« Pas de moyens, pas de rentrée ! »… Tel était le mot d’ordre pour les personnels de l’Education de région parisienne le 26 février à la fin des vacances scolaires. Dans le 93 (Seine Saint-Denis), à l’appel de l’intersyndicale CGT, CNT, FSU et Sud, soutenue par les parents de la FCPE, 40 % des personnels du second degré et certaines écoles ont refusé de faire la rentrée. Depuis, ils poursuivent leur grève, rejoints par des établissements et écoles d’autres départements d’Ile de France et de Paris.
Alors qu’Attal 1er ministre réaffirmait en janvier que l’école était « la mère des batailles », « une priorité absolue pour le gouvernement », son gouvernement annonçait en février 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires sur le budget 2024, impactant principalement l’Education.
692 millions d’euros lui seront retirés, une enveloppe qui représenterait selon les syndicats plus de 10 000 emplois d’enseignant·es, AED, AESH qui ne seront pas débloqués à la rentrée 2024, et 906 millions à l’enseignement supérieur et la recherche.
L’austérité budgétaire, la réforme du « choc des savoirs », les annonces de suppressions de postes ont provoqué la colère des personnels et le succès des grèves du 1er et du 6 février qui ont exprimé le ras-le-bol général contre la dégradation des conditions de travail et des salaires. Ils ont obligé Macron-Attal à débarquer la ministre Oudéa-Castéra de l’Education moins d’un mois après sa nomination, qui révélait par trop l’égoïsme de la caste des privilégiés, son mépris pour le service public et les classes populaires. Nicole Belloubet, qui poursuit fidèlement la politique d’Attal, doit d’ores et déjà compter avec une mobilisation des personnels de l’Education qui se construit.
Les réformes de l’école, un système cohérent au service des besoins des classes possédantes et du patronat
Le « choc des savoirs » annoncé par Attal lors de son passage éclair au ministère de l’Education est un nouveau choc d’attaques contre l’Education, qui renforce l’objectif de l’Etat d’une école bon marché ouverte aux intérêts privés, au service des besoins du marché de l’emploi et du patronat. Un objectif qui a toujours été celui de l’école de la République bourgeoise, mais qui, s’il a dans le passé permis à un plus grand nombre d’élèves d’accéder à la culture au moment où le patronat avait besoin de main-d’œuvre qualifiée et instruite, renvoie aujourd’hui les jeunes des classes populaires à une orientation professionnelle toujours plus précoce et les jette souvent sans qualification sur le marché du travail ou vers l’apprentissage.
Le choc des savoirs s’inscrit dans la continuité des réformes engagées depuis 2017 par Macron et Blanquer : réforme du bac, ParcourSup, réforme du lycée professionnel… qui instaurent cette sélection renforcée pour les jeunes des classes populaires, écartés des études supérieures, voués à fournir la main d’œuvre peu qualifiée, flexible et précaire, à bas coût qu’impose le patronat.
Si la création de groupes de niveau au collège, l’une des principales mesures du choc des savoirs suscite autant la colère des enseignant·es des collèges, c’est que loin d’aider les élèves les plus « faibles » issus principalement des quartiers pauvres, ils ne feront que les ghettoïser. La séparation des « bons » élèves de ceux en difficulté a démontré depuis longtemps son inefficacité, voire sa contre productivité, confirmées par les études des pédagogues et des chercheurs. Les groupes de niveau à moyens constants vont considérablement dégrader l’organisation et les conditions de travail des enseignant·es et renforcer une sélection sociale qui les révolte et à laquelle ils/elles refusent d’être associé·es, comme l’affirmait leur slogan dans les manifestations « On trie les déchets, pas les élèves ».
