La loi de programmation militaire qui devrait être votée le 6 juin se discute discrètement à l’Assemblée en séance plénière depuis le 22 mai sans rencontrer de grand écho médiatique. Pas de joutes parlementaires pour une loi qui s’apprête à être votée sans soulever d’opposition, sinon à la marge, qui sur le fond fait l’unanimité de la gauche à l’extrême-droite. Elle a été adoptée le 12 mai en commission de défense nationale de l’Assemblée nationale, sans aucun vote contre, les députés PS et EELV s’abstenant, ceux de LFI ne prenant pas part au vote, sans désaccords de fond.

La loi de programmation militaire qui fixe les orientations de la politique dite de défense pour les années 2024-2030 porte à 413 milliards d’euros le budget de l’armée, en augmentation de 40 %. « Un effort historique » a dit Macron, « la précédente loi de programmation militaire avait prévu 295 milliards d’euros de dépenses ». Il s’aligne sur les exigences de l’impérialisme américain et de l’OTAN d’augmentation des budgets militaires à hauteur d’au moins 2 % du Produit Intérieur Brut, un objectif qu’il prévoit d’atteindre à partir de 2025.

Le budget du programme nucléaire militaire double, avec la construction d’un nouveau porte-avion nucléaire. Des milliards seront investis dans le renseignement, les défenses cyber, sol-air, spatiale et maritime, dans des armements plus modernes qui incluent la haute technologie comme les drones, les robots, l’intelligence artificielle, une technologie de pointe au service de la guerre et des profits des marchands de canons. Les effectifs du ministère des Armées vont augmenter alors qu’il n’y a pas d’argent pour les salaires, que les services publics sont dans un état dramatique, comme la santé, les services sociaux ou l’éducation où aucun poste n’est créé dans les écoles pour la rentrée 2023.

Ces dépenses seront bien plus importantes car, précise le gouvernement : « La programmation militaire n’inclut pas les moyens dédiés au soutien militaire à l’Ukraine qui seront financés par ailleurs », hors PLM et sans limites fixées, pour la formation en France de milliers de soldats ukrainiens, l’envoi en Ukraine de conseillers militaires ou de milliers de soldats français et d’armements de toutes sortes en Roumanie, dans les pays baltes...

« Nous sommes en guerre », n’a cessé de répéter Macron, économique, contre le Covid, contre « l’agression de Poutine » en Ukraine… un discours belliciste, de chef de guerre qui voudrait embrigader les classes populaires, les travailleurs et la jeunesse dans l’Union sacrée pour la guerre qu’il mène en Ukraine derrière Biden et l’Otan, pour les soumettre aux intérêts des classes possédantes, leur faire accepter les sacrifices de l’« économie de guerre » et les nouvelles attaques à venir.

Le quoi qu’il en coûte pour la guerre, qui creuse la dette et alimente l’inflation sera payé par les travailleur.es et les classes populaires, les seul.es à qui il est demandé des sacrifices, au nom de ce que seraient « nos valeurs communes », de la démocratie contre les dictatures, cette démocratie désavouée, contestée par le mouvement social et sa colère qui ne faiblit pas contre Macron et son monde.

« Se préparer à des guerres de haute intensité »

« L’armée française se prépare à une guerre de haute intensité » avait titré Le Monde le 15 novembre 2022 dans lequel un responsable de l’état-major expliquait la nécessité de répondre à l’évolution du contexte géostratégique et à la « perspective d’un conflit majeur ». « Il faut se préparer au pire pour éviter qu’il arrive ou pour pouvoir en atténuer les conséquences », y affirmait le général Métayer. Quant aux mots du chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard, « La force militaire fait un retour brutal sur la scène internationale » (11 novembre 2022), ils résument l’escalade guerrière, la guerre économique qui se mène dans le monde par les armes, les guerres, les bruits de bottes… Le pire ne pourra être évité tant que les classes possédantes continueront à imposer à la société leur domination de classe et la loi folle du profit, au prix de mettre le monde à feu et à sang comme aujourd’hui en Ukraine.

