Le gouvernement, la droite et l’extrême-droite sont lancés dans une surenchère sécuritaire et xénophobe, exploitant les craintes, le désarroi suscités par les attentats pour mieux diviser la population, les travailleur-se-s. Sarkozy, Fillon, Valls…, c’est à qui sera le plus décomplexé, surfant sur les psychoses, se drapant dans la « République », creusant le sillon du FN et de Le Pen. L’« affaire du burkini », son instrumentalisation, ont amplifié l’offensive xénophobe et encouragé la libération de la parole raciste contre les musulman-e-s et plus largement les immigré-e-s, en particulier originaires des pays arabes.

Le combat contre le poison mortel du racisme et de la xénophobie, armes des oppresseurs de tous pays et de toutes confessions, est central pour l’unité de notre classe. Ce combat est partie intégrante de la lutte pour l’égalité des droits, contre toutes les oppressions et stigmatisations. Il ne peut en particulier ignorer le combat féministe, pour l’égalité des sexes. Pourtant, lors de la condamnation des arrêtés anti-burkini, certain-e-s ont tu toute critique sur l’instrument d’oppression et de domination qu’est le burkini… Plus largement, certain-e-s au nom du combat antiraciste pensent nécessaire d’abdiquer, ou pour le moins de relativiser le combat pour l’égalité des sexes.

Ne pas faire de ces combats un même combat, internationaliste, paralyse et ouvre la porte à bien des dérives.Chaque jour, dans le monde entier, des femmes sont violées, vitriolées, excisées, violentées, meurent sous les coups de leur compagnon, subissent de multiples discriminations, sont enfermées, cachées, surveillées, humiliées parce que femmes. Elles sont les premières victimes de la crise, subissent de plein fouet l’exploitation, le chômage, la misère et sont en première ligne de l’offensive réactionnaire et de la remontée des préjugés sexistes.

La lutte contre l’oppression des femmes, pour l’égalité entre les sexes participe du même combat que la lutte contre la xénophobie et les discriminations liées à l’origine, la religion, la couleur de la peau. Ces combats sont partie prenante d’une même lutte pour l’émancipation et l’unité de notre camp social

Pas de hiérarchie dans la lutte contre les oppressions

En même temps que nous contestons les arrêtés anti-burkini et défendons le droit des femmes qui le portent à accéder à l’espace public et à la plage, nous ne pouvons pas taire ce qu’est le burkini, instrument de domination, que celles qui le portent le fassent par contrainte ou disent le faire par choix. On ne peut que regretter qu’une partie de ceux avec qui nous nous sommes retrouvés pour condamner ces arrêtés aient fait semblant de voir dans le burkini « un vêtement comme les autres » pour reprendre le titre d’un article d’Edwy Plenel.

Non, cette « tenue de bain » n’a rien d’un vêtement comme un autre… à part le fait que des multinationales à la Marks & Spencer y ont vu une marchandise à vendre. Le burkini n’a manifestement pas vocation à protéger les femmes du soleil, du sel ou du sable… mais à les « protéger » du regard des hommes. Une violence vis-à-vis des femmes que ces tenues enferment et réduisent à la condition d’objet sexuel, coupables de tenter les hommes si elles ne couvrent pas leurs chairs. Une violence qui atteint en miroir les hommes, les enfermant dans la condition de consommateurs sexuels.

Alors pourquoi cette hémiplégie, cet « oubli » d’une oppression pour en dénoncer une autre tout aussi insupportable ? L’égalité des sexes n’était pas le sujet ont expliqué certain-e-s, le sujet était le racisme, point. Crainte d’affaiblir le propos ? Mais bien au contraire, c’est le silence qui discrédite : on ne peut réellement combattre une oppression en faisant comme si on ne voyait pas celle d’à côté. Sans compter que c’était laisser les Sarkozy, Valls, Juppé, Macron and Co dénoncer « l’asservissement de la femme » (Valls) et les instrumentaliser pour mieux discriminer !

