Le 12 décembre se tenait à Paris le « One Planet Summit » mis en scène par Macron. Chefs d’Etat, « personnalités », patrons de multinationales, « plus grandes fortunes du monde »… tous se sont dits d’accord pour mettre, comme le disait le slogan du sommet, « La finance publique et privée au service de l’action climat »… A traduire bien évidemment par : comment mettre la prétendue « action climat » et la « finance publique » au service de la « finance privée ». Tous ces détenteurs d’immenses fortunes accumulées sur l’exploitation du travail se présentent comme seuls capables, parce qu’ils en auraient les moyens et la volonté, de stopper les « dérives » dont ils sont les seuls responsables. Ou au moins à en alléger les conséquences sur les populations, tel Bill Gates qui veut investir 300 millions de dollars pour « aider les fermiers pauvres à s’adapter aux changements climatiques »…

Personne ne peut croire à de telles fables. L’explosion des profits et de la finance s’accompagne dans tous les domaines de reculs sociaux, de menaces grandissantes dans les secteurs financiers, militaires, environnementaux. L’humanité dispose aujourd’hui des moyens de stopper la course à la catastrophe climatique et d’en finir avec la misère terrible qui frappe des populations entières tout en garantissant le renouvellement des ressources. Mais dans le cadre du capitalisme, ces progrès se transforment en leur contraire, chômage pour des masses toujours plus importantes de travailleurs, précarité et surexploitation pour les autres. Des populations entières sont soumises à une misère terrible, aux conséquences des guerres, condamnées à chercher leur survie dans l’émigration. Non par manque d’ « investissements » ou de « volonté » : les progrès sociaux contenus en puissance dans les progrès techniques se transforment en régression sociale et menaces de toute sorte parce qu’ils sont assujettis à la perspective de profit qu’ils représentent pour ceux qui détiennent l’essentiel des richesses du monde, le contrôle de l’économie et des Etats. La maladie qui frappe le système capitaliste, c’est la propriété privée des moyens de production et d’échange.

« À un certain stade de leur développement, écrivait Marx, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves » (Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique).

Aujourd’hui, cette contradiction atteint un degré inégalé qui s’exprime dans la mondialisation financière. Celle-ci est la conséquence de l’inadaptation de la propriété privée et de l’Etat national qui la garantit et la protège au développement des forces productives qui fait exploser le carcan juridique trop étroit tout en restant soumise au rapport fondamental capitaliste de l’appropriation privée des richesses.

C’est avec ce rapport qu’il faut en finir. Marx ajoutait « Alors s'ouvre une époque de révolution sociale ». L’évolution des forces productives ne génère pas seulement les contradictions qui poussent le capitalisme à la faillite. Elle prépare aussi les bases matérielles d’une nouvelle « époque de révolution sociale », les conditions objectives du renversement du capitalisme, l’avènement d’une société où, libérés du carcan de la propriété privée, les progrès techniques pourront servir à l’épanouissement de chacun.

Le développement des forces productives contre la propriété privée capitaliste

L’histoire de l’humanité est conditionnée par les moyens grâce auxquels les hommes font face à leurs besoins, les forces productives, dont l’évolution est faite de progressions continues entrecoupées de sauts plus brusques, de révolutions technologiques.

La forme que prennent les sociétés humaines, les rapports sociaux que les hommes contractent entre eux dépendent du degré de développement de ces forces productives. C’est seulement lorsque les progrès techniques, avec la révolution néolithique, ont permis aux communautés humaines de produire plus que ce qu’il leur était immédiatement nécessaire pour vivre, de dégager un surproduit social important et régulier, qu’a commencé à se développer la division du travail, la différenciation sociale qui a abouti à la division des sociétés en classes.

Les rapports que les hommes établissent entre eux dans la production de leurs moyens de subsistance en fonction du développement des techniques s’expriment dans des rapports de propriété au nom desquels les classes dominantes s’accaparent le surproduit social créé par les classes dominées. Ces nouveaux rapports sociaux se traduisent par des règles juridiques, des structures politiques, une idéologie qui régissent la vie de la communauté, tandis que s’instaure, entre les classes, un conflit permanent pour la répartition des richesses tirées du travail, la lutte des classes.

Si les hommes sont les acteurs de leur propre histoire, ils le font dans des conditions déterminées, à travers des rapports sociaux dans la production qui ne dépendent pas de leur volonté ni de choix pleinement conscients. « L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience » (Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique).

