Depuis une quinzaine de jours la Guadeloupe, rejointe par la Martinique puis la Polynésie, sont le théâtre d’un profond mouvement social, associant grève générale des personnels soignants et des pompiers, manifestations, blocages des routes, affrontements violents avec les flics, pillages de magasins… Le mouvement a commencé le 15 en Guadeloupe par la mobilisation des soignants et des pompiers contre l’obligation vaccinale qui les touche, privant certains d’entre eux de leur emploi et aggravant la situation d’un système de santé en crise majeure depuis des années. La répression de leur manifestation a mis le feu aux poudres. La mobilisation s’est étendue à la grande majorité de la population, surtout la jeunesse, soumises à des conditions de vie de plus en plus insupportables. Le taux de chômage y est de 20,5%, 52,7% pour les moins de 25 ans, une personne sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté. La situation est tout aussi dramatique en Martinique, en Guyane, dans tous les départements d’outre-mer.

Samedi 20, l’UGTG (Union générale des travailleurs de Guadeloupe) écrivait : « Ces cinq jours de mobilisation et l’adhésion populaire qui les ont renforcés et les ont validés confirment la justesse des revendications des professionnels de santé, du social, du médico-social et des pompiers mais aussi traduisent la profondeur des souffrances, des inégalités, de la pauvreté et de l’exclusion subies par la population singulièrement les jeunes et les personnes âgées ». Selon Médiapart, citant divers militants, « l’obligation vaccinale, c’est l’affront de trop », « quand on décide d’appliquer une loi et de soustraire son revenu à un membre de la famille, c’est qu’on a pris la décision de plonger tout un peuple dans la misère »…

Derrière cette « décision », il y a la complicité de l’Etat avec l’infime couche de parasites qui pillent la société, condamnant des pans entiers de la population à des conditions de vie insupportables, ne lui laissant d’autre issue que la révolte. Révolte à laquelle le gouvernement répond par la provocation et la surenchère répressive. Dès le début du mouvement en Guadeloupe, le préfet instaurait un couvre-feu entre 18h et 5h, initialement prévu jusqu’au 23 puis prolongé jusqu’au 28. Le week-end dernier, Darmanin faisait le choix d’envoyer, en guise de renforts policiers, des flics du RAID et du GIGN, comme si les jeunes et les travailleurs en lutte étaient de grands délinquants. Pour Attal, porte-parole du gouvernement, il s’agirait de « protéger la population », « prise en otage par une minorité violente et récalcitrante »… Mais leurs provocations et leur cynisme sont bien incapables d’isoler des travailleurs et des jeunes qui se battent pour leurs droits, avec leurs armes de classe, la grève, le blocage de l’économie, sans craindre l’affrontement avec les flics.

L’explosion de colère qui touche les Antilles et la Polynésie est une composante d’un phénomène bien plus vaste, une mondialisation de la révolte qui se manifeste depuis une dizaine d’années. Les explosions de révolte sociale, les pillages perpétrés par des jeunes réduits à la misère et au désespoir sont une réaction aux conditions de vie qui leur sont faites par un système économique de plus en plus incapable d’assurer à l’humanité ses moyens de subsistance. Leur prétendue violence n’est qu’une réaction à la violence, permanente et infiniment plus pesante de la guerre de classe menée par patrons et gouvernements pour assurer, quoi qu’il en coûte, par police et justice interposée, leur domination politique et économique, le droit qu’ils s’arrogent de piller sans limite et quelles qu’en soient les conséquences, les ressources naturelles et les richesses produites par le travail.

Ces révoltes sociales sont le moteur des changements révolutionnaires qu’impose la situation, en finir avec le mode de production capitaliste en faillite, le remplacer par un autre mode de production, socialiste, communiste. La révolte sociale, la grève générale sont porteuses des changements révolutionnaires nécessaires et possibles aujourd’hui. Elles ont besoin, pour construire un monde nouveau sur les ruines du précédent d’une démarche collective, démocratique et consciente, d’un plan, d’une politique et d’un programme.

