L’assassinat ordonné par Trump, le 2 janvier à Bagdad, du général Soleimani, haut dignitaire iranien chef militaire en Irak, est un acte terroriste sur le plan de la politique internationale ainsi que, à un autre niveau, sur le plan intérieur. Les deux sont liés. Trump et l’État américain engagés dans une offensive militariste pour plier leurs ennemis à leur domination ont aussi besoin de soumettre l’opinion à leur politique, à ses objectifs et aux justifications qu’ils leur donnent. Au delà de la démagogie électorale ou des velléités des Démocrates de soumettre la Maison blanche au contrôle du Congrès, Trump et l’État américain ont besoin de façonner l’opinion à leur nationalisme militariste, à leur politique du coup de force permanent adaptée à l’évolution des rapports de forces internationaux qui tend à affaiblir leur position dans le monde.

Soleimani était un haut dignitaire de la dictature islamique qui avait activement joué un rôle de premier plan dans les pires crimes contre le peuple iranien ou les peuples de la région. La jeunesse irakienne en révolte a accueilli l’annonce de sa mort par des exclamations de joie. Le régime des mollahs étale au grand jour sa tragique déroute, contraint de reconnaître qu’il a lui-même, « par erreur », abattu le Boeing 737 d’Ukrainian Airlines faisant 176 morts dont 82 Iraniens. Cela ne diminue en rien les responsabilités écrasantes des USA. Le terrorisme de la première puissance mondiale qui vise l’ensemble des classes exploitées et cherche à dresser les peuples les uns contre les autres conforte les dictateurs locaux, crée le chaos et la menace de guerre.

« Nous avons l'armée la plus puissante et la mieux équipée au monde, de loin. » Trump

Cette phrase de Trump résume la politique étrangère des USA. Ils ont perdu leur leadership mondial, s’isolent de plus en plus mais ils conservent l’absolue suprématie technologique et militaire et entendent s’en servir pour défendre leur position dominante. Trump est l’homme de cette politique. Les beaux discours d’Obama cèdent la place à la réalité brutale et nue du rapport de force économique et militaire.

Trump justifie son assassinat terroriste en invoquant une succession d’incidents dont le dernier en date a été l’attaque de l'ambassade des États-Unis à Bagdad par des partisans chiites pro-iraniens. Mais ce sont bien les USA qui portent l’entière responsabilité de cette escalade ainsi que du chaos dans lequel est plongé le Moyen Orient.

Que la première puissance militaire mondiale recoure à de tels procédés renvoie à la face du monde entier la brutalité et le cynisme qui régissent les relations internationales qui se construisent à travers la concurrence mondialisée du capitalisme financier, une concurrence de plus en plus militarisée, expression à la fois de l’échec des USA et de la faillite du monde capitaliste.

Au lendemain des représailles iraniennes contre des bases de l’armée américaine en Irak, Trump a adopté une attitude qui se voulait modérée. Il gère le nouveau rapport de force créé, évite, à ce stade, la surenchère militaire mais annonce de nouvelles sanctions contre l’Iran. Il affirme sa volonté de maintenir les 5000 soldats américains sur le territoire irakien et décide l’envoi de 3000 soldats supplémentaires.

Nous sommes bien dans une logique d’escalade. Devant l’impuissance des menaces et sanctions, des provocations et agressions militaires à faire plier l’Iran, les USA affichent leur écrasante supériorité militaire pour maintenir leur domination, plier les autres nations à leurs intérêts par la force des armes. C’est un piège pour les USA eux-mêmes qui ne voient pas d’autres réponses à leurs propres échecs que la fuite en avant au risque d’une guerre régionale qui déboucherait inévitablement sur une exacerbation des tensions internationales avec la Chine, la Russie, la Turquie, et, à plus ou moins court terme, sur une conflagration militaire qui ne pourra se limiter au territoire irakien.

