La publication cette semaine du rapport sur les dividendes des entreprises du CAC40 réalisé par Oxfam et Basic jette une lumière crue sur l’offensive menée par le gouvernement et l’ensemble du personnel politique au service des grands actionnaires. Entre 2009 et 2016, tandis que les patrons et leurs valets de tous bords intensifiaient la casse des droits des salariés, des chômeurs, des retraités, bloquant les salaires, opérant des coupes drastiques dans les services publics et l’ensemble des budgets sociaux, ces entreprises ont distribué un record de dividendes.

Le lendemain, on apprenait la quasi dispense de peine de Cahuzac. Reconnu « coupable de fraude fiscale, de blanchiment et de déclaration mensongère à la Commission pour la transparence de la vie politique », l’ancien ministre (PS) du budget n’aura très probablement pas à passer par la case prison, la supplique de ses avocats ayant apparemment convaincu les juges qui l’ont condamné à deux ans fermes (dont il va demander l’aménagement) et 300 000 euros là où la loi prévoit jusqu’à 7 ans et 1 million d’euros.

La violence de l’exploitation, le mensonge, l’arrogance et l’impunité des riches s’étalent sans vergogne, protégés par leurs tribunaux, leurs institutions, leur police qui provoque et affronte les travailleurs en grève, les cheminots dans les gares, les étudiants dans les universités, les jeunes dans les banlieues, les migrants…

C’est cette société que contestent les centaines de milliers de travailleurs, postiers, cheminots, hospitaliers, salariés d’Air France, du privé ou de la fonction publique, étudiants, lycéens… qui depuis des mois se mobilisent, font grève contre les licenciements, pour l’emploi, les salaires, contre la précarité, la casse des statuts, des conditions de travail, pour des études et une université gratuites et ouvertes à tous. Une lutte bien vivante et féconde par delà les obstacles, les difficultés… et la politique des confédérations syndicales, grâce à sa prise en main par une partie des grévistes eux-mêmes. Suite d’une lutte prolongée…

Actionnaires assoiffés de dividendes, seuls les travailleurs et la jeunesse peuvent y mettre un coup d’arrêt

Le premier janvier dernier, Macron et Philippe justifiaient les nouvelles mesures de défiscalisation du capital par la nécessité « d’encourager » les investissements financiers en donnant du mou aux possédants en quelque sorte.

Dans leur enquête, l’ONG Oxfam et le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic) révèlent que les profits des entreprises du Cac40 ont augmenté de 60 % entre 2009 et 2016. Dans cette période, le « taux de distribution » des profits sous forme de dividende a atteint 67,4 % : sur 100 euros de bénéfices, 67,4 sont allés dans la poche des actionnaires, plus des deux tiers, contre 5,3 à leurs salariés. « Afin de maximiser leurs bénéfices et la rémunération de leurs actionnaires, les entreprises exercent une pression à la baisse sur les salaires au sein de leurs groupes et dans leurs chaînes d'approvisionnement et multiplient les techniques pour échapper à l'impôt, y compris en utilisant les paradis fiscaux pour des montages d'évasion fiscale ». Et certaines de ces entreprises ont continué à arroser leurs actionnaires alors même qu’elles déclaraient des pertes, telle Arcelor Mittal qui a versé 3,4 milliards de dividendes entre 2009 et 2016 pour des pertes de plus de 7 milliards d’euros. Mais aussi Veolia, Accor, Lafarge, ou Engie, née de la privatisation de GDF, dont le « taux de distribution » a été de 333 %, soit 333 euros de dividendes versés pour… 100 euros de bénéfices. Nul miracle n’a permis cette multiplication des pains et des milliards, ces entreprises se sont simplement endettées, faisant le pari des profits à venir que patrons et gouvernement s’emploient à arracher à la classe ouvrière en intensifiant l’exploitation !

Les chiffres du rapport éclairent le pillage : l’argent et les richesses ruissellent bel et bien, produits par les travailleurs et aspirés par les actionnaires « premiers de cordée » dont la soif de profit est sans limite.

« Redistribuer des dividendes aux actionnaires n’est pas illégitime » a cru bon de commenter E. Philippe… C’est bien cette prétendue « légitimité » des exploiteurs, des PDG du Cac40 qui touchent « en moyenne » 257 fois le SMIC, et des politiciens tous dévoués qui se relaient pour les servir et se servir eux-mêmes, que contestent les travailleurs et la jeunesse ! Depuis deux mois, ils affirment une toute autre légitimité, celle de nos exigences et de nos luttes, de la contestation du capitalisme, de ses gouvernements et de ses institutions.

