Jeudi 21, Castex annonçait un train de mesures contre la hausse des prix, en particulier ceux de l’énergie, carburants, gaz électricité. Une « indemnité inflation » de 100 euros sera versée aux 38 millions de personnes dont le revenu mensuel net est inférieur à 2000 euros et le blocage des prix du gaz et de l’électricité se poursuivra jusqu’à fin 2022. Ces mesures sont dans la suite de celles prises fin septembre alors que l’augmentation des prix de l’énergie atteignait 14,9 % sur l’année. Le gouvernement avait alors décidé le versement d’un « chèque énergie » de 100 euros à 5,8 millions de familles ainsi que le blocage du prix du gaz et la limitation à 4 % de la hausse du prix de l’électricité jusqu’au mois d’avril 2022. Ce « blocage » entérinait de fait les hausses précédentes et consiste à jouer sur les taxes spécifiques à l’énergie prélevées par l’Etat. Mais pas question de toucher à la TVA, ni bien sûr de s’en prendre aux profits des opérateurs et de s’opposer un tant soit peu aux jeux spéculatifs des marchés financiers qui sont à l’origine de cette flambée des prix.

En annonçant ces nouvelles mesures, Castex espère désarmer la montée des mobilisations pour les salaires dans de nombreuses entreprises, dont la grève ce dimanche à la SNCF. Mais le côté dérisoire du montant de sa prétendue « indemnité inflation », une aumône, risque bien d’avoir l’effet inverse, une provocation qui ne peut que renforcer la détermination des salariés à faire valoir leurs droits.

Cela d’autant que son annonce arrive juste après que Macron a fait étalage, mardi 19, des 30 milliards de son plan de relance « France 2030 » au cours d’un show télévisé de presque deux heures. Ces milliards devraient être investis par l’Etat d’ici 2030 dans divers secteurs de la recherche et de l’industrie afin, dixit le Président, de répondre aux menaces de « déclin de la France » et « de faire émerger les champions de demain » … Il a identifié une dizaine de secteurs prioritaires, parmi lesquels la « décarbonation de l’économie », à laquelle seront consacrés 8 milliards, la santé (7 milliards), les transports (4 milliards), l’agriculture (2 milliards) … Le « quoi qu’il en coûte » va se poursuivre, adapté au « monde d’après ».

Un plan de relance pour le capital, le programme du candidat Macron

Cette intervention de Macron marque en fait son entrée en campagne en tant que futur candidat à sa propre succession, posant à celui qui détient les solutions face au marasme et qui est prêt à les mettre en œuvre. Macron sort des « plans » de son chapeau – et des milliards des caisses de l’Etat, 57 en 2017, 100 en 2020…- dans le seul but de permettre l’augmentation des dividendes des actionnaires du CAC 40. On nous explique que si les plans précédents n’ont pas donné les résultats annoncés, ce serait parce que la « gouvernance » était inadaptée, mais que cette fois ça va changer, la gouvernance se fera en « mode commando » ! Comme si le gouvernement avait la moindre volonté d’imposer une quelconque orientation aux entreprises qui continueront comme par le passé à empocher les milliards et à en faire ce que bon leur semble. Le plan « France 2030 » n’est pas un plan du gouvernement pour réorganiser l’économie du pays, c’est le programme que le candidat Macron présente aux classes dominantes, nouveau volet de la guerre de classe qu’il mène contre les travailleurs et la population.

Le premier axe de ce plan concerne la « décarbonation de l’industrie ». C’est un terme qui sonne bien… sauf qu’il sert tout d’abord à justifier la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Le nucléaire, c’est bien connu, est une énergie propre n’émettant pas de CO2. Elle est donc propice à la fabrication du carburant de demain, l’hydrogène vert… On construira donc de nouvelles centrales, et même des microcentrales. La question des déchets est rangée au rayon des « enjeux auxquels il faudra répondre ». En plus du nucléaire, une partie des 8 milliards consacrés à ce poste ira aux patrons de l’industrie chimique, des cimenteries et de la sidérurgie à raison de plusieurs dizaines de millions d’euros par site industriel pour les aider à atteindre l’objectif de baisse de 35 % des émissions de CO2 d’ici 2030.

Second axe, la santé, avec un investissement de 7 milliards... dont pas un centime n’ira aux services de Santé dont la casse se poursuit. L’urgence serait de « remonter le retard de la France, [comprendre de Sanofi et Cie], dans la course à l'innovation », avec l'objectif de produire 20 biomédicaments « contre les cancers, les maladies émergentes et les maladies chroniques dont celles liées à l'âge ». C’est le Big pharma qui empochera les 7 milliards de la relance et en fera ce qu’il voudra.