Une société malade des multinationales et de leurs « chaînes de valeur »

Dès la mise en œuvre des mesures de confinement, début 2020, le constat s’est imposé à grande échelle que dans le monde des multinationales et du « juste à temps », il suffit que la fabrication s’arrête à un simple maillon du processus de fabrication d’un produit, que la « chaîne de valeur » se rompe, pour que tout soit bloqué. C’était alors le cas pour le matériel médical et certains médicaments dont les usines étaient paralysées par les mesures sanitaires. Et cela continue aujourd’hui, comme on peut le constater avec les pénuries de puces électroniques ou encore les goulets d’étranglement qui se constituent dans les réseaux de logistique.

Le choix par les capitalistes du terme « chaîne de valeur » plutôt que « chaîne de production » pour désigner l’enchaînement des étapes productives nécessaires à la réalisation d’un produit est explicite. Pour les « stratèges d’entreprise », « La chaîne de valeur est l'ensemble des étapes déterminant la capacité d'un domaine d'activité stratégique (DAS), d'une entreprise ou d'une organisation à obtenir un avantage concurrentiel. ». C’est dire clairement que peu importe ce que l’on fabrique, comment et où, ce qui compte, c’est faire face à la concurrence, gagner des parts de marché, réaliser ses profits…

Pour cela, il faut réduire au maximum le coût de chacune des activités, « externaliser » certaines activités pour profiter des « avantages comparatifs » que peuvent offrir les diverses régions du monde, accès facile aux ressources naturelles, main d’œuvre bon marché, sans protection sociale, exonérations fiscales, etc.

Les patrons de multinationales laissent le soin aux équipes de production disséminées dans les filiales et sous-traitants, qu’ils mettent en concurrence, de réaliser la tâche qui leur incombe, assurer le fonctionnement de la chaîne de production, fabriquer les marchandises voulues tout en extrayant le maximum de plus-value possible du travail mis en action. La relation de dépendance des seconds au premier, c’est celle de l’exploitation globale, par la frange supérieure de la bourgeoisie, du prolétariat organisé au sein de l’appareil mondial de production et d’échange. Contrôlées par les capitaux d’une poignée d’oligarques financiers, quelque 150 multinationales dirigent ainsi l’essentiel de l’économie mondiale à travers une myriade de filiales et sous-traitants intégrés à leurs chaînes de valeur.

Ce système est aujourd’hui malade, enlisé dans une logique destructrice qui entraîne avec elle l’ensemble de la société. L’éclatement toujours plus poussé des processus de production à la recherche de la moindre miette de plus-value accentue la fragilité de l’appareil productif dans son ensemble, en limite l’efficacité globale, voire conduit à son blocage tout en aggravant les autres facteurs de crise.

La globalisation de la crise permanente ou la marche à la faillite

Les perturbations profondes qui touchent aujourd’hui le système mondial de production s’inscrivent dans un processus de déliquescence du capitalisme mondialisé dont la crise de 2007-2008 a été une étape essentielle. L’explosion de la bulle spéculative du secteur immobilier des subprimes aux Etats-Unis déclenchait une série d’évènements en cascade se répercutant dans le système financier et économique mondial. C’était l’aboutissement de trois décennies de développement des multinationales, de guerre de classe contre les travailleurs, mais aussi de cavalerie financière, de folie spéculative et d’endettement sans limite. Elles s’achevaient par une crise mondiale et globale à laquelle États et banques centrales n’ont pu faire barrage qu’en injectant des milliards et des milliards dans les circuits financiers, les mettant littéralement sous perfusion.

Ces perfusions se poursuivent aujourd’hui, preuve que le remède, s’il a évité les faillites des grandes institutions financières privées, n’a pas amélioré l’état général du malade. Bien au contraire. L’économie mondiale n’a jamais retrouvé son rythme de croissance d’avant 2007. Les injections massives d’argent frais, faute de terrains d’investissement productifs suffisamment nombreux et rentables, se sont transformées en euphorie spéculative, tandis que les niveaux d’endettement dépassent de beaucoup ceux de 2007-2008.

