La crise sanitaire a jeté une lumière crue sur la situation des travailleurs pauvres qui s’est dégradée brutalement pendant le confinement. Les services d’assistance sociale et les associations humanitaires ont été débordés par le nombre de demandes, d’aide alimentaire en particulier à laquelle avaient déjà recours 5,5 millions de personnes avant l’épidémie dont une majorité de femmes (56,4 % des personnes aidées selon un bilan sur 2018 du Secours Catholique, et 39,2 % de mères isolées). Dans son dernier bilan, le Secours Populaire estime qu’entre mars et mai 2020, ses permanences d'accueil ont été sollicitées par 1,27 million de personnes contre 3,3 millions sur toute l'année 2019. Parmi ces demandeurs, 45 % sont de nouveaux venus. « Un chiffre absolument énorme », a indiqué Henriette Steinberg, une des responsables de l’association, « Nous n'avons jamais vécu une situation pareille depuis la Deuxième Guerre mondiale, et il y a urgence […] Beaucoup n'avaient jamais demandé d'aide à personne. Et là, non seulement ils n'ont plus de quoi se nourrir, mais ils ne peuvent plus payer leur loyer ni l'électricité ». Le nombre de personnes en dessous du seuil de pauvreté, vivant donc avec moins de 1063 euros par mois, devrait augmenter de plus d’un million, passant ainsi à plus de 10,3 millions.

Dans le même temps, une étude réalisée par la banque suisse UBS et l’entreprise d’expertises PcW révèle cette semaine que la fortune des milliardaires dans le monde a augmenté d’un quart pour atteindre plus de 10 000 milliards de dollars fin juillet 2020, et -c’est le magazine Forbes, rapportant ces résultats qui le dit- « Cette croissance est due en grande partie aux plans de relance des gouvernements ». Selon la même étude, toujours, la fortune des milliardaires français est passée de 304,3 milliards de dollars en 2019 à 442,9 milliards en 2020 et elle a… quintuplé depuis 2009 où elle était estimée à 82,2 milliards de dollars.

Des chiffres et une réalité qui mettent à bas la théorie chère à Macron du « ruissellement par en haut » et démontrent évidemment le contraire à savoir que les plus privilégiés s’enrichissent au détriment des plus pauvres. Et comme cela apparaît de façon flagrante dans le domaine de la Santé, le gouvernement et l’État non seulement ne font rien pour remédier à cette situation, à la pauvreté mais, comme les gouvernements précédents, ils poursuivent leur politique toute à la dévotion des intérêts capitalistes qui en est responsable.

Cette offensive a tellement abaissé le niveau de vie d’un grand nombre de travailleurs, qu’il suffit d’une interruption de revenus, d’un accident, pour que la pauvreté devienne précarité et misère. Aucun travailleur n’en est à l’abri.

C’est pourquoi il est indispensable de discuter et d’élaborer un plan de lutte global, une politique d’ensemble pour la classe ouvrière, en prenant en compte la situation de toutes et de tous, travailleurs, jeunes, allocataires des minimas sociaux, « exclus ».

Des miettes pour les plus pauvres : un choix conscient du gouvernement et de l’État

C’est la fraction la plus vulnérable, la plus exploitée de la classe ouvrière, qui a dû recourir pendant la pandémie à l’aide des associations humanitaires : les intérimaires et les salariés en CDD qui ont été brutalement renvoyés, ceux qui vivent de petits boulots, de services à la personne, de travail au noir, les travailleurs sans-papiers… et bon nombre de travailleurs payés au SMIC qui, avec la perte de salaire due au chômage partiel et l’absence de cantine scolaire pour les enfants, n’ont plus eu de quoi se nourrir correctement une fois le loyer payé. Pour celles et ceux qui avaient déjà recours aux associations humanitaires, cela a été la catastrophe quand ces dernières ont été dans l’impossibilité d’assurer leurs distributions et leurs maraudes, faute de matériel de protection, masques, gel hydro-alcoolique, etc.

Au final, cependant, le soutien et la solidarité ne seront venus que des bénévoles, de la solidarité de voisins de quartier, des associations qui ont repris leurs distributions de repas et de colis alimentaires et leurs maraudes. Le gouvernement, l’État, qui ont dégainé immédiatement des dizaines de milliards d’euros pour payer les salaires du chômage partiel à la place des patrons, exonérer leurs cotisations sociales, renflouer les groupes capitalistes, garantir leurs emprunts auprès des banques, n’ont consacré que des sommes dérisoires pour aider les plus pauvres.

