Bernard Arnaud présentait mardi 28 les résultats annuels de son entreprise. « Mauvaise année », du fait en particulier de la baisse de 25 % de la demande chinoise pour les produits de luxe, le bénéfice net de LVMH a chuté de 17 % sur un an… pour s’établir quand même à 12,6 milliards d’euros ! Le PDG, dont la fortune s’élève à 190 milliards de dollars, en a profité pour dénoncer l’augmentation prévue dans le budget 2025 des impôts des grandes entreprises qui font plus d’un milliard de chiffre d’affaires, une « taxation du ‘’made in France’’ qui pousse à la délocalisation » dit-il, ajoutant : « je reviens des USA [où il a assisté en bonne place à l’intronisation de Trump] et j’ai pu voir le vent d’optimisme qui régnait dans le pays. Et quand on revient en France, c’est un peu la douche froide ».
Le patron du Medef, Patrick Martin, lui emboîtait le pas, s’en prenant au gouvernement et aux parlementaires : « Ils n’écoutent même pas », « on parle à un mur », « Ceux [les patrons] qui peuvent partir partent. Et ils ont raison »… Il était suivi par les patrons d’Airbus, de Michelin, etc., tout un petit monde qui exprime la « colère qui monte » chez les adhérents du Medef contre cette taxe de 8 milliards qui sera répartie entre 440 grandes entreprises en fonction de leur chiffre d’affaires. Une somme bien dérisoire alors qu’à elles seules les entreprises du CAC40 ont distribué en 2024 quelque 100 milliards d’euros de dividendes.
En fait, cette « colère » des grands patrons contre le pouvoir politique, gouvernement et parlementaires, dépasse la simple question financière, elle exprime un choix politique. Le CAC 40 déclare la guerre au monde du travail.
En intervenant au moment où le budget est en cours de discussion, le patronat a choisi de savonner la planche au gouvernement Bayrou qui, comme le précédent, s’avère incapable de trouver une majorité pour faire passer son budget ainsi que le montre sa décision de faire appel au 49.3. Sa chute annoncée et avec elle celle probable de Macron, ouvriraient une nouvelle séquence politique qui a de fortes chances de porter l’extrême droite au pouvoir. Politique pour laquelle militent les Bolloré et quelques autres, mettant au service de la propagande la plus réactionnaire les journaux et chaines de télévision qu’ils se sont appropriés. Ils rêvent de voir souffler ici le « vent d’optimisme » que le patron de LVMH a découvert dans les Etats-Unis de Trump et Musk.
Davos, sous le signe de Trump et Milei
Le Forum économique mondial de Davos s’ouvrait cette année le jour de l’investiture de Trump. Les « élites » mondiales qui s’y retrouvent pour discuter des affaires du monde ont pu assister en direct à l’avalanche de décrets à travers lesquels le nouveau président a taillé en pièces tout ce qui pouvait constituer un frein à la « liberté » des capitalistes d’accumuler toujours plus de profits – suppression des maigres réglementations qui s’imposaient aux banques suite à la crise de 2007-2009, sortie de l’OMC, des accords de Paris sur le climat, etc. Jeudi 23, en visio, Trump a pu développer sa vision des relations mondiales, imposées à coup de droits de douane, l’invitation faite aux patrons européens d’investir aux USA... C’était l’exposé sans fard de la politique de Wall Street, prête à porter la guerre économique et militaire partout pour tenter de mettre les relations mondiales au service de ses propres intérêts. Quant aux mesures prises contre les migrants, la protection des minorités, etc., elles représentent l’instauration d’un pouvoir affichant sans masque ses positions d’extrême droite, fascisantes. Elles visent l’ensemble des travailleurs, un pas de plus dans la politique du diviser pour régner alors que s’exacerbe l’offensive de classe.