Mais tandis que la « superstructure juridique et politique » se maintient dans le temps perpétuant les privilèges des classes dominantes, la « structure économique » continue de se développer grâce au travail. Jusqu’au moment où la contradiction entre ce développement et les rapports de propriété existants est telle que la nécessité s’impose d’une révolution sociale, l’instauration de nouveaux rapports sociaux, adaptés au niveau atteint par le développement des moyens de production.

Les révolutions bourgeoises du 17ème siècle en Angleterre et du 18ème en France sont le produit des contradictions qui s’étaient développées au sein des sociétés féodales, le produit de la lutte des classes. Elles ont permis l’établissement de nouveaux rapports sociaux correspondant aux possibilités ouvertes par le niveau alors atteint par le développement des forces productives. Mais elles ouvraient en même temps la voie, à travers les révolutions industrielles, à une accélération importante des forces productives dont le développement s’est très vite heurté à la propriété privée capitaliste, ouvrant la perspective d’une nouvelle révolution sociale.

De la première à la deuxième révolution industrielle

La première révolution industrielle s’est développée en Angleterre dès la fin du 18ème siècle. Le développement de la machine à vapeur permettait la création de fabriques regroupant des machines dont la productivité était sans commune mesure avec les procédés artisanaux qu’elles remplaçaient. Confrontés à cette concurrence, des milliers de petits producteurs étaient ruinés, condamnés à devenir prolétaires. Les nouveaux rapports de production accéléraient considérablement le développement des forces productives et avec lui les contradictions qui se traduisaient par des crises de surproduction de plus en plus destructrices. Dès 1848, dans le Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels, analysant ces contradictions, posaient déjà comme possible et nécessaire une nouvelle révolution sociale, le renversement de la société capitaliste par la classe ouvrière, condition pour l’établissement d’une société sans classe, socialiste, communiste. Le capitalisme était arrivé, dans le contexte de l’époque, aux limites de son développement mais il avait aussi, en bousculant profondément l’ancien monde, mis en place les bases matérielles d’un nouveau, tandis que la classe porteuse de l’avenir, le prolétariat, s’était développée en son sein. La première manifestation du prolétariat en tant que classe indépendante avait lieu à Paris la même année, avant qu’il ne « monte à l’assaut du ciel » pendant la Commune de Paris, en 1871.

Mais le capitalisme n’avait pas épuisé toutes ses possibilités de développement. En Angleterre, en France, plus tard en Allemagne, il se lançait, avec l’aide des Etats, dans le partage impérialiste du monde, à la recherche de débouchés pour ses marchandises, de placements pour ses capitaux et de sources de matières premières bon marché. Des voies de navigation, des lignes de chemin de fer étaient déployées au sein des empires pour acheminer les marchandises. Des réseaux de télégraphe, de téléphone, de radio permettaient des échanges instantanés. Une deuxième révolution industrielle voyait le jour avec le développement de l’électricité et de l’utilisation du pétrole. Elle se nourrissait du développement impérialiste du capitalisme qu’elle rendait en même temps possible, à travers un développement considérable des forces productives, une transformation profonde des moyens de production, l’apparition de grands trusts, la fusion du capital bancaire et du capital industriel.

La logique interne du capitalisme poursuivait son œuvre, accumulant les contradictions qui aboutissaient, en 1914, à la Première guerre mondiale et ouvrait une nouvelle période révolutionnaire. Pour Lénine, le capitalisme, par son propre développement, avait préparé les conditions d’une « transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur », les conditions d’une révolution sociale, d’une transition au socialisme. Le prolétariat russe prenait le pouvoir en octobre 1917, établissant le premier Etat ouvrier de l’histoire, avant que la contre révolution stalinienne n’établisse sa dictature, à partir de 1924.

La guerre de 14-18 n’avait résolu aucune des contradictions de l’impérialisme et l’échec de la vague révolutionnaire des années 1920 sera suivi de bien d’autres. La grande crise de 1929, le fascisme, la Deuxième guerre mondiale sont autant d’expressions d’un capitalisme en bout de course, alors que la classe ouvrière, désarmée par le stalinisme et la social-démocratie, perdait bataille sur bataille.

