Le réchauffement climatique, prévu, décrit par la communauté scientifique depuis plus de 30 ans, devient une réalité concrète pour des millions de personnes à travers le monde, entraînant une prise de conscience, en particulier dans la jeunesse dont une partie se mobilise depuis plusieurs mois.

L’ampleur du phénomène qui ne peut s’envisager que dans sa globalité, à l’échelle de la planète, comme l’inaction au mépris de tous leurs discours des dirigeants de ce monde, engendrent un sentiment d’impuissance propice à toutes sortes de théories vieilles comme les religions… celles d’un effondrement général de la civilisation humaine comme le défendent les tenants de la collapsologie. Se préparer à un tel effondrement, comme ils le suggèrent, revient à se résigner… or le pire n’est jamais sûr.

La science confirme l’origine humaine du changement climatique et c’est justement ce qui permet d’envisager des réponses à cette crise, sans céder au catastrophisme. Trouver les moyens d’agir contre ce réchauffement passe par la critique et la remise en cause de ce qui structure la société humaine, le mode de production capitaliste, avec le productivisme qui lui est inhérent et surtout son incapacité fondamentale à produire en fonction des besoins réels des êtres humains tout en assurant la préservation de l’environnement. 

Entre beaux discours et guerre commerciale, l’incurie des classes dominantes

Le dernier G20 qui s’est tenu à Osaka fin juin, est révélateur du niveau de cynisme et d’hypocrisie des dirigeants des principales puissances mondiales face aux enjeux de la crise climatique.

Il a commencé par les rodomontades de Macron, soucieux de verdir son image, déclarant que la France refuserait de signer le document final si l’ensemble des pays ne réaffirmaient par leurs engagements de l’accord de Paris de 2015. Dix-neuf ont confirmé, sauf les Etats-Unis, ce qui n’est de toute façon qu’un engagement de façade qui n’engage… que ceux qui acceptent d’être dupes.

Car concrètement, ce G20 s’est terminé par la signature d’un accord de libre-échange économique entre l’Union européenne et le Mercosur regroupant cinq pays d’Amérique du Sud dont le Brésil du très réactionnaire président Bolsonaro. Depuis son élection celui-ci clame son hostilité à toute mesure en faveur du climat, accentue comme jamais la déforestation de l’Amazonie dans un climat de répression des militants écologistes !

Tout en prétendant s’engager pour le climat, les représentants des grandes puissances étaient surtout préoccupés des conséquences de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine…

Et c’est tout le problème. D’un côté, des déclarations d’intention qui n’aboutissent qu’à des vœux pieux et des promesses le plus souvent non tenues et, de l’autre, des discussions concrètes sur le commerce international à travers lesquelles les grandes puissances et les multinationales se livrent une guerre économique généralisée pour le contrôle des matières premières, des sources d’énergie. Leur seul horizon est d’augmenter les profits et pour cela accaparer une part toujours plus grande de richesses au détriment des peuples et de l’environnement.

A travers les mobilisations sur le climat, de profondes évolutions de conscience dans la jeunesse

Cette contradiction est de plus en plus visible et perçue par une partie de l'opinion. Car depuis 30 ans le fossé s’est creusé entre l'urgence de la situation et le cynisme des chefs d’États qui ne jurent que par les lois du marché et ont transformé les conférences internationales sur le climat en foires commerciales pour les multinationales d’un capitalisme « vert ».

Révélateur de cette contradiction, alors que Macron jouait les champions du climat, le gouvernement envoyait les CRS disperser violemment, à coup de gaz lacrymogène, le sit-in sur un pont de Paris des militants pacifistes de l’organisation Extinction Rebellion qui prône la désobéissance civile pour lutter contre le changement climatique.

Depuis des mois, les mobilisations sur le climat ont pris de l’ampleur. La journée de grève des jeunes, suivie de la « marche du siècle » en mars, puis la journée de « grève mondiale pour le climat » du 24 mai, ont rassemblé des centaines de milliers de manifestants à travers le monde.

Ces mobilisations traduisent une légitime et profonde inquiétude face au dérèglement climatique. Elles expriment aussi un sentiment de colère et de révolte contre ces États qui, derrière les beaux discours édifiants, ne respectent même pas leur propre engagement, comme le « Haut Conseil pour le climat », pourtant mis en place par Macron, a dû le reconnaître concernant la France.

La nécessité de prendre des mesures concrètes pour limiter le réchauffement climatique se heurte à la réalité sociale et politique du capitalisme. Car les mesures préconisées par les scientifiques ne peuvent qu’entrer en contradiction avec les lois de la libre concurrence d’un marché mondialisé, avec les intérêts des multinationales qui exploitent les peuples et ravagent la planète, avec les frontières nationales érigées par les États qui les servent.

La question du climat oblige ceux qui se mobilisent à lier leur combat quotidien, leur volonté d’agir à leur niveau et la nécessité d’un changement global du système, d’une remise en cause de la logique même de l’économie capitaliste, de la course aux profits et de la concurrence… C’est le sens du slogan des manifestations : « fin de mois, fin du monde, même système, même climat ».

