La mort le 16 septembre de Masha Amini, 22 ans, suite aux violences exercées contre elle par la police des mœurs lors de son arrestation à Téhéran trois jours auparavant, a provoqué un mouvement de révolte qui a gagné en quelques jours l’ensemble du pays malgré la répression.

Masha avait été interpellée pour « port de vêtements inappropriés », parce que son voile sans lequel les femmes en Iran ne peuvent pas sortir de chez elles, laissait dépasser une mèche de cheveux. Les manifestations de protestation contre sa mort ont commencé dès l’annonce de celle-ci, devant l’hôpital de Téhéran où elle avait été amenée, dans le coma, puis lors des funérailles de Masha au Kurdistan iranien, dont elle était originaire et dont la population subit depuis des décennies oppression nationale et répression. Elles se sont propagées dès le lendemain à Téhéran et dans des dizaines d’autres villes de toutes les régions du pays. De nombreuses femmes se sont filmées en train de jeter leur voile dans le feu et de couper leurs cheveux, un geste public et collectif d’un courage extraordinaire pour signifier leur rupture avec le régime. Des hommes ont rejoint en masse la révolte des femmes contre le port du voile, chantant des slogans tels que « je tuerai, je tuerai celui qui a tué ma sœur » et jetant eux-mêmes des voiles dans le feu.

La révolte s’est étendue à tout ce qui rend l’existence de la majorité de la population invivable. La contrainte exercée contre la population est permanente et la répression féroce même en temps de « calme social ». Outre les interdits vestimentaires, l’avortement et le divorce sont proscrits. Le nombre de condamnés à mort, par pendaison, en 2021 a été de 319.

Le mouvement remet en cause, avec les interdits innombrables imposés aux femmes, les discriminations qui les frappent, un véritable apartheid de genre que subissent 50 % de la population. Ce système est le pilier du pouvoir théocratique, un moyen de plier toute la population et en premier lieu les classes exploitées à un ordre moral moyenâgeux en tentant d’y associer les pères, les frères et les maris. En se révoltant, les femmes iraniennes rejointes aujourd’hui par de nombreux hommes, des jeunes, soulèvent cette chape de plomb, le pouvoir religieux intégriste des ayatollahs et des mollahs qui maintient en Iran l’ordre social, la bonne marche de l’exploitation, depuis qu’il a écrasé les militants ouvriers, les forces progressistes de la révolution qui a renversé en 1979 la dictature sanglante du shah soutenue par les États-Unis jusqu’à la veille de sa chute. C’est le pouvoir qui est devenu la cible des manifestants. Parmi leurs slogans, « A bas la dictature », « A mort les autorités ».

Un pouvoir déjà ébranlé par les révoltes populaires

Il y avait eu déjà en Iran d’énormes manifestations de la jeunesse étudiante et d’une partie de la petite bourgeoisie en 2009-2010, lors de la réélection contestée du président Ahmadinejad contre un candidat réformiste. Le soulèvement actuel s’inscrit dans le mouvement de contestation du régime né dans les années 2017-2018 et provoqué par les conséquences de la crise économique mondiale, aggravées par le retour des sanctions américaines à partir du moment où Trump a rompu l’accord sur le nucléaire. Les revenus du pétrole se sont effondrés, les prix en particulier ceux des carburants ont explosé, les subventions sur des produits de première nécessité ont pris fin pour venir en aide, prétendument, aux plus pauvres. L’inflation est aujourd’hui de 40 %, les prix du pain et de la viande ont augmenté de 60 %.

En 2019, des émeutes ont éclaté dans plus d’une centaine de villes, les travailleurs, les jeunes, les femmes ont contesté tous les aspects du régime, l’injustice sociale, la très grande pauvreté à côté de l’enrichissement scandaleux des dignitaires du clergé et de l’État, la corruption omniprésente dans tous les actes de la vie quotidienne, les insupportables règles morales moyenâgeuses à l’heure des communications par satellite et des réseaux sociaux, les aventures militaires du régime en Syrie ou en Irak et au Liban par le biais du Hezbollah. Des commissariats ont été incendiés, des membres des forces de sécurité lynchés, « Mort aux autorités », criaient les manifestants.

La répression a été d’une violence extrême. En quinze jours au mois de novembre 2019, il y aurait eu 1500 morts d’après des informations de sources haut placées recueillies par Reuters. Accusant les manifestants d’être à la solde des Occidentaux et de leurs alliés, des USA, d’Israël et de l’Arabie saoudite, le guide suprême Khamenei a ordonné de tout faire pour mettre fin aux émeutes, justifiant les massacres de masse conduits par les Gardiens de la révolution, la garde prétorienne du régime.

