Ces derniers mois, la CGT a suscité un véritable flot d’insultes vu la place qu’elle a occupée dans la lutte contre la loi travail : « casseurs », « chienlit », jusqu’à Gattaz qui a assimilé les militants CGT à des « voyous » et des « terroristes » !

Au-delà de la haine de classe de tous ces privilégiés, s’exprime une réalité politique. De fait, après 4 mois de mouvement pour le retrait de la loi Travail, Martinez et la CGT tournent le dos à la politique de quasi-soutien à Hollande menée par la centrale depuis 2012.

Quel est le contenu de cette nouvelle radicalité de la CGT et quelle est la part de défense de ses intérêts d'appareil dans la situation actuelle ? Qu'en est-il de la politique du « dialogue social » dans la CGT aujourd'hui, parmi les militants, parmi les travailleurs qui sont intervenus dans le mouvement ? Quels débats mener dans les syndicats pour renforcer la conscience de classe, pour aider à comprendre les évolutions et armer les militants, les travailleurs, la jeunesse à affronter la période qui vient ?

Le mouvement et une crise interne obligent la CGT à aller plus loin qu’elle ne le voulait

L’affaire Lepaon a été l’expression d’une profonde crise dans la CGT. Mais au-delà de la question de son train de vie, c’est bien le problème de la politique de soutien à Hollande qui a suscité la colère de bien des militants.

En effet, les mauvais coups ne datent pas de la loi El Khomri. Dès 2013, Hollande et Ayrault imposent l’ANI et une contre-réforme des retraites avec le passage à 43 annuités pour l’obtention du taux plein. Puis viendront le pacte de responsabilité, les cures d’austérité dans les services publics pour le financer, les attaques contre les droits syndicaux avec la loi Rebsamen, etc. Face à ces reculs, la CGT reste passive, ce qui nourrit un profond mécontentement dans le syndicat qui va conduire à l’éviction de Lepaon mais aussi à des congrès houleux comme celui de la Santé.

Dans ce contexte, Martinez et la nouvelle équipe dirigeante vont d’abord se montrer prudents, en se situant dans la même continuité politique. En septembre, il explique au Monde « le syndicalisme, par essence, est réformiste » en refusant le qualificatif de « contestataire ». A l’annonce de la loi El Khomri, le 1er communiqué de l’intersyndicale sera d’ailleurs sur le terrain de la CFDT, en déclarant que les organisations signataires sont « disponibles pour engager le dialogue »… Pas un mot sur le retrait de la loi dans son ensemble. Pas de plan de bataille non plus, si ce n’est la journée déjà prévue par la CGT le 31 mars.

Heureusement, les organisations de jeunesse lancent un appel à manifester le 9 mars, que des syndicats relaient dans les entreprises, en prenant position ouvertement pour le retrait de la loi, ce que la direction de la CGT va reprendre. En quelques jours, des syndicats, des UD, des intersyndicales locales appellent au final à la grève pour le 9 mars qui sera un vrai succès.

C’est dans ce contexte, après plusieurs journées de manifestations que s’ouvre le congrès de la CGT en avril. Pour Martinez et la nouvelle direction, l’enjeu est de faire oublier l’affaire Lepaon, mais aussi de relancer l’appareil concurrencé par la CFDT sur le terrain du « dialogue social » et qui talonne la CGT lors des dernières élections professionnelles. Cette situation impose à la CGT de s’affirmer face au gouvernement qui joue à fond la carte de la CFDT, en ne laissant comme marge de « dialogue social » que le ralliement le plus total à sa politique.

Mais surtout le mécontentement s’exprime dans le congrès, traduisant certes une influence grandissante de l’extrême-gauche dans la CGT, mais exprimant surtout la colère de tout un milieu de militants, PC, Front de gauche ou proches qui veulent en découdre avec le gouvernement.

Cela se traduit par des votes particulièrement critiques : le bilan d’activité recueille 59 % de vote pour et le rapport d'orientation 62,77 %. La partie sur le « syndicalisme rassemblé » avec la CFDT ne passe qu’avec 57,6 % de votes pour. Une première à la CGT ! De même, le débat nourri sur le mouvement et ces suites se traduit par une motion appelant à la grève et sa reconduction pour imposer le retrait de la loi.

Si l’appareil n’a pas changé lors de ce congrès, un virage a tout de même été pris, celui de la rupture avec le gouvernement PS à laquelle aspire une large base de la CGT. D’ailleurs, le PS ne s’y est pas trompé, à l’image de Cambadélis dénonçant un « cours gauchiste (…) Les congressistes de la CGT ont crié les socialistes dehors. Je constate donc que les socialistes n'ont plus droit de cité dans la CGT ».