Trump donne des armes au régime des mollahs aux abois

Le premier résultat du terrorisme US a été de réunir la population iranienne derrière la dictature religieuse qui peut ainsi, aussi déconsidérée soit-elle, tenter d’étouffer la révolte populaire, affermir sa mainmise en Irak pour y étouffer là aussi la révolte. Une marée humaine en deuil a accompagné, le 6 janvier à Téhéran, le cercueil de Soleimani avant que, le 7, dans sa ville natale, l’hommage populaire ne tourne à la tragédie avec plus de 50 morts et 200 blessés. L’agression américaine est pour les Iraniens une humiliation qui nourrit la haine et une volonté de vengeance que le régime canalise en sa faveur malgré son incurie, les souffrances, la répression qu’il impose aux classes populaires et son délire paranoïaque dont témoigne la tragique « erreur » du missile qui a abattu le Boeing ukrainien.

L’assassinat de celui qui fut le principal maître d’œuvre de l’expansionnisme de la République des mollahs ne met en rien fin à cette politique, elle ne peut que la renforcer. « La nuit du vendredi 2/1/2020 est une date fatidique, une date qui marque le début d’une nouvelle période historique, non pas pour l’Irak ou pour l’Iran seulement mais pour toute la région », se félicitait le secrétaire général du Hezbollah Sayed Hassan Nasrallah à l’occasion d’une cérémonie de deuil, organisée à Beyrouth. Et de poursuivre : « la seule punition juste à cet assassinat est l’expulsion de toutes les forces US de la région, avec leurs navires, leurs destroyers, leurs bases, leurs armes ». Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a déclaré suite aux représailles « nous les avons giflés [les Américains] au visage hier soir, mais l’action militaire ne suffit pas », pour ajouter « la présence corrompue des États-Unis dans la région devrait prendre fin ».

Ainsi, l’Assemblée nationale irakienne a voté, le 5 janvier, une résolution demandant au gouvernement de « mettre fin à la présence de troupes étrangères » sur le territoire irakien, en commençant par « retirer sa demande d’aide » adressée à la communauté internationale pour combattre l’État islamique. La majorité a été atteinte d’extrême justesse, alors que les députés sunnites et kurdes n’ont pas pris part au vote, mais celui-ci donne, de fait, une légitimité à la politique de l’Iran et aux milices irakiennes pro-iraniennes.

Les Américains avaient pris pied en Irak à la suite de son invasion, en 2003, au cours de laquelle avait été renversé Saddam Hussein. Un contingent de 150 000 hommes dans 105 bases militaires avait été déployé. Les États-Unis avaient fini par se retirer du pays en décembre 2011, sur ordre de Barack Obama, après 9 années d’occupation. Avec le lancement de la coalition internationale contre l’État islamique en 2014, le contingent américain était de 3500 en juin 2015, puis 5000 en 2016. Cette occupation militaire de 17 ans a englouti six mille milliards de dollars pour laisser un pays en ruine, champ de bataille entre les USA et l’Iran.

Le capitalisme financier mondialisé, concurrence et militarisme

L’escalade militariste engagée au Moyen Orient n’est pas circonscrite à cette région du monde, elle implique plus ou moins directement l’ensemble des relations internationales, ne serait-ce que par ses conséquences économiques, financières, dont la hausse des prix du pétrole. D’ores et déjà la Russie, la Chine aussi sont directement engagées. L'engagement militaire de la Turquie d'Erdogan en Syrie, maintenant en Libye, multiplie les risques de conflits entre les principaux acteurs de la région, Etats-Unis-Iran, Iran-Arabie saoudite, Israël-Iran, Turquie et Égypte… Et les USA n’ont nullement l’intention de défendre seuls leurs propres intérêts, ils veulent y associer leurs alliés de l’Otan et plier le monde à leurs règles.

La menace n'est pas seulement régionale, elle est mondiale. En propageant le chaos dans la région, l'Amérique s'est affaiblie elle-même. L’époque où la force des États-Unis faisait d’eux les gendarmes du monde est révolue. Elle laisse la place à un monde où les rivalités économiques sont exacerbées par la stagnation économique. Elle favorise la montée des nationalismes, les démagogues populistes qui visent à dresser les peuples les uns contre les autres au profit des intérêts de chaque bourgeoisie.

Partout dans le monde, les dépenses d’armement augmentent. Les intérêts économiques, les rivalités commerciales, les démagogies nationalistes concourent à nourrir la montée du militarisme et rendent la guerre inévitable sauf si les peuples inversent le cours des choses.

