La question de savoir qui sera Premier ministre et quel gouvernement sortira des tractations interminables et opaques entre les politiciens qui aspirent à servir le capital est, du point de vue des travailleurs, de peu d’importance. Tout le monde sait que ce gouvernement devra, le temps qu’il survivra, servir « la stabilité » capitaliste et qu’il ne sera qu’une étape vers l’approfondissement de la crise sociale et politique que connaît le pays et qui conduit à un affrontement entre le patronat, l’État et le monde du travail.
On ne peut être que surpris devant l’étonnement feint de la gauche s’indignant en découvrant que Macron foule aux pieds la démocratie et sert le Medef ! Les dirigeants du NFP espèrent encore composer et diriger le futur gouvernement sous l’autorité d’un Macron devenu « républicain », gouvernement qui, prétendent-ils, échapperait aux exigences du Medef, des banques et de la dette qui nourrit le capital !
Quelle hypocrisie ! Macron, depuis les européennes, cherche à tout prix à faire exploser le NFP et à débaucher le PS qui ne sait quoi décider ou… une partie du PS derrière Cazeneuve.
Et Mélenchon s’est dit prêt à ne pas participer à cet improbable gouvernement pour ne pas empêcher Macron de satisfaire les ambitions du NFP alors que la droite et le RN annoncent qu’ils censureront un tel gouvernement même sans LFI.
Macron à la recherche d’une majorité introuvable, la farce politicienne bat son plein, chacune et chacun a été reçu à son tour à l’Élysée… La démission de Macron étant tout aussi improbable que sa destitution, le petit jeu de massacre en cours conduit tout droit d’ici un an à une nouvelle dissolution dont la droite extrême et l’extrême droite, une union des droites, seraient les bénéficiaires, à moins que Macron réussisse avant son improbable calcul de la réaliser autour de lui.
Cette dite démocratie n’a toujours servi que les intérêts des classes dominantes que ce soit la gauche ou la droite qui dirigent le gouvernement, séparément ou en cohabitant. Macron se prétendait ni de droite ni de gauche, il n’était et n’est que le serviteur des riches. Il finit rejeté comme le furent la droite et la gauche qui lui cédèrent la place. Le Président des riches continue le job et prépare le terrain à l’accès au pouvoir de l’extrême droite dans la continuité de l’offensive anti-ouvrière et réactionnaire de la bourgeoisie confrontée à la menace de faillite du fait de la dette, à la concurrence économique, à la guerre et qui n’a d’autre réponse que de renforcer l’exploitation du travail et de la nature.
Les patrons du CAC40, sûrs de continuer à diriger le gouvernement, craignent l’instabilité politique
Derrière Macron parti en Serbie vendre les engins de mort, les Rafale, qui font la fortune de la famille de milliardaires Dassault, plane l’ombre des grands patrons dont il est l’instrument. Le président du Medef, Patrick Martin, s’est félicité du refus de Macron de nommer Lucie Castets Première ministre en dénonçant le programme du NFP, pourtant bien timoré qui, selon lui, « se paiera cash » par « le déclassement » de la France. Entendez par là, un tout petit peu rogner leurs profits si jamais la réforme des retraites était remise en cause ou le SMIC porté à 1600 euros. Il demande la poursuite des « politiques pro-business » menées depuis au moins 2017 saluant son « cher ami » Bruno Le Maire, le démissionnaire de Bercy, « artisan déterminant et déterminé » de ces politiques.
Attal reprend le même discours, le programme économique du NFP conduirait « à un effondrement économique de notre pays ».