Ainsi le 15 avril, alors que le gouvernement avait déjà promis plus de 145 milliards d’euros pour soutenir les entreprises, sans compter les prêts garantis, Macron dans une allocution télévisée annonçait une prime… unique de 150 euros par ménage et de 100 euros par enfant qui ont été versées le 15 mai, puis une augmentation de l’allocation de rentrée de 100 euros. Ces aides ont été versées aux seuls allocataires du RSA ou de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS), ce qui a laissé de côté tous les autres dont les bénéficiaires du minimum vieillesse ou de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) et les jeunes de moins de 25 ans sans parler évidemment des étrangers en situation irrégulière. Les subventions aux associations de l’aide alimentaire ont été un tout petit peu augmentées. Le tout n’a pas excédé 1 milliard d’euros, à peine 1% du dernier plan de relance de 100 milliards.

Vendredi 2 octobre dernier, Castex recevait les représentants du collectif Alerte -qui regroupe 35 fédérations et associations humanitaires- venu lui présenter ses revendications, entre autres l’augmentation du RSA et son extension aux jeunes de moins de 25 ans. « Il n'y a pas de tabou, leur a-t-on répondu hypocritement, tout doit pouvoir être mis sur la table, mais l'idée est de voir quels besoins se creusent et d'y apporter les meilleures réponses. Il n'y a pas une idée magique à tous les problèmes », non sans préciser cyniquement que les minima sociaux ont été « sensiblement relevés » depuis le début du quinquennat.  Un « acte 2 » du plan d’action contre la pauvreté serait dévoilé d’ici une quinzaine de jours. Des paroles, des promesses sans rien de clair ni de précis, personne n’a d’illusions sur ce qui en sortira.

Comme dans le domaine de la santé, le gouvernement n’a aucune intention de remédier aux drames révélés et accentués par l’épidémie. Et quoi d’étonnant puisque c’est sa politique qui en est responsable, dans la continuité des politiques menées depuis plusieurs décennies.

L’offensive capitaliste libérale, la fabrique des pauvres

Depuis 40 ans, le chômage, la précarité, la misère n’ont cessé d’augmenter parallèlement à l’accaparement toujours plus important des richesses par une infime minorité privilégiée. Au début des années 80, c’est le début de l’offensive libérale des capitalistes et des États pour faire remonter les taux de profits, aux États-Unis avec Reagan, en Grande Bretagne avec Thatcher. En France, les maîtres d’œuvre de cette offensive ont été les gouvernements de gauche et de cohabitation des deux septennats de Mitterrand. Depuis, la situation des classes populaires n’a cessé de se dégrader.

Le nombre des chômeurs a atteint un million en 1974, 2 millions en 82. Dès lors, les réformes de l’assurance-chômage ont mis fin aux indemnités de 90 % du salaire, introduit la dégressivité des allocations de chômage jusqu’à leur disparition en fin de droits. D’un chômage financé par les cotisations salariales versées par le patronat, on est passé en fin de droits à l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS créée en 1984, puis au RMI, revenu minimum d’insertion, inventé par Rocard en 1989. Ce qui était un droit -les patrons ne sont-ils pas les maîtres de l’économie et à ce titre responsables du chômage ?- devient une aumône qu’on concède aux chômeurs non sans leur faire la morale pour convaincre tout un chacun que les chômeurs sont responsables de leur sort, des « losers » diraient-ils aujourd’hui, qui n’ont pas su se débrouiller, pas eu de courage, mieux, quelque part par là des fainéants. Cette campagne de culpabilisation des travailleurs, des pauvres, sera aussi la raison de la transformation du RMI (revenu minimum d’insertion) en RSA (revenu de solidarité active) en 2009. En 1985, révolté par l’hypocrisie qui faisait semblant de ne pas voir les victimes de la misère, SDF et « nouveaux pauvres », Coluche créa les « Restos du Coeur » dans le même temps où la Bourse, le profit et l’entreprise privée étaient vantés par une campagne médiatique sans précédent.