Une phase de croissance suivait la fin de la Deuxième guerre mondiale. Mais ces dites « trente glorieuses » s’achevaient à leur tour dans un effondrement généralisé des profits, au cours des années 1970. La vague de chômage qui frappait alors les classes ouvrières des principales puissances industrielles, USA, Grande-Bretagne, Japon, France, Allemagne, donnait l’occasion à la bourgeoisie de lancer une offensive violente contre les travailleurs dès le début des années 1980, en s’attaquant aux salaires pour relancer les profits. Les conditions étaient réunies pour que se prépare une troisième révolution industrielle, celle des technologies de l’information et des communications.

Une 3ème révolution industrielle ?

Aujourd’hui, toute une littérature se développe autour des nouvelles technologies, prophétisant la « fin du travail », la « transversalité » contre la « verticalité », « l’économie du partage »... comme si ces techniques s’étaient développées et évoluaient hors de la société de classe et des rapports d’exploitation.

Ces technologies de l’électronique, de l’informatique, des réseaux de communication ou des satellites dataient pour la plupart des années 60, développées par les Etats impérialistes à travers la conquête spatiale et l’armée.

C’est sur la base d’une offensive contre la classe ouvrière et d’une relance de la bourse et de la finance, menées par Reagan, Thatcher, mais aussi par Mitterrand dans les années 80, que va pouvoir se développer cette révolution technologique. La politique d’austérité menée partout dans le monde se traduisit en France, par un recul de près de 10 % des salaires dans la valeur ajoutée entre 1982 et 1998. C’est sur la base de ce rapport de force et du rétablissement de leur taux de profits que les capitalistes vont investir massivement dans ces nouvelles technologies pour engranger d’énormes gains de productivité (+55 % entre 1980 et 1998 en France, d’après l’OCDE).

Le vrai bouleversement technologique ne sera pas celui des start-up de la « nouvelle économie » fortement médiatisées, mais bien celui de l’application de l’informatique, des réseaux, de l’automatisation par les principaux trusts industriels, qui se réorganisent à l’échelle du monde, à coups de fusions, d’OPA, de privatisations… et de licenciements massifs dans le cadre des rachats d’entreprises !

Dopés par les gains de productivité, la croissance s’envole dans les années 2000 sous les applaudissements de ceux qui annoncent une nouvelle période de développement du capitalisme. Mais c’est une croissance destructrice, à la recherche permanente de profits pour les actionnaires et la spéculation, provoquant une explosion des inégalités sociales.

La mondialisation financière va soumettre ces progrès techniques à la quête insatiable de plus-value des quatre coins du monde. Ce faisant, un saut va s’opérer dans la productivité des moyens de production et les progrès techniques, liés en particulier à l’informatique.

Une révolution technique à l’échelle du monde…

L’industrie fait preuve aujourd’hui d’une plus grande maîtrise des matériaux, des énergies, des procédés de fabrication (dont certains nouveaux comme l’impression 3D) qui permettent de diminuer les coûts de production.

Des machines automatisées, voire des chaînes entières de production, robotisées, flexibles, ont considérablement augmenté la productivité du travail dès le début des années 1990-2000. Et donc diminué dans les mêmes proportions la quantité de travail nécessaire pour produire une quantité donnée de marchandises. Dans les années 1960, il fallait environ 1000 ouvriers pour produire 500 000 tonnes d'acier, quand une quinzaine peut suffire en 2017 dans l’usine autrichienne Voestalpine. En France, en 2013, une heure de travail produisait 7,8 fois plus de valeur ajoutée qu’en 1950 et rien qu’au cours de la décennie 1991-2001, la productivité horaire du travail a progressé de plus de 4 % par an.

La division internationale du travail s’est profondément renforcée, avec la création et le développement des multinationales. En 1995, il existait environ 36 000 sociétés mères transnationales, un chiffre qui est passé à 104 000 en 2010. Cherchant à exploiter une main d’œuvre sous-payée, ces sociétés vont développer leurs filiales en Chine, en Corée du Sud, en Inde, grâce à la généralisation de la conception et de la production assistées par ordinateur, des machines-outils à commande numérique, des réseaux internationaux de communication.

Au début des années 1990, de nombreuses entreprises occidentales ont délocalisé leur secteur informatique en Inde pour profiter d’ingénieurs qualifiés et bon marché, comme British Airways qui sous-traite aujourd’hui ses réservations et même l’enregistrement des voyageurs et des bagages. Ce secteur informatique offshore emploie quatre millions d'Indiens… et génère 150 milliards de dollars de chiffre d'affaires par an !