Cette évolution contribue à faire naître et à renforcer la conscience qu’il n’y a que par les luttes collectives, en agissant directement, que pourront être imposées des solutions dans l’intérêt du plus grand nombre contre une minorité de parasites qui impose sa domination à l’ensemble du monde.

C’est dans ce cadre que les révolutionnaires défendent une orientation qui vise à renforcer cette conscience, en lui donnant tout son contenu de classe, et permettre de faire converger le combat pour le climat avec le combat social et politique pour une transformation révolutionnaire de la société. Cela passe par une critique de l’écologie politique qui après les élections européennes est surtout le prétexte à toutes sortes de recompositions politiciennes bien peu écologiques. Cela passe aussi par le débat avec le courant écosocialiste, notamment sur la signification politique de la démarche des camarades qui s’en revendiquent.

L’impasse de l’écologie politique des partis institutionnels

Comme lors des élections européennes, face à la prise de conscience des enjeux climatiques, tous les partis et jusqu’au gouvernement prétendent faire de l’écologie une question centrale. C’est surtout un moyen facile et consensuel d’essayer de donner à peu de frais une image « progressiste » aux politiques même les plus antisociales voire les plus réactionnaires…

Fort de son succès électoral, EELV voudrait de son côté s’imposer sur les ruines de la gauche institutionnelle comme la nouvelle force capable de dévoyer la révolte d’une partie de la jeunesse vers des solutions institutionnelles, pour une illusoire régulation « écologiste » d’un capitalisme en crise. Une force se disant en fait et de droite et de gauche, pragmatique, ce qui élargit à l’infini les possibilités de combinaisons politiciennes pour les prochaines élections municipales !

Pour ce qui reste des partis de la gauche institutionnelle, l’écologie permet d’abandonner toute référence aux luttes sociales au nom de valeurs éthiques et de l’impératif de « sauver la planète ». Les formules sur « l’urgence écologique » peuvent prendre des tonalités d’autant plus radicales dans la forme qu’elles évitent toute critique radicale du capitalisme et permettent de développer tout le spectre des éternelles illusions sur les « bonnes réformes » du système… en développant diverses versions d’un même mensonge, celui de vastes plans d’investissement public sans remise en cause du système, sans lien avec les luttes sociales, les rapports de classes.

L’écosocialisme, un compromis inutile pour justifier une politique unitaire

En réaction à cette écologie des partis institutionnels, le courant écosocialiste est né de la volonté de lier le combat écologique et le combat social. Les camarades justifient ce préfixe « éco » par leur volonté d’intégrer l'écologie politique au programme socialiste et par la nécessité de débarrasser le marxisme de ses « scories productivistes ». 

Les camarades écosocialistes insistent sur le bilan désastreux de la bureaucratie stalinienne ou nationaliste de l’ex URSS, de la Chine, comme s’il était la conséquence d’erreurs théoriques du mouvement révolutionnaire, du marxisme. Mais ces régimes dits du « socialisme réel » sont le produit d’une rupture sanglante avec la perspective même du socialisme, de l’émancipation. Ils ont mené des politiques productivistes pour défendre les intérêts d’une caste de bureaucrates ou d’une petite bourgeoisie nationale, dans le cadre d’une concurrence économique et politique avec les puissances impérialistes. Parler des prétendues « scories productivistes » du marxisme revient à faire l’amalgame avec ce bilan du « socialisme réel » et finalement à se dédouaner de ce que la critique marxiste a de plus radical : inscrire le socialisme dans le développement même de la lutte des classes.

Car c’est cela le véritable sens politique de l'écosocialisme, parler de socialisme sans parler de la lutte des classes… pour s’adresser à des courants de l’écologie politique qui, même radicaux, se situent sur un tout autre terrain. En remplaçant la perspective d’une transformation sociale ancrée dans la lutte des classes réelle par une transformation écologique sans contenu social, les programmes se réclamant de l’écosocialisme se ramènent à un catalogue de revendications pouvant servir de base à des politiques unitaires d’alliance avec bien des courants, des écologistes radicaux jusqu’à toute une partie de ce qui reste de la gauche… ce qui ouvre la possibilité de regroupements pour le moins « non délimités ».

Plutôt que de faire le réel bilan de ces régimes prétendument socialistes et donc la critique des raisonnements « campistes » qui ont pu conduire à y voir des prémisses de socialisme au nom d’une légitime solidarité face à l’impérialisme, les camarades écosocialistes en viennent à rendre Trotski et Marx responsables de ce bilan, soi-disant parce qu’ils auraient eu une trop grande confiance dans le progrès, la science, le développement technique comme base matérielle de l’émancipation.