Antiracisme et féminisme, pour l’égalité des droits de toutes les femmes et tous les hommes

Certain-e-s, au sein d’une partie du mouvement antiraciste, vont plus loin et théorisent le fait que le prétendu féminisme « blanc » ne peut comprendre et porter les intérêts des femmes « non-blanches », « racisées »… Certaines se revendiquent d’un « féminisme islamique ». D’autres vont jusqu’à considérer le « féminisme français » raciste par essence puisque le fait de femmes issues d’un pays colonialiste…

Des conceptions qui utilisent, intériorisent les armes de nos adversaires, de tous les oppresseurs : enfermer chacun dans une catégorie, une patrie, une église, une ethnie, une « race »… Un repli communautariste lourd de danger pour les exploité-e-s.

Ce repli est théorisé par des mouvements tels que le Parti des Indigènes de la République. Une de ses fondatrices et porte-parole, Houria Bouteldja, estime dans un livre récent (Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l'amour révolutionnaire) que les femmes « racisées » n’ont pas à se révolter contre « leurs » hommes car ils sont sous la domination des « blancs » : « J’en viens à préférer les bons gros machos qui s’assument. Je vous le dis mes sœurs, il faut trancher dans le vif. Quand les hommes de chez nous se réforment sur injonction des blancs ce n’est pas bon pour nous ». Pour elle, « la critique radicale du patriarcat indigène est un luxe. Si un féminisme assumé devait voir le jour, il […] passera obligatoirement par une allégeance communautaire. Du moins aussi longtemps que le racisme existera » ou encore : « Mon corps ne m’appartient pas. Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches ».

Elle expliquait déjà il y a 10 ans dans la revue Contretemps (dans un entretien intitulé « féminisme et antiracisme » numéro 16, mai 2006) « il n’y a pas de féminisme universel »… « le féminisme français aurait beaucoup à gagner s’il commençait à se considérer comme un particularisme »…

Les droits auxquels peuvent prétendre les femmes ne seraient donc pas universels ? Droit de vote, indépendance juridique et économique, droit à la contraception, à l’avortement, au divorce, droit de choisir sa sexualité, droit de sortir seule dans la rue, de ne pas cacher son corps… ne vaudraient pas pour toutes les femmes ? Ne sont-ils pas bien au contraire des combats sans patrie ni frontière, sans couleur de peau, d’appartenance ethnique ou religieuse ? Il n’y a pas un féminisme blanc, noir, catholique, juif, hindou ou islamique, mais une lutte pour l’émancipation qui se mène dans des contextes différents, avec des histoires et des degrés d’oppression incontestablement différents, une lutte universelle pour l’émancipation qui doit faire face, sous toutes les latitudes et continents, aux pouvoirs en place et aux Eglises !

Le 8 mars 1979 à Téhéran, alors que Khomeiny venait d’être porté au pouvoir et appelait à porter le voile sur les lieux de travail, on pouvait lire dans le cortège de milliers de manifestantes iraniennes « La liberté n’est ni occidentale, ni orientale, elle est universelle ». Et des femmes meurent pour elle.

Nous ne sommes pas d’un côté des blanc-he-s coupables car issu-e-s de pays coloniaux et de l’autre des « racisé-e-s ». Nous refusons la violence de l’enfermement dans des cases qui visent à nous diviser, niant notre individualité, nous enjoignant de nous conformer à des catégories et intérêts supérieurs, famille, patrie… Nous sommes des militant-e-s de l’émancipation n’appartenant à aucun drapeau, aucune frontière, aucune église.

Nous combattons la xénophobie, les discriminations, la ségrégation… ce qui est bien au-delà de « l’islamophobie ». Ce mot passé dans le langage courant par facilité -ou adaptation aux pressions- est un piège car il renvoie en miroir à une possible islamophilie. Les deux nous sont étrangers, nous ne nous situons pas sur le terrain de la religion, l’islam pas plus qu’une autre. Nous combattons les préjugés et le racisme, dont celui qui vise les musulman-e-s ou prétendu-e-s tel-le-s. Un combat démocratique, qui rejoint l’ensemble des luttes d’émancipation, dans le respect de tou-te-s et de chacun-e-s, en unissant nos révoltes, en respectant et incluant nos différences.

