Le séminaire de « refondation » du Front national, les 21 et 22 juillet, était censé répondre aux doutes provoqués par l’échec, très relatif malheureusement, de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, suivi des 14 % aux législatives. Le FN réalise en effet son meilleur score mais il est un parti comme les autres, au moins sur ce terrain de la lutte pour le pouvoir, et il regroupe autour de lui des gens qui en espèrent postes, sinécures et autres avantages...

D’où les frustrations et insatisfactions, les doutes et les difficultés de Marine Le Pen, la contestation dont elle a été l’objet. Elle semble avoir réussi à la surmonter en étant élue députée et c’est sur Philippot, le vice-président, que les critiques se sont concentrées.

Le fait que Sophie Montel, proche de ce dernier, ait été démise de sa fonction de présidente du groupe FN au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté donnait du crédit à la possibilité d’un réel conflit entre la présidente et son vice président. Qu’en est-il exactement ? Personne n’en sait rien dans ce parti où la démocratie est une façade et où les dirigeants se livrent à des jeux de rôle bien répartis…

Philippot trouve un intérêt évident à se mettre en avant en jouant le sien. Il le joue probablement en connivence avec Le Pen répétant à qui veut l’entendre, « Il n'y a pas eu de règlements de comptes » pendant ce séminaire. Bien que ce dernier se déroulait à huis clos, Philippot a fait fuiter sa contribution dans les pages du… Figaro… Il s’y fait le fervent défenseur de la sortie de l’euro. « Des voix s'élèvent au sein de notre mouvement pour restreindre l'essentiel de nos prises de parole sur quelques sujets dits “fondamentaux”, à savoir l'immigration, l'insécurité et l'islamisme. Ce serait une erreur fatale ». Le FN en tant que futur parti de gouvernement se doit d’intervenir sur tous les sujets tels que « l'école, la santé, l'écologie, la francophonie, l'université, les banlieues ou la protection animale, par exemple »... Comme Marine Le Pen, il joue sur tous les tableaux pour faire du FN un parti de gouvernement. Car, aux portes du pouvoir, c’est bien là leur vrai problème. « L’objectif, c’est de savoir comment on fait pour passer de 35 % à 50 % des Français », résume un de leurs dirigeants.

Ledit séminaire n’était pas le lieu d’un débat mais celui d’une mise en scène pour surmonter les doutes, donner l’image d’un FN qui se questionne, attentif à l’opinion et ouvert, pour en faire sinon le cadre du moins l’ossature d’un parti capable de rassembler toute la droite extrême, le populisme national libéral se donnant les moyens de prendre le relais du populisme libéral de Macron pour durcir, en fonction des besoins des classes dominantes, la pression contre le monde du travail et les classes populaires, la jeunesse.

Devenir un parti de gouvernement

Le FN a aujourd’hui bien du mal à s’imposer comme l’opposition parlementaire au gouvernement. Il n’a pas défini sa politique dans le contexte nouveau que représente la victoire de LRM. Celle-ci en effet participe d’une démarche dépassant les vieux clivages politiques que Marine Le Pen et Philippot cherchaient eux-mêmes à impulser, sur leur propre base souverainiste, à travers le mouvement « Bleu marine », la mobilisation de la dite société civile contre « l’UMPS », la droite et la gauche.

Pour le moment, c’est le flou complet. Le communiqué final à l’issue du séminaire censé rendre publiques les conclusions de ces discussions ne définit aucune politique, se contentant de reprendre des formules évasives affirmant avoir pris acte « des inquiétudes exprimées par une partie » des Français. Le FN proposera à ses adhérents « de nouvelles modalités et un nouveau calendrier, afin de retrouver, de manière successive et sur la durée d’un quinquennat, nos différentes souverainetés, en commençant prioritairement par la souveraineté territoriale et donc la maîtrise de nos frontières migratoires et commerciales. […] Le recouvrement de la souveraineté monétaire clôturera ce processus ». Il laisse les portes ouvertes sans en fermer aucune...

Et Philippot lui même ne se fait guère de souci, « il n’est toujours pas question de s’accommoder de la monnaie unique […]. Le principe de l’opposition à l’Europe et de la sortie de l’euro est réaffirmé, avec l’idée que le “Frexit” doit s’organiser non pas en trois heures, mais sur la durée du quinquennat ».

Les prétendues divisions sont escamotées, elles ne sont tout au plus que des nuances entre gens qui partagent les mêmes points de vue. Des nuances exprimées haut et fort pour que chacun comprenne que le FN ou un hypothétique parti de droite extrême saura s’adapter aux besoins et exigences de la bourgeoisie pour accéder au pouvoir.

L'impossible délepenisation...

