En 1910, lors de la deuxième conférence internationale des femmes socialistes dont elle était à l’initiative, Clara Zetkin, militante du parti social-démocratie allemand, proposait que « les femmes socialistes de tous les pays organisent tous les ans une journée des femmes », militant pour que le mouvement socialiste intègre le combat pour l’émancipation des femmes travailleuses car, expliquait-elle, « L'émancipation de la femme comme celle de tout le genre humain ne deviendra réalité que le jour où le travail s'émancipera du capital. C'est seulement dans la société socialiste que les femmes comme les travailleurs accéderont à la pleine possession de leurs droits ».

En mars de l’année suivante, un million de femmes manifestaient en Europe.

Le 8 mars 1917, à Saint-Pétersbourg, les ouvrières descendaient dans la rue à l’occasion de cette journée et appelaient les travailleurs à les rejoindre pour exiger du pain et la paix. Une journée qui allait être la première d’une révolution dont une des premières décisions a été d’accorder le droit de vote aux femmes. En octobre 1917, Alexandra Kollontaï, membre de la direction du parti bolchevik, devenait commissaire du peuple, première femme ministre de l’histoire. Et en 1920, la Russie allait être le premier pays au monde à légaliser l’IVG.

Dans le monde entier, le 8 mars est resté une journée de lutte des femmes pour l’égalité des sexes et l’émancipation. Et quelle qu’aient été depuis les tentatives d’institutionnalisation de cette journée par tous ceux qui, tout en se revendiquant des « droits des femmes », travaillent à la perpétuation d’un ordre social qui les maintient dans une situation subalterne parce qu’il repose sur l’exploitation, la lutte des femmes porte en elle une dimension profondément subversive. Elle conteste l’ordre établi, les pouvoirs, les Eglises de toute obédience, tous ceux qui cherchent à régenter la vie et le corps des femmes pour mieux imposer le pouvoir des classes dominantes sur l’ensemble de la société. 

Ce 8 mars 2018 a été marqué dans le monde par des manifestation massives, d’une ampleur inégalée dans plusieurs pays. En Espagne, plus de cinq millions de femmes ont fait grève, se rassemblant dans toutes les villes, perturbant les transports, les médias, l’ensemble de la vie économique. A Manille, les femmes ont défilé au cri de « faire échouer la dictature », exigeant le départ du président Duarte, accusé de viol. En Inde, où des « survivantes » défigurées par des attaques au vitriol ont pris la tête de manifestations, au Mexique, au Bangladesh, au Kenya, en Turquie, en Corée… des millions de femmes se sont élevées contre l’oppression.

Sur les lieux de travail

Le mouvement #MeToo a mis sur le devant de la scène le harcèlement sexuel et machiste subi par les femmes, en particulier au travail, dans les relations de pouvoir. Parti de l’industrie du cinéma américaine après les révélations concernant Weinstein, le mouvement a touché le monde entier en quelques jours. De nombreuses femmes ont rompu le silence et dénoncé les violences sexuelles et sexistes subies dans le cadre de relations hiérarchiques, même si ce sont surtout des femmes aux positions sociales fortes qui y sont parvenues, la chose étant bien plus difficile pour l'immense majorité dans les classes les plus exploitées.

Si le capitalisme a « libéré » les femmes de l’enfermement du foyer, ayant besoin de main d’œuvre nombreuse et peu chère, il les a soumises à la violence de l’exploitation, les a mises en concurrence avec leurs compagnons, s’en servant pour baisser les salaires et en premier lieu les leurs. Aujourd’hui en France, malgré la loi sur l’égalité des salaires, les femmes gagnent 9% de moins que les hommes à travail équivalent et 24% de moins en moyenne si on ne tient pas compte du poste.

Les femmes travailleuses sont les premières confrontées à la violence sexiste, au harcèlement sexuel et à la discrimination sociale. « Femmes de ménage », « bonnes » ou « nounous », ouvrières peu qualifiées et surtout peu payées, enchaînant les petits boulots, les temps partiels, orientées dès l’adolescence vers des métiers « féminins », aides-soignantes, auxiliaires de vie, caissières, secrétaires… elles sont les premières à subir les allusions sexuelles, les mains baladeuses, le harcèlement de chefs sûrs de leur impunité, la dévalorisation et l’intimidation, le mépris social. Selon une récente étude, en France, 20 % des femmes déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail mais 75 % d’entre elles ne sont pas parvenues à en parler.

Sur tous les continents

Les femmes sont directement victimes des reculs sociaux et des préjugés qui divisent les opprimé-e-s. Dans nombre de pays, ce qui semblait acquis est remis en question. Les réactionnaires de tous poils sont à l’offensive, tels en Europe l’Eglise catholique et les réseaux lobbyistes pro-life puissants, en croisade contre le droit à l’IVG. C’est le cas en Pologne, en Hongrie, au Portugal, en Russie, en Espagne ou en Italie où bien que l’IVG soit légale, plus de 70 % des médecins refusent de la pratiquer (80 % à Rome)… et dans une moindre mesure en France.

Dans le monde entier, des femmes se battent contre la situation qui leur est faite, contre l’oppression, les relations sexuelles imposées, les violences, l’enfermement. En Iran, où l’oppression des femmes et la religion sont des piliers du pouvoir des classes dominantes, des femmes se révoltent publiquement contre l’obligation du port du voile. Plusieurs dizaines ont ces dernières semaines été arrêtées et emprisonnées pour avoir ôté leur voile, défiant le pouvoir et les religieux. Le 7 mars, l’une d’elle a été condamnée à 2 ans de prison dont 3 mois ferme pour avoir « encouragé la corruption morale en public ».

