La grève légitime des contrôleurs de la SNCF pour leurs salaires et ceux des cheminots a provoqué une indignation pour le moins « honteuse » de tous les trop payés de ce pays, les serviteurs zélés, politiciens ou journalistes aux ordres des patrons du CAC40 qui se votent, eux, régulièrement, de substantielles hausses pour des salaires mirobolants !

Attal, jeune promu empressé de faire ses preuves, reprend tous les lieux communs, les poncifs réactionnaires pour faire la leçon, « la grève est un droit, le travail un devoir » ! Et tous s’empressent pour remettre en cause le droit de grève… A commencer par les sénateurs qui veulent interdire les grèves dans les transports durant les vacances scolaires, les mêmes qui viennent de se voter une augmentation de 700 € net par mois de leurs frais de mandat !

Pourtant, le même Attal lors de son discours de politique générale avait déclaré, tout à son délire verbal : « J’assume de le dire, il faut désmicardiser la France »… Les cheminots et toutes celles et ceux qui engagent la lutte pour les salaires à l’occasion des NAO auraient-ils mal compris le Premier ministre ? En réalité, tout le monde voit bien qu’il se prépare à une offensive contre le SMIC qui augmente bien trop vite au goût du patronat. Le député Renaissance Ferracci, qui travaille à la loi Macron II sur la croissance, a commencé à lancer l’idée de la désindexation du SMIC sur l’inflation : « Il faut que l’on débatte d’une autre manière de déterminer le Smic, dans laquelle les partenaires sociaux joueraient un rôle ». Pas question pour ce monde de privilégiés de rattraper le retard pris par les salaires et de les indexer sur le coût de la vie !

Ils se payent notre tête, agressent, remettent en cause le droit de grève, répriment les militant·es, il est clair que la lutte pour les salaires et pour imposer l’échelle mobile, leur indexation sur l’inflation, ne peut être que l’œuvre des travailleurs eux-mêmes alors que les profits explosent.

Une paupérisation de l’ensemble du monde du travail

Dans le privé, la proportion de salariés payés au SMIC est passée de 12 % à 17,3 % entre 2021 et 2023. A écouter les experts sur les plateaux des médias, rien de grave là-dedans, ce ne sont pas les salaires qui ont baissé, mais cette situation crée un « sentiment de déclassement »… Foutaises, il s’agit bien d’un recul global des salaires réels qui rend la situation intenable pour une très grande majorité de travailleur.es !

En réalité, sur 2022 et 2023, les prix ont augmenté de 2,5 % de plus que les salaires moyens du privé. D’après l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le pouvoir d’achat moyen, qui masque l’appauvrissement réel d’une grande partie de la population, n’a évolué que de 10 € par an entre 2021 et 2023. Une stagnation due essentiellement à la faible revalorisation des salaires, 6 fois inférieure à celle des revenus du patrimoine (actions, obligations, immobilier) !

Et la situation continue de se détériorer. Dans les entreprises, le patronat reprend à son compte les déclarations du gouvernement sur la « désinflation » pour justifier les augmentations au rabais. D’après le cabinet Secafi, les enveloppes consacrées aux salaires en 2024 n’augmentent que de 3,5 % en moyenne, un net recul par rapport aux 4,6 % de 2023 !

Un recul considérable alors que les prix continuent de s’envoler : 10 % sur les factures EDF, doublement des franchises médicales, augmentations des mutuelles, des dépenses de santé, de l’alimentaire.

… Et encore des records pour le CAC40

Cet appauvrissement du monde du travail est le produit d’un gigantesque transfert de richesses, qui part de la poche des travailleurs vers les profits du CAC40. L’inflation n’est pas due aux salaires, mais bien aux marges records qu’imposent les grands groupes capitalistes à toute la société.

Les bénéfices nets cumulés des 25 plus grandes entreprises françaises du CAC40 ont ainsi déjà dépassé les 120 milliards d’euros pour 2023. Pour la 3ème année consécutive, les bénéfices du CAC40 dépassent les 100 milliards d’euros : + 7 % pour le secteur du luxe, + 14 % pour les banques et en haut du podium, 18,6 milliards pour Stellantis et presque 20 milliards pour TotalEnergies !

