La lutte contre le racisme, la xénophobie est au centre de la lutte contre l’offensive des forces réactionnaires qui est aussi celle de l’État et des classes dominantes. Comment la prendre en charge, comment y répondre, quel lien avec les luttes quotidiennes sur les lieux de travail et d’études, autant de questions qui suscitent débat et polémique. Les violences policières contre Adama Traoré et aujourd’hui Théo, soulignent l’importance de ce débat et de ce combat.

L’objet de la discussion est de définir une politique pour le mouvement révolutionnaire et de façon plus générale, pour le mouvement ouvrier.

On regrettera la façon dont Lutte ouvrière l'a abordé dans un article publié dans le dernier numéro de sa revue (« Le piège de la "lutte contre l’islamophobie" », Lutte de classe n°181, février 2017) qui n’a d’autre objectif que la dénonciation du NPA, en mettant en exergue la politique et les formulations de militants du NPA qui font de la lutte contre l’islamophobie leur priorité.

Tous les camarades du NPA ne partagent pas l’orientation de ces derniers ni... leur réponse à LO signée de Julien Salingue, Christine Poupin, Ugo Palheta et Selma Oumari, « Combat contre l’islamophobie, quand LO inverse la hiérarchie des normes » : https://npa2009.org/idees/antiracisme/combat-contre-lislamophobie-quand-lutte-ouvriere-inverse-la-hierarchie-des-normes. Chacun, dont les camarades de LO, peut trouver sur le site du NPA un article de Jean-François Cabral qui se différencie de cette réponse : https://npa2009.org/idees/antiracisme/la-paille-la-poutre-et-la-lutte-contre-lislamophobie.

L'argumentation de LO fait une critique de principe sans formuler une politique, trop soucieuse de dénoncer de « prétendus révolutionnaires » au lieu de chercher à convaincre de sa propre façon de concevoir la lutte contre les oppressions, le racisme, le sexisme, contre l’obscurantisme religieux, pour les libertés et le socialisme.

Et les signataires du texte de réponse pratiquent la méthode de l’amalgame restant dans le même cadre de discussion où il s’agit de disqualifier l’autre plutôt que de convaincre. Pour eux, les problèmes posés par LO ne seraient que diversion.

Deux faces d’une même impasse gauchiste qui ne se préoccupe pas d’élaborer une politique pour la classe ouvrière, indépendante, répondant à ses propres besoins et intérêts en vue de son émancipation. La lutte contre l'oppression, contre les discriminations, pour la liberté et les droits démocratiques est en effet indissociable de la lutte pour l'émancipation de notre classe et de toute la société de la domination capitaliste, elle en est partie prenante.

De ce point de vue, nous partageons l'essentiel des critiques que formule LO à l'égard de celles et ceux qui font de la lutte contre « l'islamophobie » un but en soi derrière lequel nous devrions nous aligner sans discussion, sans critique, suivant au passage des « alliés » bien éloignés de notre camp social. Mais ces critiques ne peuvent suffire à définir une politique ; la réponse ne peut être seulement le recrutement de jeunes communistes dans les banlieues.

Cet article voudrait sortir du cadre de la polémique pour contribuer à formuler une politique pour les révolutionnaires.

Un contexte politique incontournable

Le combat contre le racisme et la xénophobie s’inscrit dans un contexte global dont nous devons prendre en compte l’ensemble des composantes. Ce contexte est l’offensive des classes dominantes contre les travailleurs et les peuples qui nourrit, renforce toutes les forces réactionnaires, qui trouvent dans les religions et le racisme sous toutes ses formes leurs armes de prédilection pour diviser les classes exploitées, dresser les peuples les uns contre les autres. Ces forces réactionnaires se renforcent mutuellement, les exactions des unes provoquant celles des autres dans une terrible logique qui conduit au pire.

Dire cela, ce n’est bien-sûr pas oublier les racines, les origines de ce processus de décomposition sociale qui se trouvent dans la politique des classes capitalistes et des grandes puissances pour perpétuer leur domination.

Ce qui fait des émules pour les intégristes et les djihadistes dans le monde arabe et jusque dans les quartiers populaires en France, c’est cette offensive des classes dominantes et de leurs États, combinée au recul du mouvement ouvrier qui laisse la place aux idées réactionnaires dans le capitalisme pourrissant, le chaos et la misère.

Que la politique des classes dominantes porte une lourde responsabilité ne signifie pas que le fondamentalisme religieux islamiste n’ait pas aujourd’hui ses propres objectifs, n’agisse pour lui-même et ne représente pour les travailleurs et les peuples une menace, un danger qu’il serait aveugle d’ignorer ou de minimiser.