Cette internationalisation se retrouve aussi au cœur de la production. Boeing fabrique ainsi son avion Dreamliner dans le monde entier : fuselage en Italie, sièges de pilotage au Royaume-Uni, train d’atterrissage en France, portes de soute en Suède… De plus en plus de produits finis (automobiles, téléphones portables, appareils médicaux) sont produits à partir d’activités parcellisées dans de nombreux pays, en particulier en Chine, devenue « l’atelier du monde » qui a réalisé 33 % de la croissance mondiale entre 2000 et 2010.

Cette internationalisation grandissante s’est accompagnée de progrès dans les transports de marchandises, par le biais de containers normalisés dont la gestion est assurée, de façon centralisée, par informatique. Des zones multimodales permettent de réaliser des gains de productivité considérables dans le transfert des marchandises d’un système de transport à un autre, sous le contrôle du système de gestion. Système qui ouvre en même temps la possibilité de connaître en temps réel la circulation mondiale des marchandises produites et consommées. D’immenses investissements sont en cours aujourd’hui, dans le cadre de la concurrence capitaliste entre la Chine, l’Asie et les Etats-Unis, pour gagner sur le temps de transport, comme les nouvelles Routes de la soie.

Enfin, l’utilisation des nouvelles technologies et d’Internet a modifié la façon de piloter la production des échanges et des services. Les grands groupes du commerce comme Walmart, première multinationale mondiale, ont la mainmise sur la production. Grâce à l’informatique, ils peuvent établir des statistiques sur leurs clients, renseigner leurs bases de données et gérer les stocks au plus près de la demande immédiate pour bénéficier au maximum de la flexibilité des chaînes de production et de logistique fonctionnant en flux tendu.

Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), ces cinq compagnies américaines les plus fortunées qui totalisent 504 milliards de dollars de capitaux, font la même chose en collectant à plus grande échelle encore les traces laissées par les internautes sur les sites qu’ils fréquentent. Grâce à leur position de monopole, elles peuvent récupérer une masse considérable d’informations qu’elles revendent ensuite aux annonceurs ou à d’autres sociétés, engrangeant ainsi des milliards de dollars. Dans cette société capitaliste, toutes ces technologies d’information servent à vendre davantage, même de la dette ! Ainsi, des start-up aident déjà les banques à filtrer les clients pour leurs demandes de prêt en ligne ou de carte de crédit d’après leurs comportements sur les réseaux sociaux.

Toutes ces données de géolocalisation ou d’objets connectés les plus divers devraient revenir à la collectivité et pas à des sociétés géantes qui en font d’énormes profits pour une utilisation totalement parasitaire et anarchique. A l’opposé, ces techniques de l’information préfigurent une organisation rationnelle de la production au plus près des besoins de chacun. En cherchant à prévoir et à anticiper, elles constituent les bases matérielles d’une planification centralisée de l’économie, d’une gestion rationnelle des ressources naturelles, d’une diminution considérable du temps de travail humain nécessaire à la production des biens et des services permettant à tous les êtres humains de vivre décemment.

Etouffées dans le carcan de la propriété privée capitaliste, de la soif de profits d’une infime minorité qui s’en approprie le contrôle, ces nouvelles technologies se retournent contre l’immense majorité. Comme le constatait déjà Marx à son époque : « Nous voyons qu’une machine douée d’une force merveilleuse, capable de réduire l’effort et d’effectuer un travail humain fécond, mène à la famine et à l’épuisement ».

… mais un progrès perverti par le capital

Les gains de productivité qui se sont accumulés et qui permettraient de réduire le travail de chacun se transforment aujourd’hui en chômage de masse pour les uns et surexploitation pour les autres. Dans les usines, les robots qui devraient servir à libérer les travailleurs des tâches les plus pénibles, ne sont mis en œuvre qu’à la seule condition de supprimer des emplois… aggravant ainsi les conditions de travail des ouvriers restants.

La flexibilité des équipements introduite par leur modernisation (robotisation, commandes numériques, possibilité de travailler en flux tendu) pousse les entreprises à flexibiliser le travail par la liquidation des CDI et la généralisation du travail précaire. Aujourd’hui, 85 % des salariés en France sont en CDI, mais 87 % des nouvelles embauches se font en CDD. Le nombre de salariés intérimaires est passé lui de 550 000 en 2012 à 650 000 en 2017.

