L’inquiétude tourne à la panique partout en Europe et dans le monde face à la flambée sans précédent des prix du pétrole, du gaz et de l’électricité. Les cours du gaz ont battu tous les records en augmentant de plus de 300 % depuis le début de l’année. De même, le prix de l’électricité en augmentant de 97 % a largement dépassé son record historique de 2008. Cette hausse des prix de l’énergie qui se rajoute à celle des matières premières et des produits alimentaires entraîne une inflation qui met à mal les discours sur la reprise. L’inflation en Europe est annoncée à plus de 3,3 %, plus de 4 % aux États-Unis, 18 % en Turquie, 51 % en Argentine…

Devant la crainte d’explosions sociales, un peu partout les gouvernements multiplient les annonces censées en limiter l’impact, comme ici avec le « bouclier tarifaire » ou l’augmentation du « chèque énergie ». Des gestes a minima qui seront bien incapables d’empêcher l’aggravation de la situation pour les populations alors que déjà en 2019, plus de 3,5 millions de ménages étaient en situation de précarité énergétique en France.

Là encore le gouvernement se plie aux intérêts des multinationales… aucune limitation ou « lissage » de leurs profits n’est envisagée, et ceux des multinationales de l’énergie, en France comme dans le monde, se portent au mieux !

Tout cela en pariant sur le fait que les prix diminueraient en avril or personne ne peut dire jusqu’où ira la hausse, ni ses conséquences sur l’ensemble de l’économie mondiale.

L’impasse de la libéralisation du marché de l’énergie dans le cadre de la mondialisation

Face à cette envolée des prix de l’énergie et notamment de l’électricité, les ministres ont le cynisme de s’indigner en faisant mine de découvrir l’absurdité du marché de l’énergie… Leurs discours sur l’indépendance de la France en matière de production d’électricité, assurée pour l’essentiel par un parc de centrales nucléaires unique au monde, ne sont que bluffs et mensonges… devant la froide réalité des lois du marché : la hausse du coût du gaz a entraîné une hausse du prix de l’électricité !

« Avoir un marché de l’électricité qui soit connecté à celui du gaz pose un problème. Au fond, c’est une aberration écologique et c’est une aberration économique », a même déclaré Mme Pannier-Runacher secrétaire d’Etat à l’économie début octobre. Et Bruno Le Maire, le ministre, de surenchérir : « En France, on s’approvisionne en électricité à partir des centrales nucléaires et de l’énergie hydraulique, donc on a une énergie décarbonée et un coût très bas, mais le marché (...) fait qu’il y a un alignement des prix de l’électricité en France sur les prix du gaz ».

C’est effectivement absurde, et tous ces ministres et autres experts, pourtant zélés défenseurs des vertus du marché, ont bien du mal à nous expliquer selon quelle logique le prix de l’électricité est indexé sur celui du gaz… mais c’est pourtant la règle du marché de l’énergie européen. Règle absurde, indiscutablement, qui a été mise en place par tous les gouvernements de droite comme de gauche qui ont justifié et défendu l’ouverture à la concurrence et la privatisation du secteur de l’énergie depuis 25 ans, se soumettant à la politique des capitalistes.

Cela devait entraîner automatiquement, nous a-t-on dit alors, la baisse du prix de l’électricité et profiter à tous, mais en réalité cela a surtout servi, comme toutes les privatisations, à mettre en place une formidable pompe à profits sur le dos des usagers.

La production de l’électricité, son transport et sa distribution ayant été séparés, les tarifs de l’électricité ayant été libéralisés, de nouveaux fournisseurs d’électricité sont apparus, en France en concurrence avec EDF, des entreprises qui n’avaient aucune installation, ne produisaient pas un seul KW, ne participaient en rien à l’entretien des réseaux. Ainsi l’ouverture à la concurrence a consisté à permettre à des sociétés privées d’acheter à EDF son électricité à un prix de gros, pour la revendre avec une marge aux consommateurs. Une loi obligeant même EDF à fournir à ses concurrents jusqu’à un quart de l’électricité d’origine nucléaire à un tarif fixé par une Commission de régulation de l’électricité (CRE). Et c’est cette même commission qui revoit régulièrement à la hausse le tarif public régulé pour permettre aux entreprises privées du secteur d’augmenter leurs propres tarifs...