Quelques semaines plus tard, début janvier 2020, les funérailles du général Soleimani, commandant en chef des interventions militaires extérieures iraniennes, qui avait été assassiné sur les ordres de Trump en Irak, furent l’occasion d’énormes manifestations patriotiques, le sentiment national provoqué par les agressions des vieilles puissances impérialistes et de leurs alliés au Moyen-Orient, servant encore une fois le régime. De nouvelles manifestations contre le régime éclatèrent cependant une semaine plus tard lorsque les Gardiens de la Révolution refusèrent de reconnaître leur responsabilité dans le crash d’un Boeing d’Ukrainian Airlines qui transportait 176 passagers dont 82 Iraniens. Elles étaient beaucoup moins nombreuses qu’en novembre, la répression, des milliers d’arrestations, ayant eu raison provisoirement du mouvement. Et la pandémie de Covid dans l’année 2020 se rajouta à l’étouffement par la violence de la révolte.

Une réaction à double tranchant

Le clan religieux, qui se départageait quelques années auparavant entre réformateurs et conservateurs, se rassemblait alors derrière l’ultraconservateur Raissi qui a été élu président en 2021, mais avec 48 % seulement de participation. Il a immédiatement renforcé l’arsenal des lois répressives contre les femmes, imposant qu’elles aient à couvrir non seulement leurs cheveux mais leur cou et leurs bras, durcissant les sanctions en cas d’infraction. De nombreux opposants ont été arrêtés et emprisonnés ces derniers mois, dont des cinéastes de renommée internationale et nombre d’artistes et d’intellectuels.

En renforçant la répression et les lois contre les femmes, Raissi pensait tenir en tutelle toute la population. La police des mœurs qui s’était faite plus discrète les années auparavant, a été encouragée à faire du zèle. A côté d’elle, on voit patrouiller dans les rues, des bandes de motards armés de matraques, les bassidji, milices créées à l’origine pour enrôler de toutes jeunes recrues lors de la guerre menée par l’Irak contre l’Iran dans les années quatre-vingts, une dizaine de millions aujourd’hui, des volontaires attachés au régime parce qu’ils bénéficient de toutes sortes d’avantages, emplois, places à la faculté, etc.

Le régime pensait sinon se renforcer, du moins se protéger par ce surcroît de répression, il n’a fait qu’afficher sa peur des masses populaires et créer les conditions qui ont fait exploser la révolte.

La révolte des femmes, condition de l’émancipation sociale et politique

Ce sont les femmes, le mouvement féministe très actif en Iran, organisé à travers les nombreuses luttes qu’il a menées, qui unifie toutes les révoltes, celle des femmes elles-mêmes, celle des couches populaires, des travailleurs qui subissent la misère, le chômage qui touche surtout les jeunes, la corruption, celle de toute la jeunesse qui aspire à une modernité et une liberté interdites par les religieux, ou celle des minorités nationales comme les Kurdes ou les habitants du Balouchistan où le viol d’une jeune femme par un policier a provoqué une révolte générale.

Des grèves, d’enseignants et d’étudiants dans une centaine de facs, d’ouvriers aussi, en particulier dans les transports, ont déjà éclaté. Des syndicats indépendants, clandestins, existent, peut-être plus forts et organisés qu’on ne le pense. Ils ont mené de nombreuses luttes ces dernières années.

La répression a fait déjà plus de 83 morts, 3000 personnes auraient été arrêtées à Téhéran, les bases du mouvement kurde iranien, en Irak, ont été bombardées par le pouvoir, les cortèges de manifestants sont infiltrés par des indics. Une répression terrible est possible, par l’armée ou par les pasdaran, les gardiens de la révolution qui comptent 36 corps d’armée dans tout le pays.

Cela n’a pas empêché Macron de serrer la main du président ultraconservateur Raissi devant les caméras, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU le 20 septembre dernier, ni le gouvernement de faire gazer la manifestation de solidarité à Paris dont un des slogans était « En France, le silence, ça suffit ». Et si des gouvernements occidentaux ont condamné les bombardements des bases kurdes en Irak, il n’y a rien à attendre de ces puissances dont toute l’histoire, leur soutien à la dictature tyrannique du shah dont ils veulent aujourd’hui propulser le fils, puis les menées et les sanctions contre le régime iranien, n’a fait que renforcer le pouvoir des religieux.

Alors que les classes possédantes et dirigeantes lancent partout leur offensive réactionnaire en s’appuyant sur les préjugés religieux, remettant en cause dans plusieurs pays le droit à l’avortement, la lutte des femmes iraniennes indique la voie. Elles rallient à elles la jeunesse contre l’État théocratique, instrument de domination et d’oppression contre le monde du travail et la population, elles défient l’ordre établi et son pilier l’ordre patriarcal. Elles sont le ferment de la révolution en résonance avec les révoltes de leurs sœurs et de leurs frères exploités.es et opprimé.es de par le monde.

Galia Trépère

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