Samedi, Macron, toujours à la recherche d’un.e premier ministre introuvable, organisait dans les salons de l’Elysée la passation des pouvoirs à lui-même sous le masque de sa « Renaissance », « un nouveau président » pour « un nouveau peuple », « Ensemble » avec ses alliés du Modem et d’Horizons, étrange renaissance portée par de vieux caciques politiciens ! L’image est tout un programme !

De son côté, Mélenchon, comblé d’occuper depuis le lendemain du deuxième tour de la présidentielle les devants de la scène des tractations politiciennes, fêtait ses retrouvailles avec le PS à l’occasion de la première convention de la Nouvelle union populaire, sociale et écologique. Difficile de savoir ce que sera l’avenir de ce cartel de gauche, nouvel élan « historique », que vante Mélenchon fervent croyant en la vertu du verbe et des… manœuvres parlementaires, ou syndic de faillite des partis de gauche rassemblés dans un même « Sauve qui peut ». L’enjeu était en réalité tout aussi vital pour l’Union populaire qui, réduite à LFI, risquait de ne pas avoir un grand avenir devant elle. Le vote utile contre Le Pen a perdu son efficacité pour les législatives et l’appel à faire de ces élections le « troisième tour » de la présidentielle afin d’élire Mélenchon Premier ministre de Macron pourrait bien prendre l’eau, apparaître pour ce qu’il est, un coup de bluff !

Quant à Marine Le Pen, elle reste en dehors des manœuvres parlementaires, accaparée par son obsession de renforcer son clan contre ses meilleurs amis, Zemmour et sa nièce...

Les trois blocs politiques du deuxième tour de la présidentielle vont probablement laisser la place à la majorité présidentielle du pouvoir dont le visage de droite extrême se dessinera de plus en plus nettement sous la pression de l’évolution du capitalisme à l’échelle mondiale. A gauche, chacun aura sauvé ce qu’il pouvait et reprendra sa vie d’appareil institutionnel gérant ses intérêts matériels. A l’extrême droite, les rivalités et les haines cuites et recuites entre différents clans continueront leur petit travail, laissant à Macron le soin de faire le sale boulot tandis que les groupes fascisants prospéreront à l’ombre du bloc réactionnaire renforcé et élargi.

Rien n’est écrit, certes, et toutes les surprises sont possibles. Comme au premier tour de la présidentielle, une fraction du monde du travail et de la jeunesse pourrait s’emparer à nouveau des candidatures de la Nouvelle union populaire pour exprimer sa colère, ses aspirations, sa volonté de changer le monde. Au-delà de l’impasse politique que représente la Nouvelle union populaire, un bon résultat électoral de sa part pourrait bousculer la donne, mais pas sur le fond ni sur les réels rapports de forces qui vont s’écrire lors de ce troisième tour électoral et après. L’électoralisme, le vote utile, la croyance que le bulletin de vote est seul en mesure de changer les choses comme le prétend Mélenchon, tire sa force, si l’on peut dire, de la déprime de la gauche et de son électorat flattant les démoralisations au risque d’entraîner de nouvelles déceptions.

La surprise ne pourrait en réalité venir que de l’intervention de la classe ouvrière pour son propre compte, en toute indépendance des jeux et calculs parlementaires, sur son propre terrain et avec ses propres armes, celles de la lutte de classe ouverte et sans masque.

Vous avez dit « historique » ?

Il ne manque pas de soutien enthousiaste vantant l’accord qualifié d’historique entre les restes de l’ancienne union de la gauche et les nouvelles ambitions hétéroclites que Mélenchon a rassemblées autour de lui dans LFI. Un nouveau PS serait en train de naître au grand dam des vieux caciques de Hollande à Cambadélis, en passant par Dray. Cazeneuve a claqué la porte, « Cet accord est une remise en cause de l’histoire même du socialisme, de François Mitterrand et ses engagements européens, de Lionel Jospin et sa crédibilité économique et ses avancées sociales ». Ce à quoi le secrétaire national du PS aux élections, Pierre Jouvet, répond : « Si on en est là aujourd’hui, c’est de la faute de qui ? Qui a sur le dos la responsabilité de l’échec de la gauche ? Qui a fait dans ce pays que la gauche qui avait tous les pouvoirs s’est retrouvée écroulée ? Je dis à ces éléphants : laissez-nous faire, vous avez sabordé le PS quand il était au plus haut niveau ». C’est indiscutable, mais la question est plus politique que personnelle même si chaque politique trouve ses porte-parole adéquats.

