Le pseudo-documentaire « Hold-up » prétendant révéler un « plan caché » derrière la pandémie de Covid-19 a connu un certain succès, avec près de trois millions de vus sur différents supports en une semaine, suscitant de nombreuses interrogations et discussions et déclenchant toute une campagne dans les médias contre le complotisme.

En spéculant sur la défiance qui existe, à juste titre, vis-à-vis du gouvernement et de son traitement policier de la pandémie comme vis-à-vis des multinationales qui ont fait de la santé un business, ce film essaie de faire passer à coups de contrevérités et de manipulations grossières, l’idée absurde que la Covid-19 aurait été créée volontairement de toutes pièces pour servir les intérêts des puissants. Il reprend les thèses les plus délirantes de l’extrême droite américaine, et fait la part belle à des intervenants proches de la nébuleuse QAnon, un mouvement qui depuis quelques années se développe rapidement à travers les réseaux sociaux en soutenant que Donald Trump mène une guerre secrète contre une secte libérale mondiale composée de pédophiles satanistes…

Et médias et intellectuels de philosopher sur l’arriération populaire alors que ce sont bien les dirigeants du monde capitaliste qui distillent en permanence une démagogie complotiste à grand spectacle, et pas seulement avec des Trump, Bolsonaro, champions des « fake news » et autres « vérités alternatives »… Ici, le « séparatisme » au nom duquel le gouvernement justifie un nouveau tournant sécuritaire n’est jamais que la version soft du « grand remplacement » ce délire complotiste de l’extrême droite identitaire affirmant que, par l’immigration, la « civilisation arabo-musulmane » est en train de conquérir l’Europe et de détruire son identité avec la complicité de nos élites. Sans oublier Marine Le Pen qui s’identifie à Trump et voudrait s’en inspirer...

Le développement des préjugés complotistes, du conspirationnisme est la conséquence de l’offensive réactionnaire des « premiers de cordées » pour opérer un « Hold-up » sur les consciences déboussolées d’une large fraction des classes populaires face à la décomposition sociale aggravée par la pandémie.

Le conspirationnisme, nouvelles croyances religieuses à l’ère du capitalisme numérique et mondialisé…

D’ailleurs ceux qui s’indignent de la crédulité populaire face à des théories complotistes reposant sur la croyance en des forces occultes, sont les mêmes qui s’inclinent respectueusement devant un ordre social dont le principal pilier a toujours été la religion, théorie complotiste ultime selon laquelle tout l’univers et la destinée humaine seraient le produit d’une volonté divine unique !

Avec les diverses théories du complot, la religion, ce divin complot a trouvé de nouvelles formes de divagations. Ces dernières jouent finalement le rôle qui a toujours été celui de la religion : donner de fausses explications, apporter de fausses réponses pour obscurcir la réalité sociale, masquer les véritables mécanismes du marché, du capitalisme, de la lutte des classes.

C’est toujours le même obscurantisme sur le fond mais dans une forme modernisée, qui trouve un écho immédiat à travers le monde grâce à Internet, aux réseaux sociaux et à tous les moyens techniques modernes, des techniques dont la puissance mystérieuse subjugue les esprits. Le complotisme, l’obscurantisme sont ainsi devenus les nouvelles croyances religieuses de cette société capitaliste mondialisée interconnectée... un obscurantisme 2.0 !

Face à une réalité insupportable mais qui semble trop complexe pour être comprise, les théories du complot inventent des forces occultes aux pouvoirs surnaturels qui la rendent plus simple sinon à expliquer du moins à accepter. Elles simplifient le monde, instillent de l’irrationnel dans la pensée, discréditent la critique sociale radicale, et au bout du compte distillent l’idée que face à ses forces secrètes toutes-puissantes, il n’y a qu’à espérer un sauveur suprême et renoncer à vouloir changer la société par la lutte collective.

Des théories complotistes… expression du désarroi face à un système en faillite

Le discrédit profond des classes dominantes et de leurs représentants incapables de faire face à la crise généralisée sanitaire, économique, sociale, politique, écologique ne peut que déstabiliser, brouiller les repères dans toute la société. Alors que monte la colère contre les multiples conséquences de cette crise globale, et faute que s’affirme une perspective émancipatrice portée par les luttes sociales, la fuite en avant des classes dominantes pour sauver leur système s’accompagne du développement de toutes sortes d’obscurantisme, d’idées réactionnaires qui alimentent les replis nationalistes ou identitaires, la montée des populismes mais aussi les diverses théories du complot.