Lors d’une visite à Eurosatory, le salon mondial de la défense et de la sécurité, le13 juin 2022, Macron avait assuré du soutien jamais départi de l’État les dirigeants de la base industrielle et technologique de défense (BITD), qui regroupe les 4 000 entreprises du secteur, les incitant à passer à la vitesse supérieure : « Il faudra aller plus vite, réfléchir différemment sur les rythmes, les montées en charge, les marges, pour pouvoir reconstituer plus rapidement ce qui est indispensable pour nos forces armées, pour nos alliés ou pour celles et ceux que nous voulons aider ». « Vous m’aurez à vos côtés », avait-il ajouté, promettant des « décisions » et des « investissements ». Une promesse de super-profits pour les marchands de canons, financés par l’Etat. L’industrie de l’armement ne connaît pas la crise.

« Ces dépenses sont nécessaires pour faire face aux désordres du monde », a défendu Thomas Gassilloud, député Renaissance lors du débat parlementaire, « La priorité est de continuer à réparer nos armées après ces trente années de dividendes de la paix », comme si la paix avait jamais existé pendant ces trente dernières années.

L’agression de l’Ukraine par Poutine le 24 février dernier marque un tournant dans la situation mondiale et ouvre la perspective de conflits « de haute intensité » entre grandes puissances. L’intensification de la guerre et des envois d’armements de l’OTAN inscrivent l’état de guerre dans la durée, comme s’y préparent et l’ont déclaré dernièrement les dirigeants du G7 au Japon, une guerre permanente mondialisée, conséquence de la décomposition du capitalisme mondialisé financiarisé. La concurrence pour l’appropriation des marchés, des ressources, de positions géostratégiques exacerbe les tensions militaires dans le monde, le menaçant d’une conflagration généralisée.

Les Etats se réarment. Les budgets militaires explosent. Les dépenses en Europe ont dépassé leur niveau de la fin de la guerre froide. Rien que pour l’année 2023, les États-Unis ont augmenté leur budget militaire de 8 %, la Chine de 7,2 %. Le Japon, rupture historique, aura doublé son budget militaire d’ici 2027. En 2022, l’Allemagne a annoncé une augmentation de ses dépenses militaires de 100 milliards d’euros. Un détournement massif des richesses produites par les travailleurs et les peuples pour les préparatifs de guerre des classes dominantes concurrentes et rivales.

Union sacrée à l’Assemblée

L’offensive belliciste et nationaliste du gouvernement n’a pas rencontré d’opposition à l’Assemblée. Les députés, de la gauche à l’extrême-droite, partagent le même objectif de renforcement des budgets militaires, au nom de l’indépendance de la France, de la défense de valeurs prétendument communes, pour « maintenir le rang de la France parmi les premières puissances du monde » comme l’a déclaré le ministre de la Défense Lecornu en ouvrant le débat à l’Assemblée, voulant encore croire et faire croire aux classes populaires à cette dite grandeur qui reposait sur le pillage des peuples de son vaste empire colonial, époque révolue.

Les oppositions se sont limitées à des surenchères ou des critiques qui ne remettent pas en cause l’explosion des budgets militaires. Les députés LR ne semblent préoccupés que par l’étalement trop tardif des principales dépenses, dont l’impopularité n’interviendrait qu’après les prochaines présidentielles.

Le Rassemblement National s’en est pris aux programmes de production d’armements franco-allemands défendus par le gouvernement, l’Allemagne se conduisant comme « un partenaire qui n’a qu’une idée : nous remplacer », et aux bavardages sur « l’Europe de la défense », au moment où justement « les Allemands achètent [des F-35] américain ».

