Après que, sans surprise, Macron ait envoyé promener l’intersyndicale et sa demande épistolaire de rencontre, le gouvernement vient de dégainer un nouvel article de la constitution, l’article 44 alinéa 3, qui prévoit que « si le gouvernement le demande, l’Assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement ». Et, en marche forcée, vendredi soir, le Sénat a adopté le projet de loi !

Décidément, leur démocratie parlementaire est bien bâillonnée, sous contrôle, aux ordres ! Une nouvelle provocation, un bras d’honneur du gouvernement et de ses alliés LR au monde du travail en attendant l’adoption de la loi par le 49.3 !

Les manifestations de samedi, quoiqu’en disent les médias qui voient chaque fois la décrue du mouvement, confirment le 7 mars qui a vu 3,5 millions de manifestants affirmer la force, la détermination du mouvement à imposer le retrait, à faire plier Macron. Les grèves reconductibles qui ont démarré dans la foulée dans les transports, chez les cheminots, dans les ports et docks, chez les routiers, dans l’énergie, dans une partie de l’Education nationale, chez les éboueurs soulignent sa vitalité même si, à ce stade, la généralisation de la grève en est à ses premiers pas.

Le 8 mars les femmes ont pris la lutte en main à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes donnant au mouvement un caractère vigoureux et radical, contestant dans un même élan patriarcat et exploitation capitaliste. Le 9 mars, la jeunesse a apporté son dynamisme. Samedi, dans tout le pays, de nouvelles manifestations ont eu lieu. C’est bien l’ensemble du monde du travail qui se rassemble, une mobilisation politique qui conteste radicalement leur système.

Partout, à travers le pays, le monde du travail rassemble ses forces, prend des initiatives interpro, discute ses revendications, prend la mesure des enjeux et objectifs de l’affrontement en cours. Le mouvement se politise, se pense dans la durée, une épreuve de force est engagée avec son propre rythme qui n’est pas celui du gouvernement et du Parlement sur lequel l’intersyndicale voudrait s’aligner. Il est loin d’avoir épuisé ses forces et s’apprête à rebondir à partir de la nouvelle journée du 15 mars.

Macron est aux abois, tout peut basculer

Macron poursuit quant à lui sa politique arrogante et méprisante visant à se construire une autorité qu’il n’a pas en pliant tant le Parlement que l’intersyndicale à sa volonté, les « mettre à genoux », l’illusion de la parano présidentielle. Et l’imposteur, au passage, commet son petit larcin en cherchant à redorer son image en rendant un hommage hypocrite à Gisèle Halimi à l’occasion du 8 mars.

Il est conscient d'avoir perdu la bataille de l'opinion, la majorité de la population est contre sa réforme, il s’en moque pourvu qu’il parvienne à ses fins. Il fait un pari stupide sur le fait que le mouvement, la colère se plieront aux décisions institutionnelles, que la réforme votée ou adoptée par le 49.3 sera appliquée. Il mise sur un vote le 16 mars dans les deux chambres sans en avoir la moindre garantie tout en se préparant au passage en force pariant sur le fait que l’intersyndicale et la majorité des travailleurs n’oseront pas remettre en cause la décision de l’État, du pouvoir, se plieront au jeu antidémocratique des institutions de la bourgeoisie. Les illusions et le mépris l’aveuglent. Bien au contraire ce geste sera perçu comme une agression supplémentaire, un camouflet, il éclairera de façon vive les véritables intentions du pouvoir, plier les classes populaires à sa politique au service du CAC40, à l’engagement de la France dans la guerre, à l’inflation. Il montrera ainsi à toutes et tous à quel point il est vrai que cette réforme a pour objectif essentiel de créer le terrain à de nouvelles attaques et c’est pour cela qu’il ne peut être question de céder.

