A l’heure où paraît notre lettre, les estimations donnent une majorité simple au Nouveau front populaire, le RN et « ses brebis galeuses » sont envoyés dans les cordes et Macron prend une nouvelle baffe. Tant mieux. De nouvelles tractations, marchandages, manœuvres s’ouvrent au sein de ce petit monde parlementaire pour trouver une issue à leur propre crise, peut-être une majorité de coalition, nous verrons. Une chose est certaine, la crise latente qui explose à l’issue de la séquence électorale des européennes prolongées par les législatives voulues par Macron pour tenter de se hisser au-dessus du chaos que sa propre politique a produit ne pourra trouver de réponse ni du côté de l’extrême droite ni des dits républicains qui ont sauvé leurs sinécures.
La défaite du RN sur le terrain électoral n’est pas le résultat de la tambouille parlementaire mais bien du fait qu’il existe une large fraction du monde du travail, des femmes, de la jeunesse qui, malgré leur dégoût des politiciens de droite et de gauche, ont utilisé leur bulletin de vote contre lui. Leur prise de conscience s’approfondit et s’approfondira en réponse à la poursuite de l’offensive réactionnaire que le prochain gouvernement ne manquera pas d’orchestrer et en rupture avec les partis institutionnels.
Aurons-nous une coalition du centre avec la gauche ou dit différemment la survie du macronisme sous perfusion, Macron ira-t-il jusqu’à démissionner comme l’y invite Mélenchon, nous verrons. Centre gauche, centre droit, le gouvernement comme l’Assemblée se plieront aux exigences des classes dominantes. Nos libertés, la défense de nos droits, des migrants, la lutte contre le racisme, la conquête d’une vie meilleure, de la paix, d’une réelle démocratie pour les travailleur.es et la population dépendent de notre capacité à amplifier la mobilisation pour intervenir sur le terrain politique et social, à tirer les leçons non seulement de l’épisode pitoyable de l’effondrement de Macron mais des mécanismes politiques et sociaux qui ont abouti à cette situation et débouchent sur de nouvelles batailles plus décisives pour notre avenir. L’enjeu central en est que la politisation et la mobilisation en cours permettent l’émergence d’un parti des travailleurs non institutionnel, révolutionnaire, une renaissance du mouvement ouvrier.
Le double jeu à géométrie variable de Macron ou l’effondrement d’un apprenti Bonaparte
La déclaration de Macron, dimanche dernier, appelant à « un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour » a pris à contre-pied sa propre majorité en voie d’implosion. Pris de panique après avoir fait feu sur le NFP et mis au ban de la République LFI, il a fait volte-face et appelé au front républicain ! Bardella ironisait « de voir un président de la République venir au secours d’une mouvance d’extrême gauche violente qui appelle à l’insurrection ». Et de dénoncer le « macromélenchonisme », une « alliance du déshonneur dans un sens comme dans l’autre. »
Gabriel Attal s’était docilement coulé dans le moule présidentiel en précisant, « désistement ne veut pas dire ralliement », pour plaider cependant « pour une Assemblée nationale plurielle » où « les candidats Ensemble pour la République pèsent suffisamment pour protéger les Français ». Et au passage, il annonçait le soir du premier tour enterrer le décret qui devait mettre en musique la réforme de l’assurance-chômage. « Cette réforme pourra ainsi faire l’objet d’aménagements, de discussions entre forces républicaines », en avant vers de futures « majorités de projets et d’idées »…
Tout et n’importe quoi, le ni droite ni gauche s’est noyé dans le marais parlementaire. Même si, de contorsion en contorsion, une partie des députés d’Ensemble sauvent leur place, Macron est fini, l’apprenti Bonaparte qui rêvait d’imposer autour de sa personne une union nationale de droite et de gauche s’effondre. Bardella qui se voyait à sa place imposant un gouvernement d’union nationale des droites est renvoyé dans les cordes... Ceci dit, la crise politique ouverte il y a deux ans s’approfondit, opère ses propres « clarifications », met à nu les différents protagonistes et accélère la politisation et les prises de conscience.