Or le développement des sociétés humaines repose sur les progrès des sciences et des techniques, dans le cadre d’une lutte des classes qui leur a toujours donné un caractère contradictoire, certes, mais à travers lesquels l’histoire progresse. Sans cette perspective, il ne reste comme base pour une autre société, socialiste, qu’une nécessité morale posée au nom de valeurs éthiques… 

Que signifie l’idée que « les techniques ne sont pas neutres » si on ne discute pas des rapports sociaux dans lesquels les choix techniques sont faits. Ce sont les rapports entre les classes qui expliquent le caractère contradictoire du développement des sciences et des techniques dans le cadre d’une société d’exploitation. Les camarades inversent le problème… en discutant d’abord en soi des sources d’énergie, des techniques avant de poser la question de l’organisation sociale. C’est une concession bien inutile aux militants écologistes dont la critique se concentre sur le productivisme, la société de consommation et non sur le capitalisme et qui prônent la décroissance plutôt que la lutte des classes.

Loin de chercher à atténuer le caractère de classe de notre combat en faisant du socialisme un « combat éthique », nous devons en souligner l'enjeu dans le cadre de la lutte des classes réelles, pour mettre en valeur le rôle central des luttes du monde du travail et de la jeunesse, sans céder à l’air du temps en cherchant d’autres forces sociales, d’autres mouvements supposés plus enclins à lutter pour l’environnement que la classe ouvrière.

Donner à la question écologique son contenu de classe, démocratique, révolutionnaire

En vidant le socialisme de son contenu de classe, la démarche des camarades écosocialistes ne peut conduire qu’à son affadissement au lieu de mettre en valeur les évolutions qui ouvrent de riches perspectives au prolétariat mondial. Enrichir le marxisme des données scientifiques modernes de l’écologie, ainsi que des coordonnées de la nouvelle période dans laquelle la crise écologique occupe une place prépondérante, est à l’opposé de cette démarche.

Il s’agit d’armer les consciences en posant la question écologique comme une question sociale et politique, en retrouvant toute la jeunesse et la radicalité de la critique que Marx a faite du capitalisme, en débarrassant les idées de l’émancipation sociale de leurs scories staliniennes, maoïstes et réformistes.

La critique faite par Marx du capitalisme naissant n‘est pas la simple critique de son productivisme, elle est bien plus fondamentale, plus radicale, plus philosophique et pose d’emblée la question de l’aliénation et de la perversion des rapports entre l’Homme et la Nature.

S’il est tout autant anachronique de faire de Marx et d’Engels des écologistes avant l’heure que de leur reprocher de ne pas l’avoir été, leur méthode matérialiste reste indispensable pour intégrer les questions écologiques, comme autant de progrès du développement de la connaissance scientifique des relations entre les sociétés humaines et leur environnement.

A une époque où l’écologie était encore une science en gestation, Marx a dénoncé l’incapacité du capitalisme, à cause de ses contradictions internes, à maintenir un équilibre dynamique harmonieux entre la société humaine et la nature dont elle est pourtant partie intégrante. Ce n’est ni la science, ni la technique, ni un productivisme abstrait que Marx rendait responsables de cette rupture d’équilibre des grands cycles naturels mais bien l’organisation sociale et politique de la société capitaliste.

C’est cette démarche qui garde toute son actualité et qui permet de relier l’ampleur prise par la crise écologique aujourd’hui avec l’histoire concrète des différentes phases du développement capitaliste depuis l’époque de Marx.

La crise climatique et l'incapacité du capitalisme à y faire face sont la conséquence de cette contradiction fondamentale décrite dès l'origine par Marx : la contradiction entre une production sociale et une appropriation privée qui met cette production au service d’un seul but : l’accumulation du capital. Il n’y a pas de limites à cette accumulation du capital, le capitalisme est pris dans une fuite en avant perpétuelle, dans une dynamique destructrice dont le moteur est la course aux profits à court terme dans le cadre d’une concurrence mondialisée. Cela rend le capitalisme incapable de produire pour satisfaire les besoins sociaux réels et encore moins d'intégrer la nécessaire préservation de l'environnement. Le capitalisme est ainsi à la fois la principale cause de la crise écologique actuelle et le principal obstacle aux solutions pour la résoudre.

Et c’est ce qui donne à la crise écologique son caractère révolutionnaire.

Elle conduit à faire le lien entre le combat quotidien contre ses conséquences locales et la nécessité d’une réponse globale par-delà les frontières qui passe par la remise en cause de l’ensemble du système capitaliste.

Elle remet à l’ordre du jour la nécessité d’une planification démocratique de l’économie à l’échelle du monde contre la logique des marchés et donc conduit à la remise en cause de la domination des multinationales, de la propriété privée.

Et elle contribue à renforcer la conscience qu’il n’y a rien à attendre des institutions et qu’il n’y aura de solution que par l’intervention directe de la majorité de la population contre les intérêts d’une minorité.

Le combat écologique n’est pas une sphère autonome dégagée de la lutte des classes. Combat écologique et combat social se rejoignent parce qu’il s’agit d’un seul et même combat, un combat révolutionnaire et démocratique, contre la domination de l’économie mondiale par les multinationales, les grands groupes financiers et des États à leur service qui sacrifient les populations et leur environnement, à l’accumulation sans fin du capital.

Bruno Bajou

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