Le Conseil européen extraordinaire des 17 au 21 juillet a donné lieu à quatre jours de « négociation hors norme », une « guerre de tranchées » dont chaque chef d’Etat prétend être sorti victorieux, après avoir joué toute la panoplie des ententes de coulisses, faux départs, vrais rapports de forces… les égoïsmes nationaux à l’œuvre.

Pour Macron, c’est « historique ». Merkel prétend que « nous avons apporté une réponse à la plus grande crise de l’histoire européenne ». Le président du Conseil, Charles Michel, se félicite : « c'est beaucoup plus qu'une question d'argent. Il s'agit de travailleurs et de familles, de leurs emplois, de leur santé et de leur bien-être… L’Europe est au rendez-vous, l’Europe est rassemblée ». Oui, ou presque et pour servir le capital...

Le risque de faillite oblige les brigands à s'entendre pour le compte du capital

Au bord du gouffre, ils étaient tous prêts à se pousser entre concurrents. Seul le péril d’un effondrement global de l’économie les a conduits à une entente autour d’un « plan de relance » : 750 milliards d’euros immédiatement disponibles pour les capitalistes.

312,5 milliards seront alloués aux 27 Etats sous forme de subventions directes (environ 82 milliards pour l’Italie, 77 pour l’Espagne, France 39, Pologne 38, Allemagne 29, etc.) et 77,5 milliards subventionneront certains secteurs comme la recherche, le développement rural… Un total de 390 milliards qui iront par ce biais dans les caisses des multinationales, les Etats les redistribuant aux entreprises par le jeu des aides et des marchés publics et, bien sûr, chaque Etat privilégiera « ses » entreprises « nationales ».

D’où viendront ces milliards ? Macron était bien flou mardi soir pour tenter d’expliquer le financement de ce plan… pas vraiment financé. Pas d’impôt nouveau a-t-il promis… mais il serait question de taxes européennes sur certains produits, comme les emballages plastiques, « greenwashing » oblige, et d’un calendrier de remboursement « commun », par l’UE elle-même, en trouvant ses propres financements, entre 2027 et 2058. On peut faire confiance à leur génie fiscal pour drainer l’argent des classes populaires vers les capitalistes.

A ces 390 milliards de subventions s’ajouteront 360 milliards disponibles sous forme de prêts aux Etats, charge à eux de les rembourser, par leur propre fiscalité.

« C’est beaucoup plus qu’une question d’argent… » comme dit Michel, c’est un nouvel endettement faramineux qui, sous couvert de « la relance », va servir aux capitalistes, pour subventionner les profits et ainsi espérer limiter les faillites, un pari qui pourrait bien être stupide...

Derrière l’autosatisfaction, les marchandages et les contradictions

Pendant quatre jours, la concurrence acharnée entre ces Etats au service d’intérêts privés rivaux, ceux des multinationales, des banques, pour le profit, contre les travailleurs et les peuples, a été largement médiatisée.

Au cœur des rivalités, deux principales tendances se sont opposées. Des Etats revendiquaient que le plan offre un maximum de subventions directes pour leurs industries, comme l’Allemagne et la France… qui exigeaient 500 milliards et menaçaient de refuser un accord en dessous de 400. D’autres Etats voulaient au contraire que le maximum soit disponible sous forme de prêts que chaque Etat aurait à rembourser par lui-même. Ces derniers ont été présentés comme « frugaux », pour avoir déjà réduit leur propre endettement à coup de brutales politiques antisociales ces dernières années.

Chacun a marchandé, jouant de son poids et de sa capacité à tout faire capoter. Résultat : 390 milliards de subventions directes pour satisfaire l’Allemagne et la France… et pour les « frugaux », des baisses de contribution au budget de l’UE. Par exemple, les Pays Bas qui versaient 2,45 milliards par an, n’en verseraient plus que 0,85 jusqu’en 2027.

Ces tractations révèlent à quel point ces Etats sont à la fois rivaux et interdépendants. Les Pays Bas sont liés à la santé des multinationales européennes dont ils hébergent nombre de sièges venus profiter d’une des fiscalités les plus favorables. Pour l’Allemagne, impossible d’envisager un éclatement de la zone euro qui est devenue son marché intérieur. Merkel l’avait affirmé en juin : « il est dans l’intérêt de l’Allemagne que l’Union européenne ne s’effondre pas », relayant les intérêts de sa bourgeoisie, percutée par le confinement en Italie où se trouvent de nombreux fournisseurs de son industrie. Même l’ultra-nationaliste Orban subventionne depuis des années des multinationales de l’automobile allemande pour qu’elles restent en Hongrie. Chacun se tient, personne ne peut rompre sans prendre le risque d’accélérer sa propre faillite, et... celle de tous.