D’un continent à l’autre, chaque lutte est un encouragement, un élément d’un mouvement général. En Amérique latine, le mouvement « Ni una menos » contre les féminicides, parti d’Argentine, s’est étendu au Pérou, au Chili, à l’Uruguay... En 2014 au Bangladesh, la grève de milliers d’ouvrières travaillant pour le compte de multinationales du coton et du textile, victimes d’une exploitation féroce et de nombreux accidents et incendies dans des ateliers insalubres, a provoqué un mouvement international de solidarité ouvrière.

Une lutte universelle contre tous les obscurantismes

Certains voudraient remettre en cause l’universalité de la lutte des femmes pour l’émancipation. Comme si pouvaient exister des féminismes différents, certains en mode dégradé en fonction des pays, de la couleur de la peau, de la religion dominante. Comme s’il ne s’agissait pas d’un seul et même combat contre l’arriération et les oppressions, les violences sociale, politique, physique et psychologique faites aux femmes, par delà les continents…

Le « droit » à la liberté et à la maîtrise de son corps et de sa sexualité, l’accès plein et entier à la contraception et à l’avortement, à l’éducation, à la culture, aux loisirs, à l’espace public, à la vie sociale comme au combat politique, sont des exigences fondamentales, universelles.

La soumission qu’imposent les religions, la crainte qu’elles suintent, sont dans le monde entier des armes au service des exploiteurs. Les femmes sont les premières à subir la brutalité des injonctions des curés, imams, et autres popes, rabbins… dont celle de ne pas « tenter » les hommes et de cacher leur corps en tout ou partie, sous peine de châtiment.

La femme, « proie et servante de la volupté collective » dénonçait le jeune Marx en 1844, est « coupable » par essence. La religion lui interdit le plaisir, son corps n’a pour fonction que de réjouir l’autre sexe et enfanter. Aujourd’hui encore, d’innombrables femmes dans le monde subissent des mutilations, l’ablation du clitoris, sont violées, lapidées, vitriolées, mariées de force, répudiées... ou meurent sous les coups d’un homme.

Le degré d’émancipation des femmes, mesure de l’émancipation générale 

« Dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation générale » écrivait en 1808 le socialiste utopiste Charles Fourier. La lutte pour l’émancipation et contre les oppressions ne se divise pas, ne se hiérarchise pas et ne peut se penser que dans le cadre du combat pour « l’émancipation générale ».

Alors que la social démocratie allemande faisait campagne pour le droit de vote des femmes, en 1912, Rosa Luxemburg écrivait : « Le suffrage féminin, c’est le but. Mais le mouvement de masse qui pourra l’obtenir n’est pas que l’affaire des femmes, mais une préoccupation de classe commune des femmes et des hommes du prolétariat. Le manque actuel de droits pour les femmes en Allemagne n’est qu’un maillon de la chaîne qui entrave la vie du peuple. […] En vérité, notre Etat est intéressé à priver de vote les femmes travailleuses et elles seules. Il craint à juste titre qu’elles n’en viennent à menacer les institutions traditionnelles du pouvoir de classe. […] A part quelques-unes d’entre elles, qui exercent une activité ou une profession, les femmes de la bourgeoisie ne participent pas à la production sociale. Elles ne sont rien d’autre que des consommatrices de la plus-value que leurs hommes extorquent au prolétariat. Elles sont les parasites des parasites du corps social. […] Les femmes des classes détentrices de la propriété défendront toujours fanatiquement l’exploitation et l’asservissement du peuple travailleur, duquel elles reçoivent indirectement les moyens de leur existence socialement inutile ».

Continuité du 8 mars, la lutte pour le socialisme, pour l’émancipation de toutes et… tous

Notre 8 mars s’inscrit dans la continuité de l’appel de la conférence internationale des femmes socialistes de 1910, de celui des ouvrières de Saint-Pétersbourg le 8 mars 1917. Il ne se réduit pas, à proprement parler, au combat pour les « droits des femmes », aussi fondamentaux soient-ils. Nous ne faisons pas que demander des « droits », nous exigeons la disparition de toutes les discriminations, de toutes les oppressions, et nous battons pour l’émancipation générale de toutes et tous.

L’oppression des femmes, comme l’ensemble des oppressions et discriminations ne peut être abolie sans la remise en cause des rapports de propriété, de domination, sans abolition de toute hiérarchie et de toute relation de pouvoir d’un individu sur un-e autre, sans contester le pouvoir à la minorité d’exploiteurs. Dans le cadre capitaliste, toute avancée, aussi importante et urgente soit-elle, ne peut-être que précaire, en permanence menacée.

Dans ce combat global, les femmes ont une place essentielle à prendre, non pas à côté mais au cœur du combat pour l’émancipation. Nous avons pour cela besoin de nous extraire de la situation de victime dans laquelle veulent nous enfermer les classes dominantes et leurs institutions, leur morale, pour oser parler pleinement, à égalité, la voix de la révolution. Pour tracer la voie vers une société socialiste et communiste, permettant l’épanouissement de toutes les individualités.

Isabelle Ufferte

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