En réalité, les patrons du CAC40 ne craignent guère l’arrivée du NFP au pouvoir, un NFP prêt à tous les compromis et dont le programme n’est qu’un ensemble de promesses, d’« objectifs » pour plus tard sans remettre une seconde en question le pouvoir du capital. Les patrons font de la politique, leur politique qu’ils entendent bien imposer au futur gouvernement quel qu’il soit comme ils l’ont toujours fait. Peu leur importe le nom du futur Premier ministre, par contre ils souhaitent voir la crise politique se terminer. Les grands patrons ne craignent pas réellement le NFP, ce qu’ils craignent c’est que les travailleurs puissent se sentir encouragés à se mobiliser et surtout l’instabilité politique. Celle d’un gouvernement Lucie Castets, même si celle-ci se dit prête à tous les compromis, ou de n’importe quelle coalition incertaine. Et c’est bien pourquoi la mascarade en cours ne peut déboucher que sur de nouvelles législatives auxquelles chacun se prépare ou sur la constitution, d’échec en échec, d’un bloc réactionnaire en mesure de gouverner.
Le capital tient l’État par la dette qui le nourrit lui-même
Les patrons et les banquiers n’ont aucune raison de craindre que le gouvernement et l’État puissent leur échapper, ils tiennent les cordons de la bourse. Les finances de l’État sont entre leurs mains par le biais de la dette qu’ils ont financée et pour laquelle l’État leur verse chaque année des intérêts équivalents au budget de l’Éducation nationale. Et c’est pour payer ces intérêts, rembourser la dette et continuer d’emprunter aux banques que l’État, quel que soit le gouvernement, impose l’austérité aux travailleurs et la population. L’objectif serait 20 milliards d’économies pour 2025.
Les hauts fonctionnaires du ministère de l’Économie ne sont pas « démissionnaires » et ont fait leur boulot pour mettre en route le budget 2025 qui devrait être soumis à l’Assemblée le 1er octobre. Premier ministre ou pas, ils ont préparé un budget d’austérité qui prévoit un premier volet de 10 milliards d’euros de coupes.
« La loi de programmation militaire » est appliquée, pas question de mettre en cause la politique de « réarmement » de Macron pour mener la guerre d’Ukraine et faire face aux tensions militaires à venir. Qu’importe que soient sacrifiés les salaires, les écoles et les hôpitaux, les services publics et les quartiers populaires pourvu que l’État subventionne les marchands de canons, l’industrie du luxe et les banquiers !
Les dépenses de l’Etat servent à financer les profits sous forme d’aides, de subventions, de commandes diverses, profits investis dans les spéculations boursières et financières au risque de provoquer un krach comme début août, la faillite annoncée de leur propre système au détriment de toute la société.
Le RN prépare son heure
La mascarade politicienne est directement la conséquence de cette politique anti-sociale et anti-ouvrière menée depuis des décennies séparément ou ensemble par la droite et la gauche puis par Macron qui se prétendait ni de droite ni de gauche avant que le populisme ni de droite ni de gauche de l’extrême droite ne deviennent la force politique principale du pays qui se prépare à accéder au pouvoir.
Marine Le Pen s’associe à Attal et au Medef pour reprendre la chanson du jour contre le NFP qui « mènerait une politique dangereuse pour les Français ». Elle postule à gouverner au service du capital contre les travailleurs et la population. Son discours démagogique vise à flatter et capter les ressentiments, les colères pour mieux les retourner contre les plus précaires, les plus fragiles, les immigré·es et migrant·es, encourageant le racisme au nom du nationalisme et du chauvinisme. Cela afin de diviser et d’affaiblir le camp des travailleurs pour le compte du patronat.
Il nous faut être lucides, si le monde du travail n’intervient pas avec ses propres armes, l’organisation, la manifestation, la grève sur le terrain social et politique pour inverser le rapport de force, la crise volontairement ouverte par Macron portera le RN associé à la droite extrême au pouvoir.
Les syndicats soumis à l’impuissance du NFP négocient leur place
Le NFP revendiquant de former un gouvernement sous l’autorité de Macron, qui ne pourrait tenir qu’en faisant des compromis avec lui, en lui cédant, est impuissant à apporter des réponses à la crise actuelle. Il en est une des composantes. N’est-ce pas cette gauche, y compris Mélenchon, ministre de cohabitation dans le gouvernement Jospin, qui a mené la politique contre les classes populaires qu’elle prétend vouloir servir aujourd’hui ? Il n’y a rien à attendre d’elle, elle est totalement intégrée au système.