Ce complotisme est avant tout le reflet des contradictions d’une société d’exploitation en faillite, dont l’idéologie dominante qui s’étale à travers tous les médias et les réseaux sociaux est celle d’une classe qui voudrait faire passer la défense de ses intérêts de classe minoritaire comme la seule loi possible et qui au nom de cela s’approprie le produit du travail humain au prix de ravages sociaux et environnementaux.

C’est bien cette organisation de la société capitaliste rendue opaque par des intellectuels corrompus qui explique le succès des théories complotistes. La pandémie, les attentats, les guerres, les dérèglements climatiques, le chômage et les inégalités sont autant de drames insupportables devant lesquels la majorité de la population n’éprouve qu’horreur, incompréhension et impuissance. Face à ces drames, les États et leurs gouvernements, comme les dirigeants des multinationales qui mettent le monde en coupe réglée, semblent plus que jamais agir dans l’ombre, sans exposer publiquement les tenants et les aboutissants de leurs actes, parce qu’ils défendent avant tout leurs intérêts de classe minoritaires dominantes. Le décalage flagrant entre le discours officiel des dirigeants, ce mensonge globalisé officiel, et la réalité sociale, ne peut qu’alimenter la méfiance de tous ceux qui réfléchissent un tant soit peu, de ceux qui ne désarment pas de comprendre le monde où ils vivent, mais se sentent dépossédés, incapables de comprendre la marche réelle de la société, de pouvoir diriger leur vie, à cause du cynisme et des mensonges des classes dominantes.

Une telle situation constitue le terreau nourricier pour les thèses les plus farfelues qui conduisent toutes à imaginer que le cours des événements politiques et économiques est déterminé par l’action de forces occultes, qui tirent les ficelles en coulisses et sont en quelque sorte les deus ex machina de l’histoire apparente. Cette vision conspirationniste est réactionnaire car elle conduit à croire que l’histoire n’est régie que par des forces secrètes, manipulatrices, toutes-puissantes, et que donc toute tentative de vouloir transformer la société par la lutte sociale et collective est vouée à l’échec, n’a même pas de sens.

Une société d’exploitation et d’oppression, théâtre de multiples complots des classes dominantes dans leur lutte pour le pouvoir…

Comme le souligne Frédéric Lordon : « la seule ligne en matière de complots consiste à se garder des deux écueils symétriques qui consistent l’un à en voir partout, l’autre à n’en voir nulle part — comme si jamais l’histoire n’avait connu d’entreprises concertées et dissimulées… » Et de fait si un complot est l’action concertée et dissimulée d’un groupe d’intérêts spécialement puissants et organisés, alors tout au long de l’histoire, les classes dominantes n’ont fait que fomenter des complots pour accéder au pouvoir comme pour s’y maintenir, tout en cherchant à se prémunir des complots de leurs concurrents, et à ne voir dans la révolte des opprimés que d’autres formes de complots. Des complots sans mystère et tout à fait analysables et explicables et… déjouables...

Que ce soit à la tête des États ou dans les conseils d’administration des multinationales, toute l’existence des classes dominantes n’est qu’une succession de complots ou de manœuvres dans le cadre de la concurrence et de l’état de guerre permanent et perpétuel qui en découlent. De loin en loin certains de ces complots sont révélés et font scandale mais sans que cela ne mette fin à cette corruption structurelle qui n’est que le mode de fonctionnement habituel d’une société reposant sur des rapports de forces, d’exploitation, d’oppression. L’économie comme la diplomatie, sous le capitalisme, sont entièrement placées sous le sceau du secret, secret commercial, secret d’État. Les classes dominantes font tout pour que l’ensemble de la population ne puisse exercer son contrôle démocratique sur la marche de leurs affaires, sur les dessous de leur course aux profits.