Du Front populaire au front républicain, capitulations, lutte de classes et rapport de forces
Dès 20 heures, le soir du premier tour, Mélenchon, avant tous ses concurrents et amis du NFP, s’était empressé d’appeler les candidats du Nouveau Front populaire à se retirer s’ils se trouvaient en troisième position dans une triangulaire où le Rassemblement national pourrait l’emporter, « conformément à nos principes ». Et dans la foulée, plus de 200 désistements étaient annoncés dont celui en faveur d’Élisabeth Borne, qui a mené toutes sortes d’attaques contre les travailleurs durant sept ans comme ministre, puis Première ministre de Macron. Même chose dans le Nord, où le secrétaire du PS de Tourcoing appelait à « voter pour le candidat de la majorité présidentielle », un certain Gérald Darmanin.
La CFDT et la CGT, Solidaires ont rejoint la musique discordante du front républicain. Jusqu’à Olivier Besancenot et Philippe Poutou en écho des repentis révolutionnaires qui trouvent dans leur bonne conscience antifasciste l’occasion de rejoindre les rangs de la gauche bourgeoise.
Et dans la foulée, sans attendre le 8 juillet, commençaient propositions et tractations autour de la constitution du futur gouvernement et de qui serait Premier ministre… La secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Marine Tondelier, empressée d’occuper la position de la dirigeante responsable : « La France va certainement connaître une situation institutionnelle inédite. On va certainement devoir innover » avant de répondre à une question sur la possibilité d’une « coalition avec les macronistes » : « il n’y aura pas de bonne solution. On trouvera la moins mauvaise et la meilleure pour la France. Mais oui, on doit se montrer prêts à gouverner. »
Elle donnait le la du NFP hors LFI dont par ailleurs Macron avait dit qu’il n’en voudrait pas… Ruffin avait souscrit, Mélenchon est « un boulet »...
Les travailleurs n’ont strictement rien à attendre de ces tractations à géométrie variable qui vont se poursuivre dès ce soir et demain.
Nous verrons quelle combinaison institutionnelle les dirigeants du capitalisme de ce pays, leur serviteurs politiques de tous bords trouveront pour maintenir une relative stabilité nécessaire aux affaires, s’ils y parviennent, momentanément. En effet, les contraintes qu’exercent sur eux la concurrence mondialisée, la course au profit et leur corollaire les guerres et le militarisme engendrent nécessairement une instabilité chronique, de nouveaux épisodes aigus qui ouvrent une crise chronique avec la possibilité d’un nouveau fascisme.
La victoire relative du NFP ne résout en rien cette crie. La seule réponse est de mener consciemment une politique de classe pour changer les véritables rapports de force entre le capital et le travail, sur le plan social et politique, idéologique, et faire basculer l’opinion ouvrière et populaire du côté des forces démocratiques, progressistes, révolutionnaires.
Quand le soutien à la guerre génocidaire d’Israël sert de ligne de démarcation entre les dits démocrates républicains dont... le RN et les autres
Tout au long de cette campagne délétère le pouvoir et les médias, les sommets dirigeants de la bourgeoisie, ont voulu tracer une ligne de démarcation définissant ceux qui appartenaient au camp de leur République dont était exclu Mélenchon, LFI et bien sûr tous les soutiens au peuple palestinien. Et cela au nom de l’imposture de la lutte contre l’antisémitisme assimilée pour les besoins de leur cause pourrie à la lutte contre le sionisme.