Alors que les classes populaires souffrent de l’inflation, des bas salaires, du chômage, de la politique égoïste des classes privilégiées, tous voudraient nous faire croire que nous partageons les mêmes intérêts, que nos adversaires seraient de l’autre côté des frontières, les travailleur.es et les peuples, exploité.es et pillé.es par les mêmes patrons et multinationales, la même classe capitaliste.

La gauche nationaliste et militariste

La NUPES, dans la continuité de la vieille gauche parlementaire participe à l’Union sacrée et ne s’est pas démarquée de l’offensive militariste et patriotique. Tous ses députés se sont inscrits dans la discussion et dans l’écriture du projet de loi du gouvernement en proposant 388 amendements sur les 1133 examinés en commissions préparatoires, tout en présentant son propre contre-projet. Dans les amendements de LFI, « en cohérence avec celui garantissant l’inscription des 413,1 milliards dans le marbre de la loi » l’un d’eux pointait « l’hypocrisie du gouvernement qui parle sans cesse d’économie de guerre sans véritablement s’en donner les moyens ». Le PS qui revendique 30 milliards supplémentaires et LFI défendent « davantage de blindés Griffon et Jaguar », les écologistes davantage de « porte-hélicoptères amphibies » et de « patrouilleurs océaniques ». Le PC a été à l’unisson de ce patriotisme salué par le ministre Lecornu parce qu’il « correspond à la stratégie de souveraineté qu’on souhaite avoir », Fabien Roussel déclarant sur France Inter le 22 mai : « Avoir un budget plus important permettant de nous protéger des menaces, des cyberattaques, des nouvelles technologies, d’investir dans la recherche, oui, mille fois oui. Permettre à nos soldats d’être mieux équipés, de pouvoir s’entraîner, d’avoir des équipements modernisés, oui, mille fois oui. En revanche, investir à ce niveau-là (…) pour bâtir une armée d’intervention sur des terrains extérieurs quand on sait qu’on est aligné sur l’OTAN et derrière les États-Unis, c’est pour nous un sujet. »

Un discours souverainiste, qui rejoint celui du RN qui défend lui aussi une sortie du commandement intégré de l’OTAN, partagé par Mélenchon qui déclarait en février 2022, alors que le gouvernement venait d’annoncer ses projets d’augmentation des budgets pour la future LPM. « Nous ne croyons ni à l’Otan, ni à la Défense européenne qui en est la déclinaison régionale. Nous ne croyons pas qu’il puisse y avoir une Défense européenne qui ne soit autre chose qu’une succursale de l’Otan. ». Il ajoutait, soutenant l’augmentation des budgets militaires : « On n’aura pas la réaction pavlovienne, parce que l’on vient de la gauche et dès qu’on parle de budget militaire, de dire "non, non… On va faire des écoles à la place" ».

Le souverainisme et le militarisme de la NUPES s’inscrivent dans toute la politique de la gauche social-démocrate et stalinienne, depuis l’après-guerre, de soutien aux intérêts de la bourgeoisie et à la politique coloniale de De Gaulle, des massacres de Sétif en Algérie en 1945 quand ses ministres siégeaient dans le gouvernement d’union nationale à la défense de l’Algérie française en 1956, en passant par la guerre d’Indochine, contre les peuples qui luttaient pour leur émancipation.

Une continuité nationaliste et militariste qui désarme les travailleurs et la jeunesse, les soumet à la pression des classes dominantes et de l’Union sacrée autour de la guerre en Ukraine et des multiples guerres dans lesquelles l’armée est engagée pour défendre les intérêts de la bourgeoisie et des multinationales françaises.