Partout, c’est la chasse aux temps morts et aux suppressions de postes, par des méthodes de management qui se généralisent comme le Lean (littéralement « gestion maigre »…) cherchant à enrôler les salariés dans l’augmentation de leur propre productivité.

En France, en Espagne, en Angleterre, les gouvernements institutionnalisent la précarité dans les contrats de travail, comme on le voit avec les différentes moutures de la loi Travail, justifiant ces graves atteintes aux droits des salariés par le baratin sur le « nouveau travail ».

Avec l’Ubérisation, des masses de travailleurs chassés des entreprises ou n’arrivant même pas à y entrer, se retrouvent dans les conditions du travail à la tâche des salariés à domicile du 19ème siècle, sans aucune protection sociale. En France, le statut d’auto-entrepreneur a été créé en 2008 par le gouvernement Fillon. Novelli, à l'origine de la loi, était on ne peut plus clair sur l’objectif : « Désormais, pour s’en sortir, les Français ne se tournent plus vers la collectivité, ils se tournent vers… eux-mêmes. Quelle plus belle réponse donner à tous ceux qui croient encore que, face à la crise, la seule réponse, c’est l’assistanat ? (…) Cela abolit, d’une certaine manière, la lutte des classes. Il n’y a plus d’exploiteurs et d’exploités. Seulement des entrepreneurs : Marx doit s’en retourner dans sa tombe ».

Neuf ans plus tard, les Deliveroo font grève pour être payés correctement et les chauffeurs Uber sont en procès avec la plate-forme. Derrière la propagande, les chiffres sont là : en moyenne, les micro-entrepreneurs gagnent… 410 euros par mois, moins que le revenu de solidarité active (RSA) !

Cette fameuse « économie du partage » est bien un produit du vieux monde capitaliste, à l’image d’Uber financé par Goldman Sachs. Elle est incapable d’insuffler un nouveau cycle sur la base de la révolution technologique. Alors que les robots et la productivité du travail augmentent, la baisse de la croissance de la productivité globale de l’économie mondiale se poursuit, même dans les pays émergents. La baisse tendancielle des taux de profit est à l’œuvre.

Dans le cadre de l’exploitation capitaliste, le progrès technique a pour conséquence immédiate de jeter des millions de travailleurs au chômage tandis que les autres voient s’aggraver leurs conditions de travail, des populations entières réduites à la misère, condamnées à l’émigration.

A cela s’ajoutent les conséquences sur l’environnement de l’exploitation sans la moindre limite des ressources non renouvelables (minerais, charbon, pétrole…), de la destruction de ressources renouvelables sans souci de leur reconstitution (déforestations massives) et du rejet dans l’environnement des déchets de toute sorte (CO2, résidus chimiques des processus industriels, résidus radioactifs,…) comme des produits chimiques utilisés massivement dans l’agriculture.

Mais la technologie n'y est pour rien. Au contraire, c’est elle qui permet d'envisager une création massive de richesses pour satisfaire enfin tous les besoins de l'humanité, dans le respect de l’environnement et une gestion raisonnée des ressources. Mais pour cela, il faut libérer la technologie et les moyens de production de ce qui les transforme en machine à détruire, la propriété privée capitaliste.

C’est la tâche historique qui incombe à la classe ouvrière, classe révolutionnaire qui s’est profondément développée et internationalisée dans la dernière période.

La classe ouvrière porteuse de la révolution sociale à venir

Alors que de nombreux articles annoncent la « fin du travail », la classe ouvrière au sens large, celle des salariés, n’a jamais été aussi nombreuse à l’échelle mondiale, représentant les intérêts de toutes les classes populaires. Ce prolétariat c’est « la classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu'à la condition de trouver du travail et qui n'en trouvent que si leur travail accroît le capital. Ces ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce comme un autre ; ils sont exposés, par conséquent, à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. » Ces quelques lignes du Manifeste du parti communiste décrivent ce que vivent toujours l’immense majorité des travailleurs d’aujourd’hui, ne possédant rien, exploités par la propriété privée capitaliste.

Sur les 3,3 milliards de travailleurs que recense l’Organisation Internationale du Travail, 1,84 milliards sont des salariés ; à côté, 1,04 milliards travaillent à leur compte et 311 millions travaillent au sein de leur famille. C’est parmi ces deux dernières catégories qu’on trouve cette presque moitié des travailleurs du monde qui sont encore dans « l’économie informelle », c’est-à-dire le plus souvent des exploitations familiales agricoles, des ateliers familiaux, mais aussi parfois en lien avec la grande industrie, travaillant « au noir » par exemple pour la récupération des matières premières dans des décharges, voire pour des secteurs contrôlés par des mafias.

