Dimanche 11 février, Darmanin annonçait depuis l’archipel « une décision radicale : l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte », alors que son économie, son administration et ses services publics étaient bloqués depuis trois semaines par des manifestations et des blocages de routes organisés par un « collectif des forces vives » contre l’« insécurité, la délinquance et l’immigration ». Il répond aux revendications xénophobes de politiciens et notables locaux qui font des immigrés les responsables de tout ce dont souffre la population de ce département « français » que l’Etat maintient dans le plus grand dénuement, avec ses bidonvilles, ses services publics délabrés, sa pénurie récurrente d’eau potable.

Darmanin a annoncé un statut d’exception avec la fin du droit du sol, le durcissement des conditions du regroupement familial qui va « diviser [leur] nombre par cinq » et un « rideau de fer dans l’eau » contre « l’arrivée massive des clandestins », qui vont fabriquer encore plus de sans-papiers sans apporter de réponses à la colère sociale, au drame du sous-développement de Mayotte.

« L’autorité de l’Etat va se mesurer non pas simplement en nombre de policiers et gendarmes supplémentaires, mais au changement de droit, sans doute très profond, qu’il faut pour empêcher la venue de ces personnes à Mayotte » a déclaré Darmanin, visant les populations encore plus démunies venues principalement des Comores et d’une partie de l’Afrique de l’Est ou de Madagascar pour lesquelles Mayotte, îlot de pauvreté dans un océan de misère apparaît comme la possibilité d’une vie un peu moins pire.

De surenchère en surenchère, fin du droit du sol, limogeage du préfet prononcé au dernier conseil des ministres, renforcement des forces de répression…, le gouvernement Macron-Darmanin emporté par sa démagogie qui fait écho à celle de l’extrême droite poursuit une tragique fuite en avant qui ne fait qu’aggraver le drame des populations.  

Mayotte, produit de la politique coloniale de l’Etat français et de sa démagogie xénophobe

C’est l’Etat français qui a imposé la partition de l’archipel des Comores pour conserver sa mainmise sur Mayotte. En 1974, alors que 95 % des Comoriens votaient pour la fin de la domination coloniale, l’Etat français s’appuyait sur le vote contre de Mayotte à 65 % pour piétiner le droit international et s’approprier ce minuscule bout de l’archipel. C’était l’aboutissement de sa politique coloniale, créer et attiser les divisions entre les populations comoriennes, les dresser les unes contre les autres, en favorisant les élites de Mayotte et en leur laissant croire, comme à la population de l’île, qu’elles avaient tout intérêt à rester dans le giron de la France pour bénéficier d’un niveau de vie supérieur à leurs voisines de l’archipel. L’Etat français gardait ainsi sa mainmise sur la région, pour la défense de ses intérêts stratégiques dans le canal du Mozambique où transite 80 % du pétrole en provenance des pays du golfe. La Françafrique a continué son sale boulot, l’homme de main de la DGSE et des réseaux Foccart, le mercenaire français Bob Denard à la manœuvre pour imposer et défaire les dictateurs comoriens successifs, pour mener sa politique de pillage et de déstabilisation de la région au profit des grands groupes français en Afrique, dont Total.

Responsable de la misère et du maintien de la région dans le sous-développement, l’Etat français a imposé des frontières artificielles aberrantes à un même peuple, de même origine, qui parle la même langue et dont de nombreux liens relient les familles d’une île à l’autre, instrumentalisant leur misère commune et leur révolte pour dresser les uns contre les autres. Les étrangers à Mayotte ne sont pas les Comoriens.

L'instrumentalisation du piège des frontières et de la misère

L’Etat se moque du développement de Mayotte et du bien-être de ses habitants abandonnés à leur sort, privés des mêmes droits que la Métropole. Il y aurait largement les moyens de soulager la misère des 350 000 habitants de Mayotte, qu’ils aient ou pas la nationalité française, de répondre à leurs besoins d’emplois, de logements, d’hôpitaux et d’écoles et de faire en sorte que toutes et tous puissent avoir accès à l’eau. Mais l’Etat et sa politique coloniale de domination sur les peuples empêchent tout développement.

La moitié de la population survit avec moins de 160 euros par mois, 77 % d’entre elle vit en-dessous du seuil de pauvreté. Les services publics insuffisants manquent de tout, les hôpitaux, les écoles qui fonctionnent « en rotation » par manque de place et une crise de l’eau permanente faute d’investissements. Près de la moitié de la population vit entassée dans des bidonvilles, sans eau ni électricité.

