« 66 millions de procureurs » font la « traque incessante de l’erreur ». « Ce n’est pas comme ça qu’on avance », « l’un des problèmes de la France, c’est la défiance » a doctement expliqué Macron jeudi avant de nous enjoindre de « toujours continuer à regarder l’horizon et préparer le lendemain » car « sinon, nous subirons les crises à venir ». Sans blague !

Le problème ce n’est donc pas la soif de profits, une économie qui « traque » de manière compulsive les gains de productivité, qui plonge le monde dans une concurrence généralisée qui fait exploser le chômage. Non, le problème pour les classes dominantes et Macron, c’est que les travailleurs, les jeunes disent leur écœurement face aux mensonges, au prix payé pour assouvir la soif de profits d’une minorité, au chaos qu’elle génère. C’est que la population dénonce l’incapacité du gouvernement à mettre en œuvre la moindre politique sanitaire autre que répressive.

Le scandale est quotidien. Les labos de l’industrie pharmaceutique, incapables de répondre aux besoins, négocient les vaccins au plus offrant dans le grand casino capitaliste. Les pays riches, qui ont précommandé et bloqué des centaines de millions de doses, sont livrés au compte-gouttes. L’immense majorité de la population mondiale, non solvable, n’y a pas accès.

En France, une semaine à peine après leur ouverture, des centres de vaccination ont dû fermer, des RV ont été annulés, la vaccination de soignants interrompue alors même que des clusters se multiplient dans les hôpitaux à nouveau confrontés à une dangereuse augmentation des hospitalisations.

Sanofi, géant français de la pharmacie qui avait annoncé en juin un plan de 1700 suppressions d’emplois, vient de décider la suppression de 400 postes de chercheurs. Le groupe a engrangé près d’un milliard d’argent public en 10 ans au titre du « crédit recherche », a vu son chiffre d’affaires progresser de 5,7 % au troisième trimestre 2020, à 9,4 milliards d’euros, et son bénéfice net de 9,4 %, à 2,3 milliards. Comme dirait Macron, il faut savoir « continuer à regarder l’horizon » des profits !

Comme Total, qui veut fermer son usine de Grand Puits, condamnant 700 salariés alors que le groupe a non seulement touché des milliards d’aides de l’État mais a versé 7 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires en 2020. C’est la même logique implacable, la même guerre de classe à laquelle font face les salariés de Sanofi, TUI, Total, Michelin, KLM, Renault, Bridgestone…

Les multinationales se préparent aux batailles à venir. Elles licencient, restructurent pour gagner en compétitivité, arracher des parts de marché dans le cadre de la concurrence mondialisée et de la crise du système que la pandémie n’a fait qu’accélérer. Dans cette bataille, les travailleurs sont les soldats sacrifiés.

Pour nous, regarder l’horizon et préparer le lendemain, ne pas subir les crises à venir, c’est contester cette logique destructrice dont Macron se fait le champion. Il ne peut y avoir de réponses aux licenciements, à la rapacité des grands actionnaires sans contester la concurrence capitaliste, sans remettre en cause l’ensemble du système, comme il ne peut y avoir de début de réponse à la pandémie sans remise en cause de l’anarchie capitaliste, des intérêts privés d’une minorité, du « droit » tout-puissant des multinationales.

Plans « sociaux » en cascade et offensive contre les travailleurs

Selon des données du ministère du Travail, 804 PSE (plans dits de « sauvegarde de l’emploi ») ont eu lieu depuis mars dernier et 84 130 salariés licenciés. C’est le double de PSE que l’année précédente (428) et presque le triple (30 562) d’emplois supprimés. Chiffres auxquels il faut ajouter 6100 procédures de licenciement collectif de moins de 10 salariés (hors PSE) depuis mars.

Les recrutements, eux, ont diminué de 11,2 % sur le dernier trimestre 2020 (14 % pour les CDI et CDD). Pour les moins de 26 ans, le nombre de CDI et CDD de plus de trois mois a baissé de 27 % en un an.

Une situation qui menace de s’aggraver brutalement alors que le gouvernement se prépare à revoir les dispositifs qui ont permis de ralentir le nombre de faillites. « Il faut arrêter le quoi qu’il en coûte » a annoncé le ministre du budget cette semaine, pointant le déficit de l’État passé de 93 à 178,2 milliards d'euros en un an. Même si le soir même Le Maire temporisait « tant que la pandémie sera là, et qu'elle nous obligera à prendre des mesures de restrictions sanitaires, il y aura un soutien de la part de l’État », il est clair que la facture est en train d’être présentée aux travailleurs.

Baisse de la dépense publique, remise en cause des budgets sociaux, des retraites, des droits au chômage, attaques contre les salaires (qui ont déjà pour beaucoup baissé du fait du chômage partiel), réductions d’effectifs dans les services publics, lits qui continuent à fermer dans les hôpitaux… L’offensive est générale.

Vers un nouveau cycle du « dialogue social » ou de la lutte de classe ?

« La colère est sourde, pas forcément visible, mais très présente » expliquait jeudi dernier Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, le jour-même où il était reçu à Matignon pour préparer la troisième « conférence du dialogue social » qui doit avoir lieu en mars. Castex, pressé de remettre en marche les réformes suspendues par les mobilisations et l’épidémie, « consulte ». Dirigeants de centrales syndicales et d’organisations patronales sont reçus à tour de rôle. Le Maire a rappelé le cadre : « malheureusement, la France aujourd’hui, collectivement, ne travaille pas suffisamment pour financer son système de protection sociale et surtout financer le niveau de vie de nos enfants et nos petits-enfants ».

