Le mouvement pour le retrait du projet de réforme contre les retraites de Macron est entré dans une nouvelle phase après la fin de la grève reconductible à la RATP et la SNCF. Engagé dès avant le 5 décembre 2019 par les traminots, porté à travers tout le pays par les cheminots, dépassant le corporatisme de la défense des seuls régimes spéciaux pour militer dans le sens de l’extension, le mouvement a permis la convergence de toutes les colères et révoltes, celles des travailleurs des raffineries, des ports, des secteurs du privé, des hôpitaux, de la culture, les pompiers, les égoutiers, les enseignants, puis désormais la jeunesse étudiante et des lycées… La participation, inattendue, de catégories telles que les avocats ou les artistes de l’Opéra de Paris comme celle de nombreux gilets jaunes ont contribué à lui donner sa dimension de contestation globale d’une politique au service du CAC40 qui tire en arrière toute la société.

La grève comme instrument de la lutte sociale et politique a repris ses droits donnant une continuité aux gilets jaunes sur le terrain direct de la lutte de classe.

Même s’il n’a pu, jusque-là, imposer le retrait de la réforme, le mouvement représente d’ores et déjà un pas en avant considérable en donnant aux grévistes l’initiative politique pour mettre en accusation le gouvernement, rassembler contre lui et sa réforme la grande majorité de la population, isoler Macron, l’affaiblir. Il a imposé des concessions, certes minimes et, surtout, il représente un acquis au sens où il a été l’occasion pour des milliers de travailleur.e.s, de jeunes, à travers le pays, d’animer la lutte par la grève, la solidarité, les actions, l’agitation et la propagande, de devenir les acteurs de leur propre lutte. Cet acquis est un point d’appui pour préparer la prochaine étape alors que commence le débat parlementaire et que se réunit l’aréopage de la commission de financement. De nouvelles actions sont prévues, les éboueurs sont en grève, les hôpitaux le seront le 14 février, L’UNSA RATP appelle à une journée noire le 17 février avec FO et Solidaire, l’Intersyndicale à une journée nationale le 20, la coordination des universités et des laboratoires en lutte appelle à la grève dans les universités le 5 mars, une manifestation nationale est en gestation, autant d’occasions de faire des forces pour reprendre l’offensive.

Une politique pour relancer le mouvement dégagée du marais du dialogue social

La grève et les manifestations ont marqué le pas confrontées aux difficultés et limites du mouvement, au stade actuel, alors que l’intersyndicale n’a jamais eu le moindre plan pour généraliser la mobilisation et que l’ensemble de ses composantes a accepté le piège de la conférence de financement.

En y participant, les organisations syndicales se lient les mains pour sauvegarder le dialogue social, leurs relations avec l’État, leurs propres intérêts d’appareil. Elles s’alignent sur l’agenda parlementaire abandonnant toute indépendance politique et, de fait, la perspective d’imposer le retrait alors que tout le monde sait qu’il ne peut rien sortir du débat parlementaire, de la « bataille » d’amendements d’une réforme dont le mouvement exige le retrait.

La bataille parlementaire est bien incapable de changer quoi que ce soit. Elle peut être néanmoins un nouveau moment de prise de conscience, de politisation si les véritables acteurs de la lutte, les travailleur.e.s, la jeunesse l’utilisent sur leur propre terrain, les lieux de travail, les assemblées générales, les interpros, la lutte…, pour contester radicalement la réforme, pas pour l’amender mais exiger son retrait et contester la logique capitaliste à laquelle elle obéit et avec laquelle la gauche parlementaire est incapable de rompre.

Les directions des confédérations syndicales, au premier rang la CGT, ont tenté de reprendre la main à partir d’un mouvement dont elles n’ont pas eu l’initiative et qui leur échappe largement. Le démarrage de la lutte s’est fait grâce aux travailleurs de la RATP qui, au lendemain de leur grève du 13 septembre, ont appelé à la grève reconductible à partir du 5 décembre. Leur initiative a été reprise par de nombreuses équipes militantes, des travailleurs qui ont pris en main la construction de la grève reconductible dans la perspective de la grève générale. Les syndicats ont accompagné le mouvement tout en se prêtant au jeu sans fin des négociations, discussions, dialogue orchestré par le gouvernement, lui laissant ainsi les moyens de garder la main malgré son discrédit.