Pourtant ce complotisme permanent dans la gestion des affaires des classes dominantes n’a rien à voir avec les délires de ceux qui en viennent à croire en l’existence d’une « vaste » et « gigantesque » conspiration, ourdie par des forces démoniaques dotées d'une puissance quasi transcendante. Non le moteur de l'histoire n’est pas une conspiration secrète ni même d’ailleurs les conspirations et manœuvres des politiciens ou financiers mais bien la lutte des classes qui se déroule sous nos yeux et dont les uns et les autres sont des acteurs qui, le plus souvent, s’ignorent.

…et de complots imaginaires pour dévoyer la révolte des opprimés

Et dans cette lutte de classe permanente, les « théories du complot » ont aussi régulièrement servi aux classes dominantes à détourner, dévoyer la colère des opprimés, ou justifier les pires des politiques répressives.

Le complotisme a d’abord été utilisé pour désigner des boucs émissaires. Le cas le plus célèbre et le plus ancien est celui du « complot juif ». Né au cours du XVIIIe siècle, il a pris une tout autre dimension avec le « Protocoles des sages de Sion », faux document rédigé par la police secrète du Tsar en 1903 révélant un prétendu plan de conquête des Juifs. Le but était alors d’utiliser l’antisémitisme pour canaliser la contestation naissante au sein du prolétariat russe, et le détourner de la critique du régime. Cette stratégie du bouc-émissaire s’est développée tout au long du XXe siècle conduisant au fascisme et à la folie des camps d’extermination.

« Complot judéo-maçonnique », « complot communiste », aujourd’hui « complot islamiste », tous les pouvoirs ont utilisé de prétendus complots pour désigner des boucs émissaires à la colère populaire, et pour justifier le renforcement des mesures de répression politique et l’aggravation de l’oppression. Ainsi dans les années 50 aux États-Unis, l’hystérie autour du « complot communiste » a servi à pourchasser et réprimer les militants communistes mais aussi à créer un climat de terreur pour étouffer toute forme d’aspirations progressistes.

Non seulement le complotisme gangrène tout l’univers moral des classes dominantes mais c’est aussi un outil politique pour diviser, semer la peur, dominer les esprits des populations, pour masquer la réalité sociale de cette société d’exploitation.

La science et la démocratie pour expliquer et comprendre le monde et la lutte des classes

Trump nourrit le même mépris pour la démocratie que pour la science... assénant dans une fuite en avant paranoïaque mensonges, fake news, dénonciations de complots imaginaires sur tous les réseaux sociaux. Mais sa sinistre mascarade ne parvient pas à masquer le rejet de sa démagogie complotiste réactionnaire qui s’est exprimée dans les élections.

Il n’y a aucun « complot » derrière l’exploitation économique, il n’y a qu’un rapport social fondé sur la propriété privée des moyens de production. C’est cette réalité sociale qu’il s’agit de mettre à nu derrière les mensonges des discours officiels, de la morale et des idéologies réactionnaires dominantes…. et pour cela nul besoin d’invoquer une conspiration de forces occultes.

Combattre la folie de cette société, lutter contre les inégalités, l’exploitation, les oppressions, c’est d’abord étudier et faire la critique de la réalité sociale qui les a engendrés, la mettre à nu pour armer la révolte, construire une conscience collective, une conscience de classe qui inscrive ces combats dans le cadre du développement historique.

À tous les délires mystiques ou complotistes, aux superstitions, nous ne pouvons qu’opposer une autre conception du monde et de l’histoire des sociétés humaines, le matérialisme qui se nourrit des avancées des sciences comme de tous les progrès du développement social et qui arment contre les croyances les plus irrationnelles.

Le développement de la société conditionne les évolutions possibles, il indique le sens, la direction du combat à mener non pour démasquer des forces occultes, mais pour l’inscrire comme une possibilité et une nécessité du développement historique. Expliquer et comprendre la lutte des classes pour être un acteur conscient de ce combat, c’est ce qui permettra de dépasser les contradictions actuelles en créant les conditions de la réappropriation par les hommes des fruits de leur activité, pour leur permettre de se libérer de tous les obscurantismes et des rapports d’exploitation et devenir pleinement maîtres de leur destinée, de la satisfaction de leurs besoins à travers une planification démocratique, socialiste.

Bruno Bajou

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