Parmi ces 3,3 milliards, la proportion de travailleurs de l’agriculture recule dans toutes les zones du monde. En 50 ans, ce sont plus de 800 millions de paysans qui ont quitté les campagnes pour les villes. Depuis 2007, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la population des villes a dépassé celle des campagnes. Les paysans représentent moins de 29 % aujourd’hui de l’ensemble des travailleurs, contre encore 45 % en 1991. Sur ces 970 millions de paysans, de moins en moins sont des petits producteurs individuels. Sans terre, un grand nombre sont des prolétaires de l’agriculture, 500 millions d’entre eux étant employés sur des grandes plantations pour alimenter le marché des produits agricoles mondialisés. L’agriculture concentre encore les injustices les plus violentes, employant 110 millions d’enfants, le plus souvent dans le cadre familial, mais aussi plus de 3 millions de travailleurs forcés.

La production manufacturière, l’industrie, représente 22 % des travailleurs, dont une grande part dépend des entreprises multinationales. Pour ne citer que les premières de quelques secteurs industriels, Glencore (extraction minière) emploie directement plus de 150 000 salariés, Nestlé (agroalimentaire) 340 000 employés, Pepsico (boissons) 274 000, EDF 130 000 dans plus de trente pays. La Sinopec (société pétrolière chinoise), 2ème plus grande entreprise privée mondiale, emploie plus de 640 000 salariés. Le secteur automobile continue d’employer des millions de salariés, plus de 500 000 rien que pour Volkswagen et 330 000 chez Toyota. L’industrie électronique en compte 120 000 chez Microsoft, 220 000 salariés chez Samsung. Et à ces millions d’employés des multinationales, il faut ajouter des dizaines de millions de personnes travaillant pour des sous-traitants.

Les services représentent près de 50 % du travail à l’échelle du monde (plus de 75 % dans les pays les plus riches), comme par exemple les travailleurs de la santé, qui sont maintenant plus de 110 millions, dont plus de 70 % de femmes. Une grande partie des employés des services travaillent dans le commerce qui est structuré par des multinationales qui comptent parmi les plus puissantes de l’économie mondiale, comme les chaînes de distribution Walmart (2,3 millions de salariés dans 27 pays) et Carrefour (360 000 salariés dans 30 pays), ou le commerce électronique avec les 230 000 salariés d’Amazon. Le secteur financier salarie aussi des centaines de milliers de salariés, dans les banques comme la JPMorgan Chase, 235 000 employés, et les assurances comme Allianz (140 000). L’explosion des services repose aussi sur la prolétarisation de ce secteur. De nombreuses tâches de service sont effectuées aujourd’hui par des salariés de grands groupes, alors qu’elles étaient effectuées par une petite bourgeoisie de travailleurs indépendants il y a encore quelques décennies.

Ces quelques éléments dessinent le tableau d’une économie mondiale structurée et dominée par des grands groupes multinationaux qui en se développant ont internationalisé et socialisé le travail salarié comme jamais… et développé une classe ouvrière moderne, qui ne possède que sa force de travail à vendre et dont les luttes pour ses moyens d’existence l’opposent aux dirigeants et propriétaires des multinationales et à leurs relais. La simplification des rapports de classes concentrés dans l’antagonisme fondamental entre « bourgeois et prolétaires » décrite dans Le Manifeste n’a jamais été aussi forte ni exacerbée à l’échelle mondiale.

L’offensive généralisée de la bourgeoisie contre la classe ouvrière pour tirer toujours plus de profit de l’exploitation du travail salarié provoque des reculs. La classe ouvrière mondiale a été percutée par la crise. L’OIT recense 201 millions de chômeurs dans le monde, 3,4 millions de plus en un an. 1,4 milliards de travailleurs sont dans une « situation d’emploi vulnérable », dans les pays pauvres, mais aussi dans les pays riches avec l’ubérisation de certains emplois, la casse des droits sociaux. 780 millions de travailleurs vivent avec moins de 3,1 dollars par jour. Globalement, les salaires à l’échelle mondiale connaissent des taux d’augmentation très faibles depuis la dernière crise financière (à peine +0,9% en 2015).