Guerre à l’extérieur et guerre à l’intérieur contre les travailleurs, les classes populaires et la jeunesse

« Bercy prépare les esprits à des mesures douloureuses sur la dépense publique pour son budget 2024 » expliquaient Les Échos du 9 mai. Les « esprits » sont bien les salarié.es, les classes populaires à qui le gouvernement se prépare à faire payer le quoi qu’il en coûte pour la guerre, les centaines de milliards qui seront engloutis dans la destruction de matériels, de villes, dans la mort de femmes et d’hommes. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, n’a-t-il pas déclaré en janvier : « Nous passerons au peigne fin toutes les dépenses publiques » afin de procéder à des « réductions significatives » dans le budget 2024. Des coupes claires estimées à 7 milliards… qui manqueront aux classes populaires, à la jeunesse et continueront d’opérer le transfert des richesses du travail vers le capital, après la réforme des retraites, les réformes de l’assurance-chômage et du RSA…

Le cynique Macron veut consacrer aux « classes moyennes » 2 milliards pour « rendre de l’argent » à « ces français et françaises qui travaillent dur », véritable provocation envers les classes populaires, les salarié.es, les précaires, les premier.es de corvée contre lesquels il mène la guerre de classe, la guerre de l’intérieur.

Macron veut aussi mettre la jeunesse au pas, la discipliner et lui inculquer les valeurs patriotiques avec la mise en place d’un Service National Universel, le SNU, qu’il voudrait rendre obligatoire d’ici 2026, pour la former à « la défense et à la sécurité intérieure », encadré par l’armée, avec garde-à-vous et salut au drapeau.

L’offensive militariste et nationaliste répond aux besoins de la « sécurité intérieure et extérieure », la « sécurité globale » pour maintenir la domination des classes privilégiées par le renforcement de l’autoritarisme de l’Etat, le durcissement des lois liberticides, la répression de celles et ceux qui contestent, de la jeunesse des quartiers populaires, contre le mouvement social qui refuse de tourner la page et pose l’exigence des salaires, du pouvoir d’achat, des retraites, des services publics…

Rompre avec l’union sacrée. « L’ennemi principal est dans notre propre pays » (Karl Liebnecht)

En s’émancipant à travers le mouvement, en politisant sa lutte, en luttant pour ses propres intérêts, une fraction des travailleurs et de la jeunesse est en train de prendre conscience de ses intérêts de classe, irréconciliables avec ceux du patronat, des classes possédantes et des politiciens qui les servent, sans avoir encore la conscience claire et la force de formuler une politique de classe qui rompe avec l’union sacrée et se dégage des préjugés nationalistes, chauvins, qui affirme que l’ennemi principal est d’abord dans son propre pays, sa propre bourgeoisie et son Etat. Si l’opposition à la guerre, que les dirigeants des puissances occidentales mènent contre Poutine avec les peuples ukrainiens et russes comme fantassins, ne se formule pas, elle existe bel et bien dans la conscience de beaucoup de travailleur.es et de jeunes qui assistent tous les jours en direct au terrible drame que vivent les populations en Ukraine et les soldats des deux camps, leurs familles.

La lutte contre la guerre, contre l’escalade militariste, nécessite de rompre avec l’union sacrée, de développer une politique de classe, indépendante des appareils politiques et des institutions, qui dénonce la guerre menée par Macron en Ukraine derrière Biden et l’Otan pour le compte du capital occidental, une guerre contre les travailleurs et les peuples.

Elle nécessite le refus des budgets militaires, du SNU, de défendre un programme pour les salaires, les retraites et les pensions indexés sur les prix, contre les licenciements, pour les budgets publics, pour la défense des droits démocratiques et des libertés, l’ouverture des frontières, qui pose la question du nécessaire contrôle des travailleurs et de la jeunesse sur l’ensemble de la société. Au patriotisme, au protectionnisme, les travailleurs opposent la solidarité internationale, la coopération entre les travailleurs et les peuples, condition pour en finir avec les guerres et garantir aux peuples une paix démocratique dans le respect de leurs droits.

Cette indépendance totale de la politique de la bourgeoisie et de son État, de sa propagande mensongère sous-tendues par le nationalisme et la xénophobie est aussi la condition pour que nous soyons à même de défendre nos intérêts sociaux et démocratiques pour en finir avec la dictature du profit et de la finance.

Christine Héraud

 

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