Respect et émancipation ou condescendance ?

Respecter l’autre c’est appeler les choses par leur nom, ne pas considérer de façon condescendante qu’il y a une vérité pour les un-e-s et une autre pour d’autres. Et que celles qui portent le hidjab ou le burkini le fassent par contrainte ou par « choix » ne change rien à ce qu’ils représentent.

Voici ce qu’écrivait Simone de Beauvoir en 1949 sur les femmes et la liberté dans l’introduction à son ouvrage, Le deuxième sexe : « Si nous passons en revue quelques-uns des ouvrages consacrés à la femme, nous voyons qu’un des points de vue le plus souvent adopté, c’est celui du bien public, de l’intérêt général : en vérité, chacun entend par là l’intérêt de la société telle qu’il souhaite la maintenir ou l’établir. Nous estimons quant à nous qu’il n’y a pas d’autre bien public que celui qui assure le bien privé des citoyens ; c’est du point de vue des chances concrètes données aux individus que nous jugeons les institutions. Mais nous ne confondons pas non plus l’idée d’intérêt privé avec celle de bonheur : c’est là un autre point de vue qu’on rencontre fréquemment ; les femmes de harem ne sont-t-elles pas plus heureuses qu’une électrice ? La ménagère n’est-elle pas plus heureuse que l’ouvrière ? On ne sait trop ce que le mot bonheur signifie et encore moins quelles valeurs authentiques il recouvre ; il n’y a aucune possibilité de mesurer le bonheur d’autrui et il est toujours facile de déclarer heureuse la situation qu’on veut lui imposer : ceux qu’on condamne à la stagnation en particulier, on les déclare heureux sous prétexte que le bonheur est immobilité. C’est donc une notion à laquelle nous ne nous référons pas […] Tout sujet se pose concrètement à travers des projets comme une transcendance ; il n’accomplit sa liberté que par son perpétuel dépassement vers d’autres libertés ; il n’y a d’autre justification de l’existence présente que son expansion vers un avenir indéfiniment ouvert […] Ce qui définit d’une manière singulière la situation de la femme c’est que étant, comme tout être humain, une liberté autonome, elle se découvre et se choisit dans un monde où les hommes lui imposent de s’assumer comme l’Autre.[…] Comment dans la condition féminine peut s’accomplir un être humain ? Quelles voies lui sont ouvertes ? Lesquelles aboutissent à des impasses ? Comment retrouver l’indépendance au sein de la dépendance ? Quelles circonstances limitent la liberté de la femme et peut-elle les dépasser ? Ce sont là les questions fondamentales que nous voudrions élucider. C’est dire que nous intéressant aux chances de l’individu nous ne définirons pas ces chances en terme de bonheur, mais en termes de liberté ».

Nous nous battons pour l’accès de chacune et chacun à cette liberté. Nous portons un projet d’émancipation et sommes matérialistes, convaincu-e-s que l’émancipation ne peut qu’être l’œuvre des opprimé-e-s eux-mêmes, ici sur terre. Nous respectons les croyances, les choix de chacun-e mais n’abdiquons pas de nos convictions et militons contre toute forme d’oppression, contre tout ce qui vise à contrôler le corps et l’esprit, pour le progrès humain, la maitrise par chacun-e de sa propre vie, qui passe par la maîtrise de son corps, de sa sexualité.

La lutte contre le racisme, celle pour l’égalité des sexes, sont parties intégrantes d’un même combat pour l’unité et la solidarité de notre camp social, contre l’offensive réactionnaire qui vise à soumettre les opprimé-e-s, les diviser pour mieux imposer la domination d’une minorité de parasites. Elles sont intimement liées aux luttes sociales, à la lutte de classe quotidienne, par-delà les frontières, pour une société débarrassée de l’oppression, de l’exploitation.

Isabelle Ufferte

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