Afin de garantir une « souveraineté » sur certains « secteurs stratégiques », Macron veut « sécuriser les approvisionnements en matériaux ». Traduit en clair, cela veut dire se donner les moyens de poursuivre et renforcer des interventions militaires dont le seul but est de permettre aux multinationales du pétrole, de l’extraction minière et de l’exploitation des ressources agricoles de poursuivre leurs pillages dans les meilleures conditions de sécurité possible. Ce plan est déjà à l’œuvre dans le budget 2022, toujours plus d’argent public englouti dans l’armement au grand profit des industriels du secteur.

Macron se targue de vouloir soutenir l’innovation, dont les start-ups sont selon lui un des meilleurs vecteurs. Mais les start-ups qui « réussissent » sont celles qui développent des produits certes « innovants », mais du point de vue de la logique des marchés. C’est pourquoi l’immense majorité de ces « champions » est absorbée par des grands groupes industriels. Ces derniers bénéficient ainsi des fruits du travail de recherche réalisé par les start-ups sans avoir pris le risque financier d’un échec. Le soutien des Etats aux start-ups, c’est le financement de ces échecs, des tâtonnements inhérents à toute innovation technologique, soutien dont bénéficient en fin de compte les groupes qui rachètent ces start-ups lorsqu’elles sont bonnes à cueillir.

Tout à ses rêves de grandeur, Macron a annoncé aussi vouloir encourager l’innovation en direction des grands fonds marins comme dans le domaine spatial. A ce sujet, il s’agit avant tout d’aider Ariane Group et toutes les entreprises qui gravitent autour à se moderniser face à la concurrence des nouveaux arrivants sur le marché du lancement de satellites, tel SpaceX et ses lanceurs récupérables qui bénéficie du soutien de la NASA.

Cette liste non exhaustive suffit à caractériser ce plan dont les objectifs cherchent à répondre aux espoirs d’une partie de la bourgeoisie française qui tente de conserver une place dans l’économie mondiale. Espoirs vains, cette dernière est de plus en plus désorganisée, incapable d’échapper aux contradictions qui la minent, profondément aggravées par la pandémie. Les espoirs de reprise qui se manifestaient au début septembre se sont effondrés. Les affrontements économiques et politiques entre les plus puissants, USA et Chine, s’exacerbent, condamnant les puissances moyennes, dont la France, à un « déclin » dont la perte du marché de sous-marins avec l’Australie est une illustration sans appel. Dans ce contexte, le plan « France 2030 » s’inscrit dans la continuité des précédents : du bluff et de la mousse à usage de ceux qui se laissent prendre aux discours électoraux, mais surtout des milliards sonnants et trébuchants qui continueront à alimenter les profits et la spéculation tandis que la dette publique continuera de se creuser et l’économie de sombrer dans ses contradictions.

Les prix flambent, les bourses explosent, la société est malade du capitalisme

Macron a le cynisme de prétendre que son plan est destiné à pallier le fait que « la France n'a plus le modèle productif capable de financer son modèle social ». Un « modèle social » qu’il s’attache à détruire dans la lignée de ses prédécesseurs par la poursuite de la casse des service publics, Santé et Éducation, les reculs imposés aux droits des chômeurs, la reprise annoncée de l’offensive contre les retraites… Ces attaques se poursuivent alors que les travailleurs, la population sont frappés de plein fouet par les conséquences du dérèglement de l’économie mondiale, à commencer par la flambée des prix qui en résulte.

Lorsque sont apparus les premiers signes d’inflation, il y a quelques mois, on nous expliquait que c’était un effet de la loi de l’offre et de la demande, que la production de matières premières et autres éléments de base n’arriverait pas à suivre une demande boostée par une reprise plus vigoureuse que prévu. D’où l’augmentation des prix du pétrole, du gaz, des matière première minières et agricoles, qui se répercutaient à leur tour sur les coûts des produits de consommation.

La loi de l’offre et de la demande, c’est celle de la concurrence et du profit ! Dès le début de l’année, alors que divers oracles annonçaient la reprise pour la fin de l’été, des spéculateurs se précipitaient sur les matières premières, faisant des réserves, anticipant l’augmentation attendue des besoins. Il en résultait un emballement des prix qui n’avait rien à voir avec celui d’une quelconque reprise. La tonne de cuivre, qui valait 8 000 dollars début janvier, grimpait à 10 000 dollars en quelques jours, suite aux commandes « à livrer dans 6 mois » passées par divers margoulins. Tous les secteurs étaient ainsi touchés, pétrole, gaz, matières premières minières et agricoles.

La flambée des prix qui en résulte cause, partout dans le monde, un recul du niveau de vie des travailleurs. Elle a des conséquences terribles sur les populations les plus pauvres. Selon la FAO (Organisation des Nations Unies sur l’alimentation et l’agriculture), entre 83 et 132 millions de personnes de plus auraient été plongées dans la malnutrition chronique depuis le début de la pandémie, pour un total de 811 millions, 10 % de la population mondiale. En corollaire, les capitalisations boursières s’envolent, les quelque 3000 milliardaires que compterait le monde ont vu leur fortune globale augmenter de 10 000 milliards de dollars depuis janvier 2020.