Leur politique est un double échec, une impasse.

Si cette tentative de reprise en main par les directions syndicales a pu aider, de fait, au développement de la grève tout en la canalisant derrière leur mot d’ordre de renégociation des retraites dans le cadre de leur politique de dialogue social, leurs ambiguïtés à la fois paralysent le mouvement et les affaiblissent elles-mêmes.

Le gouvernement les utilise sans ménagement pour donner du crédit à un dialogue social qui n’est qu’un leurre et canaliser la colère. Et si leur capacité à le faire ne suffit pas, il n’est pas gêné de faire donner sa police, d’intimider par les violences policières et les condamnations juridiques y compris contre la jeunesse des lycées, de tenter d’étouffer par les menaces de sanctions de la part de la hiérarchie la contestation dans l’Éducation nationale. Et cela d’autant plus que les syndicats se sont bien gardés, mis à part des appels très formels, d’avoir une politique pour étendre la grève au privé, restant dans le tête-à-tête avec l’État sans menacer les intérêts du patronat dont les affaires prospèrent.

Les acquis du mouvement leur échappent. Ils n’ont pas effacé l’apport de la révolte des gilets jaunes ni pris la main sur le mouvement même si celui-ci n’a pu se donner de direction alternative démocratique née des AG ou interpros. Le mouvement des Gilets jaunes n’a pas été une simple parenthèse et les évolutions actuelles accentuent la rupture d’une large fraction du monde du travail avec la politique des appareils syndicaux entamée depuis 2016. Il lui manque une politique.

La suite de la mobilisation est entre les mains de ses acteurs mêmes

Le caractère inédit, historique du mouvement que les commentateurs se plaisent à souligner, tient certes à la durée de la grève à la RATP et à la SNCF mais surtout à la diversité des secteurs engagés et au fait que des milliers des salarié.e.s s’en sont fait les militants pour le retrait, et, au-delà, pour mettre un coup d’arrêt à la politique de Macron, un combat anticapitaliste.

Depuis 2016, les manifestations ont vu apparaître et se renforcer des « cortèges de tête » ou « cortèges mélangés », qui rassemblent de façon très éclectique les protagonistes les plus déterminés des luttes et d’une manière plus générale celles et ceux qui ne veulent plus manifester derrière les banderoles des différentes boutiques syndicales. Cependant, les critiques restent, le plus souvent, cantonnées aux formes de lutte ou à des questions de calendrier.

La fraction la plus militante du mouvement qui fait vivre les interpros, les coordinations, qui anime la dynamique à l’œuvre, a rompu ou se dégage du dialogue social mais sans avoir les moyens de prendre réellement la direction de la lutte. Depuis 2016, la démoralisation a cédé la place à une nouvelle combativité. Une nouvelle génération militante fait son expérience et a besoin d’acquérir les armes politiques pour préparer, diriger le nécessaire et inévitable affrontement avec le grand patronat et son État.

Cela suppose une critique radicale de cette intégration de la gauche syndicale et politique aux institutions bourgeoises, à l’État, ce conseil d’administration des intérêts généraux de la bourgeoisie, intégration qui conduit à une soumission à la logique capitaliste, à son idéologie, qui lui laisse l’initiative.

Depuis qu’a commencé l’offensive libérale des classes dominantes, le monde du travail est sur la défensive, de défaite en défaite, de recul en recul. Briser ce cycle qui nous conduit à la catastrophe, c’est renouer avec une politique de classe indépendante, reconstruire une conscience de classe.

La question de la généralisation de la grève, au centre de cette première phase dans la continuité de la campagne pour la convergence des luttes, s’est associée à une contestation pleine d’imagination, d’irrévérence et de radicalité tant dans les actions que les cortèges. Le chant des gilets jaunes « On est là, on est là » est devenu le chant de ralliement de toutes et tous y compris dans les cortèges encadrés par les directions syndicales, « Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur… », le symbole du « Tous ensemble ». Mais les limites que rencontraient les gilets jaunes se sont retrouvées, différemment, au sein des milliers de militants du mouvement, la difficulté à donner aux proclamations anticapitalistes le contenu d’une politique concrète qui ne soit pas, de fait, alignée sur celle des confédés, le retrait du projet pour de nouvelles négociations, la défense d’acquis déjà fortement rognés.

Un pouvoir affaibli qui ouvre la route à Le Pen

Un des paradoxes de la situation sociale et politique actuelle, et pas le moindre, est la possibilité pour Marine Le Pen d’accéder à la Présidence en 2022. Le RN a su, comme il l’avait fait lors du mouvement des gilets jaunes, se faire l’écho des colères populaires, soutenir le mouvement, se placer comme l’opposant le plus résolu à Macron. Cette démagogie pour le moins cynique rencontre un écho y compris au sein des catégories de travailleurs les plus exploités qui sont restées à l’écart du mouvement.

Macron renforce cette position de rente du RN en faisant de Marine Le Pen sa seule concurrente crédible dans l’espoir de pouvoir rejouer le tour de passe-passe des élections de 2017. Mais aujourd’hui, le roi est nu, et la manœuvre se retourne contre lui.

Il est devenu le point de convergence de tous les mécontentements. La tension entre les prétentions à une réforme universelle, égalitaire, juste et sociale et la réalité d’une réforme qui vise à faire travailler plus longtemps pour une baisse des pensions, pourrait bien déclencher une violente décharge électrique. D’autant que Macron ne cesse de vanter sa politique qui attire les investissements des multinationales et profite au capital pour le plus grand bonheur, dit-il sans rire, des travailleurs.

Il y a tout lieu de penser que le gouvernement sortira de la séquence qui s’ouvre exsangue, disqualifié, réduit à tenter de faire passer sa loi par des expédients parlementaire, 49-3 et ordonnances, s’il tient jusque-là, au risque de déclencher alors une levée en masse contre lui dans tout le pays.

Ses tentatives de faire diversion sur la « sécession des quartiers populaires » et « l’islam radical », ou la guerre contre Daesh ont fait long feu et ne servent qu’à alimenter la propagande du RN.

La réponse à cette logique destructrice est entre les mains du mouvement lui-même et dépend de sa capacité à se donner les moyens de sortir de la défensive pour faire vivre une perspective crédible en réponse à la politique d’une classe capitaliste au bord de la faillite et de ses serviteurs. Y parvenir dépend pour beaucoup de la politique que sauront mener les révolutionnaires.

Avec les retraites, c’est l’avenir de la société qui est posé

La question des retraites renvoie à la question bien plus globale de l’avenir de la société, celui vers lequel le capitalisme sénile nous entraîne, la régression sociale et politique, écologique, militariste mondialisée ou la perspective de changer le monde, c’est à dire la contestation du capitalisme pour le socialisme, le communisme.

Le capitalisme est engagé à l’échelle mondiale dans une phase de régression irréversible qui, au mieux, conduit à une sauvegarde des profits au prix d’une régression sociale chronique ou, le plus probable, à un krach financier, c’est à dire la faillite d’un système étouffé par les dettes, devenu insolvable, ayant atteint ses limites historiques. Sa mise en faillite pourrait bien être accélérée par l’épidémie du coronavirus qui vient d’éclater en Chine.

A l’échelle internationale comme ici, la lutte de classe réapparaît à nu, le mouvement des gilets jaunes, celui des retraites en sont l’expression. Cette évolution est, elle aussi, irréversible.

L’accumulation sans limites de richesses à un pôle de la société se nourrit d’une exacerbation de l’exploitation, de la pauvreté, des inégalités, du pillage des richesses naturelles. Les classes capitalistes, leurs États sont dépassés par la folle logique du profit et de la concurrence mondialisée alors que les peuples, les femmes, la jeunesse écartés de tout avenir, de toute perspective, niés et méprisés, s’engagent dans un combat vital.

De nouvelles explosions révolutionnaires mûrissent y compris dans les vieilles citadelles du capitalisme.

Nous préparer, préparer les militant.e.s du mouvement à l’affrontement avec le capital et son État

Notre responsabilité, nos tâches sont de nous préparer, de préparer l’aile marchante du mouvement à ces perspectives. La question du financement des retraites pose un problème de répartition des richesses et donc la remise en cause de la logique du profit et de la concurrence capitalistes, de la façon dont les richesses sont produites, de la propriété privée capitaliste.

Elle pose la question de l’avenir de la société non pas pour 2050 mais pour 2025, 27, 30...

Bien des jeunes avaient du mal à se reconnaître dans le mouvement tout en en étant solidaires tellement, au regard de l’idée qu’ils se font du monde qui les attend, la négociation sur le statu quo ou un nouveau recul leur apparaît comme un monde virtuel ou comme les brumes d’un passé sans grand rapport avec leur avenir.

Une conscience anticapitaliste s’est largement exprimée à travers le mouvement, il faut la renforcer, l’armer d’une compréhension des évolutions en cours, des réels enjeux de la lutte, du rejet global du « nouveau monde » de Macron, le vieux monde du capital. Au cœur du mouvement les germes d’une nouvelle force, d’un front anticapitaliste, démocratique, révolutionnaire sont là.

Les idées nécessaires à sa construction aussi, la conception matérialiste de l’histoire du marxisme à laquelle l’actualité donne toute leur fécondité à condition de travailler à leur redonner leur jeunesse, c’est à dire à saisir l’importance des transformations opérées à travers la nouvelle époque du développement du capitalisme, le capitalisme financier mondialisé et ses conséquences du point de vue des perspectives révolutionnaires.

Permettre à la voix des travailleurs, des femmes, des jeunes en lutte de s’exprimer sur le terrain politique des élections municipales en toute indépendance des partis institutionnels et des petites manœuvres municipalistes pour porter sans ambiguïté et confusion citoyenne une contestation de classe est un moment pour aider à son émergence tout en renforçant, en politisant le mouvement.

L’ensemble des organisations, fractions, courants qui se revendiquent de la révolution, du socialisme, du communisme, sont face à cette tâche. Dès maintenant, elles devraient discuter ensemble de leur intervention, se coordonner, organiser des réunions publiques communes, être ensemble dans la bataille électorale des municipales, discuter des moyens d’œuvrer à la rencontre entre nos idées et les masses ou une fraction d’entre elles, à reconstruite l’union du mouvement ouvrier avec les idées du socialisme et du communisme détruite par des décennies de reniements et de trahison. L’évolution même de la lutte oblige à dépasser l’esprit de chapelle.

Il ne s’agit pas d’ignorer ou de nier les divergences mais de leur donner leur juste place pour prendre appui sur ce qui nous rassemble, en toute indépendance de la gauche institutionnelle, l’essentiel au regard des enjeux et possibilités du moment. Nous ne pourrons les dépasser qu’à travers la discussion démocratique sur les choix tactiques et pratiques mais, aussi et surtout, si nous sommes capables de nous forger une compréhension commune des données de la nouvelle période.

Il n’y a pas de raccourci, il faut l’assumer avec lucidité, loin de toute illusion avec une conscience claire des rapports de force et des objectifs que nous pouvons nous fixer.

L’avenir commence à s’éclairer, un chemin se dessine. Il réside dans le développement de l’auto-organisation des travailleurs par le bas avec de vraies assemblées générales démocratiques, des comités de grève et de lutte, capables de se coordonner, localement et nationalement, pour discuter des perspectives, du contenu de l’action, d’un plan pour construire le tous ensemble, élaborer une politique pour la lutte des classes exploitées.

Dès maintenant, dans le cours de la lutte, se construisent les embryons du pouvoir des travailleurs. Il n’y a là rien de spontané ni d’automatique mais l’expression d’une volonté politique consciente. Cette étape appartient à un nouveau développement de la lutte mais c’est dès maintenant qu’il faut l’anticiper, commencer à la mettre en œuvre, construire la force nécessaire à sa réalisation.

Le mouvement pour le retrait de la réforme contre les retraites du gouvernement n’a pas épuisé sa dynamique pas plus que celui des gilets jaunes, de leur dépassement pourrait naître l’ébauche de l’instrument de l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes, un parti des travailleurs.

Le 08/02/2020

Texte collectif écrit dans le cadre des discussions au sein du NPA

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