Il est arrivé un mauvais tour à ce cynique mensonge. L’État sioniste apporte sa sympathie et son soutien à Marine Le Pen, Bardella et au RN. Ainsi Amichai Chikli, ministre de Netanyahou et membre de son parti, le Likoud, a fait savoir que l’ensemble du gouvernement israélien se réjouissait de la victoire remportée par le parti de Le Pen au premier tour des élections législatives françaises dimanche dernier. Il détient un portefeuille ministériel spécialisé dans les « affaires de la diaspora et la lutte contre l’antisémitisme » ! Pour lui, l’accession de Marine Le Pen à l’Elysée serait « excellente pour Israël », selon les propos rapportés par le journal israélien Haaretz.
Le ministre justifie son soutien à la responsable d’extrême droite en évoquant ses « prises de position fermes » contre le Hamas, contre la Cour pénale internationale et contre l’antisémitisme. Il rappelle que Marine Le Pen a été « la responsable politique de premier plan qui s’est jointe à la communauté juive dans la marche contre l’antisémitisme [le 12 novembre 2023 à Paris] à laquelle Macron a choisi de ne pas participer ».
Amichaï Chikli, membre de la tendance dure du Likoud, se félicite, Bardella s'est engagé à « être un bouclier face à la montée de l’antisémitisme, face à la montée de plus en plus forte de l’islam radical ».
Des prises de position qui trouvent ici un écho dans la prise de position Klarsfeld, le RN serait un parti « pro-juif » : « Le Rassemblement national soutient les juifs, soutient l’Etat d’Israël, et il est tout à fait normal, vu l’activité que j’ai eue ces soixante dernières années, qu’entre un parti antisémite et un parti pro-juif je voterai pour un parti pro-juif. » Un résumé de la perversion de l’antisémitisme au profit du racisme pro-juif ! Illustration de la déroute intellectuelle et morale du moment.
C’est bien pourquoi, pour le mouvement ouvrier la lutte contre la guerre, celle d’Israël et aussi d’Ukraine, la dénonciation du rôle premier et central de l’Otan dans la montée du militarisme qui nourrit la réaction, est une ligne rouge.
Offrir une perspective à la colère et à la révolte ouvrière et populaire
Il serait faux de diaboliser l’électorat ouvrier et populaire du RN qui s’est formé au rythme de l’accélération de la crise du capitalisme, de l’offensive des classes capitalistes, de la participation des partis de la gauche parlementaire, de gouvernement à cette dernière en l’absence de réponse du mouvement ouvrier autre que les proclamations antifascistes. Ni diaboliser ni sous-estimer mais avoir une politique.
Pour enrayer cette évolution, pour arracher celles et ceux qui ont voté RN à son influence délétère et pourrissante, aucune leçon de morale, aucun appel à défendre les « valeurs démocratiques » ou la République, par ceux-là mêmes qui ont fait le lit du RN ne convaincront.
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, avait adressé une vidéo aux 600 000 adhérents de la confédération pour les inviter à voter pour le NFP. Selon elle, les syndicats ont obligé les partis de gauche à « s’unir derrière un programme de rupture avec le macronisme et avec le fascisme ». Ce sont des mots creux, vides de sens, alors que tout ce petit monde s’interroge sur les modalités de leur éventuelle ou probable cohabitation.
Par ailleurs, l’alarmisme démagogique voyant dans le RN un parti fasciste alors que ce dernier n’a d’autre objectif que d’intégrer le jeu parlementaire pour poursuivre, en pire, la politique de Macron, sème la confusion pour justifier les capitulations de la gauche syndicale et politique.
Il ne s’agit pas de minimiser les dangers un moment repoussé mais d’être lucide pour œuvrer à organiser la riposte de la classe ouvrière.
Les travailleurs, souvent les plus pauvres, qui ont voté pour le RN voire reprennent ses préjugés racistes voient en Bardella et Le Pen ceux qui les vengeront le mieux et de Macron et de cette gauche embourgeoisée, corrompue, qui les méprise, qui a soutenu Macron pour faire barrage à Le Pen et vient de demander à Macron qu’il les protège !