La dérobade annoncée de la gauche syndicale et politique

Au regard de la politique d’affrontement de Macron, la lettre que l’intersyndicale lui a fait parvenir pour lui demander à être reçue « en urgence » est au mieux dérisoire, en réalité une dérobade comme l’était le fait de ne pas appeler à la reconductible, à la généralisation de la grève le 7 au soir, après les manifs « historiques ». « Le silence du président de la République constitue un grave problème démocratique qui conduit immanquablement à une situation qui pourrait devenir explosive », y écrit l’intersyndicale jouant aux naïfs pour menacer d’une explosion sociale qu’elle craint et ne pourrait contrôler ni maîtriser. Elle dégage sa responsabilité pour accuser Macron en croyant faire pression sur lui ! Elle est dans son rôle d’interlocuteur du pouvoir prétendant représenter le monde du travail, elle négocie sa place dans la défense de l’ordre établi mais ne reçoit en retour que mépris.

A l’opposé, le mouvement a besoin d’une politique lucide, consciente du rapport de force sans provocation ni vantardise qui prépare méthodiquement non une explosion sociale sans direction mais une bataille sociale et politique organisée dont les objectifs sont clairs : le retrait de la réforme et les salaires, une hausse générale des salaires, des pensions et des allocations, leur indexation sur la hausse des prix. Les travailleurs n’ont pas à payer les spéculations des multinationales et des financiers.

Au lieu de cela, Berger se plaint, « Le président de la République ne peut pas rester sourd » ! Et il recherche des alliés au Parlement à droite auprès du député LR du Lot, Aurélien Pradié à qui il a aussi demandé une rencontre ! Ce dernier résumait leurs convergences ainsi : « Le bras de fer politique, la fracturation du pays, ce n’est pas une méthode. […] Le risque aujourd’hui, c’est le blocage du pays, la CFDT ne le souhaite pas, et nous ne souhaitons pas le blocage non plus ».

La démarche de l’intersyndicale va dans le même sens que Mélenchon qui propose au gouvernement deux portes de sortie : la dissolution de l’assemblée ou un référendum. Prise de panique devant une radicalisation de la lutte, elle reprend à son compte l’impasse du référendum. Leurs démarches restent dans le cadre institutionnel et le protègent, elles canalisent le mouvement, le détournent du nécessaire affrontement de classe, « la fracturation du pays », de ses tâches d’auto-organisation pour prendre en main sa lutte, discuter et définir sa politique, tâches que la proximité des échéances rend urgentes.

Place à la démocratie, aux AGs, aux interpros, aux collectifs

Au regard de sa puissance, de sa radicalité, la grande faiblesse du mouvement est sa difficulté à s’organiser sans laisser le pouvoir de décision à l’intersyndicale, en instaurant des structures de base démocratiques.

Chacune et chacun ont conscience que la répétition des journées de manifestation est impuissante. Il serait illusoire de croire que la dynamique propre du mouvement suffira à obliger les organisations syndicales à lui permettre d’aller jusqu’au bout de ses possibilités. Leur politique est à l’inverse d’utiliser au mieux en fonction de leurs intérêts d’appareil les possibilités du mouvement tout en le contrôlant, le limitant au respect du cadre institutionnel, de leur routine et conformisme, à étouffer toute pensée indépendante qui ne craigne pas « la fracturation ».

Se dégager de cette pression idéologique, politique, morale qui s’exerce au nom de la prétendue démocratie du parlementarisme, du respect de l’ordre établi, se donner les moyens d’agir, de construire la lutte en toute indépendance des calculs institutionnels passe par l’organisation des travailleurs, des grévistes par eux-mêmes dans les entreprises et les quartiers, de se regrouper dans des collectifs, des comités pour la généralisation de la grève, pour se donner les moyens d’être les militants politiques de leur propre mouvement en rompant avec le cadre du dialogue social que veut imposer l’intersyndicale.

Cela veut dire reprendre les exigences que porte le mouvement, oui, en premier lieu, le retrait de la réforme, mais aussi la question des salaires et des pensions, c’est ainsi que le monde du travail pourra unir ses forces contre tous ceux qui misent sur l’inflation et la hausse des prix, les difficultés quotidiennes pour décourager de faire grève.

