucifié sur les réseaux sociaux ».
Alors, si cette cérémonie « scellait » bien une défaite de tous les rétrogrades contraints de faire bonne figure, le Sénat ayant été obligé de plier devant la révolte des femmes et Larcher de s’abstenir au Congrès, les longues dissertations sur le « droit » ou la « liberté » prétendument « garantie » ont souligné leur tartufferie. Quelle « garantie » quand les budgets sociaux s’effondrent, que 130 centres IVG ont été fermés ces 15 dernières années dont 47 dans des établissements hospitaliers, que nombre de départements en sont dépourvus, que les médecins peuvent faire valoir une « clause de conscience » pour refuser de les pratiquer, même de manière médicamenteuse ? Quelle garantie quand de nouvelles fermetures sont annoncées telle à Paris celle de la Maternité des Lilas, qui depuis des décennies joue un rôle précurseur à contre-courant dans la prise en charge de la maternité et des avortements, ou de deux centres IVG de la Croix rouge... Quand les centres du planning familial sont en perpétuelle difficulté matérielle, financière, politique… Quand le gouvernement menace les associations féministes de suppression de subventions pour cause de dénonciation du génocide palestinien par l’Etat sioniste, dont les femmes, les enfants représentent l’essentiel des victimes… Quand les femmes, la santé, la petite enfance, subissent de plein fouet les coupes budgétaires, l’inflation, les licenciements, les bas salaires et la précarité, la violence sociale, institutionnelle et patronale !
La réponse à cette farce tentant d’étouffer la révolte des femmes sous les ors de la république et la Marseillaise (quels que soient le talent et l’esquive face à Macron de Catherine Ringer) était dans les slogans, les chants, la colère joyeuse et contagieuse des cortèges compacts, enthousiastes et subversifs, souvent très jeunes qui ont sillonné les villes grandes et petites du pays. « Patriarcat au feu, le capitalisme au milieu », « Ni patron, ni patrie, ni patriarcat », « Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler » en référence à la détermination, la sororité, le courage de ces « sorcières » qui ont de tous temps permis d’enfoncer les lignes en bravant l’ordre établi, les pouvoirs.
Il n’y aurait jamais eu de loi légalisant l’IVG en 1975 (votée sous un gouvernement de droite, comme la loi légalisant la pilule en 1967) sans le manifeste des 343 femmes témoignant courageusement en 1971 avoir avorté illégalement, sans le procès de Bobigny en 1972 où Gisèle Halimi, jeune avocate inconnue, a transformé le procès d’une lycéenne de 16 ans, traînée en justice avec sa mère qui l’avait aidée à avorter après un viol, en véritable campagne politique pour la légalisation de l’avortement.
Le combat pour le droit des femmes à disposer de leur corps, contre les discriminations, le sexisme, le harcèlement, les violences, l’assignation au rôle de reproductrice, la division sexiste de genre s’affronte à tout l’ordre social en remettant en cause le patriarcat, et en conséquence la société de classe, d'exploitation, de discrimination dont il est un pilier. Un combat social, économique, démocratique et politique où les femmes sont au premier rang.
La place qu’a prise cette année ici la grève féministe, dont un certain nombre de femmes et de jeunes se sont emparées même si elle reste très minoritaire, témoigne de l’évolution du mouvement. Une partie du mouvement féministe, rajeuni, prolétarisé, se pense aujourd’hui au sein d’un combat plus global contre les oppressions et l’exploitation de classe, un combat internationaliste contre la barbarie du capitalisme et ce qu’elle engendre, qu’il s’agisse de la solidarité largement affichée ce 8 mars avec les femmes de Palestine ou du refus de la marche à la guerre, du nationalisme, du « réarmement démographique ».
La lutte contre les oppressions et les préjugés qui les accompagnent est indissociable de la lutte contre l’exploitation et la propriété capitaliste qui les déterminent. Elle ouvre la voie à la perspective socialiste et communiste d’une société basée sur la solidarité, la sororité, l’adelphité dans le respect collectif de chaque individualité. Elle constitue une force motrice du mouvement d’ensemble pour l’abolition du vieil ordre social dépassé, capitaliste et patriarcal.
Isabelle Ufferte