La sainte alliance contre les peuples

Dans cette danse mortifère de la concurrence mondialisée les rivaux convergent dans leur lutte contre les aspirations démocratiques des peuples. Pour les uns et les autres la fuite en avant militariste et nationaliste est aussi une arme politique contre leur ennemi commun, les classes exploitées, la jeunesse, les peuples qui tentent de briser le carcan sans espoir dans lequel les classes dominantes veulent les enfermer. Xi Jinping, Modi, Poutine, Erdogan y prennent leur part sanglante. La France joue sa partition en Afrique et Macron qui, aveugle de vanité, prétendait régler à lui tout seul le conflit irano-américain lors du G7 de Biarritz, n’a rien d’autre à faire aujourd’hui que de s’aligner sur Trump. Aucune condamnation explicite de l’assassinat, le communiqué de l’Élysée évoque « son entière solidarité avec nos alliés face aux attaques perpétrées ces dernières semaines contre les emprises de la coalition en Irak [et] sa préoccupation concernant les activités déstabilisatrices de la force Al-Qods sous l’autorité du général Qassem ». Rien de surprenant de la part de la France qui est l’alliée militaire et la pourvoyeuse d’armes des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, impliquée dans la sale guerre que ces deux pays mènent au Yémen sous l’égide des USA.

Merkel, Macron et Johnson ont appelé l’Iran à respecter l’accord nucléaire de 2015 et à s’abstenir de mener « de nouvelles actions violentes ou d’apporter son soutien à de telles actions. [...]Il est à présent crucial d’opérer une désescalade. Nous appelons tous les acteurs à montrer le maximum de retenue et de responsabilité. [...] Dans ce contexte, préserver la coalition (anti-Daesh) est d’une importance cruciale. Nous appelons les autorités irakiennes à poursuivre le soutien nécessaire à la coalition ». Ils condamnent ainsi la résolution réclamant le départ de milliers des soldats américains adoptée par le Parlement irakien.

Pour une paix démocratique, la lutte révolutionnaire pour en finir avec le capitalisme

Ces appels à la raison ne sont que des paroles hypocrites qui voudraient masquer un soutien sans réserve aux USA. La logique à l’œuvre ne connaît pas de limite raisonnable, l’escalade engagée, la logique du bras de fer, est sans fin et il serait aveugle d’écarter le pire. La guerre locale, régionale qui s’engage, quelles que soient les déclarations diplomatiques, participe d’un processus mondial, global d’implosion-effondrement du capitalisme sous les effets du risque de faillite globalisée et de l’exacerbation de la concurrence qu’il entraîne.

La seule force de paix, ce sont les peuples eux-mêmes, les travailleurs, les classes exploitées, les femmes, la jeunesse qui se battent pour construire leur avenir alors que les classes dirigeantes capitalistes ne leur offrent que la misère, la dictature et la guerre.

L’offensive militariste et nationaliste ne réussira pas à étouffer les processus révolutionnaires en Irak et au Liban, dans le monde arabe.

En Iran la jeunesse révoltée a hué « l’erreur » meurtrière de l’armée iranienne, « les menteurs ». Le régime des mollahs qui pouvait espérer museler la révolte sous la pression du nationalisme antiaméricain après une terrible répression est emporté lui-même par sa paranoïa dans laquelle il voudrait enfermer toute la société. La convergence des révoltes par delà les frontières pourraient bien saper non seulement ses visées expansionnistes mais son existence même.

La politique terroriste de Trump a suscité partout dans le monde interrogations, inquiétudes, révoltes tout particulièrement aux USA où des manifestations anti-guerre ont été organisées le 4 janvier dans 80 villes.

La bataille pour la paix dans le respect des droits des peuples est l’affaire de toutes et tous dans le monde, car la montée du militarisme menace l’ensemble des peuples directement ou par ses répercussions économiques, sociales, politiques. L’idée d’une guerre qui resterait locale est une illusion dans le monde du capitalisme financier mondialisé.

La lutte pour le retrait des troupes américaines et françaises, des troupes de la coalition internationale du Moyen-Orient est une lutte globale contre le capitalisme et les États qui en assurent l’ordre contre les travailleurs et les peuples.

Le pourrissement du capitalisme ne laisse d’autre voie que la lutte révolutionnaire internationaliste.

Yvan Lemaitre

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