La mondialisation a engendré une internationalisation des crises et des guerres. Elle a entraîné aussi une progression de l'islam politique et de l'emprise de la religion musulmane, deuxième religion de France, dans nos lieux d'étude et nos quartiers. On ne peut ignorer cette réalité sous couvert que l'Islam serait une religion opprimée. Le campisme, soutenir l'adversaire de mon adversaire, n'est pas une politique pour la classe ouvrière ; le campisme religieux est une absurdité. Quand l’État français et ses représentants politiques de tous bords, de l'extrême droite à Valls, s'en prennent à l'islam, cela ne fait pas des imams et autres militants cultuels et/ou communautaristes nos alliés.

Les religions sont toujours l’opium du peuple

Car notre combat contre le capitalisme, pour les droits démocratiques et en particulier ceux des femmes, est indissociable du combat contre cet instrument d’oppression que sont les religions. Lénine disait déjà en 1909, dans le texte cité par les camarades du NPA que « la religion et les églises, les organisations religieuses de toute sorte existant actuellement sont des organes de réaction bourgeoise, servant à défendre l'exploitation et à intoxiquer la classe ouvrière ». Et c’est vrai pour toutes les religions, que ce soit celles des classes dominantes chrétiennes comme en France ou musulmanes dans les pays arabes.

Ce que nous défendons, ce sont les droits démocratiques et les droits des femmes, non les religions. Nous ne sommes ni islamophiles, ni islamophobes. Nous sommes pour utiliser la laïcité là où elle a été imposée par les luttes démocratiques de la bourgeoisie et du mouvement ouvrier, pour nous servir des apports des sciences afin d’émanciper les esprits des préjugés religieux et contribuer à une compréhension matérialiste, évolutionniste de la nature, de la société et de nous-mêmes par la discussion, l’étude, la critique et la lutte.

Il ne sert à rien en effet de jeter l’anathème, pas plus sur le croyant que sur le « laïcard » (mot emprunté à l’extrême droite catholique). La lutte contre la religion est la lutte pour l’émancipation quotidienne, pour prendre ses affaires en main et imposer avec ses frères de classe le bonheur dans ce monde et non dans un autre…

Face à tous les tenants de l’ordre et de l’église catholique en France, mais aussi de toutes les religions, nous défendons l’idée que la religion est une affaire privée par rapport à l’État et à la politique. Notre laïcité non seulement n’est pas à sens unique, mais elle est indissociable de notre lutte contre l’influence des religions.

La lutte contre le racisme et la xénophobie ne peut être séparée de la lutte contre les préjugés religieux ou nationalistes, les préjugés sexistes et les classes sociales qui les utilisent pour asseoir leur pouvoir sur les peuples. Cette lutte a une dimension internationale.

Contre le racisme et toutes formes d'intégrisme, front unique et politique de classe

Il est erroné de prétendre que la lutte contre le racisme passe par la défense de la religion « opprimée » par le catholicisme en France, à savoir la religion musulmane. Il faut certes dénoncer l'utilisation de la religion pour propager des préjugés racistes, mais en expliquant que la religion est un prétexte.

La lutte contre le racisme n’est pas la défense d'une religion mais la défense des personnes, pratiquantes ou pas et quelle que soit leur couleur de peau, victimes du racisme, discriminées, attaquées en tant que telles par l’État, par les patrons ainsi que par les stéréotypes et préjugés diffusés par l’idéologie dominante. C'est en ce sens que le mot « racisé » est facteur de confusion. Il enferme les victimes du racisme dans les préjugés dont elles sont victimes et met tous les supposés « non-racisés » dans le camp des racistes, en l’occurrence des blancs. Il efface l'essentiel, les différences sociales, de classe.

En se définissant en simple opposition à la propagande réactionnaire qui utilise les préjugés religieux anti islam pour répandre les préjugés racistes, on ne raisonne plus en termes de classe. On choisit de défendre une oppression contre une autre au lieu de les combattre toutes, tout en assimilant l’ensemble des Arabes à des musulmans, comme si l’ensemble des Européens étaient catholiques… C'est pourquoi le mot islamophobie, passé aujourd'hui dans le langage courant, nous déporte sur un terrain qui n'est pas le nôtre.

Pour défendre la liberté élémentaire d’opinion et de culte, nous sommes prêts à nous allier comme disait Lénine, « avec le diable et sa grand-mère », mais sans nous aligner sur eux, bien au contraire, en préservant notre indépendance politique, en gardant toute notre liberté de critique.

Dans les communautés, il existe aussi une hiérarchie et une oppression de classe ; nous militons pour la subversion aussi de cet ordre, pour l’auto-organisation des oppriméEs partout, dans la famille, dans le quartier, dans l’usine et toute la société. Et nous encourageons particulièrement la révolte des plus opprimés, des femmes. C’est en cela que nous construisons un parti de l’émancipation.

Religion, féminisme et lutte de classe

La lutte pour l'égalité des sexes est une lutte émancipatrice. Mais pour certains camarades, cette lutte signifie la légitimation du voile. Considérant qu'il existe un « féminisme islamiste », par glissement, ils en arrivent à dire que, soit le port du voile est un simple choix vestimentaire et que donc, il nous est indifférent qu'il se développe, soit qu'il doit être défendu pour ne pas être « islamophobe », pour ne pas discriminer celles qui le portent.