Ténacité de la grève des cheminots grâce aux équipes militantes qui la prennent en main

La révolte, la colère du monde du travail et de la jeunesse sont bien loin de s’éteindre quoi qu’en dise la propagande du gouvernement, son battage médiatique, le chantage, les « fake news »… A Air France, l’ex PDG Jarnaillac a expliqué a posteriori qu’il avait espéré « créer un choc » avec son référendum qu’il était sûr de gagner, mettant son poste dans la balance pour mieux isoler les grévistes. Pari réussi pour le choc : les pilotes, personnels au sol, hôtesses, techniciens ont infligé un camouflet à la direction et au gouvernement. Un encouragement pour tous ceux qui luttent, en premier lieu à la SNCF.

Le succès de la « journée sans cheminots » lundi 14, au bout d’un mois et demi de lutte, avec des chiffres de grévistes et de participation aux AG équivalents à ceux des premiers jours, atteste de la vitalité du mouvement malgré l’atonie des appareils syndicaux. Une vitalité et une ténacité qui sont le fruit des équipes militantes qui ont pris la grève en main, la construisent à la base, en associant et en tissant des liens entre grévistes, syndiqués ou non, d’un métier à l’autre et d’une gare à l’autre, ainsi qu’avec les autres secteurs mobilisés, salariés du privé ou du public, étudiants…

A Paris, une rencontre inter-gares, AG regroupant des représentants de différentes AG d’Ile de France, a réuni près de 200 cheminots le 14 mai à l’initiative des équipes militantes combatives. Dans d’autres villes, des AG se sont tenues à l’appel de syndiqués et non syndiqués, regroupant les différents métiers cheminots alors que dans certaines villes, l’intersyndicale organise systématiquement les AG par métier (contrôleurs, conducteurs, gare, dépôt, etc.), rendant difficile l’organisation collective et le contrôle du mouvement par les grévistes eux-mêmes.

C’est le dynamisme des équipes qui construisent le mouvement à la base, travaillent à faire le lien, organisent le débat et le mouvement démocratiquement, s’en font les militants pour convaincre, qui donnent sa force à la grève par-delà le calendrier de l’intersyndicale ou le prétendu « Vot’action ».

La force du mouvement, ce sont aussi les initiatives interpro prises par les militants de la convergence, rassemblements, débats publics, participation aux actions des uns et des autres : lycéens et étudiants avec les cheminots ou les postiers pour bloquer des gares ou des plateformes-colis ; cheminots, postiers, dockers avec les étudiants pour bloquer des partiels… Autant d’occasions d’échanges, de liens nouveaux ou renforcés, de confrontation des expériences, des convictions. L’impasse du dialogue social est une évidence pour les militants du mouvement mais les interrogations sont nombreuses sur comment dépasser l’immobilisme des confédérations, les journées « saute-mouton », leur corporatisme, comment convaincre et donner confiance, certains tentés de compenser les difficultés à entraîner et étendre la grève par la « radicalisation » des actions.

Ces débats sont indispensables, ils participent de la maturation du mouvement. Chacun prend la mesure de l’obstacle à franchir, des difficultés mais aussi des possibilités, et ce qui est en cours est profond. Cela prépare les prochaines étapes, dont le calendrier n’est connu de personne, il s’écrit chaque jour.

Construire la convergence et l’unité des travailleurs, en toute indépendance des appareils

L’unité à laquelle nous essayons de contribuer est celle des travailleurs et de la jeunesse en lutte, des militants de la convergence, pour et par l’organisation démocratique des grévistes eux-mêmes pour prendre en main leurs luttes, en décider en toute indépendance des appareils institutionnels, syndicaux ou politiques.

La démarche des organisations qui appellent à une « marée populaire pour l’égalité, la justice sociale et la solidarité » le 26 mai est autre. Leur texte se veut en soutien des luttes… et des appareils syndicaux, éprouvant le besoin d’affirmer qu’il « appartient évidemment aux organisations syndicales de décider, avec les personnels concernés, de leurs formes d’action ». Il appelle au détour d’une phrase à « affirmer dans la rue que des alternatives existent », alors qu’une bonne partie de cette « gauche de gauche » a les yeux fixés sur les élections à venir. Que va donc faire le NPA là-dedans ? Les révolutionnaires ne peuvent être de cette démarche et de cet appel, ce qui n’empêche pas de participer à la manifestation sur nos propres bases politiques.

Notre politique est d’aider à regrouper les militants de la convergence, militants révolutionnaires, syndicaux, associatifs, inorganisés, l’ensemble de ceux qui veulent faire converger les luttes pour contester l’ordre social, et posent naturellement la question politique, celle du fonctionnement de la société, de qui possède, qui décide, des actionnaires du Cac 40 ou des travailleurs ? La question du parti des travailleurs, parti pour la démocratie ouvrière et la révolution, peut prendre un contenu très concret pour bien des militants autour de nous.

Isabelle Ufferte

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