Marine Le Pen l’avait dit : « Je veux tout changer ! » Modifier « le fonctionnement, le nom » du parti, « renforcer l’implantation locale », etc. En bref, « dépasser le FN » et permettre sa « refondation ». Et de développer : « Nous devons organiser le mouvement pour pouvoir accueillir au-delà du FN ceux qui veulent mener le combat pour la France ». C’est là où les choses se compliquent. Les ambitions à la droite extrême se bousculent. Après une alliance au second tour de la présidentielle avec le FN, le président de Debout la France, Dupont-Aignan, veut « dialoguer » aussi bien avec des responsables LR comme Laurent Wauquiez et Thierry Mariani qu’avec Florian Philippot. Ce dernier partage cette volonté, « Je suis aussi pour aller voir des gens dont on a du mal à savoir aujourd’hui où ils se situent », en pensant « par exemple à Laurent Wauquiez », avant d’ajouter qu’« avec Henri Guaino , on devrait également pouvoir parler ». Il s’est aussi dit prêt à boire un café avec... Mélenchon...

Mais il est clair que sur la route de l’ouverture et du pouvoir, Le Pen reste un obstacle. David Rachline, le maire de Fréjus, a beau affirmer « Le FN n'est pas un family office, je ne suis pas membre de la famille Le Pen , il n’y a pas un député, un sénateur, un membre de notre équipe au Parlement européen qui est issu de la famille de Marine », les haines, à droite, sont tenaces et la transformation du FN en un grand parti de droite populiste et souverainiste ne pourra se faire qu’à travers une féroce lutte de pouvoir, en son sein et avec ses concurrents. Les prochaines échéances électorales, les européennes de 2019 puis les municipales, en seront le champ de bataille...

Macron prépare les nouvelles troupes du FN…

La construction d’un tel parti n’est pas une simple affaire d’alliances ou de capacité à s’ouvrir à tous les souverainistes. Cela ne suffira pas à capter les mécontents ni à réussir à prendre le relais de Macron et de LRM afin d’encadrer et de mobiliser ne serait-ce qu’une fraction de la petite et moyenne bourgeoisie contre la classe ouvrière, au nom d’un populisme national et libéral dégagé de l’héritage Le Pen.

De ce point de vue, il y a bien débat au sein du FN. Il ne porte pas sur la question du souverainisme ou de l’euro, préjugés partagés par tous au FN. L’essentiel, ce sont bien les frontières, comme le dit le communiqué final du FN, le nationalisme, « les patriotes » et il leur sera toujours temps de voir comment gérer pratiquement, en fonction des besoins de la bourgeoisie la question de l’euro et des institutions européennes. Leur vrai débat porte sur la façon de s’adresser au milieu social qui a été attiré voire séduit par Macron et que veut gagner le FN, cette nouvelle petite et moyenne bourgeoisie qui croit défendre ses intérêts en servant ceux de l’oligarchie financière, dupe de l’idéologie libérale qu’elle véhicule. Elle peut représenter la future base sociale du parti populiste de droite extrême dont rêvent Philippot et Le Pen ou elle pourrait représenter les forces actives de ce parti suite à l’échec de Macron, quand ce dernier aurait épuisé les ressources de son double langage et de ses volte-face, en particulier ou surtout si la crise financière venait à éclater.

Et il n’est pas écrit que ces couches sociales basculent du côté de la pire réaction, cela dépendra des rapports de force, de la capacité de la classe ouvrière à leur offrir une autre perspective démocratique contre l’oligarchie financière, le patronat et le populisme d’extrême droite tout disposé à les servir.

C’est bien là où l’on voit à quel point la politique de Mélenchon est un piège pour les travailleurs.

La défense des droits sociaux et démocratiques passe par une rupture radicale avec les préjugés nationalistes, étatistes qu’il véhicule. La lutte contre l’offensive politique souverainiste en est partie prenante. Les deux ne peuvent se mener au nom d’une nostalgie sur la prétendue démocratie de l’après-guerre et des acquis de la résistance à l’époque des guerres coloniales et de la reconstruction du capitalisme français.

Elle ne peut réussir qu’à condition qu’elle ose se situer dans une perspective démocratique et révolutionnaire de la conquête du pouvoir par les travailleurs.

Le FN ainsi que la droite se préparent à poursuivre et durcir la politique engagée par Macron pour le compte du patronat en sachant que la crise globale du capitalisme va s’approfondir. Si aujourd’hui la moyenne et petite bourgeoisie que mobilise Macron se porte plutôt bien, une nouvelle crise financière accentuera la lutte pour le partage des richesses, entraînant une radicalisation de ces couches sociales.

Rien n’est évidemment joué. Ces couches sociales ne sont pas condamnées à tomber dans les bras de l’extrême droite pas plus qu’elles ne l’étaient et ne le sont à tomber dans les bras de Macron. Les travailleurs, le mouvement ouvrier doivent, eux, se préparer à une lutte acharnée pour défendre leurs droits et s’affirmer comme la seule force capable de balayer la menace d’un nouveau populisme fasciste pour défendre la liberté, les droits sociaux et démocratiques, pour construire une autre Europe, celle de la coopération des peuples. 

Yvan Lemaitre

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