Depuis lundi, les agriculteurs sont mobilisés pour dénoncer les promesses non tenues de Macron et défendre leur droit à vivre décemment de leur travail. Ils ont pris pour cible le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, marché unique sud-américain regroupant Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, que leurs organisations syndicales rejettent. Ce traité n’est pas encore appliqué et n’est pas, en lui-même, à l’origine de leurs difficultés. En réalité il sert de dérivatif à des organisations syndicales en rivalités à la veille d’élections professionnelles et qui ne souhaitent pas s’attaquer directement à l’agro-business. Il détourne la colère des vrais responsables tout en mettant les petits producteurs à la remorque des gros comme s’ils avaient les mêmes intérêts. Sur le fond, la FNSEA directement liée à l’agro-business à l’image de son dirigeant (dirigeant du groupe Avril),et la Coordination rurale, plus radicale, tiennent le même discours nationaliste et protectionniste au lieu de remettre en cause les fournisseurs et les acheteurs de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution.
Exiger de pouvoir vivre de son travail, c’est mettre en cause ceux qui, en amont comme en aval de la production, exploitent le travail des paysans. En amont, on trouve les semenciers, les marchands d’intrants, les fabricants d’engins agricoles, qui tous poussent au gigantisme, au surinvestissement et partant à l’endettement. En aval ce sont la grande distribution et les industriels de l’agroalimentaire qui imposent des prix qui souvent couvrent à peine ou pas du tout les coûts de l’exploitation. Et il ne faut pas oublier les banques.
Les petits agriculteurs, comme les salariés subissent le joug des multinationales et de la finance. Dans la bataille de la concurrence, du libre-échange sur le marché capitaliste, accord du Mercosur ou pas, ils sont des soldats, chair à profit sacrifiée aux intérêts du capital.
Macron, nouvel ami de Milei et Trump, la démagogie nationaliste et protectionniste contre les travailleur·ses
Macron, jusqu’alors fervent partisan du libre-échange, en Argentine la veille du G20, se congratulant avec l’ami de Trump, le très réactionnaire Milei, s’est prononcé contre la signature par la France de cet accord du Mercosur qu’il avait lui-même négocié, prétendant défendre les intérêts des agriculteurs français. Et, emporté par sa démagogie, il a demandé un débat à l’Assemblée nationale sur la question espérant sans doute retrouver une majorité perdue depuis longtemps puisque l’opposition au traité va de LFI au RN !
Les politiciens démagogues de tous bords, larbins des multinationales, sont là pour servir le système qui les nourrit. Ils cherchent à détourner le mécontentement, la colère en flattant le nationalisme en laissant croire que l’État serait là pour protéger les travailleurs de ce pays.
Non, l’État est là pour servir les gros, les riches, les multinationales et les banques.
Les syndicats ouvriers restent prisonniers de la même logique dans le cadre du dialogue social, prisonniers du système, de la concurrence capitaliste où le libre-échange et le protectionnisme se combinent en fonction des intérêts rivaux des groupes capitalistes et des nations.
L’économie capitaliste va mal. Elle ne fonctionne que si les capitalistes qui la dirigent continuent d’accumuler des profits mais le marché comme la planète ont des limites qui s’opposent aux appétits sans limites des Musk et de leurs homologues d’ici et d’ailleurs. C’est une guerre économique sans merci que les différents groupes capitalistes se livrent sur le marché mondial tant dans l’industrie que dans l’agriculture. La concurrence s’exacerbe. Les Etats-Unis de Biden mènent la danse et l’arrivée de Trump au pouvoir ne peut qu’accélérer les choses. Leur aveuglement conduit le monde dans le mur et c’est aux travailleurs des villes et des campagnes qu’ils font payer le prix de leur guerre économique dont la guerre militaire est une conséquence. Sauf si ces derniers refusent de se plier au carcan du marché capitaliste.
Tou·tes les travailleur·ses victimes du marché et de la concurrence capitaliste
Le protectionnisme ne sauvera pas plus les petits agriculteurs que les salariés de l’industrie de la dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Pour justifier les attaques contre eux le pouvoir invoque la dette et la nécessaire compétitivité des entreprises françaises pour faire face à la concurrence. C’est de la même façon qu’il justifie les cadeaux et subventions au patronat ce qui n’empêche en rien les effets dramatiques de la concurrence dans un monde capitaliste à bout de souffle. Une vague de licenciements déferle sur le pays et Stellantis licencie tout comme Ford.
Pour les producteurs, il n’y a pas d’issue sous la dictature du capital que ce soit avec le protectionnisme ou le libre-échange, les deux vont ensemble, se combinent en fonction des rapports de force et de l’état de l’économie mondiale.
L’investissement ralentit, la courbe du chômage s’inverse, les plans sociaux et les faillites se multiplient, l’attractivité du pays se dégrade, nous dit-on et ce serait aux travailleurs des villes et des campagnes de s’adapter aux conditions de production que la concurrence capitaliste leur impose, c’est-à-dire de payer le prix pour satisfaire les appétits du Moloch de la finance, jusqu’au krach, à la faillite.
Producteurs sauvons nous nous-mêmes !
Les plans de licenciements se multiplient ces dernières semaines du côté de Michelin, à Cholet et Vannes, toujours en grève, Auchan, et plus largement chez de nombreux équipementiers automobiles, dans la chimie ou dans la construction, menaçant jusqu’à 300 000 emplois. Ces entreprises accumulent pourtant des profits, mais les dirigeants capitalistes anticipent, ils réorganisent la production pour diminuer ce qu’ils appellent « le coût du travail » par les licenciements, l’augmentation des cadences et du temps de travail ou la diminution des salaires.
Le gouvernement fait de même dans la fonction publique, avec les trois jours de carence et les suppressions de postes. Et le Sénat a déposé un amendement à la loi de finances de la Sécu qui obligerait les salariés à travailler sept heures de plus gratuitement.
Patronat et gouvernement anticipent, ils veulent avoir l’initiative. Il nous faut faire de même, pour nos propres intérêts inconciliables avec les leurs.
Des grèves sont en cours ou ont eu lieu contre les licenciements, comme chez Valeo à La Suze-sur-Sarthe (Sarthe), Vencorex au Pont-de-Claix (Isère), Michelin à Cholet (Maine-et-Loire), MA France à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis)… D’autres concernent les salaires, comme chez H&M ou dans l’entreprise de nettoyage Atalian dans les Bouches-du-Rhône, ou dans certaines filiales Keolis dans l’Allier, l’Hérault, l’Oise, les Yvelines et le Val-d’Oise.
Une grève de la fonction publique est prévue le 5 décembre. Une journée de mobilisation aura lieu le 10 décembre dans l’enseignement supérieur et la recherche. Après la journée du 21 novembre une grève débutera le 11 décembre à la SNCF contre son démantèlement et le 12 décembre pour les salarié·es du privé.
Ces luttes restent défensives, alors que nous aussi nous avons besoin d’anticiper, de prendre l’initiative. Leur système est à bout de souffle, inévitablement des usines vont fermer, les capitalistes vont concentrer la production à travers la concurrence féroce qui les oppose et, au final, ce sont les travailleurs qui paieront, dans l’industrie comme dans l’agriculture.
Les capitalistes n’ont pas le choix dans leur course à la rentabilité financière. Dans cette concurrence le protectionnisme est une arme qu’ils retournent contre les travailleurs en prétendant les défendre. C’est eux qu’ils défendent et contre leurs rivaux et contre les travailleurs qu’ils voudraient enfermer dans leur prison nationale pour mieux exercer leur pression idéologique, morale et politique et surtout économique pour renforcer l’exploitation, quoi qu’il en coûte à toute la société.
Le protectionnisme et le nationalisme, c’est la récession assurée, la militarisation et la mondialisation de la guerre.
Empêcher cette dramatique évolution, c’est l’enjeu des luttes à venir. Et pour cela nous avons besoin d’un plan, d’un programme : imposer l’interdiction des licenciements, le partage du temps de travail entre toutes et tous sans perte de salaire, des augmentations à la hauteur de l’inflation, en finir avec la précarité, imposer la régularisation des sans papier et l’accueil des migrants, des services publics de qualité, notamment dans les transports, la santé et l’éducation. La réalisation de ces exigences élémentaires passe par l’annulation de la dette et la mise en place d’un monopole public bancaire sous le contrôle des travailleurs et de la population.
En reprenant l’offensive, le mouvement ouvrier pourrait offrir d’autres perspectives aux petits paysans ainsi qu’aux salarié·es agricoles que le piège du protectionnisme pour s’attaquer à l’agro-business et aux banques.
Les producteurs des villes et des campagnes ont la force d’imposer un autre fonctionnement de l’économie en la libérant de la domination d’une poignée de parasites et en tendant la main à leurs frères et sœurs d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne ou du Mercosur.
L’avenir de toute la société n’est pas la concurrence féroce du libre-échange et du protectionnisme mais la solidarité et la coopération internationale des travailleurs et des peuples.
Yvan Lemaitre