Trame de l’intervention d’Isabelle Ufferte dans le cadre des RER du NPA-R, lors du débat intitulé « Le pôle des révolutionnaires, pourquoi, comment ? »
Le débat avec Lutte Ouvrière dans nos Rencontres révolutionnaires d’été a été une photo saisissante de ce que sont les relations au sein de l’extrême-gauche. Les discussions ont comme seuls enjeux de démontrer les erreurs de l’autre, de mettre en avant les désaccords pour mieux justifier par avance l’impossibilité de faire quoi que ce soit ensemble. Ou bien, d’exercer un « rapport de force » dans des relations de concurrence en cherchant à obtenir la reconnaissance de l’autre, ce qui est la politique du NPAR vis à vis de LO, bien mal payée en retour, on l’a vu.
Quant à RP, que nous connaissons bien pour avoir milité ensemble au sein de feu le NPA où nous avons mené des batailles communes, c’est aujourd’hui l’ignorance réciproque. Sans parler du PT.
Cet émiettement, cette incapacité des révolutionnaires à débattre sans en craindre les conséquences sont à l’origine d’un grand gâchis, et on voit bien qu’il faut changer de logiciel alors que les classes dominantes entraînent le monde dans une spirale de violences, de rivalités, de guerres, et ouvrent des possibilités nouvelles aux forces les plus réactionnaires.
Face à l’effondrement en cours et ses conséquences, rompre avec le sectarisme, élaborer collectivement pour formuler des perspectives révolutionnaires
Il est urgent que le mouvement révolutionnaire s’attelle à la tâche de prendre collectivement la mesure de la situation pour formuler des perspectives pour le monde du travail au lieu de vivre des vies parallèles.
Il nous faut appréhender les conséquences de la crise politique et démocratique, phase aiguë d’une crise chronique de domination de la bourgeoisie qu’engendre celle du capitalisme sénile qui ne peut se maintenir qu’en intensifiant la prédation et la guerre de classe.
Nous avons des débats entre nous et plus largement au sein du mouvement révolutionnaire sur cette appréciation, mais le capitalisme financiarisé, mondialisé a atteint ses limites. Les rivalités internationales économiques, commerciales et militaires sont démultipliées. Les guerres d’Ukraine contre la Russie et celle génocidaire d’Israël contre les Palestiniens s’inscrivent dans l’offensive des vieilles puissances impérialistes sous l’égide des USA pour tenter de défendre leur hégémonie face aux puissances émergentes dont en premier lieu la Chine, dont la logique pourrait conduire à une généralisation de la guerre.
Le capitalisme se survit par la dépossession des plus pauvres, par des politiques de plus en plus violentes et réactionnaires qu’illustre le couple Trump-Musk au cœur de la première puissance mondiale, et la montée des préjugés nationalistes et xénophobes dans le monde entier, en particulier au sein des vieilles puissances occidentales qu’ont dramatiquement illustrée les récentes émeutes racistes en Grande Bretagne
La dictature économique du capital a comme corollaire la dictature politique que la crise dépouille de ses fioritures « démocratiques ». Lutter contre l’offensive globale économique, sociale et politique de la bourgeoisie est un même combat qui exige que les révolutionnaires cessent de s’ignorer.
La lutte contre l’extrême droite et la réaction rejoint celle contre la guerre, contre la régression sociale. Elle pose la nécessité de la réorganisation socialiste de toute l’économie, de la production sous le contrôle des travailleurs, la question du pouvoir, seule voie pour faire face à la menace d’un nouveau fascisme.
Se dégager des pressions de la gauche de la bourgeoisie pour répondre aux possibilités objectives et subjectives
On peut essayer, comme le fait LO mais elle n’est pas la seule, de se rassurer en répétant que « le capitalisme ça a toujours été la crise et la guerre », qu’il en a toujours été ainsi et que donc, continuons nos bonhommes de chemins, construisons chacun notre organisation, accumulons des forces et on verra bien qui est le meilleur, le plus malin, qui gagne le plus de jeunes, édite le plus de bulletins dans les entreprises, a le meilleur pourcentage aux élections ! Les travailleurs trancheront et choisiront nous a expliqué LO. Mais où sont les intérêts des travailleurs là-dedans ?
« Nous sommes dans une période de recul » expliquent les camarades, sommant l’extrême-gauche de résister aux pressions de la bourgeoisie. Mais n’est-ce pas justement céder aux pressions de la bourgeoisie que de ne voir dans la situation que le recul ?
Car dans ce recul, dans ce vieux monde qui se délite dans le chaos, la réaction, il y a des possibilités objectives et subjectives qui s’ouvrent. Les révolutions ont rarement lieu dans un ciel serein. Il faudra que ce vieux monde failli disparaisse pour qu’un nouveau puisse émerger. Et la classe ouvrière, ses fossoyeurs, ont aujourd’hui entre les mains des moyens sans commune mesure avec ceux qu’ils étaient hier.