Le renforcement de la mobilisation a contraint la nouvelle ministre Nicole Belloubet, lors de sa rencontre jeudi avec les directions syndicales de l’Education, à concéder une marge de « souplesse » dans la mise en place des groupes de niveaux qui ne remet pas en question le fond. « Aux équipes pédagogiques de terrain de trouver l’organisation la plus fine », a-t-elle dit, précisant que « la confiance n’exclut pas les responsabilités… Il y aura un travail avec les corps d’inspection pour voir si ce qui a été imaginé par les équipes répond bien à la commande de la constitution de groupes ».
L’école managée sur le modèle du privé et ses critères de rentabilité
L’exaspération des personnels révèle le niveau de délabrement auquel la politique de Macron qui avait promis de faire de l’éducation « le combat de notre siècle » a conduit le service public d’Education. A la suite de ses prédécesseurs qui ont vidé les caisses de l’Etat pour subventionner les grandes entreprises et payer les milliards annuels de rente de la dette aux banques et à leurs actionnaires, livré l’école aux appétits privés, il a accéléré son démantèlement.
Blanquer a généralisé le « nouveau management public » qui soumet depuis vingt ans la gestion du système éducatif aux méthodes du privé, aux critères de rentabilité et de performance individuelle : autonomie et mise en concurrence des établissements, casse du statut des enseignant·es avec les « pactes » qui contractualisent le « travailler plus pour gagner plus », multiplication des contrats précaires, évaluations des personnels, des établissements, des élèves autour d’objectifs chiffrés…
Le nouveau management s’accompagne d’un autoritarisme et d’une déqualification massive du métier d’enseignant·e. L’injonction d’un enseignement « efficace » impose une uniformisation des programmes et des pratiques qui leur fait perdre la maîtrise de leur métier et de leurs outils de travail (méthodes d’apprentissage imposées, manuels labellisés prescrits, gestes professionnels contraints), les transforme en simples exécutants, ce qu’ils ressentent comme une dépossession qui nourrit l’explosion d’une souffrance au travail qui se traduit par des démissions, des dépressions et a conduit à des suicides.
Sous prétexte de relever un niveau que l’école a de plus en plus de mal à assurer tant les conditions de travail et d’étude sont dégradées, l’enseignement est réduit aux « fondamentaux », la culture réservée aux enfants des classes privilégiées par la transmission familiale et sociale.
L’élitisme pour les classes dominantes, s’il est cultivé dans quelques établissements « haut de gamme » du public l’est principalement dans les établissements privés huppés comme Stanislas. L’école privée, à 80 % financée par l’Etat et qui scolarise environ 20 % des élèves, offre aux classes moyennes et aux plus fortunés un entre-soi que les mobilisations d’enseignant·es dénoncent à juste titre comme un « séparatisme » des riches, insupportable au regard de l’abandon du public.
Ce cadeau permanent de l’Etat à l’Eglise dont l’idéologie participe au maintien de l’ordre social ne fait que souligner l’hypocrisie des campagnes pour la laïcité du Ministère de l’Education qui stigmatise essentiellement les musulmans, ou considérés comme tels.
La réorientation libérale et les politiques d’économies ont ruiné le système éducatif public. Lui redonner les moyens de la réussite et de l’émancipation de toutes et tous nécessite la mobilisation de l’ensemble du monde du travail et de la jeunesse pour la soustraire à l’emprise du privé, à la logique de la rentabilité financière, du parasitisme des classes dominantes, de la domination du capital.
Caporalisation de l’école et militarisation, une brutale offensive contre la jeunesse
L’offensive des classes possédantes contre l’école publique s’accompagne d’un renforcement de l’autoritarisme et de nouvelles mesures du gouvernement de mise au pas et d’embrigadement idéologique de la jeunesse.
En généralisant le Service National Universel (SNU) et l’uniforme à l’école, Macron voudrait la soumettre à son plan de « réarmement moral et civique », la militariser, l’enrôler derrière les valeurs patriotiques, la préparer à ses objectifs bellicistes et de guerre.
Les restrictions budgétaires qui vont s’appliquer aux postes, à la création d’emplois, aux moyens matériels ne s’appliqueront pas au SNU dont la généralisation est estimée à 1,75 milliard dès 2026, ni à l’uniforme pour les 12 millions d’élèves qui coûtera 1 milliard d’euros.