Fin 2019, de nombreux économistes pronostiquaient l’imminence d’un effondrement financier et de la dette, plus grave encore que celui de 2007-2008. Le déclenchement de la pandémie de covid et les mesures prises en urgence par les gouvernements pour y faire face ont semblé éloigner cette menace. Ces mesures, à l’instar du « quoi qu’il en coûte » de Macron, ont consisté pour l’essentiel en une augmentation massive des doses d’argent frais distribué aux grandes entreprises par les États et les Banques centrales. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, elles ont aggravé les niveaux d’endettement, tandis que sur les Bourses, les marchés financiers, la folie spéculative se déchaînait. Cette fin de semaine, la nouvelle de l’apparition d’un nouveau variant du covid en Afrique du Sud est venue jeter un froid sur cette euphorie. « Vendredi noir sur les Bourses, le nouveau variant Omicron fait plonger les marchés » titrait La Tribune, comme illustration de cette économie soumise à la nervosité inquiète des financiers et spéculateurs.

L’anarchie mondialisée de la production et des échanges

Conséquence de la destruction des équilibres écologiques par les multinationales forestières et agricoles, la pandémie illustre l’incapacité du système capitaliste mondialisé à mettre en œuvre les mesures que dicte la simple logique, la levée des brevets sur les vaccins, l’établissement d’un plan de traitement réellement mondial et non pas pays par pays… Mais les intérêts privés du Big-pharma, la concurrence qui règne entre les multinationales qui s’en partagent le pactole sont intouchables ! Résultat, une cinquième vague de la pandémie déferle, accompagnée de ce nouveau variant qui fait paniquer les Bourses et qui s’est développé dans un des pays où le système de santé est dévasté et qui demandent depuis des mois la levée des brevets sur les vaccins pour pouvoir les produire et vacciner leur population.

La Cop26 vient de montrer une nouvelle fois que l’incurie dont les dirigeants des multinationales et leurs États font preuve face à la pandémie est celle qu’ils manifestent face à la marche à la catastrophe écologique et climatique, comme face à la fuite en avant vers un krach financier et de la dette, ou à la désorganisation du système de production et d’échange. Dans un système économique où la règle première est la recherche du profit privé immédiat, il est impossible de traiter les problèmes qui se posent de façon globale. Les palliatifs que trouvent les classes dirigeantes ne font que retarder les échéances tout en aggravant la situation.

Certains économistes et idéologues de la bourgeoisie rêvent d’une « gouvernance » supranationale capable de concilier les intérêts de chacun avec l’intérêt général de leur classe, ainsi qu’elle aurait existé au cours des « trente glorieuses ». Mais la gouvernance supranationale qui existait pendant les « trente glorieuses » ne devait son existence qu’à l’hégémonie qu’exerçaient les Etats-Unis sur le reste du monde. L’intérêt général qui s’imposait alors à tous à travers divers organismes internationaux, Banque mondiale, FMI, ONU…, était celui de la bourgeoisie US dont le dollar, indexé sur l’or, était devenue la monnaie des échanges internationaux… Cette époque est bien révolue. Quarante années de mondialisation de l’économie ont profondément modifié les rapports de force économiques et géopolitiques, faisant émerger de nouvelles puissances économiques, comme la Chine et l’Inde. Dans ce contexte, aucun État ne peut imposer sa loi aux autres, place aux instabilités et aux rapports de force incertains !

