Un mois à peine et le gouvernement Attal nommé par petit bouts est déjà largement discrédité alors qu’il fait face à une montée des colères. Les barrages des agriculteurs ont certes été levés après l’appel au calme des syndicats majoritaires suite aux reculs du gouvernement destinés à satisfaire l’agrobusiness, mais pour les petits producteurs pris à la gorge par les banques et les multinationales, dont les actions ciblaient les géants de la grande distribution et de l’agroalimentaire, rien n’est réglé. Et le mécontentement gagne dans le monde du travail avec nombre de luttes locales contre les licenciements, pour les salaires et, cette semaine, la poursuite des mobilisations dans l’Education nationale.
Oudéa Castéra, qui n’a pas ménagé son talent pour illustrer l’arriération et la suffisance des classes dominantes et de leur personnel, a finalement été remplacée à l’Education. La farce Bayrou balayée, c’est finalement Belloubet, l’ex-garde des sceaux aux avant-postes de la répression contre les Gilets jaunes, qui a en charge le réarmement de l’école et de la jeunesse. Celle qui déclarait au Sénat en mars 2019 « avec à ce jour 2000 condamnations, dont 40 % à de la prison ferme, on ne peut pas dire que la justice est laxiste », avait entre autres couvert la tentative de perquisition des locaux de Médiapart après les révélations qui ont conduit à l’affaire Benalla.
Un gouvernement expression de l’usure accélérée du personnel politique des classes dominantes, incapables de répondre à la décomposition de leur système autrement que par la mise au pas des travailleur·es, des classes populaires et de la jeunesse, un réarmement réactionnaire, économique et politique nécessaire au capital, qui ouvre la voie à l’extrême-droite.
Récession et profits records, prédation généralisée du capitalisme financiarisé
Alors que les projections du gouvernement tablaient sur une croissance économique en France de 1,4 % en 2024, l’Insee vient d’annoncer une quasi récession, + 0,2 % prévus au premier semestre. Conséquence pour les caisses de l’Etat, 10 milliards de rentrées en moins qui vont se traduire par une nouvelle réduction des dépenses publiques alors qu’Attal s’était déjà engagé à « poursuivre et renforcer les revues de dépenses » engagées par Borne, 12 milliards d’économies dont 6 pour la seule Sécurité sociale.
Le Maire et Attal accélèrent la remise en cause des indemnités chômage, du RSA, du SMIC, annoncent une « réflexion » sur la prise en charge des longues maladies. Ils prévoient des coupes claires dans les budgets sociaux, ceux des services publics de la santé ou de l’éducation… pour mieux « soutenir » le capital et alimenter la machine à profits alors que l’économie s’enfonce dans la crise, que les faillites et dépôts de bilans se multiplient, que le capital exige un rendement toujours plus grand.
TotalEnergies vient d’annoncer un nouveau record de son résultat net, 21,4 milliards de dollars et une hausse de 7,1 % des dividendes alors que la quasi-totalité des profits des années précédentes ont déjà été reversés aux actionnaires. Comme ses homologues BP, Chevron, Exxon Mobil qui ont publié des résultats records et versé des dividendes par milliards. Des résultats que les financiers ont pourtant jugés « décevants », délaissant les actions des pétroliers pour se porter à la Bourse sur celles des Gafam qui se sont envolées en 2023 : + 238,9 % pour Nvidia, 194,1 % Meta, 101,7 % Tesla, 80,9 % Amazon, 58,8 % Alphabet, 56,8 % Microsoft, 48,2 % Apple…
La semaine dernière, Les Echos titrait « Du jamais vu à Wall Street, la capitalisation de Meta bondit de 200 milliards de dollars en une journée ». Le groupe, qui a licencié 21 000 salariés l’an dernier, a augmenté ses profits de 69 % et va verser 50 milliards aux actionnaires en rachat d’actions en plus des dividendes. De quoi susciter l’euphorie des Bourses qui, de Paris à Tokyo ou Wall Street, battent des records alors que les investissements sont à l’arrêt et que la récession menace l’économie mondiale.
Concentration toujours plus grande des richesses entre les mains d’une minorité parasite
L’enrichissement des classes possédantes repose exclusivement sur le parasitisme, l’intensification de l’exploitation tandis que l’emballement de la crise, la course à la rentabilité exacerbent la concurrence commerciale et économique et accélèrent la concentration du capital entre les mains d’une minorité richissime au prix de milliers de destructions d’emplois.