Dans le mois qui a suivi, l’intersyndicale et la CGT en particulier ont déployé une politique d’appels à la grève et de blocages dans les secteurs stratégiques comme les ports, les raffineries, les transports, etc. Au point que Martinez est qualifié de « chef de l’opposition » par la presse. Pour la direction de la CGT, il n’est pas question de se retrouver lié à ce gouvernement, ni même au PS, alors qu’il atteint des records d’impopularité qui annoncent une véritable déroute en 2017. En fait, elle se prépare surtout à être dans l’opposition par rapport à un futur gouvernement dont la politique sera pire que celle de Valls, tout en répondant à l’état d’esprit et aux aspirations de nombre de ses militants.

Radicalisation… et crainte du débordement

Si la CGT appelle au blocage dans certains secteurs clefs, elle le fait avant tout là où son appareil est le plus fort et lui permet de contrôler le déroulement du mouvement. Par contre, dans d’autres secteurs comme à la SNCF, elle défend les journées de grève éclatées, freine des quatre fers pour retarder l’appel à la reconductible et surtout combat les initiatives d’auto-organisation des grévistes.

De même, elle manifeste bien souvent une crainte des jeunes, vite qualifiés de « casseurs » comme le répète la presse, qui sont pourtant de ceux qui ont impulsés la lutte contre la loi depuis le 9 mars. Pour la CGT, FO, avoir une politique vis-à-vis de la jeunesse se résume à la présence de l’UNEF et la FIDL aux intersyndicales… Par contre, dans bien des villes, les manifestants seront solidaires des jeunes quand ceux-ci veulent passer devant dans les manifestations ou quand les flics tentent de les isoler du reste du cortège.

Comment penser radicaliser le mouvement ou bloquer le pays, sans prendre le risque d’être débordé ? Comment imaginer les confrontations qui sont devant nous sans mouvement qui sorte justement des cadres habituels ? La question n’est pas de savoir, comme le pensent les appareils, comment garder la main et le contrôle sur le mouvement, mais quelle politique formuler pour la jeunesse, pour les travailleurs, pour tous ceux qui en ont assez et qui ont commencé à le dire durant ce printemps dans les cadres les plus divers.

Malgré cette mobilisation, si les grèves attirent une forte sympathie parmi les travailleurs et dans l’opinion, elles ont du mal à dépasser le cadre des journées interprofessionnelles. Le mouvement ne parvient pas à s’ancrer massivement dans les entreprises. Le poids des reculs est d’autant plus important que pendant des années, les directions syndicales sont restées l’arme au pied, sur le terrain du « dialogue social », désertant l’idée qu’on peut s’opposer à la dégradation sociale par la lutte collective.

C’est aussi une des limites de cette radicalisation de l’intersyndicale, le plus symptomatique étant la politique de FO à cet égard. Mailly peut prendre la posture du retrait et appeler dès le mois de juillet à l’abrogation de la loi pour la journée du 15 septembre, en même temps, FO signe un accord à PSA qui est un véritable recul et anticipe la loi El Khomri avant l’heure. Au nom de l’embauche de 1000 salariés en CDI, tous les syndicats sauf la CGT viennent de signer un accord prévoyant 2500 départs en « congés séniors » (préretraites à seulement 70 % du salaire), des mesures de mobilité pour le personnel et davantage de flexibilité avec 12 samedis supplémentaires en cas de hausse d’activité sans paiement de toutes les heures supplémentaires. Quelle duplicité entre les postures générales et la soumission aux « intérêts de l’entreprise » sur le terrain, surtout quand PSA annonce 1,2 milliard d'euros de bénéfice net, une première depuis 2010 !

De ce point de vue, la CGT a assumé son opposition au gouvernement, en lançant ses forces pour élargir la lutte. Mais même si la rupture avec Hollande et Valls est consommée, la politique de « dialogue social » de la CGT continue.

Ainsi, on a pu voir Martinez faire des propositions le 17 juin à El Khomri sur la base du « code du travail du XXIème siècle »… en plein mouvement exigeant le retrait de la loi ! A la sortie, celui-ci déclarait : « c’est le gouvernement qui gouverne et c’est lui qui a la main. On n’a pas écrit d’amendements, on a fait des propositions ». Pas question de poser le problème politique de qui dirige ? Pour la CGT, face à la situation de confrontation majeure qui se met en place, il s’agit de faire des « propositions ». Mais qui pourraient les appliquer ? Un hypothétique « vrai » gouvernement de gauche, alors que celle-ci est en pleine déroute ?