A droite, le retour des fantômes du passé, quand elle prédisait l’arrivée des chars soviétiques à Paris si Mitterrand était élu Président en 1981, déclenche une plus tranquille hystérie qu’alors. « Trahison », « abandon » des idées, Woerth, ex-Les Républicains rallié à Macron, dénonce « des accords de politicaillerie ». Muselier, président du conseil régional Sud-Paca et soutien de Macron, rajoute : « toutes les forces de gauche se soumettent aux insoumis. C’est leur survie, ils ont fait ce choix, ils s’assoient sur leur histoire ». Une dénonciation bien timide relayée de façon plus virulente par les médias partant en croisade contre l’islamo-gauchisme…

Il faut dire que Mitterrand avait un programme autrement plus radical de « rupture avec le capitalisme » associant au PS un PC encore puissant, fort de 20 % des voix ! Les ambitions de Mélenchon sont bien plus modestes, ne pas laisser les pleins pouvoirs à Macron !

Le Smic à 1400 euros ou le « droit à la retraite à 60 ans », si tant est que Mélenchon et ses amis du PS aillent jusque-là s’ils en ont la possibilité, ne font guère trembler la bourgeoisie. Et le vide politique de cette union est symbolisé par son mot d’ordre « Mélenchon premier ministre ! ». Autant dire que s’il y a quelque chose d’historique dans cette alliance, c’est qu’elle est une des expressions du jeu d’impostures qui caractérise le moment que nous vivons, cette séquence électorale sous le signe de la « Renaissance » voulue par Macron ! Les fantômes du passé tentent de trouver des habits neufs pour tenter de survivre dans un monde qui les a déjà quittés.

« Conquérir le pouvoir » ou gérer les affaires de la bourgeoisie ?

« Avec ce troisième tour, la lutte reprend : on peut conquérir le pouvoir. L’enjeu est immense : tous ceux qui attendaient l’augmentation du Smic ou la retraite à 60 ans en savent quelque chose. Le dernier élément clé, c’est notre capacité à démontrer qu’on fait tout ce qu’on peut pour unifier le maximum de forces ». Mélenchon invite à « conquérir le pouvoir ». Il laisse croire qu’il suffit de rassembler les restes de la gauche pour cela, lui qui, ancien trotskyste, a participé depuis Mitterrand jusqu’à aujourd’hui à l’évolution de la gauche libérale en particulier en étant ministre de Jospin. Très consciemment, il bluffe, il ment ! Mélenchon Premier ministre n’aurait d’autre choix que de se plier aux exigences du capital, aux contraintes du contexte géopolitique et économique marqué par les tensions internationales, la guerre, l’inflation, la menace de récession et de krach financier.

Contre le va-t-en-guerre Macron, ce président de la finance honni par la majorité de la population, il n’est pas question d’appeler à la mobilisation contre le capitalisme, mais à la mobilisation électorale en vue de « contraindre » à le nommer Premier ministre.

Dans cette période de crise globale, économie de guerre, guerre économique contre le travail, guerre mondialisée entre grandes puissances et par peuples interposés, il est tout disposé à endosser le rôle de Chef d’État-major de l’armée, promoteur d’une défense nationale « non-alignée » pour défendre les intérêts du capital national. Ainsi qu’il a tenu à le rappeler, sur le terrain de la politique étrangère, il n’y aura pas une feuille de papier à cigarette entre lui et Macron !

À cet égard, La France Insoumise prône l’indépendance économique par une politique de relocalisation industrielle, « relocalisation des productions essentielles, engager ce plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France dans les domaines stratégiques (semi-conducteurs, médicaments, etc.) » comme elle le soutient dans son programme. Une telle politique, pour beaucoup illusoire, implique un recours massif à l'intervention de l’État pour financer le capital au prix d’un accroissement de la dette que devront supporter les travailleurs et, surtout, pour pouvoir soutenir la concurrence sur le marché mondial, de la réduction drastique des coûts de production, des salaires et de la détérioration des conditions de travail, du nivellement par le bas des conditions sociales des travailleurs, alignées sur celles des pays émergents concurrents.

La Nouvelle union populaire, loin d’encourager les mobilisations et les luttes, prône la résignation au nom d’une politique parlementaire, électoraliste, pour gérer le système tout au plus au prix de quelques concessions, si la grande bourgeoise l’accepte, pour acheter la paix sociale.