Dans la banque, Société générale a annoncé la suppression de 947 postes et… 2,5 milliards d’euros de profits en 2023, + 37 % en un an. La Banque de France va fermer 9 caisses régionales. Deutsche Bank supprime 3 500 postes, en plus des 18 000 disparus depuis 2019.
Google, Amazon, Microsoft, Ebay, Paypal… dans le secteur des nouvelles technologies, 25 000 salariés ont été licenciés en à peine plus d’un mois, et plus de 450 000 en deux ans ! Dans le commerce, la logistique, l’ameublement, le textile… les restructurations et les dépôts de bilans s’enchaînent, menaçant des dizaines milliers d’emplois. Chez Casino, les syndicats estiment à 5000 les emplois menacés entre le siège et les entrepôts et magasins non repris.
Et pendant ce temps, l’inflation continue d’amputer les salaires et les revenus des classes populaires.
Chaque lutte porte la contestation du capitalisme
Malgré l’apathie des directions des centrales syndicales, les mobilisations se multiplient dans les entreprises, souvent isolées les unes des autres. L’ouverture des NAO (négociations annuelles obligatoires) sont l’occasion de nombreux débrayages et journées de grève, comme ces dernières semaines dans certains secteurs de la Poste, entre autres les PIC (plateformes industrielles courrier, anciens centres de tri). Il n’est pas rare que dans les zones industrielles, des piquets de grève se tiennent à quelques centaines de mètres de distance, l’un pour les salaires, l’autre contre des licenciements ou les conséquences des restructurations ou rachats d’entreprises, changement de sous-traitants ou contre des sanctions disciplinaires… Des liens se tissent parfois, à l’initiative de militant·es à la base soucieu·ses·x de faire le lien entre les conflits, de renforcer la conscience que par-delà les conditions de travail, les secteurs, les patrons différents, les mêmes intérêts nous unissent. Ces liens sont à la fois modestes et précieux tant ils changent le regard des travailleurs en lutte sur eux-mêmes, redonnent de la fierté, font prendre conscience de la nature de l’affrontement en cours… et permettent parfois d’arracher de petites victoires.
Les mêmes processus sont à l’œuvre dans de nombreux secteurs, dans le travail social où des collectifs syndiqué·es-non syndiqué·es s’organisent de différentes manières dans plusieurs villes ; dans l’Education nationale où depuis une semaine, des équipes se sont remobilisées pour construire le mouvement à la base, réactivant des liens tissés au cours des mouvements précédents, certains depuis les Gilets jaunes, d’autres avant…
Contre le réarmement réactionnaire et l’extrême-droite, le rassemblement du monde du travail pour ses droits et changer la société
Cette profonde rupture d’une fraction des travailleurs et des classes populaires avec le pouvoir, la « caste » dirigeante, les institutions, ainsi qu’avec tout ce qui leur est lié dont les sommets des partis de gauche et des syndicats, ouvre la possibilité de prise en main de leurs affaires par les travailleurs eux-mêmes. Elle est porteuse de possibilités nouvelles pour les mobilisations et contre l’extrême-droite, qui profite du terrain laissé libre par les vieilles organisations du mouvement ouvrier pour dévoyer les colères sur le terrain du protectionnisme et du nationalisme, cultivant les préjugés xénophobes et racistes, et postule au pouvoir pour servir les intérêts des classes dominantes contre la population.
Pour combattre ce danger mortel, les évolutions politiques en cours ont besoin de s’armer d’un programme, d’une orientation lucide sur les raisons de cette menace et les moyens de la vaincre. Les proclamations démocratiques ou antifascistes sont impuissantes. L’intersyndicale 75 appelle le 12 février à « une journée de lutte contre le fascisme à l’occasion des 90 ans du 12 février 1934 », initiative soutenue par de nombreuses organisations dont le NPA de Philippe Poutou. « Il est urgent de monter le ton et de faire de la lutte contre l’extrême-droite, ses organisations, ses idées, une priorité absolue pour toutes les organisations progressistes et attachées à l’égalité des droits et aux libertés fondamentales. L’année 2024 est également celle du 90è anniversaire de la manifestation du 12 février 1934, riposte antifasciste ouvrière marquant le début de la dynamique populaire et militante qui conduira à la création du Front Populaire et dans laquelle le mouvement syndical joua un rôle majeur » écrivent-ils.
La gauche faillie, le PS et le PC, ont fait du Front populaire un mythe. Il fut en réalité un échec, une trahison du monde du travail qui a laissé la voie ouverte à la guerre et au fascisme.