La spéculation sur les prix des matières premières, l’augmentation des coûts de production ainsi que la désorganisation des chaînes de valeur, c’est à dire les différentes étapes du processus mondialisé de production et d’échange des marchandises, qu’ont engendrées la pandémie et l’incapacité du capitalisme à y faire face, entraînent des pénuries qui agissent comme un frein sur la reprise.

« Conjoncture, la fête est (peut-être) finie » titrait mercredi un éditorialiste des Échos. Partout dans le monde, en Chine, en Europe, aux États-Unis, les prévisions de croissance sont revues à la baisse. La concurrence que se livrent les grandes multinationales et les États franchit de nouveaux seuils, contribue à perturber les échanges internationaux, exacerbe les tensions géopolitiques, aggrave les pénuries. Les capitaux en mal d’investissements productifs rentables s’engouffrent de plus belle dans la spéculation et l’« industrie de la dette » tandis que Banques centrales et Etats jonglent avec leurs politiques monétaires et budgétaires, maintenant le monde de la finance sous perfusion. Les causes qui sont à l’origine de la flambée des prix s’accentuent, la crise inflationniste s’installe pour durer, aggravant à son tour la situation économique globale.

La société est malade de l’offensive permanente des classes dominantes pour leur taux de profit, d’un mode de production en faillite, incapable d’assurer à la société humaine ses moyens de subsistance. Un mode de production engagé par sa propre logique dans une fuite en avant vers une crise environnementale majeure, des relations internationales de plus en plus explosives, et un creusement jamais vu des inégalités sociales.

Imposer la hausse générale des salaires et des pensions, leur indexation sur les prix, prendre collectivement le contrôle de l’économie

Les Echos de jeudi 21 citaient un sondage Elabe selon lequel « les ménages sont bien plus focalisés sur la question du pouvoir d’achat que sur la sécurité ou l’immigration. Une réalité qui fait resurgir le spectre d’une crise des « Gilets jaunes » à quelque mois de l’élection présidentielle ». Tout le petit monde des dits « grands candidats » se trouve pris à contre-pied, chacun.e est sommé.e de prendre position sur un sujet d’autant plus explosif que, dans bien des entreprises, les travailleurs se mobilisent pour imposer des augmentations de salaire.

Le gouvernement tente de parer au plus pressé avec son « indemnité inflation » … que chacun.e des autres postulant.e.s à la présidentielle s’est empressé.e de trouver « insuffisante » ou « inadaptée ». Telle Anne Hidalgo : « Les annonces du Premier ministre relèvent de l'improvisation et ne sont pas à la hauteur […] À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle : une baisse massive et temporaire de la fiscalité sur l'essence » ; Mélenchon : « Bloquez les prix au niveau d'avant la hausse. Bloquez ou partez si vous ne savez pas quoi faire » ; Le Pen : « Seule la baisse de TVA sur le gaz, l'électricité et les carburants permettra de soulager le pouvoir d'achat de tous les ménages avant l'hiver » ; ou encore Barnier : « Il faut que l'Etat cesse de s'enrichir quand les Français s'appauvrissent, avec les taxes et les surtaxes (!) », tandis que Pécresse et Bertrand proposent « chèque énergie » pour l’une, « chèque carburant » pour l’autre.

De droite ou de gauche, aucun.e n’envisage une seconde de s’en prendre aux profits qu’engrangent les spéculateurs, les grandes multinationales de l’énergie.

Les travailleurs ont leur propre réponse à l’augmentation du coût de la vie : augmenter les salaires, obliger les patrons à prendre sur les profits, imposer, par la lutte, une autre répartition des richesses. C’est une nécessité qui s’impose à l’ensemble de la classe ouvrière, les mouvements de grève pour les salaires qui éclatent un peu partout en témoignent. Cela ouvre une perspective politique pour sortir de l’affrontement « boite par boite », vers la construction d’un mouvement d’ensemble pour exiger une « échelle mobile des salaires » s’appliquant à toutes et tous, indexant le niveau des salaires, des pensions, des minima sociaux sur l’évolution du coût de vie.

Arracher une telle mesure, la garantir malgré les aléas des rapports de classe exige de rompre avec la logique régressive d’un système d’exploitation, ce que la gauche dans toutes ses composantes se refuse ne serait-ce qu’à imaginer. Mettre un coup d’arrêt à l’offensive du gouvernement et du patronat, aux méfaits du capitalisme en putréfaction exige de s’en prendre à ses fondements mêmes, la propriété privée des moyens de production et d’échange, pour établir notre contrôle, celui des travailleurs et de la population sur la production et la répartition de ce qui nous est nécessaire pour vivre, dans le respect des équilibres écologiques.

Daniel Minvielle

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