Aujourd’hui, le nombre de travailleurs sans emploi est de 6,3 millions de personnes, mais seulement 2,6 millions touchent des indemnités de chômage. En 2017, 4,22 millions de personnes étaient allocataires des minimas sociaux.

De 1982 à 2013, le nombre d’emplois en CDD est passé de 911 000 à 2,170 millions ; le nombre d’emplois en intérim, de 102 000 à 508 000 ; les emplois à temps partiel de 2,109 millions à 4,747 millions. La patronne du Medef, Laurence Parisot n’avait-elle pas déclaré, fin août 2005, enthousiasmée par cette flexibilité des salariés si profitable aux patrons : « la vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait à cette loi ? »

Le patronat et les gouvernements successifs se sont attaqués aussi à la protection sociale : à la Sécu, en baissant ou supprimant les remboursements de certains médicaments, en instaurant le forfait hospitalier à la charge des usagers, si bien qu’aujourd’hui on estime à plus 15 % de la population le nombre de gens qui renoncent aux soins. Aux retraites : avec les réformes de 1993 dans le privé, 2003 dans le public, 2010 pour tout le monde, les travailleurs ont perdu l’équivalent de plusieurs années de salaire. Les gouvernements n’ont eu de cesse, également, de réduire tous les budgets des services publics dans le même temps où ils distribuent l’argent des contribuables sous forme de cadeaux somptueux aux actionnaires des groupes capitalistes et aux grandes fortunes. A ce propos, il faut rappeler que près de la moitié des recettes fiscales - l’argent public - est constituée par la TVA (44,9 % en 2019) et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, 4,1 % en 2019), les deux impôts les plus injustes qui soient puisqu’ils s’appliquent avec le même pourcentage aux smicards et aux millionnaires.

Le logement sacrifié à la spéculation

Une des conséquences dramatiques de ces politiques est la question du logement. 4 millions de personnes sont mal logées aujourd’hui, 143 000 sans abri, 25 000 logés à l’hôtel, 91 000 dans des « habitations de fortune » et plus de 2,8 millions dans des logements insalubres, sans le confort minimum ou surpeuplés.

Le nombre de logements à loyers modérés est dramatiquement insuffisant, le taux de succès des demandes d’HLM est de 26 % seulement dans le meilleur des cas c’est-à-dire pour des appartements pour 2 ou 3 personnes.

L’organisme « Action logement » qui a succédé au dispositif 1 % logement qui contraignait depuis 1943 les patrons à donner 1 % de leur masse salariale pour la construction de HLM afin que leurs salariés soient logés à proximité de leur lieu de travail – ils avaient besoin de main d’œuvre à l’époque - est dans le collimateur du gouvernement. Son budget est régulièrement ponctionné au profit du budget de l’État, cette année 1,3 milliard dans le projet de budget 2021 et le gouvernement semble envisager très sérieusement de réduire ou de supprimer cette contribution des patrons.

Au lieu de faire construire des logements sociaux lui-même, l’État liquide son parc de HLM et « incite » par d’énormes cadeaux fiscaux les propriétaires à louer à des particuliers dont le niveau de ressources est bas.

Cette « privatisation » du logement social donne lieu à une énorme spéculation, les riches investissent dans la construction d’immeubles de rapport. Pour les travailleurs, les loyers ou les traites des crédits immobiliers ponctionnent une part de plus en plus importante des salaires et là encore, il suffit d’un licenciement ou d’une maladie grave qui fait chuter les revenus pour perdre son logement et se trouver à la rue. Le nombre d’expulsions, 16 000 en 2018, est monté en flèche ces dernières années. Selon les données de Droit au Logement (le DAL), le prix des logements a augmenté de 129 % entre 2000 et 2019. La moitié du patrimoine immobilier de rapport est détenu par 5 % des ménages et 3,1 millions de logements sont vacants sur un parc total de 36,6 millions de logements, soit un logement sur douze.

Alors que dans les années 60, les bidonvilles avaient cédé la place aux HLM, on les voit réapparaître aujourd’hui dans toutes les zones délaissées des grandes villes et de leur périphérie.