Les manifestations « contre le coup de force de Macron » le 7 septembre initiées par l’Union étudiante auxquelles la France insoumise, qui a engagé une procédure de destitution à l’encontre d’Emmanuel Macron appelle, sont en réalité une impasse. La CGT n’appelle pas mais soutient de fait, mettant les travailleurs à la remorque du NFP. Certes, nous pouvons comprendre la colère de celles et ceux qui se sentent floué·es par Macron mais ils et elles le sont aussi par ceux qui leur vendent du vent.
Les travailleurs, les classes populaires, les jeunes ont besoin d’une politique indépendante des jeux parlementaires et institutionnels.
La CGT appelle le monde du travail et « l’ensemble des organisations syndicales » à s’emparer du mardi 1er octobre, afin de « construire une puissante journée de grève et de manifestations interprofessionnelles » dans le but de « gagner l’abrogation de la réforme des retraites, l’augmentation des salaires et pensions, l’égalité entre femmes et hommes, le renforcement des services publics » ainsi que le « développement de l’emploi industriel en lien avec les enjeux environnementaux ».
Il s’agit pour elle d’occuper le terrain dans le jeu du dialogue social auquel le président du Medef invite en souhaitant une reprise des discussions. « On se doit d'avancer, dit-il, sur l'emploi des seniors et cela devrait emporter notre accord sur l'Unedic qui actait une baisse de cotisations ».
Pendant les tractations politiques parlementaires le dialogue social reprend ses droits, dans ce petit jeu institutionnel sans perspectives pour les travailleurs autres que de nouveaux mauvais coups.
Nous donner les moyens de renverser la table
Le soubassement de ces jeux institutionnels orchestrés par l’État et la bourgeoisie est la lutte pour l’appropriation des richesses par une minorité de capitalistes pour sauver la finance et mener la guerre économique, la concurrence et les guerres militaires. Cette lutte provoque une profonde régression sociale et politique qui suscite une opposition populaire, dans la classe ouvrière, de plus en plus forte. Elle entraîne un effondrement des formes démocratiques de gouvernement aussi limitées soient-elles, des institutions parlementaires vidées de tout pouvoir et au sein desquelles les forces réactionnaires se rassemblent autour des exigences du capital.
Le masque de la dictature de la classe capitaliste sur la société qu’est le Parlement se déchire.
Cette mascarade parlementaire antidémocratique est une farce sinistre qui pourrait déboucher sur le pire. La faillite démocratique de la bourgeoisie est le complément de sa faillite économique, elles se nourrissent l’une et l’autre dans une escalade anti-sociale et réactionnaire qui n’a pas d’issue dans le cadre du capitalisme financiarisé mondialisé.
Construire une société démocratique, en finir avec le racisme et le nationalisme est indissociable de la lutte pour supprimer les inégalités, les rapports d’exploitation et de domination, c’est-à-dire en finir avec le pouvoir réactionnaire d’une minorité capitaliste qui concentre les richesses.
Soutenir les politiciens qui demandent à gouverner avec Macron, aveuglés par leurs ambitions personnelles au point de ne pas comprendre que leur politique est suicidaire, est une impasse. Ces partis sont finis, sans avenir et le monde du travail a besoin de se donner son propre parti indépendant des institutions. Nous ne savons pas quand commencera la nouvelle étape de l’affrontement qui mûrit depuis 2016 et la lutte contre la loi travail de Hollande et du PS, mais il peut très bien éclater dans les mois qui viennent. Nous avons besoin de nous y préparer et pour cela de nous organiser, de nous unir en toute indépendance des partis parlementaires bourgeois de gauche ou de droite pour défendre nos propres intérêts de classe, ceux de toute la société contre les ravages du capitalisme et conquérir la démocratie, le pouvoir pour changer le monde.
Yvan Lemaitre