Cette contradiction entre concurrences nationales et liens d'interdépendance, inhérente au capitalisme, est aujourd'hui exacerbée. Elle provoque un séisme brutal entre la fuite en avant des marchés, la libre circulation des capitaux et des marchandises par-delà les frontières et la persistance des Etats nationaux qui maintiennent l’ordre à l’intérieur et imposent leurs rapports de forces à l’extérieur dans le cadre des limites d’une mondialisation qui ne peut satisfaire l'avidité sans limite du capitalisme.

La fuite en avant financière vers la prochaine étape, la faillite

Le nouveau plan du Conseil européen fait suite à un autre accord signé en avril qui s’élevait déjà à 540 milliards, essentiellement sous forme de prêts. Et de leur côté, les Etats « doublent » ces plans européens de leurs propres plans, comme en Allemagne où Merkel et les dirigeants des Länder sont convenus récemment d’un plan de 327 milliards.

Pour certains économistes, cette surchauffe d’« argent magique » ne pourra pas faire face à l’ampleur de la récession. Le nouveau plan européen représente environ 5 % des 15 000 milliards de PIB des 27 pays de l’UE, alors que la récession annoncée serait de près de 9%, prévisions par ailleurs fort incertaines.

Il est probable qu'aucun plan de relance ne soit à même d'ouvrir des perspectives à une économie à la dérive soumise aux impulsions contradictoires ou opposées des intérêts des financiers.

Il n'y a pas de réponse financière aussi peu orthodoxe soit elle qui puisse surmonter les contradictions de la propriété privée capitaliste. La réponse ne peut venir que d'une politique qui la remette en cause pour avancer vers le socialisme.

Plusieurs organismes prévoient des faillites en hausse de 32% pour l’Europe de l’Ouest.

Les plans de licenciements se multiplient : près de 400 000 emplois ont été supprimés dans l’UE rien que pour le mois d’avril… Valeo annonce 12 000 suppressions d’emplois, Airbus 15 000… En Grande-Bretagne, BP en supprime 10 000, British Airways 12 000 sur 42000, comme les autres compagnies aériennes, EasyJet 4 500, Virgin Atlantic 3 000, Ryanair 3 000. En Allemagne, le voyagiste Tui en annonce 8 000, l’industriel Thyssenkrupp 3 000, la compagnie Lufthansa 22 000 !

La saignée frappe les travailleurs de tous les pays et les « plans de relance » ne stopperont pas l’appauvrissement des classes populaires. Ils seront impuissants à relancer la consommation au niveau d’avant, et encore plus de la faire progresser, ce dont ont besoin en permanence les « investisseurs ».

Les milliards des plans iront donc sans aucune magie faire surchauffer davantage encore les marchés « d’actifs », les actions, les titres sur les dettes publiques, la spéculation immobilière : tout ce dont les capitalistes peuvent tirer une rente sans passer par la production et la consommation. Cette fuite en avant aggrave et rapproche le krach financier.

A cela s’ajoute la possibilité d’une faillite bancaire, car de ce côté, les économistes envisagent 800 milliards d’euros de pertes liés aux emprunts qui ne pourront pas être remboursés…

Un effet boule de neige est en route, récession, crise financière, crise bancaire, la menace d’un effondrement global de l’économie capitaliste.

Les dupes et les marchands d'illusions

Le Pen a reproché à Macron d’avoir accepté ce plan qui « est un leurre qui prive la France de toute chance d’un soutien efficace à son économie » et de « sacrifier notre avenir et notre indépendance ». Mais de quelle indépendance parle-t-elle ? Pas celle vis-à-vis des capitalistes ! Elle ne remet pas du tout en cause la politique d’aide au patronat. Bien au contraire, elle flatte le nationalisme pour laisser croire que le repli derrière les frontières et les patrons français serait une issue… comme si un pays pouvait éviter la crise à l’heure où l’économie mondiale s’effondre. Les frontières que défendent les populistes et les nationalistes sont un carcan pour ligoter les classes populaires.