Se prêtant une fois de plus au jeu de dupes du dialogue social, Martinez n’en a pas moins annoncé vouloir demander à Castex « qu’est-ce qu’on fait pour les “deuxièmes lignes”, qu’est-ce qu’on fait pour arrêter ces vagues de licenciements, qu’est-ce qu’on attend pour conditionner les aides publiques, des choses très concrètes, qu’est-ce qu’on fait pour la jeunesse ? »… Qu’est-ce qu’on fait, oui, en effet, et à quel endroit ? Dans les salons feutrés de Matignon et des institutions ou dans la rue, les usines, les écoles, les universités, les quartiers, sur le terrain de la lutte de classe ?

Il n’y a pas de « plan B » à la rapacité de la bourgeoisie, à l’effondrement social auquel conduit la logique capitaliste, la concurrence généralisée et la course effrénée à la rentabilité, pas d’autre alternative que l’organisation de la jeunesse, des travailleurs, des classes populaires pour contester l’ensemble du système.

Il y a quelques semaines, Martinez mettait « en garde le gouvernement : il y a beaucoup de colère concernant la situation sociale et d'inquiétude pour la santé ». Oui, la colère, le désaveu sont profonds. Ils s’expriment dans les mobilisations, celles du samedi pour les libertés, contre les politiques répressives où se mêlent toutes les générations, des militants syndicaux ou associatifs aux gilets jaunes en passant par les salariés du spectacle ou des très jeunes faisant entendre bruyamment leur soif de vie, de liberté, d’avenir.

La colère s’est aussi fait entendre à Paris, le 23 janvier, à l’appel des TUI, de salariés et d’équipes syndicales CGT et SUD d’entreprises confrontés à des plans de licenciements. Parmi eux, ceux de Grand Puits, d’Auchan, de Bridgestone, de Cargill, de Renault… Partie des travailleurs en lutte et construite à la base par les équipes militantes, cette initiative est un pas vers la nécessaire convergence des secteurs contre les licenciements. La manifestation reliait l’Assemblée nationale et le Medef, soulignant le lien social et politique profond qui démontre la nécessaire indépendance du monde du travail.

Sur nos lieux de travail et d’habitation, par nos luttes postuler au contrôle sur l’économie et la société

Prétendant vouloir répondre à cette colère, les dirigeants de plusieurs centrales syndicales ont appelé, souvent du bout des lèvres, à des « journées d’action » dans la santé, le social, l’énergie, l’éducation… avec, en guise de perspective, l’appel à une journée interpro le 4 février.

Malgré l’absence de tout plan d’ensemble, certaines équipes militantes se sont emparées de ces appels pour se retrouver, prendre des initiatives comme le 21 dans la santé et le social ou le 26 en préparation dans l’éducation. Mais il est clair que pour convaincre de l’utilité de faire grève, entraîner, il y a besoin de perspectives, de discuter des objectifs que nous donnons à nos mobilisations, des enjeux et des possibilités.

Chacun ressent le besoin impérieux de s’extraire de l’abrutissement quotidien des petits soldats de la Macronie mais aussi de leurs rivaux dont les accents indignés, les déclarations démagogiques, ne peuvent masquer le vide. Mélenchon a beau déclarer à l’AFP le 22 janvier « Nous pourrions gouverner demain matin. Jamais je ne me suis senti si prêt à gouverner que maintenant » (avec au passage cet étrange aveu « Je me fais confiance pour l’art d’aller pondre des œufs dans le nid des autres »…), gouverner comment, pour faire quoi ? Produire, manger, se vacciner français ? Quelle autre politique dans le cadre du système, quel que soit le numéro de la République ou son président ?

Les exigences que portent les mobilisations ne peuvent trouver de réponse dans le cadre des institutions.

L’interdiction des licenciements et la répartition du travail entre tous, la garantie d’un salaire décent pour toutes et tous portent la nécessité du contrôle des travailleurs sur l’économie, la remise en cause de la propriété privée capitaliste.

La paralysie des pouvoirs publics face à la pandémie, leur soumission aux intérêts des multinationales révoltent et transforment la compréhension collective du monde du travail, des classes populaires et de la jeunesse.

Personne ne connaît les étapes, le rythme des prises de conscience, le calendrier des explosions de colère à venir, mais chacun sait qu’elles sont inscrites dans la situation. Le discrédit ne touche pas seulement le pouvoir mais l’ensemble des politiques institutionnelles.

La construction des luttes, leur convergence ne pourra qu’être le fruit de leur prise en main par leurs acteurs et actrices eux-mêmes, les travailleuses et les travailleurs avec ou sans emploi, salariés, artisans, petits commerçants, étudiants… La manifestation du 23 janvier constitue un pas, à son échelle, vers la coordination d’équipes militantes, même peu nombreuses, pour entraîner par-delà le silence et la passivité des directions des appareils syndicaux. Aller plus loin, c’est se coordonner autour de perspectives politiques en rupture avec le dialogue social comme avec les jeux parlementaires.

Le 4 février prochain, jour de mobilisation intersyndicale interpro, sera une nouvelle étape pour se retrouver, débattre, préparer la suite, faire de la politique pour, face à la faillite capitaliste, poser la question de qui décide, qui contrôle l’économie et la société.

Isabelle Ufferte

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