Des mesures d’urgence inscrites dans un plan de mobilisation d’ensemble de la classe ouvrière

Le nombre de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté est passé de 7,7 millions en 2007 et 8,6 millions en 2013, à 9,3 millions avant la pandémie et plus de 10 millions aujourd’hui. Cette dégradation du niveau de vie de la population n’est pas le produit d’une quelconque fatalité mais le résultat d’une politique consciente et délibérée pour permettre un accaparement des richesses toujours plus grand par les classes possédantes au détriment des classes populaires.

Le gouvernement a l’intention de poursuivre l’ensemble de ses attaques contre les droits sociaux des travailleurs et les services publics afin de consacrer le plus d’argent public possible aux subventions pour le patronat, renforcer la compétitivité des entreprises et rendre le pays plus attractif pour les capitaux en quête de rentabilisation dans la perspective très probablement illusoire d’une reprise économique.

La réforme des APL dont la baisse de 5 € en 2017 représente déjà 3,9 milliards d’euros, continue, de même que celle de l’assurance-chômage ou des retraites. Des amendements ont été votés début octobre qui durcissent les peines à l’encontre des squatteurs, après une campagne sécuritaire intense sans dire un seul mot des expulsions de logement illégales. Et que dire de ce rapport de la Cour des comptes édité le 8 septembre dernier avec force publicité qui a dénoncé la « fraude sociale »,... 1 milliard d’euros, quand les grandes entreprises ont bénéficié de dizaines de milliards d’exonérations de cotisations et que la fraude fiscale était évaluée à 100 milliards d’euros par an par Solidaires finances publiques en septembre 2018 !

Face à cette offensive qui affaiblit la classe ouvrière par le chômage et la précarité, la préparation d’une lutte d’ensemble pour l’interdiction des licenciements, le partage du travail entre toutes et tous et l’augmentation des salaires, pas de salaire inférieur à 1800 euros nets par mois, est à l’ordre du jour. Elle s’accompagne de la mobilisation contre la grande pauvreté, pour imposer des mesures qui assurent à toutes et tous une alimentation saine et suffisante, un logement confortable, la satisfaction des besoins en eau, électricité, chauffage.

C’est le minimum vital qui nécessite :

- l’augmentation des minimas sociaux à hauteur du Smic et leur extension aux jeunes de moins de 25 ans ;

- l’augmentation de l’APL et la baisse des loyers, la réquisition de logements vacants pour les sans-abri ;

- la gratuité de l’eau, de l’électricité, des transports pour les allocataires des minimas sociaux ;

- la sécurité alimentaire, gratuité des cantines scolaires, des repas du CROUS, distribution de chèques alimentaires ;

- pour échapper à l’exploitation par les grandes sociétés de distribution et des producteurs et des consommateurs, le développement des réseaux déjà existants d’épiceries et de cantines solidaires, en lien avec les agriculteurs dont près d’un quart aujourd’hui sont en dessous du seuil de pauvreté ;

- la régularisation des travailleurs étrangers en situation irrégulière.

Ces exigences pourtant minimales, il est illusoire de penser que le pouvoir, ou n’importe quel gouvernement dans le cadre du système, pourrait les mettre en œuvre de lui-même. Ce n’est pas l’argent qui manque, une partie seulement de l’argent public distribué aux groupes capitalistes à fonds perdus sous prétexte de sauver l’emploi ou aux plus riches sous forme de dégrèvement d’impôts y suffirait. Mais il n’est pas question pour eux d’accepter la remise en cause de la liberté des propriétaires privés ou une quelconque gratuité. C’est déjà du socialisme, du communisme, de la violence ! Ces mesures ne pourront être imposées que par la mobilisation de l’ensemble du monde du travail et mises en œuvre par les travailleurs et la population elle-même.

A partir des liens créés dans cette lutte, entre les travailleurs au chômage ou précaires et les salariés en poste dans le privé ou le public, il sera possible d’organiser la production et le temps de travail pour décider des embauches nécessaires, partager le temps de travail sans diminution des salaires, prendre le contrôle des entreprises et des services publics, de leurs comptes financiers ainsi que de ceux de l’État.

Seul le mouvement ouvrier, en étant armé de cette perspective est en mesure d’assurer l’unité des travailleurs, de ne pas laisser se creuser un fossé entre les travailleurs et les chômeurs ou les « exclus », de mener le combat pour le renversement des classes possédantes et du capitalisme.

Galia Trépère

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