Ni chair à patrons, ni chair à canons, ces budgets comme tous les budgets de guerre doivent aller aux besoins collectifs.
La lutte pour les salaires des travailleur·es de l’éducation et de tou·te·s les salarié·es contestent la logique du système
Comme pour tous les salariés du public et du privé, les salaires des travailleur·es titulaires de l’Education, après avoir été bloqués pendant des années, n’ont bénéficié que d’une maigre revalorisation de + 3,5 % du point d’indice en 2023, très en deçà des pertes et de l’inflation qui a encore plus rogné le pouvoir d’achat des précaires, AESH et AED, pour la plupart à temps partiels imposés. Alors que les prix continuent d’augmenter, le ministre de la fonction publique Guérini a déclaré que « les mesures actées depuis 18 mois couvrent 2024 », un « gros impact budgétaire », et n’envisage « pas de nouvelles mesures générales à ce stade ». Le gouvernement donnera des primes conditionnées au « travailler plus pour gagner plus » en multipliant les « pactes », la rémunération individuelle au mérite, pour celles et ceux qui adhéreront à ses réformes.
L’offensive généralisée contre le coût du travail a conduit à la dégradation des salaires et à la prolétarisation des profs. En 1980, l’embauche d’un prof certifié était à 2,05 fois le smic pour 1,19 fois en 2018. L’Etat, qui n’arrive plus à recruter embauche de plus en plus d’enseignants contractuels sous-payés, mal formés, et a imposé un fonctionnement du système dans lequel la précarité explose et où dominent les bas salaires.
La lutte des travailleurs de l’éducation pour leurs salaires rejoint celle de toute la Fonction publique et des salarié·es du privé. Elle répond à la même offensive globale des classes dominantes pour baisser le coût du travail et conteste la logique d’un système qui sacrifie les intérêts et les besoins collectifs sur l’autel des profits et des dividendes. La question des salaires, d’un revenu qui permette de vivre nécessite une lutte d’ensemble, globale, politique du monde du travail pour renverser la logique mortifère des marchés et de la concurrence, imposer que l’ensemble des richesses produites revienne au plus grand nombre.
S’organiser, se rassembler pour préparer le 19 mars et ses suites
Le 19 mars, l’intersyndicale Fonction publique (CGT-CFDT-FO-FSU-Solidaires-CGC-FA-UNSA) appelle à une journée de grève pour les salaires, qui ne sera qu’une nouvelle journée syndicale sans lendemain si les travailleur·es ne s’emparent pas eux-mêmes de la question, en se rassemblant et en s’organisant pour en faire un succès et une étape de la lutte nécessaire pour une augmentation générale des salaires, des revenus sociaux, des retraites.
Cette journée peut marquer le début d’un élargissement, voire d’une généralisation de la mobilisation des travailleur·es de l’Education pour leurs salaires et leurs conditions de travail, des postes, des embauches, le retrait du choc des savoirs et la restitution des 700 millions d’économies sur le budget, en s’appuyant sur celles et ceux qui ont commencé dans le 93 et en Ile de France, en se rassemblant dans des AGs démocratiques, tous personnels confondus du premier et du second degré, dans les collectifs et les équipes syndicales, en lien avec les parents et les élèves.
La journée du 19 mars peut être une nouvelle journée de colère, qui donne confiance, encourage à entrer dans la lutte, à s’adresser à l’ensemble des salarié·es de la Fonction publique et du privé à commencer par les parents d’élèves, salariés eux-aussi, attaqués de la même façon par le gouvernement et le patronat. La lutte des travailleur·es de l’éducation peut devenir le moteur pour une lutte d’ensemble, pour préparer l’affrontement du monde du travail et la jeunesse contre l’offensive des classes dominantes et de leur État.
Christine Héraud et Nadia Asnoun