Ils sont défaits ce soir mais le combat continue. Combattre l’extrême droite ne signifie pas mépriser, stigmatiser ses électeurs mais prendre en compte leur désarroi pour y répondre pour leur offrir une autre perspective en comprenant que la décomposition politique fait écho à la décomposition sociale engendrée par la faillite capitaliste. Combattre l’un, c’est combattre l’autre.
Le contenu social et politique de la bataille qui s’engage
Toutes celles et ceux qui au premier tour ont voté révolutionnaire ont eu raison. Leur vote était la seule façon d’échapper au piège de ces élections, soit un référendum anti Macron soit le barrage électoral au RN, deux impasses du crétinisme parlementaire qui consiste à croire que les rapports de force se jouent au Parlement alors qu’ils dépendent du niveau de conscience de la population, en particulier du monde du travail, de sa conscience de classe.
La bataille qui commence après ce deuxième tour où le pire a été repoussé vise à participer à la reconstruction de notre camp social miné par la déroute de la gauche tant syndicale que politique où la colère ne trouve pas d’exutoire autre que le vote pour l’extrême droite porté par la propagande nationaliste, raciste, sioniste, militariste et belliciste dont Macron a été un des principaux responsables mais qui, sur le fond, répond aux besoins politiques de la bourgeoisie.
Il nous faut tirer les leçons de cette séquence électorale qui concentre les données de la période à laquelle le mouvement ouvrier révolutionnaire est confronté.
Ce qui met au centre de nos tâches d’armer politiquement la nouvelle génération, de lui offrir et de construire avec elle un cadre d’intervention, d’action, de formation, un cadre militant ouvert démocratique, de mettre au centre des discussions la question de la nécessité de s’organiser, d’un parti qui soit réellement le nôtre, celui des travailleur.es, des jeunes, des femmes, des migrant.es, de tous·tes les exploité·es quelle que soit leur origine, un parti sans frontière, internationaliste, un parti « sans dieu ni César ni tribun ».
Les partis issus du mouvement ouvrier, le PS et le PC, loin de lever le drapeau de l’émancipation ouvrière se sont une nouvelle fois ralliés au camp de la bourgeoisie. Il n’y a rien à attendre d’eux, les faibles forces qui leur restent sont totalement intégrées à l’ordre bourgeois, à ses institutions, à son idéologie. Leur liquidation par leurs propres dirigeant·es signifie la fin d’une période de l’histoire du mouvement ouvrier, fin engagée depuis l’effondrement de l’URSS. Une nouvelle période est ouverte. Elle pose la question de la fusion du mouvement révolutionnaire avec la mobilisation de la fraction la plus consciente de la classe ouvrière, de la jeunesse, du mouvement des femmes qui a connu depuis 2016 bien des luttes sociales d’ampleur, qui lutte pour la Palestine, contre la guerre, pour l’écologie, pour les droits de femmes, la solidarité avec les migrant·es et aujourd’hui contre la réaction et l’extrême-droite.
Ces élections constituent un avertissement dont le monde du travail a les moyens et de tirer les leçons pour réagir et d’aborder avec confiance et conscience la suite.
Ceux qui aiment répéter les formules du passé nous disent comme Sophie Binet qu’il est minuit moins le quart, puis pour ne pas être en reste avec d’autres sans doute plus radicaux, minuit moins une... Nous sommes loin de minuit, les bouleversements économiques et sociaux qui se déroulent à l’échelle mondiale, bouleversent les rapports entre les classes, les rapports politiques. La bourgeoisie a l’initiative mais le prolétariat a à peine commencé à dire son mot.
Un nouveau chapitre est à écrire. Nous sommes entrés dans une période qui ouvre au prolétariat d’ici et de toute la planète de nouvelles possibilités d’en finir avec ce vieux monde décadent pour redonner leur jeunesse, leur vigueur démocratique et émancipatrice, aux idées du socialisme et du communisme.
Démocratie révolutionnaire