La mobilisation gigantesque du 12 février 1934 faisait suite aux émeutes à Paris des ligues fascistes armées qui, le 6 février, avaient réussi à faire tomber le gouvernement radical Daladier et porté au pouvoir Doumergue, dont le ministre de la guerre était un certain Pétain. Hitler était au pouvoir depuis à peine un an.
Le 9 février, au cours d’une manifestation appelée par le PCF, six ouvriers furent tués dans les affrontements avec la police. Le 12, une grève générale massive de 24 heures appelée par la CGT paralysait le pays et des dizaines de milliers de travailleur·es envahissaient les rues, répondant aux appels séparés du PS et du PCF, faisant se rejoindre les cortèges aux cris de « Unité, unité ! ». C’était le début d’une mobilisation massive des travailleurs, s’organisant et faisant l’unité à la base, qui allait s’amplifier dans les deux années suivantes, conduisant à la grève générale de mai-juin 36 et aux occupations d’usines qui suivirent malgré la victoire de la coalition électorale du Front populaire. Face aux travailleur·es qui s’organisaient eux-mêmes pour exiger leur dû, occupaient pour la première fois et prenaient possession des usines, le gouvernement Blum fraîchement élu n’eut alors de cesse de rétablir l’ordre et de faire respecter la propriété et la légalité bourgeoise…
Le 3 septembre 1939, trois ans après l’élection du Front populaire, la France entrait en guerre. Le 10 juillet 1940, les députés élus en 1936 votaient les pleins pouvoirs à Pétain par 569 voix pour, seulement 80 contre et 17 abstentions.
En octobre 1934, dans un article intitulé « Où va la France », Trotski écrivait : « Toute l’Europe est entrée aujourd’hui dans l’ère de "contre-réformes" économiques et politiques. La politique de spoliation, d’étouffement des masses n’est pas le fruit des caprices de la réaction mais résulte de la décomposition du système capitaliste. C’est là le fait fondamental et tout ouvrier doit le comprendre s’il ne veut pas être dupé par des phrases creuses. […] La décadence des partis démocratiques est un phénomène universel dont les causes sont dans la décadence du capitalisme lui-même ». « […] Si le prolétariat révolutionnaire ne s’empare pas du pouvoir, c’est le fascisme qui le prendra, inévitablement ! ».
Il ne s’agit pas de plaquer mécaniquement la situation des années 1930 sur celle d’aujourd’hui, de faire des copier-coller et encore moins de répéter les slogans qui ont conduit à la défaite, mais les mécanismes de la lutte de classe obéissent aux mêmes logiques. Le chaos, l’instabilité du capitalisme mondialisé financiarisé, la mise en concurrence généralisée, les guerres, la paupérisation des travailleurs et de nombreux petits propriétaires, artisans, paysans, commerçants engendrent des colères auxquelles la gauche institutionnelle n’a à offrir que « des phrases creuses ». Nombre d’exploité·es ont rompu ou rompent avec les illusions institutionnelles, cherchent à agir, ne craignant pas la radicalité, l’affrontement avec une société qui les écrase. Les reniements, la faillite de la gauche portent une lourde responsabilité dans la montée des démagogues d’extrême-droite.
Cette progression suscite l’inquiétude au sein de la jeunesse, dans le monde du travail, dans le mouvement syndical et politique où beaucoup se demandent comment agir. Le mouvement ouvrier a à s’organiser et faire front pour se protéger physiquement et protéger ses initiatives, ses locaux contre les menées de ces groupes violents, c’est un fait, mais son combat est d’abord politique. Vaincre l’extrême-droite pose la question centrale du renversement du capitalisme, du contrôle des travailleur·es sur la société, de la réorganisation et de la planification de l’économie, de la socialisation des moyens de production, la question de la prise du pouvoir.
Les mécontentements, la révolte, les luttes ont besoin d’une compréhension claire des mécanismes de la lutte de classe pour s’organiser en toute indépendance des forces institutionnelles, qu’elles soient parlementaires ou syndicales, pour le pouvoir des travailleur.es. Ces débats traversent tous les collectifs de lutte, les syndicats, au cœur des mobilisations dans les entreprises, les quartiers, dans la jeunesse… Nous en sommes pleinement partie prenante pour œuvrer au rassemblement autour d’un programme de contestation révolutionnaire du capitalisme, pour le pouvoir de celles et ceux qui font vivre et tourner la société, les travailleur·es.
Isabelle Ufferte