C’est bien la crainte d’un mouvement qui rompe avec les cadres institutionnels syndicaux et politiques, qui porte les revendications fondamentales du monde du travail qui pourra faire reculer Macron et la minorité capitaliste qu’il sert.

Élargir le mouvement, élargir ses exigences, l’ancrer dans la grève

Une telle démarche suppose de prendre en compte la dimension politique de la lutte. Les dirigeants syndicalistes prétendent ne pas faire de politique, en réalité ils laissent les politiciens faire leur politique au Parlement pour, eux, gérer leur rapport institutionnel avec l’État et le patronat s’imposant comme « les représentants » des travailleur·e·s. Chacun sa politique !

Et les uns et les autres voudraient limiter nos luttes, nos revendications à des revendications syndicales, dites économiques, en s’interdisant de remettre en cause la politique globale des classes dominantes, du patronat et de leur État. Tout au plus, osent-ils parfois parler de « projets de société » différents. Et leur radicalité s’arrête, au mieux, à dire « on bloque tout, on va arrêter l’économie et tout va s’arrêter » en censurant la dimension politique de la généralisation de la grève. La grève de masse est une mobilisation politique du monde du travail qui postule à imposer sa loi contre celle du capital. Rompre avec une forme de passivité, c’est en prendre conscience, agir et diriger sa lutte en fonction. Certes, l’heure n’est pas à la conquête de la démocratie, du pouvoir, mais à nous rassembler pour faire valoir des droits élémentaires, mettre un coup d’arrêt à l’offensive des classes dominantes, une bataille qui implique la compréhension qu’entre elles et nous, il n’y a pas de dialogue social, de collaboration possible.

Personne ne connaît l’issue du mouvement actuel, mais même dans le cadre d’une défaite revendicative, plus la fraction militante qui en prendra conscience sera renforcée, aura construit des liens, acquis des réflexes politiques comme organiser de vraies assemblées générales, discuter et décider collectivement, formuler une politique en réponse aux directions syndicales, mieux nous serons armés pour la suite.

Remettre en cause le pouvoir des actionnaires, de la finance et de leurs serviteurs

Le mouvement éclaire la réalité et les enjeux de la situation face à l’absurdité d’un système capitaliste en perdition : les 13 milliards d’euros que Macron veut ôter aux retraites des Français sont moins du tiers de l’augmentation annuelle du patrimoine d’un seul milliardaire, Bernard Arnault. Avec 140 milliards d'euros, les bénéfices du CAC40 pour 2022 se maintiennent à un niveau historique. Selon la première estimation des comptes nationaux de l’Insee pour le quatrième trimestre 2022, le total des dividendes versés l’an dernier par les sociétés financières et non financières atteint pratiquement 270 milliards d’euros. Encore un record historique ! Jamais les entreprises françaises n’ont versé autant de dividendes à leurs actionnaires depuis 1949 !

A titre de comparaison, l’Unedic a attribué 33,4 milliards d’allocations aux chômeurs l’an dernier. Les réformes Macron de l’assurance chômage vont retirer 6,7 milliards aux sans emploi.

Cette logique inégalitaire, injuste et inhumaine est inhérente au système, elle est au cœur de la révolte qui soulève des millions de travailleurs, de jeunes, de femmes. C’est cette révolte que Macron et les siens veulent étouffer ou briser.

Une nouvelle génération militante de tous âges en prend conscience et rompt avec tous les marchands d’illusions de la gauche syndicale et politique, cette gauche qui a la première engagé l’offensive destructrice contre les retraites, les Rocard, Touraine et autres.

Pour devenir une force active porteuse d’une perspective politique, capable de changer les rapports de forces cette nouvelle génération a besoin de s’organiser, de construire des liens pérennes sur les lieux de travail, d’habitation, d’étude, de « se constituer en parti » comme l’écrivait Marx. Sans attendre, c’est ce qui a commencé à travers les interpros, les collectifs, les AGs, les actions qui préparent et discutent de l’étape de demain, de notre lutte à partir du 15 mars pour imposer à Macron, au patronat, au Parlement le retrait de la réforme.

Yvan Lemaitre

 

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