Cette privatisation n’a répondu à aucune utilité sociale, cela a contribué à désorganiser, du fait de la concurrence, le secteur de l’énergie avec comme seule préoccupation : garantir les profits de ces entreprises, en faisant payer toujours plus cher les consommateurs. Avant même la crise actuelle, les prix de l’électricité ont connu une hausse constante dans toute l’Europe pour atteindre, en France, plus de 70 % en vingt ans et être multipliés par deux ou trois dans d’autres pays.

De son côté, et tout en restant contrôlé par l’État, EDF, devenue multinationale, a profité de cette dérégulation du marché mondial de l’énergie pour se lancer dans une multitude de rachats d’entreprises à coup de milliards d’euros à travers le monde, en supprimant au passage des milliers d’emplois tout en augmentant ses tarifs. EDF est donc devenue une multinationale prédatrice comme les autres du secteur, Engie pour le gaz ou TotalEnergies pour le pétrole. Une multinationale très profitable qui reverse des millions de dividendes à ses actionnaires, tout en aggravant les conditions de travail des salariés.

Une hausse conséquence d’un marché de l’énergie de plus en plus spéculatif

Du fait de cette libéralisation mondiale du secteur de l’énergie, le prix de l’électricité, comme celui du pétrole ou du gaz, ne repose plus sur leur coût réel moyen de production mais sur les prix négociés sur un marché mondial, lui-même devenu de plus en plus spéculatif, de plus en plus volatil.

Les experts défenseurs du système capitaliste ont le cynisme d’expliquer que les hausses de prix de l’énergie comme des matières premières seraient la conséquence de la reprise économique dans le cadre du marché. Les prix flamberaient parce que la reprise entraîne une hausse de la demande et que les entreprises ne peuvent pas encore y répondre, il suffirait donc d’attendre que l’économie retrouve son régime de croisière pour que tout rentre dans l’ordre...

Certes, la désorganisation de la production est inévitable dans une économie capitaliste qui ne connaît d’autre régulation que le marché et est incapable de la moindre coordination mais elle est aggravée par les fluctuations d’un marché mondialisé, déstabilisé par les spéculations boursières sur les matières premières, les minerais, les produits agricoles, le pétrole, le gaz. D’autant que cette flambée spéculative a été largement alimentée par les millions des plans de relance que les gouvernements ont distribués aux multinationales.

Chaque multinationale, concurrente des autres, n’a comme seule préoccupation que de tirer profit des incertitudes de la situation, du rapport de force, de sa position de monopole pour augmenter ses prix, augmenter ses bénéfices, quitte à réduire sa production. Et c’est en réalité toute la folie du marché, de la concurrence, de la spéculation financière qui se révèle dans cette flambée des prix… qui impacte l’économie réelle et surtout les classes populaires.

Le fond de la crise actuelle qui révèle une faillite globale du capitalisme est que pour les multinationales le principal moyen de réaliser des profits n’est plus d’investir leurs capitaux dans la production mais de spéculer sur tout ce qui est possible, tout en bénéficiant d’un argent public largement distribué par des États à leur service.

Le débat sur la transition énergétique, entre surenchère politicienne et soumission au marché

Le débat sur la transition énergétique, qui s’impose face à ces réelles menaces pour l’ensemble de l’humanité que sont le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité, ne peut être posé à part, comme une question indépendante de l’évolution actuelle du capitalisme et de la folie destructrice du marché mondialisé.

Malgré tous leurs discours écologiques, les États, quelle que soit la couleur politique affichée par les gouvernements, sont avant tout au service de la défense des intérêts des classes dominantes, au détriment de ceux de l’ensemble de la population ou même de la défense de notre environnement.

Non seulement ils sont incapables de faire passer l’intérêt collectif avant ceux de ces multinationales pour répondre aux enjeux sociaux et écologiques de la crise énergétique, mais tout au contraire, au nom de la promotion d’un capitalisme vert, ils leur permettent avec le plus parfait cynisme d’empocher les fonds publics de la transition énergétique, tout en continuant d’exploiter les populations, de piller les richesses naturelles et de ravager l’environnement.

Alors que commence la campagne présidentielle, tous les partis de l’extrême droite à la gauche de gouvernement ne peuvent que faire mine de se préoccuper de la question écologique, mais sans jamais lier ses enjeux à une remise en cause du mode de production capitaliste.

Le débat se limite ainsi à savoir quelle serait la meilleure source d’énergie pour remplacer les énergies fossiles, comme si cela pouvait être tranché dans le cadre du marché, sans rien changer aux rapports sociaux, sans remettre en cause la propriété capitaliste des moyens de production, en laissant finalement carte blanche aux multinationales.

Une partie de la droite, mais aussi de la gauche voire de certains écologistes, non sans relent nationaliste, y voit l’occasion de redorer le blason d’une énergie nucléaire, particularité française, pourtant bien mise à mal dans l’opinion après les catastrophes de Tchernobyl ou plus récemment de Fukushima. Mais même les défenseurs des énergies renouvelables ne sortent pas de l’illusion qu’il serait possible de réaliser une transition énergétique en la finançant à travers une politique publique, sur le modèle du Green New deal, dans le cadre d’un marché pourtant dominé par une poignée de multinationales déjà sur les rangs pour s’accaparer ces nouvelles possibilités de profits…

Faute d’une critique du capitalisme, le seul changement envisagé se limite le plus souvent à prôner un « changement de nos modes de vie », ce qui conduit à voir dans les hausses de prix de l’énergie un levier pour changer les comportements quand, en Europe, 50 millions de personnes sont déjà en situation de précarité énergétique.

Tous les partis voudraient faire croire qu’une fois élus, ils prendront des décisions radicales, alors qu’ils se soumettent par avance au cadre du marché capitaliste et font semblant de ne pas voir que les réponses nécessaires ne peuvent que se heurter aux frontières nationales et aux rivalités entre États, au désordre de la libre concurrence et aux intérêts des multinationales.

Car c’est la généralisation du mode de production capitaliste à l’ensemble de la planète qui, en conduisant à une marchandisation de toutes les activités humaines comme de la Nature, est responsable de l’accélération de la crise écologique globale. Et c’est la logique même du capitalisme qui, en rendant impossible toute tentative d’organiser rationnellement la production de biens utiles, en fait le principal obstacle pour y faire face.

Défendre le niveau de vie et la transition écologique, une même bataille contre le marché capitaliste

Les exigences pour garantir le niveau de vie des classes populaires et se donner les moyens de contrôler la façon dont l’humanité peut satisfaire ses besoins énergétiques sont une seule et même politique. La transition énergétique est un problème social, politique, ancré dans la lutte des classes, dans la lutte globale contre la domination des classes dominantes auxquelles tous les Etats se soumettent.

Face à la hausse du prix de l’énergie qui aggrave la pauvreté, l’urgence est de bloquer les prix, ne serait-ce qu’en supprimant la TVA qui en représente 20 %.

Pour faire face à ce retour de l’inflation, il est indispensable d’augmenter les salaires, les retraites et tous les minimas sociaux, pour qu’il n’y ait pas de revenu inférieur à 1800 euros nets et garantir ce niveau en l’indexant automatiquement sur la hausse des prix. Pour financer ces mesures d’urgence, il est plus que légitime de prendre sur les profits des multinationales et notamment celles de l’énergie comme Total et Engie qui les ont accumulés depuis des années sur le dos des consommateurs.

Face à la précarité énergétique comme aux enjeux écologiques, la question énergétique ne peut se réduire à choisir entre énergies fossiles, énergies renouvelables, énergie nucléaire ou réduction de la consommation énergétique. Toute transition énergétique implique d’exproprier les multinationales du secteur de l’énergie, du gaz, de l’électricité, du pétrole, du nucléaire, et leur obsession du profit, pour en faire un véritable service public sous le contrôle de ceux qui y travaillent comme des usagers, les mieux placés pour décider de comment répondre aux besoins de tous, tout en préservant les ressources naturelles et l’environnement.

Réorganiser la production d’énergie nécessite d’en finir avec le parasitisme de la finance, avec la soumission aux lois du marché, à la concurrence et à la spéculation boursière.

Il n’y aura pas d’issue à la crise sociale et écologique sans construire une autre façon de produire, ce qui veut dire changer de mode de production, remettre en cause la propriété capitaliste pour imposer une planification démocratique.

Bruno Bajou

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