Il n’en fallait pas plus pour qu’« A Davos, les élites mondiales se rallient à l’impérialisme de Trump » comme le titrait Martine Orange dans Médiapart, écrivant : « toutes souscrivent à ce capitalisme de prédation et à la violence sociale qu’il implique ». L’intervention du président argentin Milei et l’accueil qui lui a été fait vont dans le même sens. Alors qu’il avait été reçu avec mépris l’an dernier, il arrivait cette fois auréolé du « succès », du point de vue des classes dominantes, de sa politique de la « tronçonneuse ». Et tant pis si, conséquence de cette politique, 54 % de la population argentine vit au-dessous du seuil de pauvreté. Milei a paradé, vanté les mérites d’Elon Musk, de Meloni, Orban, Netanyahou…
Larguer les amarres face à la crise globale, les profits quoi qu’il en coûte
Le retour au pouvoir de Trump, ses reflets à Davos, marquent la fin des faux-semblants. La dictature du capital s’affiche dans tout ce qu’elle a de plus brutal et cynique, les mensonges assénés de la façon la plus arrogante érigés en vérité politique. Trump, et avec lui les sommets des classes dominantes, l’oligarchie financière, liquident tout ce qui, même si c’était de façon cosmétique et voué à l’impuissance, disait vouloir s’opposer au développement de la crise globale qui touche le capitalisme financiarisé mondialisé depuis la crise des années 2007-2009. En particulier sur la question climatique, on passe du greenwashing au déni pur et simple, le problème n’existe tout simplement pas. Du point de vue financier, il s’agit de supprimer tous les systèmes de régulation, aussi faibles soient-ils, qui avaient été mis en place suite à la crise de 2007-2009. Place à la « liberté » d’investissement sans limite, au mépris des menaces de krach qui s’accumulent. Leur politique, c’est aussi la régression sociale organisée à grande échelle, et avec elle l’accentuation des tendances récessives. Tout est réuni pour que la crise d’accumulation s’accentue, entraînant dans son sillage l’exacerbation de la concurrence entre les Etats-Unis vassalisant l’Union européenne et les pays émergents, la Chine, la Russie, l’Iran…
Finances en folie et stagnation économique, l’impasse capitaliste
Le « vent d’optimisme » qui souffle sur les USA est surtout celui de la folie spéculative. Les indices boursiers, à commencer par ceux des groupes de la tech, ont connu des envolées sans précédent. Ils ne sont en rien la preuve que le capitalisme se porte bien. Ils sont le signe que dans une économie productive en faible croissance, les capitaux s’engouffrent de plus en plus dans la spéculation, en particulier sur les titres supposés porteurs d’une perspective de reprise de la croissance, comme ceux de l’intelligence artificielle. Signe de l’ampleur de la bulle financière qui gonfle sur les marchés boursiers, l’indice S&P 500 de la Bourse de New York a augmenté de plus de 24,6 % en 2024 alors que la croissance du PIB s’établissait à 2,8 %.
Dans ses dernières Perspectives de l’économie mondiale, le FMI prévoit que la croissance économique mondiale restera stable autour de 3,2 % cette année. Ce taux de croissance est le plus faible depuis des décennies et les « risques à la baisse augmentent et dominent les perspectives ». Le FMI prévoit que, bien que les États-Unis continueront de jouir de la croissance la plus élevée parmi les économies avancées en 2025, la croissance réelle du PIB américain tombera à 2,2 % tandis que le reste du G7 peinera à dépasser 1 % par an. L’économie américaine pourrait encore croître, mais pas son secteur industriel, la partie productive. La production industrielle a diminué en 2024, comme dans toutes les autres principales économies.
Pour la France, selon l’Insee, le PIB a augmenté de 1,1 % en 2024 et le gouvernement table sur une croissance de 0,9 % pour 2025. Eric Trapier, PDG de Dassault et président de l’UIMM (union des industries et métiers de la métallurgie), s’est joint dans une interview aux diatribes de ses congénères contre le gouvernement et sa taxe. Mais il ajoutait : « Aujourd'hui, comme président de l'UIMM, j'observe une très forte détérioration du climat économique. L'instabilité politique crée de l'incertitude et cela crée de l'inquiétude. Si vous conjuguez cela avec la conjoncture économique qui frappe en particulier certaines filières comme l'automobile en Europe, des pans entiers de notre économie sont en véritable décroissance. […] Les grands groupes sont capables de s'adapter et de se redéployer. Cela sera beaucoup plus dur pour les petites et moyennes entreprises. » Et de fait, en 2024, 66 500 entreprises concernant 260 000 emplois ont déposé leur bilan, 28 % de plus qu’en 2019 avant la crise du covid, 13 % de plus qu’en 2023. Une situation dramatique qui ne peut que s’aggraver avec les désordres à attendre de la mise en œuvre des politiques de Trump.
L’urgence de prendre la mesure de la situation, capitalisme ou socialisme
Il est illusoire de penser qu’il suffirait de changer le rapport de forces à travers des luttes syndicales pour s’opposer aux licenciements, mettre un coup d’arrêt aux politiques d’austérité et de régression salariale au nom du fait que « les profits n’ont jamais été aussi importants, les capitalistes peuvent payer », comme il est illusoire de penser que les batailles parlementaires pourraient permettre de défendre les intérêts des travailleurs. La bataille pour le maintien de nos emplois, de nos conditions de vie se heurte aujourd’hui à la déliquescence du système, son incapacité non seulement à produire pour satisfaire les besoins humains, mais aussi parce que cette logique implique aujourd’hui de rogner sans cesse la part des richesses que produit le prolétariat et qui lui revient pour satisfaire ses besoins. La fuite en avant réactionnaire de Trump et derrière lui de l’ensemble des classes dominantes occidentales n’est pas un simple choix idéologique mais bien la conséquence politique de la sénilité d’un système qui, pour sauver la possibilité pour une minorité de parasites de concentrer toujours plus de richesses au détriment des populations, nous entraîne inexorablement vers l’abîme.
La bataille pour nos droits sociaux, démocratiques, est nécessairement une bataille politique en rupture avec la mascarade parlementaire et le jeu de dupes électoral, une bataille avec nos armes, la grève et les manifestations en unissant nos forces, en nous organisant pour nous faire craindre du patronat et des financiers. Elle pose la question du pouvoir.
La guerre que déclare le capital soulève et soulèvera la révolte des travailleur.es et des peuples. Elle ne peut trouver d’issue que dans la lutte pour en finir avec ce système failli, la lutte pour le socialisme.
Daniel Minvielle