Boris Johnson a donc demandé à la reine d’user d’une de ses prérogatives fort peu démocratiques pour suspendre le Parlement britannique pour 5 semaines, jusqu’au 14 octobre, le temps pour lui, espère-t-il, d’imposer une sortie de la Grande Bretagne de l’Union européenne le 31 octobre. Ce coup de force a plongé le monde politique de Westminster dans une grande agitation désordonnée. La cour d’appel écossaise a jugé cette décision illégale car ayant « pour but d’entraver le Parlement ». Le gouvernement a fait appel et le Premier ministre est accusé d’avoir trompé la reine sur ses intentions...

« Do or die »...

Arrivé au pouvoir en juillet suite à la déroute de Theresa May en promettant le Brexit d’ici le 31 octobre quoi qu’il en coûte, « do or die », faire ou mourir, Boris Johnson semble s’être lui-même pris au piège de ses propres calculs et ambitions à s’imposer comme l’homme à poigne. Celui que les manifestants appellent le clown a, en une semaine, perdu six votes d’affilée à la Chambre des communes. Sa motion pour obtenir des élections anticipées a été rejetée. Le texte contre le « no deal » a été adopté et le contraint à solliciter un report du Brexit auprès de l’UE jusqu’à fin janvier 2020 si aucun accord n’est trouvé avec Bruxelles. Ce à quoi il réitère son opposition farouche en vue du prochain Conseil européen, qui se tiendra les 17 et 18 octobre. Un des principaux points de blocage est la question dite du « Blockstop » qui inclurait après le Brexit l’Irlande du Nord, province britannique, dans une union douanière avec l’Irlande, membre de l’UE, alors que les souverainistes veulent réinstaurer une frontière physique.

Johnson n’est pas en position de force. Il n’a plus de majorité, les bancs conservateurs se sont éclaircis, passant de 316 députés à 286 en cinq semaines. Une nouvelle défection vient s’ajouter aux sept députés qui ont démissionné dont deux ministres, parmi lesquels son propre frère. 21 députés ayant voté contre le gouvernement ont été exclus, une façon brutale de mettre de l’ordre dans les rangs conservateurs. Il est affaibli par la campagne menée à partir d’un document confidentiel, « Opération Yellowhammer », que le gouvernement a été contraint de rendre public suite à un vote des députés. Ce très officiel document décrit les conséquences d’un « no-deal », un scénario catastrophe touchant surtout les plus pauvres tant pour l’approvisionnement en eau, nourriture et médicaments, que pour les transports et les frontières, ainsi que la possibilité de « désordres publics »...

Indépendance de classe pour le monde du travail

Pris à son propre piège, Johnson bluffe affirmant qu’il trouvera un accord lors du Conseil européen des 17 et 18 octobre et que de toute façon il respectera et fera respecter ce qu’il appelle « la volonté du peuple » – le vote en faveur du Brexit, il y a trois ans. Sans doute espère-t-il que le conseil européen lui offrira une porte de sortie soit qu’il y ait un accord sur le « Backstop » soit en lui imposant un compromis qui lui permettrait de sauver la face. Tout en se pliant aux injonctions de l’UE, il maintiendrait ses positions dans la perspective d’élections anticipées. Difficile de savoir jusqu’où Johnson est prêt à passer outre le Parlement, à jouer la crise. En fait, son principal problème est de tenir la dragée haute à l’extrême droite de Nigel Farage, le parti du Brexit, pour pouvoir retourner devant les électeurs avec l’image de celui qui a respecté la volonté populaire.

Il n’est pas exclu qu’au final le pitre soit gagnant tant son opposition est hétérogène et inconsistante et craint plus que lui de nouvelles élections. L’Alliance du « non au no deal », constituée des travaillistes, des libéraux, des indépendantistes écossais, et des « rebelles » conservateurs, est un attelage bien improbable. Corbyn est loin de faire l’unanimité au sein du Labor divisé entre « Leave » et « Remain », les pro et les anti-Brexit. La politique du parti travailliste, qui vient de rendre publiques ses mesures dites « radicales » en faveur des travailleurs, n’offre en réalité aucune issue à ces derniers, prisonnier qu’il est lui-même du capitalisme et du jeu institutionnel.

Quoi qu’il en soit, au-delà des luttes de pouvoir et d’ambitions, la logique réactionnaire du Brexit exerce une forte pression à droite sur la vie politique et l’ensemble de la société. Elle nourrit une accentuation de l’offensive contre le monde du travail qui n’a pas plus aujourd’hui que lors du référendum, il y a trois ans, à choisir entre les différentes options qui divisent la bourgeoisie et son personnel politique. Il a besoin de son indépendance politique pour jouer des divisions de ses adversaires, affirmer la seule réponse démocratique et progressiste à la faillite de la bourgeoisie et changer le rapport de force. Il n’a d’autres perspectives que de faire entendre sa voix, défendre ses droits et intérêts, unir ses forces par-delà tous les nationalismes pour déployer une politique de classe, internationaliste, pour une Europe des travailleurs et des peuples.

Yvan Lemaitre

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