La colère et les grèves se multiplient sans plan de bataille

Les cheminots font la une, mais ils ne sont pas seuls. Des grèves éclatent un peu partout lors des NAO, face aux ridicules mesures salariales annoncées par les patrons. Dans le groupe Safran, qui regroupe 42 000 salariés, des grèves et des débrayages ont lieu depuis l’annonce de + 1,6 % d’augmentation par la direction… Le bénéfice net de Safran a bondi de 72 % en 2023 ! A la Poste, des débrayages locaux ont été suivis d’un appel national le 15 février lors des NAO. Mais il y a aussi grève nationale à Alstom, grève avec blocage des entrepôts Lacoste à Troyes, grève à Ubisoft, le « fleuron » du jeu informatique en France, où 500 salariés se sont mobilisés cette semaine pour exiger leur dû alors que l’action du groupe vient d’augmenter de 20 % !

Un mécontentement qui s’exprime sans plan de bataille, entreprise par entreprise. Les directions des grandes centrales syndicales restent d’une passivité totale, à l’image de la CGT qui appelle « à multiplier les grèves pour gagner des augmentations de salaires », en renvoyant chaque militant négocier dans le cadre de son entreprise.

Depuis décembre, l’intersyndicale s’est mise en sommeil, sans même annoncer une date de grève interprofessionnelle pour rassembler les salarié.es, formuler une politique et des exigences communes sur les salaires. Seule l’intersyndicale de la Fonction publique appelle le 19 mars, sans même faire le pont entre les secteurs publics et privés.

Une telle politique laisse les militants et les travailleurs isolés, en particulier face à la répression alors que le pouvoir cherche à faire payer les blocages et les coupures de courant après le mouvement des retraites. Près d’un millier de syndicalistes de la CGT font ainsi l’objet de poursuites en justice et Sophie Binet réclame à Attal « solennellement » une « table ronde » pour « faire le point sur les procédures en cours » ! C’est une tout autre solidarité qu’il s’agit de défendre, contre les institutions et cette justice de classe, une solidarité de la lutte qui fasse le lien entre tous ceux, jeunes ou travailleur.es, qui résistent face au système.

L’inertie des directions syndicales, l’absence d’un plan de lutte de l’ensemble du monde du travail laissent les luttes isolées et aussi la place aux réflexes corporatistes. La grève des contrôleurs, animée par leur collectif sur les réseaux sociaux, exprime cette volonté d’en découdre alors que les syndicats restent l’arme au pied. Elle est de fait un moteur pour l’extension de la lutte à toutes les catégories mais a besoin d’une politique qui rompe avec les raisonnements catégoriels pour, par-dessus la tête des directions syndicales, s’adresser à l’ensemble des travailleur·es pour construire un mouvement d’ensemble à la hauteur de la colère.

Une politique et un programme pour changer le rapport de force

Face aux nantis, au patronat, au pouvoir et à leur campagne haineuse contre tous ceux qui veulent se battre, il s’agit d’opposer notre solidarité de classe et de tisser des liens entre toutes ces luttes autour de l’idée que la solidarité et l’union renforcent chacune d’entre elles.

La question des salaires est une question politique, un rapport de force global entre le capital et le travail. A l’inverse de la politique des directions syndicales qui renvoient les travailleur·es à ce théâtre d’ombres des négociations, engluées qu’elles sont dans le « dialogue social » et leur rôle de « partenaires sociaux ».

Le capital utilise la hausse des prix, l’inflation pour prendre dans la poche de toute la population pour gonfler les profits. L’objectif est bien d’inverser le rapport de force en prenant en main l’organisation de la solidarité et en cherchant à étendre les luttes.

La bataille pour exiger un rattrapage de 400 € pour tous les salaires et leur indexation sur les prix s’engage. C’est une bataille politique pour gagner l’opinion, ne pas nous laisser diviser par les démagogues au pouvoir, rassembler la colère de toutes celles et ceux qui souffrent de la vie chère et de la détérioration des conditions de vie du monde du travail.

Laurent Delage

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