Cette démagogie parlementaire laissera un goût amer au sein des partis et des militant.es qui se seront pliés aux ambitions personnelles de Mélenchon et de quelques autres sans porter la moindre perspective politique crédible. Sa déroute annoncée prépare de nouvelles démoralisations mais aussi une nouvelle lucidité, un approfondissement des ruptures en cours avec les jeux institutionnels et leurs acteurs.

La crise historique du capitalisme et de ses institutions n’a de réponse que révolutionnaire

« Le 3 mai 1936, le Front populaire gagnait les élections législatives. Le 3 mai 2022, nous nous rassemblons au sein d’une Nouvelle Union populaire écologiste et sociale. Ensemble, écrivons l’histoire en gagnant ces élections législatives », écrit Fabien Roussel, dupe lui-même de son propre discours espérant ainsi éviter l’issue fatale que sa politique prépare. Cette évocation de la victoire électorale du 3 mai 1936 qui se voulait le symbole de cette gauche retrouvée est en réalité le symbole de l’incapacité de cette gauche à rompre avec le capitalisme et ses institutions jusqu’à se retourner contre la classe ouvrière. Ce n’est pas le gouvernement Blum qui fit trembler la bourgeoisie mais bien la grève générale, les occupations d’usines, les manifestations ouvrières, la révolution en marche. Ce sont elles qui imposèrent les concessions auxquelles le patronat fut contraint avant que la gauche ne mette tout son poids, en particulier le PC et Maurice Thorez, pour arrêter le mouvement. « Il faut savoir terminer une grève » et « Tout n’est pas possible » sont restés comme les mot d’ordre de la capitulation !

La révolte ouvrière et populaire était alors en fait une contestation bien plus globale, politique, face à la crise du capitalisme qui nourrissait la montée du fascisme et la marche à la guerre.

Le Front populaire canalisa le mouvement, le brisa jusqu’à faire tirer sur les travailleurs en 1937, abandonna la révolution espagnole à la répression fasciste, pour finir par voter les pleins pouvoirs à Pétain sauf une minorité du PS après que le PC eut été interdit. Son histoire est une illustration de l’impuissance tragique de cette gauche bourgeoise, institutionnelle.

De ce point de vue, la Nouvelle union populaire, son programme apparaissent totalement décalés comme si nous étions toujours à l’époque des Trente glorieuses, même pas un programme réellement réformiste qui prétendrait changer le système en croyant à l’action institutionnelle combinée aux luttes et mobilisations sociales.

Aucun des problèmes posés par le développement du capitalisme mondialisé, financiarisé, militarisé n’est abordé de façon un tant soit peu sérieuse. 

La période de crise globale du capitalisme que nous connaissons n’a pas encore la même ampleur qu’à la fin des années trente mais sa dimension internationale, sociale, démocratique, écologique lui donne déjà un caractère de gravité sans égal. Et c’est bien au regard de cette crise dont l’aggravation est inéluctable ainsi que des leçons de l’histoire qu’il nous faut apprécier cette Nouvelle union populaire, une impasse et un piège.

Pour les législatives, les travailleurs n’ont aucune raison d’apporter leur soutien à l’électoralisme plébiscitaire de Mélenchon.

Les élections à venir ne peuvent être, pour les révolutionnaires, qu’une tribune pour combattre les illusions du vote utile et donner confiance aux travailleurs, aux jeunes qui se révoltent contre le système, les aider à s’organiser pour se préparer à l’affrontement qui mûrit sans mettre un doigt dans les manœuvres parlementaires. Nous voulons non seulement contester le régime présidentiel, ses institutions antidémocratiques mais et surtout en appeler à la mobilisation des travailleurs, des femmes, des jeunes pour leurs revendications, leurs exigences et imposer leur gouvernement, un gouvernement des travailleur.ses et de la population qui prenne le contrôle de l’économie afin de satisfaire aux exigences sociales, écologiques, sanitaires, démocratiques de la population.

Le mouvement révolutionnaire mènera sa propre campagne pour montrer que seule la prise en main de la société par la classe des producteurs, un gouvernement des travailleurs et de la population, pourront mettre en œuvre les mesures d’urgence pour faire face à la faillite du capitalisme, la guerre, la banqueroute économique, la catastrophe sociale et écologique en cours, la montée de l’extrême droite et de la réaction, construire un monde nouveau vers le socialisme et le communisme.

Ce sont les producteurs, les exploités et les dominés qui font l’histoire à travers la lutte de classe, pas les élections et les calculs parlementaires.

Yvan Lemaitre

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