La violence et la délinquance dont le gouvernement et les notables locaux rendent responsables les « clandestins » est le produit de cette misère et du désespoir de la jeunesse. « Nous parlons de « fabrique de la délinquance » au sujet de ces mineurs isolés dont certains cherchent de quoi se nourrir dans les poubelles des établissements scolaires » témoigne un enseignant.

La révolte de la population contre sa situation de « sous-France » est instrumentalisée par le gouvernement, la droite et l’extrême-droite qui cherchent à la retourner contre les immigrés comoriens, africains ou malgaches qui affluent sur l’île. Darmanin attise les tensions, les divisions par une politique de provocation et de répression qui s’exerce contre l’ensemble de la population pauvre. La violente opération Wuambushu en avril 2023 de destruction des bidonvilles et d’expulsion de migrants sans papiers s’est exercée contre tous les pauvres dont les logements de fortune ont été détruits avec la même violence.

Le gouvernement n’a de réponse que policière et répressive. Plutôt que répondre aux besoins sociaux, au manque et au délabrement des services publics et à la crise sanitaire, il n’a cessé de renforcer le dispositif policier avec de nouveaux escadrons de gendarmerie, des agents du RAID, des drones et « l’affectation de deux cents à trois cents policiers et gendarmes dédiés à la sécurisation du transport scolaire chaque jour », se félicite le préfet.

L’offensive réactionnaire contre la population de Mayotte nous vise aussi

L’offensive raciste et xénophobe de Darmanin contre le droit du sol à Mayotte participe de la même démagogie anti-immigrés que la loi immigration qui vise l’ensemble des travailleurs et des classes populaires du pays. Elle reprend le programme du RN dans la folle fuite en avant pour le leadership du futur parti d’extrême-droite, pour servir au pouvoir les classes dominantes et aggraver l’exploitation.

Droite et extrême-droite se sont empressées d’applaudir l’annonce de la fin du droit du sol à Mayotte, leur programme pour tout le pays. « C’est un bon début, puisque ça fait vingt ans que nous [le RN] réclamons la suppression du droit du sol pour l’intégralité du pays », a déclaré Bardella, tout comme Ciotti, « Partout, sur le territoire national, nous devons supprimer le droit du sol ! ».

Marine Le Pen, qui a fait son plus gros score à Mayotte à la Présidentielle, (passé de 2,72 % en 2012 à 42,68 %), a dénoncé « une population mahoraise totalement abandonnée » face à une « quasi-guerre civile ». Elle a appelé le gouvernement à rétablir « le retour de l’Etat dans toutes ses dimensions » à Mayotte en y instaurant l’état d’urgence et la « priorité nationale », pour privilégier l’accès des Français à l’emploi, au logement et aux aides sociales. Sa fausse sollicitude envers les classes populaires n’est que la cynique reconnaissance de la cause sociale de la révolte des populations locales et immigrées de Mayotte, à laquelle elle n’a elle-même pas d’autre réponse que la démagogie xénophobe.

Zemmour et Marion Maréchal ont repris l’épouvantail du « grand remplacement », Maréchal déclarant que ce que « vit Mayotte aujourd’hui, c’est ce que vivra la métropole dans trente, quarante, cinquante ans si nous ne faisons rien », à l’unisson du frère-ennemi Bardella : « Ce qui est en train de se passer à Mayotte est à regarder avec grand intérêt, parce que c’est le futur de notre territoire ». 

L’extrême-droite nous menace de ses fantasmes de cerveaux malades afin d’essayer de dévoyer les mécontentements au nom de la défense des valeurs d’une France millénaire et... coloniale.  

Cette démagogie comme celle de Macron-Darmanin ne vise qu’à entretenir les rivalités et les haines parmi les victimes de leur propre politique au service des classes exploiteuses, des riches et des gros actionnaires rentiers pour s’imposer comme seuls capables de rétablir l’ordre alors que c’est eux et leur politique qui engendrent et aggravent le chaos.  

C’est bien avec cette politique qu’il faut se donner les moyens d’en finir en lui opposant l’unité militante des travailleurs par-delà les frontières, leur solidarité de classe, internationaliste.

Christine Héraud

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