En fait, la direction de la CGT, prisonnière de ses intérêts d’appareil, ne veut pas et ne peut pas aller jusqu’au bout de son évolution. Cela signifierait mettre en œuvre une politique pour l’ensemble de la classe ouvrière, l’appelant à intervenir directement, sur son terrain, pour transformer la situation, en finir avec la régression sociale et reprendre le terrain perdu quel que soit le gouvernement en 2017. De fait, une nouvelle génération vient de commencer à en faire l’expérience, dans les entreprises ou parmi la jeunesse, c’est le principal acquis de ce mouvement du printemps.

Luttes syndicales, politiques, formuler une politique pour l’ensemble des travailleurs et de la jeunesse

La droite et le patronat, s’engouffrant dans la brèche ouverte par Valls et Hollande, n’en finissent pas de faire de la surenchère contre les services publics, contre les 35h et contre les acquis des salariés en règle générale. Quel que soit l’avenir de la loi Travail, la situation pose le problème de préparer un affrontement à un niveau supérieur dans la période qui s’ouvre. De ce point de vue, le principal acquis du mouvement est politique, en ayant renforcé la conscience de classe parmi les travailleurs et la jeunesse.

Un travail politique s’ouvre devant nous, parmi les travailleurs, dans les syndicats, pour en finir avec la politique du « dialogue social » et formuler une politique pour la lutte de classe dans la période qui vient. Ce travail signifie avoir une politique pour l’ensemble de la classe ouvrière, tenant compte de son niveau de conscience, de son expérience, de sa confiance en sa propre capacité à transformer la situation.

Préparer la confrontation n’est pas une question de posture, d’appels pour « l’abrogation de la loi » alors que dans les faits les syndicats sont encore englués dans le « dialogue social ». Il s’agit aujourd’hui de formuler une politique globale face aux chantages patronaux, face aux attaques quotidiennes subies par les travailleurs dans tous les secteurs. Une politique qui fasse le lien justement entre ce qui se passe à PSA et la loi Travail et qui s’appuie sur l’aspiration à rendre les coups et la rupture avec le gouvernement.

De ce point de vue, même les syndicats comme Solidaires sont bien trop prisonniers des relations de l’intersyndicale et des rivalités d’appareils pour pouvoir formuler une politique d’ensemble qui prépare l’étape d’après, c’est-à-dire un affrontement plus important pour mettre un coup d’arrêt et revenir sur les reculs de ces dernières années.

Cela signifie poser les problèmes en termes politiques de qui dirige, de qui contrôle les richesses. Cela signifie aussi débattre largement d’un programme pour armer la lutte, qui ne se résume pas à des « propositions » qui entérinent le rapport de force dégradé dans lequel nous sommes aujourd’hui, mais qui incluent au contraire l’intervention directe des salariés sur la scène sociale et politique.

La CGT discute depuis des années de la question du « statut du nouveau travail salarié », en expliquant que grâce à lui, un précaire ou un salarié licencié pourrait conserver son ancienneté et ses acquis. Mais face à une politique des patrons et des gouvernements visant à précariser l’ensemble des travailleurs, à quoi bon ce genre de « propositions » ! L’urgence est à créer le rapport de force pour imposer des mesures de défense des travailleurs, à commencer par l’interdiction des licenciements et de la précarité.

Sur le temps de travail, le débat sur les 32h lancé par la CGT est une bonne chose, mais là encore, on ne peut en discuter comme d’une « proposition » abstraite, quand patrons et gouvernement cherchent à faire exploser les 35 heures. La diminution du temps de travail est une mesure d’urgence pour les travailleurs, pour imposer le partage du travail entre tous face au fléau du chômage.

Enfin, il nous faut aussi débattre du contrôle des travailleurs sur les comptes des entreprises, de la dette, des détournements opérés par les capitalistes, à Panama où ailleurs. Nous rentrons dans une période où plus que jamais, les luttes syndicales font partie d’un tout, où les revendications économiques prennent un contenu politique plus global.

Comme le disait Rosa Luxembourg après les grèves de masse de 1905 en Russie : « Il n’existe pas deux espèces de luttes distinctes de la classe ouvrière, l’une de caractère politique, et l’autre de caractère économique, il n’y a qu’une seule lutte de classe, visant à la fois à limiter les effets de l’exploitation capitaliste et à supprimer cette exploitation en même temps que la société bourgeoise ».

Laurent Delage

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