Le dollar-or a laissé place dès les années 1970 à un marché des changes où la valeur relative d’une multitude de monnaies flottantes s’établit chaque jour au gré de l’humeur des spéculateurs. L’instabilité monétaire qui en résulte est un autre facteur de perturbation dans les échanges internationaux, aggravée par l’apparition des crypto-monnaies prétendument universelles qui échappent à tout contrôle des Etats. Après avoir lancé avec diverses autres entreprises telles Visa ou Mastercard leur projet de Libra en 2019, puis l’avoir abandonné sous la pression des Etats et des banques centrales, Facebook vient de mettre en place son propre système de paiement électronique, le Novi, pour l’instant limité aux USA et au Guatemala… Ce faisant, il ne fait qu’ajouter à l’anarchie qui règne sur les marchés des changes monétaires où prolifèrent les sociétés spécialisées dans les crypto-monnaies.

La faiblesse de la croissance économique exacerbe la concurrence internationale, dans une guerre économique de plus en plus violente, accompagnée d’une course effrénée aux armements. Cette guerre économique contribue à désorganiser le système mondial de production et d’échanges. En interdisant l’exportation de certains produits vers la Chine, le pouvoir US cherche à mettre l’industrie chinoise en difficulté, mais touche aussi certaines entreprises américaines dont les produits sont fabriqués en Chine. L’anarchie qui règne dans le système de production et d’échange rend impossible un redémarrage coordonné des activités économiques après les ralentissements consécutifs à la pandémie. Des secteurs entiers, dont l’automobile, sont partiellement paralysés par le manque de puces électroniques, dont la production, concentrée dans quelques pays comme le Vietnam, a été stoppée par la pandémie et ne devrait retrouver la normale qu’en 2023 … si tant est que des prévisions soient possibles. Dans les chaînes logistiques, des goulets d’étranglement se constituent, comme dans les transports routiers et maritimes, faute d’équipements et de personnel suffisant pour faire face à l’augmentation brutale du transit après une longue période de ralentissement.

Mais les pénuries, en particulier celles de charbon, de pétrole, des minerais, des matières premières agricoles sont aussi la conséquence de la spéculation, certains acteurs des marchés de matières premières organisant la rareté de celles-ci pour en faire monter les prix. Cette hausse des prix se répercute sur les produits à la fabrication desquels ils contribuent. Cette inflation agit comme un frein à la production, faisant craindre une période de stagflation, croissance nulle associée à une forte augmentation des prix. Elle entraîne déjà une hausse des taux d’intérêts, accentuant la menace de krach.

Prendre le contrôle de l’économie, exproprier le capital pour planifier la production

La faillite du capitalisme financiarisé mondial et de son système de production et d’échanges est patente. Enfermé dans un cercle vicieux destructeur dont il est incapable de sortir, il entraîne l’ensemble de l’humanité vers une catastrophe économique, sociale, écologique. Tandis que des fortunes inouïes s’accumulent entre quelques mains, des populations entières s’enfoncent dans la misère. Cette accentuation des inégalités nourrit une révolte sociale qui, un peu partout dans le monde, constitue le vecteur potentiel de la révolution sociale qui s’impose pour sortir de l’impasse.

Cela commence nécessairement par l’expropriation des grands patrons des multinationales industrielles et financières, la prise de contrôle collective, par les travailleurs et la population organisée démocratiquement, des réseaux financiers par le biais d’un monopole public du crédit. C’est une condition pour assurer le financement des industries en fonction des besoins réels de production selon une planification établie démocratiquement et dans le respect des équilibres écologiques. Cela marquera la fin des pratiques spéculatives, Bourses et autres marchés financiers. Et cela mettra aussi en place les conditions pour que voie le jour, dans un monde débarrassé de la concurrence et de la quête permanente du profit, un système monétaire mondial.

Malgré les tares introduites par son assujettissement à la recherche des profits, le système mondial de production développé par le travail humain est une avancée considérable dans la division mondiale du travail et la socialisation des moyens de production. Débarrassés de la mainmise des multinationales et désormais orientés vers la production de biens et services utiles, les chaînes de production existantes, réorganisées de façon rationnelle, constitueront le fondement d’un nouveau mode de production, capable de fournir à chacune et à chacun ses moyens de subsistance.

Daniel Minvielle

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