Nous avons besoin de rompre avec des conceptions construites dans une période du mouvement ouvrier dans laquelle le mouvement trotskiste s’est trouvé marginalisé, sous la pression du stalinisme et de la social-démocratie. Il s’y est construit pour résister au recul, traversé de scissions, d’exclusions. Une situation qui a amené chaque groupe à faire la théorie de lui-même, de sa propre construction en se définissant davantage par rapport à ses propres choix idéologiques que par rapport à une politique pour les travailleurs.
L’extrême-gauche l’a subi plus que choisi mais il est indispensable de rompre avec ce passé. Et pour ça de discuter de façon dialectique de là où nous en sommes et de nos tâches.
La question de la stratégie révolutionnaire et d’un parti des travailleurs, questions centrales de la période
Une nouvelle page a été ouverte par la crise de 2007-2008 et les révolutions du monde arabe. Aujourd’hui, l’approfondissement de la crise et ses conséquences, la montée de l’extrême-droite sont une nouvelle étape.
Nous pensons que cette situation, ces conditions objectives et subjectives déterminent la possibilité de l’émergence d’un nouveau parti des travailleurs. Pour la première fois dans l’histoire, le développement de la société tant technologique que culturel, et avec elle la constitution d’une classe ouvrière mondiale d’une puissance sans commune mesure avec ce qu’elle était il y a seulement quelques décennies, rend possible une transformation révolutionnaire mondialisée de la société.
L’effondrement de la gauche nous met devant de nouvelles responsabilités, alors qu’une politisation a lieu au sein du mouvement ouvrier, d’une fraction de la jeunesse dont témoignent les débats dans les collectifs de lutte, collectifs féministes, AGs locales qui regroupent des militantes et militants qui se réclament de l’anticapitalisme, des militant·es révolutionnaires orphelin·es d’un parti et qui ne souhaitent pas rejoindre telle ou telle organisation. Une politisation qui s’exprime aussi dans les prises de position syndicales vis-à-vis du NPF et dans les débats qu’elles suscitent.
Pour pouvoir accompagner et armer les prises de consciences, aider à prendre la mesure de la bataille qui s’engage, associer celles et ceux qui aspirent à prendre part au chantier vers la construction d’un parti, nous, militant·es révolutionnaires, avons besoin de penser au-delà de notre organisation, de raisonner comme des militant·es d’un même parti révolutionnaire à construire, n’ayant d’autre intérêt que ceux du prolétariat.
Cela passe par la construction de rapports militants démocratiques, c’est-à-dire des rapports fondés sur la transparence des raisonnements et des idées, le respect des engagements réciproques, base de la confiance.
L’existence d’organisations séparées depuis de longues années, mais aussi de tendances, de fractions reflète des différences d’analyses, de politiques, de stratégies liées à l’histoire de chacune et qui ont besoin d’être débattues et confrontées pour dégager ce qui est commun, sur quoi on peut agir ensemble, et gérer les désaccords qui subsistent.
Tous les courants trotskistes se réfèrent à Marx et Engels, Lénine, Trotski, Rosa… avec des lectures diverses. Nous avons besoin d’y revenir et de confronter les enseignements que nous en tirons. Pas pour ériger en recettes les conclusions pratiques qu’ils formulaient et qui répondaient à des situations données bien loin de celles dans lesquelles nous militons, mais au contraire pour tenter de faire nôtre leur méthode, eux qui passaient au crible de la critique leurs travaux à chaque nouvelle situation et ne craignaient aucune remise en cause ou polémique.
Alors aujourd’hui, jeter les bases d’un pôle démocratique des révolutionnaires, qui se pense comme instrument de la construction d’un parti des travailleurs, passe par la préoccupation concrète, partout où c’est possible, de créer les conditions du débat pour agir ensemble. Cela signifie rompre avec l’état d’esprit dont le débat avec LO était la démonstration, et ne pas faire semblant d’être déjà soi-même ce petit parti qu’il suffirait de renforcer pour passer de quelques % à un peu plus !
Agir au sein des organisations ainsi qu’au sein du monde du travail et de la jeunesse pour un parti révolutionnaire des travailleurs
Un premier pas concret dans le cadre d’une politique s’adressant à l’ensemble du mouvement révolutionnaire pour appeler publiquement à cette discussion pourrait être la construction de cadres locaux qui associent les militant·es des différents groupes révolutionnaires où pourraient être confrontés nos points de vue respectifs, nos politiques et discutées nos interventions. Un cadre qui permettrait d’y inviter toutes celles et tous ceux qui veulent agir contre le capitalisme sans vouloir à ce jour rejoindre telle ou telle organisation révolutionnaire.
Il ne s’agit pas de gommer artificiellement les divergences, de les nier, mais d’agir ensemble quand cela est possible, sur la base des points d’accord sans crainte de débattre publiquement des désaccords, en appelant toutes celles et ceux qui veulent agir pour la transformation révolutionnaire de la société à faire leurs ces débats... et cette construction. Toutes celles et ceux qui souhaitent participer à la naissance d’un mouvement de masse de contestation du capitalisme, un mouvement collectif qui répond aux besoins de l’humanité et à leurs propres besoins de liberté, de solidarité et d’émancipation.
Isabelle Ufferte