De son côté, Jean-Luc Mélenchon a lui-aussi reproché à Macron de ne pas assez soutenir « son » économie : « il a tout cédé : des rabais de cotisations aux pays radins, la baisse du montant du plan de relance… Bérézina. Au secours la propagande ». Mais sa propagande est tout autant une impasse, quand il dénonce à l’Assemblée « ce capitalisme de bons à rien même pas patriotes … cette classe capitaliste parasitaire incapable de venir à la rescousse de la patrie quand la patrie a besoin d’eux … pour remettre en route la machine ». Pas un mot du point de vue de l’intérêt des classes exploitées… auxquelles il voudrait faire croire qu’au nom de « la patrie » elles auraient un intérêt commun avec les « capitalistes patriotes »… Cette démagogie vise à soumettre les travailleurs aux jeux parlementaires et institutionnels, à l’ordre établi, entravant la compréhension que ces intérêts sont totalement opposés.

D’autres marchands d’illusions reprennent le discours officiel, prétendent que l’UE progresse, qu’elle devient plus solidaire, que la relance va venir, le rebond n’est pas loin…

La Confédération européenne des syndicats, dont font partie CFDT, CGT, FO, CFTC et UNSA, soutient bien sûr le plan de l’UE. Elle écrivait, par la plume de son président Laurent Berger, aux chefs d’Etat juste avant le sommet « pour les exhorter à ne pas davantage retarder l’adoption du plan de relance de 750 milliards d’euros nécessaire pour sauver et créer des emplois ». Ce syndicalisme totalement intégré revendique de l’argent pour les patrons, au nom des intérêts de « l’économie »… pour ne pas « condamner des millions de travailleurs au chômage, ce qui aurait un coût financier bien plus élevé que celui du financement de la relance » !

De son côté, Pablo Iglesias, leader de Podemos, remporte sans doute la palme pour flatter les dupes de ces grandes manœuvres financières. Presque « anticapitaliste » il n’y a pas si longtemps… le deuxième vice-président du gouvernement espagnol se félicite lui-aussi de ce plan : « Le dogmatisme néolibéral qui a fait tant de mal à l’Europe du Sud a été corrigé », prétendant qu’il s’agirait d’« un renoncement historique de l’Europe à l’austérité » !

La défense des droits du monde du travail face à un système en faillite ne connaît pas de frontières...

Ces politiciens ne peuvent étouffer les inquiétudes et cacher les conséquences tragiques des politiques des Etats en faveur du capital.

Ici, si la peur des colères et révoltes oblige le pouvoir à rejouer sans fin la comédie du « dialogue social », avec la complicité des « partenaires sociaux » toujours prêts à se réjouir de la moindre demi-annonce, toutes les mesures présentées comme « sociales » portent en réalité la poursuite de l’offensive contre les travailleurs.

Avec le Ségur et le plan « Ma santé 2022 », non seulement les augmentations de salaires sont insuffisantes, les 15 000 embauches sont bien loin des 300 000 revendiquées par les salariés pour l’hôpital et les Ehpad, mais la pénurie de lits, les logiques d’économie et de tarification à l’activité sont, elles, bien maintenues. Le « plan jeunes » présenté pour faire face au chômage de la jeunesse va généraliser la précarité, les petits boulots au service des patrons… subventionnés par l’argent des travailleurs. Les « accords de performance collectives » vantés pour sauver les emplois portent « la peste puis le choléra » comme le disaient des salariés de Derichebourg : les reculs maintenant, les suppressions d’emplois ensuite. Une politique d’aide au patronat tous azimuts, pendant que les licenciements continuent.

Face à ce système en faillite et à ces politiques qui la précipitent et aggravent les reculs sociaux, nous avons besoin de prendre la mesure de la situation, discuter d’un plan pour les exigences sociales et démocratiques des travailleurs et de la jeunesse qui ne pourra être imposé que par leur organisation et leur mobilisation pour prendre en main la construction de l'affrontement avec le pouvoir.

Contre cet effondrement global, la réponse ne peut être qu’internationale. Dans tous les pays, les intérêts des travailleurs sont les mêmes : empêcher les licenciements, la casse des droits sociaux, l’appauvrissement, la répression policière, la destruction de l’environnement.

Les révoltes ont lieu sur tous les continents, comme en Guyane où la bourgeoisie française perpétue sa domination coloniale. La révolte a éclaté contre l’abandon sanitaire et la pauvreté, alors que l’épidémie est en forte progression. Mardi, à Cayenne, les autorités ont fait évacuer la préfecture, effrayées par les manifestants venus exercer leur contrôle sur les décisions qui allaient s’y prendre concernant la crise sanitaire.

Les liens de solidarité se renforcent entre les classes ouvrières par-delà les frontières. Ils tracent l'avenir contre tous les souverainistes qu'ils soient plus ou moins pro ou anti-européens...

François Minvielle

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