Si nous nous battons aux côtés de toutes et tous pour les droits démocratiques, dont celui de pratiquer sa foi, contre les lois racistes des gouvernements, nous n'ignorons pas que le voile, la burqa, le burkini participent de l'oppression des femmes, en sont les symboles.

Le port de ces signes de façon permanente, et en particulier par des mineures, les ramène au foyer et dans la communauté, à l'invisibilité de la femme dans l'espace public, au statut d'objets sexuels définis par rapport à leur virginité et donc au mariage et à l’appropriation par l'homme.

MilitantEs de l'émancipation, nous ne sommes donc pas neutres face au voile. Nous essayons par l'expérience collective et la persuasion individuelle d'encourager celles et ceux que nous côtoyons dans nos quartiers et sur nos lieux de travail, à défendre l'indépendance des femmes, leur indépendance économique, le droit à disposer de leur corps, à la contraception, à l'avortement, antinomiques à toute religion.

Et ce combat ne se divise pas, il est international. Pouvons-nous soutenir les femmes qui se battent contre l'intégrisme, le patriarcat, le voile et la burqa (voire les mariages précoces et forcés, l'excision, le viol conjugal, la répudiation pour non virginité, etc...) dans les pays arabes en étant acritiques voire solidaires de ceux qui se battent contre elles ici (tel Tariq Ramadan, cet islamiste « modéré » qui défend un « moratoire » sur la lapidation des femmes adultères) ?

La lutte contre les oppressions de race, de genre fait partie d'une lutte globale contre leur cause, la société de classes patriarcale: elle n’est ni blanche ni noire ni métisse. Elle est universelle, comme le désir d’émancipation, comme les possibilités pour la mener à bout dans ce monde du XXIème siècle. Les apports des sciences, de la pensée humaine sont un outil d’émancipation pour tous les opprimés pour lesquels, selon Marx « rien de ce qui est humain n’est étranger », qui en ont besoin pour comprendre le capitalisme et le renverser.

C’est un recul que de ramener chacun à « sa » culture, à sa communauté. Tout en combattant l'impérialisme et le colonialisme qui l'a précédé, c'est sans complexe de culpabilité que nous revendiquons ce qu’il y a de plus progressiste dans toutes les cultures, y compris en Occident, les combats libérateurs que tous et toutes ont menés et mènent contre l’obscurantisme et l’oppression et en particulier des femmes, contre l’emprise religieuse.

Nous défendons l’émancipation pour toutes sans relativisme culturel, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’émancipation pour les unes qui ne soit valable pour les autres ; tant qu’il y en aura une qui sera opprimée, aucune ni aucun ne sera libre.

Lutte contre le racisme et pour le droit des femmes, lutte démocratique de tous les exploités

Les camarades qui répondent à LO citent Lénine dans Que faire ? opposant le révolutionnaire social-démocrate au secrétaire de trade-union, au syndicaliste : « Le secrétaire d’une trade-union anglaise, par exemple, aide constamment les ouvriers à mener la lutte économique ; il organise des révélations sur la vie de l’usine, explique l’injustice des lois et dispositions entravant la liberté de grève, la liberté de piquetage (pour prévenir tous et chacun qu’il y a grève dans une usine donnée) ; il montre le parti pris de l’arbitre qui appartient aux classes bourgeoises., etc. En un mot, tout secrétaire de trade-union mène et aide à mener la « lutte économique contre le patronat et le gouvernement ». […] Le social-démocrate ne doit pas avoir pour idéal le secrétaire de trade-union, mais le tribun populaire sachant réagir contre toute manifestation d’arbitraire et d’oppression où qu’elle se produise, quelle que soit la classe ou la couche sociale qui ait à en souffrir, sachant généraliser tous ces faits pour en composer un tableau de l’ensemble de la violence policière et de l’exploitation capitaliste, sachant profiter de la moindre occasion pour exposer devant tous ses convictions socialistes et ses revendications démocratiques, pour expliquer à tous et à chacun la portée historique de la lutte émancipatrice du prolétariat ».

Nous voulons effectivement être de ces sociaux-démocrates-là, des révolutionnaires au cœur de notre classe luttant pied à pied avec tous, quelle que soit leur origine, croyantEs ou pas, pour les droits démocratiques, contre les violences policières, les discriminations, le racisme, tout en défendant notre objectif, construire un parti de l’émancipation pour parvenir à une société sans oppression et sans classes et donc, sans religion.

Alors que des milliers de manifestants défendent le délit de solidarité, les migrants, dénoncent les violences policières contre des jeunes issus de l’immigration, qu’aux Etats-Unis même blancs, noirs, métis sont ensemble contre le mur et la morgue de Trump, la lutte antiraciste ne peut être qu’une lutte du monde du travail uni, du camp du progrès social et politique à la hauteur du monde moderne qui surgira de la barbarie actuelle.

Mónica Casanova

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