Cette offensive provoque l’effondrement des vieilles organisations du mouvement ouvrier. Elle favorise la division des travailleurs, la mise en concurrence, les illusions nationalistes, le racisme, le sexisme, autant de préjugés et d’idéologies réactionnaires secrétées par cette société d’exploitation et qui profitent à la domination du capital. Mais elle provoque aussi les résistances, les solidarités, les luttes à travers lesquelles une conscience collective se forme. C’est en menant ces luttes pour l’emploi, pour les salaires, pour les conditions de travail, que les travailleurs remettent en cause le droit des capitalistes à les exploiter et que la classe ouvrière joue un rôle révolutionnaire, force sociale faisant tourner toute l’économie et seule à même d’en saper les fondements pour se réapproprier collectivement les moyens de production.

Les dirigeants du monde s’en inquiètent. L’OIT alerte les gouvernements en indiquant dans un de ces derniers rapports que « l’indice des troubles sociaux du BIT, qui mesure le mécontentement exprimé à l’égard de la situation socio-économique dans les différents pays, montre que les troubles sociaux se sont intensifiés en moyenne au niveau mondial entre 2015 et 2016. »

De la révolution technologique à la révolution sociale…

La course aux profits, à l’accumulation des richesses par la bourgeoisie, a transformé les forces productives, révolutionné les moyens de production, développé un prolétariat moderne dans tous les pays. Ce sont les forces et les moyens de la révolution sociale à venir qui se sont mis en place, sans que la bourgeoisie ne le souhaite, et avec un contenu bien plus explosif qu’elle ne l’imagine.

La révolution technologique se transforme en recul social, le temps libre dégagé par les progrès de la productivité prend la forme du chômage et de l’exclusion. La destruction de l’environnement par l’économie capitaliste, l’incapacité à gérer les ressources et maîtriser les rapports avec la nature sont d’autant plus insupportables que les connaissances scientifiques et la médiatisation permettent d’en avoir conscience. L’accroissement de la production et la circulation internationale des marchandises se combinent avec la frustration de centaines de millions de travailleurs privés de la jouissance du fruit de leur travail. Alors que les multinationales de la distribution savent de mieux en mieux anticiper les achats des clients, le marché s’oppose à la satisfaction des besoins humains. En même temps que les multinationales organisent la production en faisant coopérer en leur sein des centaines de milliers de salariés par-delà les frontières, leur parasitisme aggrave la mise en concurrence entre les pays, les tensions internationales, les guerres.

Toutes ces contradictions se ramènent à une contradiction fondamentale, que le capitalisme est incapable de résoudre, entre d’un côté une production collective et socialisée, et d’un autre l’appropriation privée des richesses, la propriété privée capitaliste.

Aujourd’hui, cette contradiction entre le capital et le travail atteint une telle acuité qu’elle désigne aux prolétaires du monde entier leur cible, ces géants de la finance et les multinationales qui soumettent les Etats et la société à leur folle avidité de profits et de pouvoir.

Elle concentre sur elle colère, révolte, lutte collective. Elle crée le besoin de s’organiser, de se forger une conscience de classe, de penser des perspectives pour le monde du travail par-delà les frontières. Le processus de révolution permanent poursuit son œuvre. Bien creusé vieille taupe, aurait dit Marx !

Le fantasme de la bourgeoisie d’une production entièrement robotisée exprime, plus ou moins consciemment, le rêve de se débarrasser de ce danger permanent, ce prolétariat qu’elle développe et qui la menace. A l’inverse, pour des centaines de millions de travailleurs, les progrès techniques et scientifiques pourraient être autant de moyens de libérer du temps pour que les travailleurs assurent eux-mêmes et démocratiquement la direction de la société.

« Le progrès de l'industrie, dont la bourgeoisie est l'agent sans volonté propre et sans résistance, substitue à l'isolement des ouvriers résultant de leur concurrence, leur union révolutionnaire par l'association. Ainsi, le développement de la grande industrie sape, sous les pieds de la bourgeoisie, le terrain même sur lequel elle a établi son système de production et d'appropriation. » Cette description du capitalisme que faisaient Marx et Engels se retrouve pleinement dans les évolutions que nous avons esquissées. C’est le capitalisme lui-même qui crée les conditions de son renversement et les moyens de mettre en place un autre mode de production, socialiste, communiste, débarrassé des rapports d’exploitation… « la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs » (Le Manifeste).

Daniel Minvielle, Laurent Delage, François Minvielle

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to Twitter

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn