Depuis l’annonce, vendredi 10, de la faillite de Silicon Valley Bank (SVB), seizième banque des Etats-Unis, ainsi que de deux autres banques de moindre importance (Silvergate mercredi 8, Signature Bank dimanche 12), des craquements se sont fait entendre et se sont répercutés dans le système financier mondial. En Europe, les indices boursiers, dont le CAC40, se sont effondrés, tout comme le cours des banques, telles BNP Paribas, Société Générale, etc. Le Crédit Suisse, un fleuron du « paradis de la finance », se retrouvait, en début de semaine, au bord de la faillite, ainsi qu’une quatrième banque américaine, First Republic…

Des mesures étaient prises dès dimanche par le Trésor américain et la FED (banque centrale US) pour tenter de limiter les conséquences de ces faillites, en particulier celle de SVB afin d’éviter la fermeture de dizaines de milliers de start-ups dont elle détenait les dépôts. Le remboursement de ces derniers sera entièrement pris en charge par l’Etat et la FED au-delà de la limite de 250 000 dollars garantis par le système de protection bancaire US. Sur les 175 milliards que SVB détenait en dépôt, 24 seulement sont couverts par cette garantie. La différence, 151 milliards, sera payée par l’Etat et la FED qui participera à hauteur de 25 milliards. Pour tenter de sauver le Crédit Suisse de la faillite, la banque nationale suisse lui accordait, dans la nuit de mercredi 15, un prêt de 50 milliards de francs suisses. Mais après une remontée jeudi matin, son cours en Bourse continuait de baisser, au point que ce dimanche 19, sous la pression des autorités suisses, la banque UBS entamait des négociations pour racheter la banque en péril et éviter la poursuite de l’effondrement à la reprise des Bourses lundi matin. Aux Etats-Unis, 11 grandes banques, parmi lesquelles JP Morgan, Bank of America, Citigroup, et Wells Fargo, viennent de voler au secours de First Republic en lui versant 30 milliards de dépôt. Une occasion, selon ces bons samaritains, de « réaffirmer leur confiance dans le système bancaire »…

Cette préoccupation les anime tous, la patronne du Trésor US Janet Yellen, ou encore Bruno Le Maire qui assurait lundi « je ne vois pas de risque de contagion. […] les banques françaises sont solides ». Il s’agit de « rassurer les marchés », « affirmer leur confiance », éviter que la panique débouche sur le krach généralisé que tout le monde sait inévitable. Mais la rapidité et l’ampleur des mesures qui ont été prises, le fait que tous s’escriment à nous rabâcher que la situation est sous contrôle est bien le signe de leur panique face à une situation qui leur échappe.

Un démenti également à ceux qui pensent que les superprofits dégagés au cours des derniers mois par quelques grandes multinationales, les méga-dividendes versés à leurs actionnaires, seraient la preuve que le capitalisme se porte bien et que l’accentuation des inégalités sociales jusqu’à un niveau de plus en plus insupportable relèverait simplement de l’exacerbation de l’exploitation du travail dans le cadre d’un rapport de force de plus en plus défavorable aux classes populaires. L’effondrement en moins de 48 heures d’une banque comme la Silicon Valley Bank, réputée solide et saine ainsi que celui de ses consœurs, les répercussions qu’ils ont sur la finance internationale, nous confortent au contraire dans la thèse que le capitalisme financiarisé mondialisé est entré dans une marche irréversible à la faillite dont ces banqueroutes et leurs conséquences sont des symptômes.

Du développement accéléré de Silicon Valley Bank à sa faillite brutale…

Contrairement aux organismes financiers qui étaient à l’origine de la crise des « subprimes » de 2007, la Silicon Valley Bank n’était pas minée par une montagne de titres insolvables qui s’étaient disséminés dans l’ensemble de l’appareil financier mondial. SVB n’a disséminé aucun titre toxique et disposait, jusqu’à sa faillite, de fonds pour une bonne part constitués d’obligations et de bons du trésor, ce qui se fait de mieux en termes de solidité financière. Alors, comment a-t-elle fait faillite ? En quoi cette faillite est-elle représentative d’un système économique en crise profonde ?

Spécialisée dans l’accompagnement financier des start-ups, Silicon Valley Bank a connu un important développement ces dernières années avec l’envolée, pendant la pandémie, des « valeurs technologiques » cotées au Nasdaq, dont celle des GAFAM.

Les start-ups sont, à leurs débuts, des entreprises de très petite taille qui ne dégagent aucun revenu. Leur activité consiste à « imaginer » et développer un « produit » - principalement dans le « numérique » mais pas seulement - et à lui trouver un marché, dans l’espoir, à terme, de s’imposer comme nouvelle « marque » ou d’être rachetée par un groupe important. Des centaines de milliers de start-ups naissent chaque année, mais, selon les statistiques, seulement 10 % « réussissent ». Les débuts se font aux seuls frais de leurs « fondateurs », avec l’aide de « pépinières d’entreprise » mises à disposition par diverses institutions, publiques, universitaires, privées… Lorsque le projet est suffisamment avancé, la « jeune pousse » peut prétendre à un financement auprès de fonds de capital-risque. En réalité, seules 25 % obtiennent cette première levée de fonds indispensable à leur développement, pour payer salaires, loyers et équipements alors qu’elles sont toujours incapables de s’autofinancer. Le financement n’est bien évidemment obtenu que si le projet en cours laisse entrevoir de juteuses perspectives à « l’investisseur », qui s’assure d’en bénéficier par des contrats ad hoc. D’autres levées de fond s’enchaînent, dans les mêmes conditions, jusqu'à l’aboutissement du projet… ou son abandon en cours de route, le bailleur de fonds perdant alors sa mise. Au bilan, seules 40 % des start-ups qui obtiennent un premier financement arrivent au bout. Mais on peut faire confiance aux requins du capital-risque pour avoir intégré les 60 % d’échecs dans leurs calculs et s’être assurés d’une marge suffisante sur ceux qui aboutissent pour que l’ensemble reste largement rentable…

C’est dans ce mécano qu’intervenait la Silicon Valley Bank. Elle-même intimement liée aux fonds de capital-risque à qui elle prêtait de l’argent et dont certains étaient ses actionnaires, sa principale activité consistait à accueillir en dépôt les sommes obtenues par les start-ups dans leurs levées de fonds et dans lesquels elles puisaient en fonction de leurs besoins. L’euphorie, alimentée par les milliards distribués par la FED, qui a régné pendant des mois sur le Nasdaq, en particulier sur les valeurs des GAFAM -symboles s’il en est des start-ups « ayant réussi »-, a eu pour effet d’augmenter le nombre de start-ups et les sommes investies par le capital-risque. Fin 2022, avec 35 000 clients, la Silicon Valley Bank avait en dépôt 179 000 milliards de dollars. A mesure que l’argent affluait, elle a cherché un refuge sûr en investissant dans des bons du Trésor américain et autres titres obligataires. Le montant de ces placements est passé d’environ 27 milliards de dollars début 2020 à quelques 121 milliards fin 2021.

Mais ce processus de croissance a pris fin avec l’entrée en crise des GAFAM, au cours de l’année 2022. Après deux années de croissance folle de la valeur de leurs actions pendant la période du covid, la tendance s’est inversée du fait, entre autres, du ralentissement des marchés et de l’inflation. En un peu plus d’un an, la dégringolade à la Bourse a été violente : - 75 % pour Meta (Facebook) ; - 61 % pour Intel ; - 41 % pour Amazon ; - 36 % pour Alphabet (Google) ; - 31 % pour Microsoft ; - 19 % pour Apple. Cette chute des valeurs du secteur numérique a refroidi les ardeurs des spéculateurs du capital-risque. Pour les start-ups, obtenir un financement est devenu plus difficile.

C’est dans ce contexte que, mercredi 8, le bruit s’est répandu que la banque était en difficulté. Les déposants, conseillés par leurs bailleurs de fonds, se sont précipités sur leurs ordinateurs pour retirer leurs dépôts et les placer dans d’autres banques. Dans la journée de jeudi, 42 milliards de dollars étaient retirés, 1,2 million par seconde ! La banque s’avérait incapable de suivre. La vente d’obligations pour tenter d’obtenir l’argent nécessaire à assurer les retraits révélait que leur valeur était bien inférieure à ce qu’elle était au moment de leur achat. Cette perte de valeur pour des titres pourtant réputés sûrs est une des conséquences de la hausse des taux pratiqués par la FED au cours des derniers mois. Les obligations émises récemment, donc à un taux plus élevé, permettent à leurs détenteurs d’obtenir un meilleur rendement que celles détenues par la Silicon Valley Bank, acquises alors que les taux étaient plus bas. De ce fait, celle-ci ne pouvait vendre ses vieux titres qu’à un prix inférieur à celui de leur achat, entraînant une perte de 15 milliards de dollars.

La suite s’imposait d’elle-même. Après avoir en vain tenté de trouver un repreneur, la banque se déclarait en faillite. Cela déclenchait l’intervention des autorités financières US, qui prétendent vouloir sauver les start-ups de la faillite, ainsi que leurs emplois. En réalité, c’est au secours des milliards investis par le capital-risque qu’elles volent, ce dernier ne pouvant récupérer sa mise que si les start-ups sur lesquelles il a misé peuvent mener leurs travaux à terme…

Le PDG de la banque avait, pour sa part, organisé son propre « sauvetage ». Bien conscient du risque que faisait courir la dépréciation des obligations, il avait vendu, dès le 23 février, ses propres actions pour un total de 3,6 millions de dollars. Il n’était pas le seul à retirer ses billes avant l’effondrement, c’était aussi le cas des autres grands actionnaires, pour une bonne part des fonds d’investissement et de capital-risque. Par ailleurs, selon les Echos, des traders se sont précipités sur les actions de Silicon Valley Bank alors qu’elles s’effondraient de 60 % dans la journée de jeudi et vendredi matin. Anticipant la faillite de la banque, ils se sont lancés dans une vaste opération de « vente à découvert » qui consiste à vendre un titre que l’on n’a pas encore, mais que l’on achètera plus tard quand son prix aura baissé… Dans un contexte d’effondrement des valeurs, chaque opération permet de dégager une plus-value qui s’accumule d’autant plus que la vitesse du trading est rapide et les transactions nombreuses. 38 millions de titres auraient ainsi été vendus à découvert dans la seule journée de jeudi, permettant aux traders qui étaient à la manœuvre de « gagner » 500 millions de dollars sur le dos de boursicoteurs moins avisés…

… un cas d’école

Mais ce ne sont pas ces pratiques de vautour qui ont précipité la faillite de la banque, pas plus qu’elles ne sont responsables de ses répercussions sur l’ensemble du système financier. La faillite de Silicon Valley Bank n’a rien de « spécifique » qui en ferait un cas à part, non représentatif du fonctionnement et de la « santé » du capitalisme financiarisé mondialisé. Les mécanismes de la croissance de la banque, de son fonctionnement comme de son effondrement en sont au contraire des illustrations.

La croissance et le déclin de la banque sont intimement liés à la fièvre inflationniste délirante qui a régné, en 2020 et 21, sur les marchés de la « tech », GAFAM en tête, boosté par le développement de l’e-commerce pendant la pandémie, et les milliers de milliards d’argent gratuit distribué par la FED. Le développement de l’inflation, le ralentissement économique, se sont traduits ensuite par une diminution des profits des GAFAM, entraînant leur effondrement en bourse, tandis que la FED réduisait sa politique d’argent gratuit et commençait à remonter ses taux directeurs, faisant le choix de la récession. Cette récession a touché l’écosystème des start-ups, pour lesquelles il est devenu plus difficile d’obtenir des financements, les fonds de capital-risque se montrant plus regardants sur les perspectives portées par les projets qui leur étaient présentés. Quant à l’augmentation des taux, elle s’est traduite pour la banque, comme on l’a vu, par une dépréciation importante de ses fonds de réserve, la rendant incapable d’assurer ses engagements. Cette situation n’est bien évidement pas propre à la SVB, mais concerne tous les détenteurs d’obligations, et c’est un des facteurs qui alimente les craintes, fait que la « perte de confiance » dans la santé du système se répand, menace de propager la contagion des faillites.

« Entre ravin et précipice »

Cela illustre concrètement l’impasse dans laquelle se trouvent les banques centrales, prises, comme l’écrit le journal Les Echos, « entre ravin et précipice ». Les banques centrales ont fait le choix, alors que l’inflation s’installait pour durer, de durcir leur politique monétaire, de mettre fin, ou du moins de limiter les injections massives d’argent dans le système financier, et d’augmenter leurs taux directeurs, auxquels elles prêtent de l’argent aux banques. Comme on peut l’observer, ces mesures n’ont en réalité aucun effet sur l’inflation qui trouve ses racines dans la prédation massive que pratiquent les grandes multinationales pour assurer leurs profits. La hausse des taux directeurs est répercutée par les banques sur les taux auxquels elles accordent leurs prêts. C’est un facteur d’inflation et de ralentissement de l’économie, d’aggravation du poids de la dette, de krach financier comme vient de le montrer la faillite de Silicon Valley Bank et les perturbations qu’elle entraîne sur les bourses, particulièrement sur les valeurs bancaires.

Face à ce risque de krach, pour le limiter à défaut de pouvoir l’éviter, elles sont contraintes de relâcher la « pression monétaire », de rouvrir les vannes de la perfusion d’argent frais au capital privé. C’est ce que vient de faire, dans l’urgence, la banque nationale suisse. Ce qu’a fait aussi la FED avec son intervention concernant les dépôts des banques en faillite et sa promesse, dès dimanche 12, de mettre « à disposition des fonds supplémentaires pour permettre aux banques de répondre aux besoins de tous leurs déposants » afin d’assurer « la capacité du système bancaire à protéger les dépôts et à assurer la fourniture continue d’argent et de crédits à l’économie »… La BCE, en réunion jeudi sur les questions monétaires, a décidé, elle, une nouvelle augmentation de 0,5 % de ses taux directeurs… ce qui ne préjuge en rien de ce qu’elle pourrait être contrainte de faire dans les jours qui viennent.

En finir avec un système qui nous entraîne dans sa ruine

Ce dilemme dans lequel se trouvent prises les banques centrales, la nécessité où elles sont de louvoyer pour tenter à chaque instant d’éviter le pire est un des symptômes de la faillite du capitalisme. Les superprofits engrangés par les grandes multinationales, les méga dividendes versés à leurs actionnaires alors que l’immense majorité subit de plein fouet les effets de l’inflation ne sont en aucun cas une preuve de la santé du capitalisme. Ils sont l’expression d’un système hors contrôle, devenu fou, atteint par le développement de sa maladie organique, l’accumulation pour l’accumulation, le profit pour le profit, une maladie proche du stade final auxquels les médecins du FMI ou des banques centrales ne peuvent appliquer que des soins palliatifs aux effets contradictoires.

Le redoublement des attaques sociales auxquelles nous devons faire face n’est pas la simple expression de la soif de profit des classes dominantes mais une des conséquences de la sénilité du capitalisme, de la crise d’accumulation à laquelle il se trouve confronté, de la nécessité où il se trouve pour assurer un équilibre financier incertain d’accroître en permanence la masse de profits qu’il réalise au détriment de la société par une accentuation sans fin de l’exploitation du travail et de la nature.

Lutter contre ces offensives est une nécessité et une urgence, mais ne peut se réduire à la revendication d’une autre répartition des richesses. La lutte pour nos droits les plus immédiats, les droits de vivre dignement, s’inscrit nécessairement dans une perspective bien plus large : l’élimination d’un système économique qui détruit la planète, engendre guerres et famines. Un système qui nous maintient, comme vient de nous le rappeler la faillite brutale de Silicon Valley Bank et de ses semblables, sous la menace permanente de catastrophes financières capables d’anéantir en quelques jours des pans entiers de l’appareil de production, de réduire des centaines de milliers de personnes au chômage dans une économie paralysée par une crise majeure du crédit.

Au moment où nous écrivons, les diverses mesures prises n’ont pas réussi à stopper l’hémorragie boursière, tout au plus à la ralentir, et nul ne sait comment la situation financière va évoluer. Mais une chose est certaine : il est plus que temps, pour les révolutionnaires, de prendre à bras le corps la question de la stratégie révolutionnaire, celle de la possibilité et de l’urgente nécessité d’une révolution sociale.

Daniel Minvielle

 

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn